C'est avec passion que nous avons entrepris nos recherches sur la Communauté juive de Haguenau, en découvrant la présence d'un nombre important de documents la concernant aux archives municipales.
Elie Scheid conclut son Histoire des Juifs de Haguenau par un document daté du 21 Prairial an III rouvrant leur synagogue aux Juifs haguenoviens après la Terreur. Il déclare arrêter son étude car "la pousser plus loin serait entrer presque dans l'actualité ..." Les travaux du Grand Rabbin Joseph Bloch, notamment son opuscule sur le cimetière juif de Haguenau, constituent des éléments importants que nous avons précieusement utilisés (*).
L'élément primordial sous l'Empire et la Restauration pour les juifs haguenoviens fut la construction de leur nouvelle synagogue. En retraçant cette page d'histoire, nous avons voulu contribuer à la commémoration du 25ème anniversaire de la réfection de cette synagogue après le désastre de 1939-45.
Le désir des Juifs de Haguenau de se doter d'un seul grand lieu de prières prend forme à l'époque du déclin de l'Empire napoléonien. La communauté juive d'Alsace est toujours en butte à un antisémitisme populaire exaspéré par l'usure juive. Les décisions de l'Administration impériale la régit par les décrets suivants :
- la liberté de culte
- les droits civiques
- un consistoire pour chaque département
- chaque juif doit avoir un nom de famille fixe et déclaré.
La pacification religieuse est une des grandes réussites de Napoléon. Il a le souci de l'opinion publique mais c'est un moyen de contrôler toutes les formes de pensées.
Par bonheur, le musée de Haguenau e conservé deux documents essentiels, les comptes rendus de deux séances du 26 et 29 juillet 1813 au cours desquelles furent prises les décisions d'acquérir le terrain puis de faire construire le bâtiment de la synagogue.
Cette étude aura pour objet de donner un bref aperçu sur l'état de la Communauté à cette époque et surtout d'analyser ces deux importants rapports de séance.
Quelle était l'activité économique des juifs haguenoviens de cette époque ? Nous relevons dans la liste de patentes accordées en 1819 (1) : onze ferrailleurs, huit marchands de bestiaux, sept revendeurs, sept fripiers et sept colporteurs, des marchands de peaux, de laine et d'huile, quatre cabaretiers et un relieur. Il ne fait aucun doute que de nombreux autres membres de la communauté juive exercèrent ces métiers sans patente. Mais cette liste reflète bien la tendance générale. Le commerce reste un des domaines dans lequel les juifs sont solidement implantés. Il y a lieu, cependant de relever que le fils du rabbin Lazare Hirsch, Aaron Lion Hirsch est médecin auprès de l'armée du Rhin en 1809. La plupart des juifs haguenoviens sont cependant de condition modeste, confinant à la pauvreté, en dehors de quelques familles de notables, les Moch, les Bernheim.
Dans une autre lettre non datée, adressée au maire, les administrateurs de la Communauté demandent l'autorisation de faire publier par le Tambour de Ville la vente des matériaux provenant de la destruction de l'ancienne synagogue, autre preuve qu'ils ne pouvaient agir ainsi avec l'autre bâtiment abritant le second lieu de prières, puisqu'il était loué. Si nous connaissons exactement l'emplacement de la synagogue officielle, au 8 de l'actuelle rue du Sel, nous ignorons totalement l'emplacement de la seconde. Il ressort du compte-rendu de la séance du 26 juillet 1813 qu'il s'agissait d'une synagogue ayant sa propre administration. C'est pourquoi dans la commission chargée de répartir les sommes nécessaires, seront choisis les membres des deux synagogues.
Sans doute l'achat des places du local loué avait-il été rendu nécessaire pour payer le loyer et veiller à l'entretien de ce lieu de culte. Selon Girard (op cité p. 106 ) les nouveaux arrivants de la campagne formaient, en ville, un groupe distinct, ayant son propre lieu de culte, appelé "synagogue des Neuelander".
Les assistants pour éviter des difficultés aux sieurs Weill se portent garants de faire l'avance nécessaire pour chaque terme, sous la direction de la Commission nommée à cet effet (6).
