Le 17 octobre 1910, le facteur portait dans chaque foyer juif d’Alsace et de Lorraine le premier numéro d’une nouvelle publication appelée Das Jüdische Blatt. Le journal était fondé par le Rabbin Ernest Weill avec la collaboration de ceux des rabbins alsaciens qui, avec lui et après lui, avaient reçu leur formation au Séminaire Rabbinique de Berlin, et parmi eux Joseph Bloch, chargé plus spécialement d’y insérer les nouvelles locales. Dans le premier article de fond de ce journal qui parut jusqu’à la veille de la déclaration de guerre en 1914, le Grand Rabbin Joseph Bloch relevait lui-même en 1957, dans une plaquette dédiée à la mémoire du Grand Rabbin Ernest Weill, les passages suivants :
A ces principes proclamés, il y a soixante ans, par nos anciens rabbins, respect de la tradition authentique en ce qu’elle a de général et en ce qu’elle a de régional, douceur dans l’application de cette tradition et dans tout contact humain, simplicité dans l’expression écrite comme dans la prédication et l’enseignement, le Grand Rabbin Joseph Bloch fut fidèle tout au long de sa prodigieuse carrière, et ce sont ces principes-là, témoignage à la fois d’une véritable piété et d’une profonde sagesse, qui firent de lui un guide vénéré, aimé, écouté.
Joseph Bloch naquit à Grussenheim le 27 février 1875 dans une famille et dans une communauté toutes imprégnées d’une ferveur simple et naturelle Son père était un modeste boucher. Jamais Joseph Bloch n’oublia le mérite de ses parents qui lui ont permis d’étudier, ce qui représentait un effort énorme pour une famille de huit enfants dont il était le deuxième et l’aîné des fils. Aussi quand en 1965, à l’âge de 90 ans, il édita en format de poche le remarquable rituel de prières dont il avait doté la Communauté Juive de France dès 1924, ce fut à la mémoire ses parents qu’il dédia son ouvrage.
Joseph Bloch aurait pu briguer les plus hauts sièges rabbiniques. Mais comme ses amis alsaciens, il donna la préférence à de modestes postes en Alsace, en cette province aimée, refusant toute concession contraire à sa conscience, il déclina des fonctions plus importantes que celles qui furent les siennes en tant que Rabbin à Dambach-la-Ville (1902) puis à Barr (1910).
Pendant la guerre, il enseigna au Séminaire Israélite de France replié à Chamalières près de Clermont-Ferrand. Au lendemain de la Libération, il devint le rabbin de la Communauté de Haguenau. A un âge où d’autres se retirent, il entreprenait, lui, une nouvelle carrière, participait activement à la reconstruction de la Communauté et de l’Orphelinat Israélite de Haguenau, prenant ainsi sa revanche sur l’ennemi barbare qui lui avait arraché, parmi tant d’autres victimes, son fils Elie, rabbin comme lui, avec son épouse et leur enfant. A cette communauté de Haguenau qu’il marqua durablement de son empreinte, il s’attacha de toutes les fibres de son coeur, comme s’il avait toujours été sur place, ainsi qu’en témoigne sa dernière oeuvre, Historique de la Communauté Israélite Haguenau, qui est le pendant de la plaquette qu’il avait consacrée à son village natal Grussenheim.
Le rayonnement du Rabbin Joseph Bloch lui avait valu d’être honoré du titre de Grand Rabbin en 1961, date à laquelle il prit sa retraite officielle. Dès 1949, le gouvernement l’avait fait chevalier de la Légion d’Honneur, en reconnaissance des services rendus à la collectivité; en 1963, il fut promu officier dans ce même ordre.
A ses obsèques, M. F. North, Conseiller général et Maire de Haguenau, déclarait en substance que la ville entière pleurait en lui "un homme droit, intègre, affable, qui fut incontestablement l’une des figures les plus populaires et certainement la plus vénérée, la plus respectée de la cité". La Communauté juive de France a perdu, quant à elle, un de ses plus grands serviteurs.
Dans d’innombrables foyers on utilise, le soir de Pessa’h, ce chef-d’oeuvre qu’est la Haggadah Joseph Bloch, illustrée, traduite et commentée, dont chaque édition fut enrichie de traductions nouvelles, de textes nouveaux pour l’édification des fidèles. Des milliers et des milliers d’enfants, les pères et les fils, ont appris à lire l’hébreu dans Mon premier Livre d’Hébreu. Et qui ne connaît point le Calendrier hebdomadaire mural dans lequel, durant quarante années, il a non seulement apporté tous les renseignements indispensables à la vie liturgique, mais encore égrené au jour le jour citations bibliques et talmudiques, aphorismes d’auteurs sacrés et profanes, et rappelé mille événements proches ou lointains, évoqué tant et tant de personnes méritantes ou représentatives de l’histoire juive ? (1) Enfin, le Grand Rabbin Joseph Bloch n’a jamais manqué d’apporter son concours aux nombreux journaux et revues qui sollicitaient de lui des articles et il a participé à la publication en français de plusieurs oeuvres essentielles du judaïsme, dont le Commentaire de Rachi sur la Torah.
En 1966, le Grand Rabbin Bloch illustrait le calendrier d’une photo prise en 1898 lors du vingt-cinquième anniversaire du Séminaire Rabbinique de Berlin. On y voyait plus de quatre-vingt professeurs, anciens élèves et élèves de l’époque, et parmi eux l’équipe alsacienne qui, pendant un demi-siècle, allait prendre en main les destinées de l’Alsace Juive.
Avec la disparition du Grand Rabbin Max Gugenheim et celle, maintenant, du Grand Rabbin Joseph Bloch, une page de l’histoire est définitivement tournée. Mais le peuple juif continue, et aujourd’hui autant sinon plus qu’hier, il a besoin de cette exigence de science talmudique et d’ouverture culturelle, de cet esprit à la fois ferme et pacifique, puisé par Joseph Bloch dans ce qui fut le Séminaire Israël Hildesheimer de Berlin. Jusqu’à présent, on n’a pas trouvé une meilleure voie pour assurer l’épanouissement des Communautés et l’épanouissement de l’homme juif dans la cité.
Ce livre est un hommage à la mémoire du
Grand Rabbin
Joseph Bloch, le "Rabbi de Haguenau".
Novembre 2014 ; |