Les juifs de Haguenau décident en outre de se réunir à nouveau après l'achat et le paiement du premier terme pour nommer une deuxième commission. Celle-ci aura pour tâche de proposer un plan budgétaire adapté pour chaque membre de la Communauté. Il convient également de rembourser les avances déjà versées à leur propriétaire lorsque le montant des termes sera encaissé. Il s'agit du point de vue le plus épineux, c'est pourquoi, après l'adoption de ce texte à la majorité, il devra être contresigné par tous les participants afin qu'il n'y ait aucune contestation ultérieure.
Les membres de la seconde commission seront choisis parmi les membres des deux synagogues, trois de chacune avec les commissaires-surveillants et le rabbin. La commission est chargée
La voix du rabbin pourra l'emporter sur la décision en cas d'absence ou d'égalité des voix. La commission reçut la mission d'exécuter toutes les décisions prises. Elle peut également traduire en justice les récalcitrants. Les receveurs sont Isaïe Abraham Cerf et David Rheims.
Les signataires
Les sept juifs parmi les cent plus imposés de Haguenau à savoir :
1) Ah Samuel
2) Bernheim Benjamin
3) Cerf Jonathan
4 ) Moch Jacques
5) Weill Moïse
6 ) Weill Lazare
7) Weill Caïus
participent tous à l'érection de la synagogue. Tous, sauf Lazare Weill et Benjamin Bernheim feront partie de la commission, déléguée à la réalisation du projet, mise sur pied par l'assemblée générale des Baalé Batim (9). Les noms de Samuel Ah (10) et Jacob Moch se retrouvent dans une lettre non datée, adressée au maire auquel il est demandé de bien vouloir permettre la publication de la vente du matériel de l'ancienne synagogue par le Tambour de Ville. Nous trouvons qu'en 1784 Benjamin Bernheim a un valet et une servante. Ils figurent parmi les premiers signataires des compromis signés, ce qui prouve leur importance.
Jacques Moch est né en août 1763. Il est le fils d'Abraham Moch et de Marie, originaire de Vienne. Il est vraisemblablement le président de la Communauté, c'est un notable riche et respecté.
Nous remarquons en outre que deux femmes participent à la réunion il s'agit de deux veuves, les veuves Bender et Alexandre. Sans doute les autres femmes étaient-elle représentées par leur mari, quant aux autres veuves tout semble indiquer qu'elles n'avaient pas les moyens de s'acheter une place à la schule.
Dans une lettre (11) datée du 17 septembre 1815 les juifs de Haguenau exposent au baron de Reinhardt, sous-préfet de l'arrondissement de Strasbourg, les détails des impôts et taxes "pour parvenir à faire le paiement susdit et faire face aux frais de construction". Les bouchers doivent "pour chaque livre de viande de leur consommation 212 centimes à payer comme octroi. Pour chaque boeuf ou vache 2 F, pour chaque mouton ou veau 90 centimes." Chaque particulier devait en outre verser 10 centimes pour chaque oie ou canard qu'il tuerait, et 9 centimes pour les poules. Mais, disent les administrateurs "cette perception a eu exactement lieu jusqu'à l'arrivée des puissances alliées (12). Mais depuis qu'il y a des récalcitrants qui entravent pour çà l'ouvrage". Ils demandent au préfet "d'autoriser le susdit paiement pour être exécuté selon la forme et teneur et ferez justice".
Par ce moyen qui fut largement utilisé dans toutes les communautés, l'administration espérait alléger les charges qui pesaient déjà sur elles. Les archives municipales ne possèdent pas la réponse du Baron de Reinhardt mais il semble qu'elle fut positive et que les diverses taxes alimentèrent les caisses de la commission chargée de l'exécution des travaux. Mais dans une autre lettre datée du 2 juillet 1839 (13) le Préfet se voit consulté par le Maire de Haguenau, au sujet de la taxe sur l'abattage. Les sieurs Louis Heimann et Abraham Mey, tous deux bouchers, "réclament contre la taxe imposée sur l'abattage des bestiaux". Le premier magistrat haguenovien fait l'historique des travaux en indiquant l'unanimité des participants aux réunions de 1813. La convention établissant les droits et taxes ayant été adoptée et signée par tous.
Mais quelques uns des bouchers, dans la vue de s'assurer un plus fort débit renoncèrent bientôt à la perception de la taxe, les autres furent forcés de suivre leur exemple pour pouvoir concourir avec eux.
Ces derniers pourraient certainement se refuser à payer un impôt illégalement établi, mais dans l'état actuel des choses, ce serait vouloir renoncer à l'exercice de leur industrie, car le préposé (Schächter) chargé d'abattre les bestiaux destinés au débit des bouchers israélites refuserait son ministère à ceux qui n'auraient préalablement acquitté la taxe et aucun juif n'achèterait de viande s'il n'avait la certitude qu'elle provient d'une bête abattue par lui. Ce préposé est nommé par les administrateurs de la synagogue. Il réunit cet emploi à celui de chantre.
La réponse du préfet quinze jours plus tard est nette car la taxe imposée dit-il "est essentiellement illégale et le paiement en est refusé avec raison par les parties intéressées." Il souscrit aux propositions du maire et lui demande de faire connaître sa position aux intéressés.
En effet, dans ce compte-rendu de séance nous constatons que les membres des deux synagogues de cette ville, au nombre de cent date du 3 mai 1819, ont nommé une commission composée de douze membres à l'effet de prendre des mesures pour faire construire le plus tôt possible un nouveau temple propre à réunir tous les coreligionnaires des deux synagogues de la ville. Il y a lieu de se demander pourquoi la commission mise sur pied en juillet 1813 dut être remplacée six ans plus tard par une autre, avec le même but pour réaliser ce qui avait été décidé depuis bien longtemps.
Comment expliquer ce retard mystérieux ? Nous pouvons émettre deux hypothèses. Soit les prévisions budgétaires concernant l'acquisition du terrain et l'érection du bâtiment se révélaient insuffisantes, soit la difficulté provient de l'incapacité de ladite commission de faire acheter les places et de réaliser les profits espérés en les vendant aux enchères. Il ne faut pas oublier qu'après estimation de leurs anciennes places les Baalé Batim devaient en racheter de nouvelles aux enchères, ce qui risquait de faire augmenter, substantiellement la valeur des places de la nouvelle synagogue. Nous constatons à la lecture du même compte-rendu que les sommes nécessaires à l'achèvement du bâtiment ne sont pas toutes rassemblées, c'est pourquoi la Commission administrative demande au Consistoire
Le Rabbin Simon Cahen apparaît sur les documents que nous avons utilisés, comme l'arbitre et le chef de cette communauté qui met toutes ses forces à la réalisation de son projet. Simon Cohen est né le 15 novembre 1760 à Metz et devient rabbin à Haguenau le 22 juin 1811.
C'est donc un homme mûr qui arrive pour prendre la tête d'une communauté qui vit la restructuration du judaïsme selon la volonté de l'Empereur. Nous ignorons quels furent les postes rabbiniques qu'il occupa auparavant. Mais nous savons qu'il figure dans le recensement de 1808 comme enseignant à Soultz-sous-Forêts (16). C'est en tous cas un homme respecté. Le portrait reproduit ci-contre semble montrer un homme possédant un visage lumineux qui inspire presque l'admiration.
Dons une lettre datée du 2 janvier 1826 (17), alors qu'il vient d'être nommé grand rabbin du Haut-Rhin, le maire de Haguenau fait son éloge :
Ce jour fut sons doute une date merveilleuse pour toute la communauté qui voyait ses efforts couronnés de succès. Après sept années de discussions et de palabres, de travail et de labeur, s'élève maintenant, majestueux et imposant, le bâtiment qu'ils appelaient de leurs vœux.
Depuis cette date, ces murs ont entendu résonner les prières, les louanges, les lamentations, les pleurs de plusieurs générations,
Plaît à Dieu que seule la venue du Messie, ne vienne interrompre nos voix dans cette enceinte.
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