La synagogue de Niederbronn au fil de l'histoire
Raymond Lévy
Une partie de cet article est extraite du magazine
de la ville de Niederbronn-les-Bains, Sources, N° 14, septembre
2000
L'église et la synagogue - © M. Rothé
L'intérieur de la synagogue dévasté par les nazis
la synagogue devenue Foyer paroissial Saint Martin - © R. Lévy
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La synagogue de Niederbronn-les-Bains, située en face du Couvent
Saint Joseph, a été inaugurée le 2 septembre 1869 en
présence du conseiller général Albert De Dietrich, du
maire Albert De Dietrich fils, et du rabbin de Haguenau. Il avait fallu de
nombreuses années de négociations pour que la communauté
juive obtienne l'autorisation de reconstruire un lieu de culte, en remplacement
de l'ancienne synagogue de la "Judengass", fermée en 1862 pour
vétusté...
Au 19ème siècle et jusqu'à la deuxième guerre
mondiale, la communauté juive de Niederbronn-les-Bains était
importante. Et pendant la saison, on comptait jusqu'à 200 "baigneurs
israélites". "Pour les jours de fête, la
synagogue ne parvenait pas à contenir tout le monde. Avant la guerre,
il y avait même deux restaurants kasher avenue Foch", se souvient
Madame Rosette Lévy. Mais la guerre et la déportation
sont passées par là... Aujourd'hui, le bâtiment de la
synagogue existe toujours, et à son fronton, les inscriptions traditionnelles
pourraient de nouveau devenir visibles. L'histoire de ce monument, qui fait
partie du patrimoine de Niederbronn-les-Bains, rejoint l'Histoire...
"Ils ont les mêmes droits", et pourtant...
Dès 1832, les représentants de la communauté juive font
une demande au Conseil municipal pour acquérir une bande de terrain de
60 cm de large sur 10 m de long, afin de pouvoir rénover la synagogue
de la Judengass qui menace de tomber en ruine... La majorité du Conseil
municipal refuse fermement Une pétition est envoyée au sous-préfet
de Wissembourg, qui prie le maire de tenir compte de la demande, écrivant
:
" Il est de toute justice de venir à leur
secours pour la construction de leur synagogue parce que faisant partie intégrante
de la population. Ils ont les mêmes droits On ne peut leur refuser la
concession d’un terrain de peu de valeur."
14 août 1860 : décret de fermeture
Vu l'état de vétusté, ou plutôt "l'état
de ruines", comme le souligne le sous-préfet de Wissembourg dans une
nouvelle lettre au maire de Niederbronn, la synagogue doit être fermée.
Le 14 août 1860, le maire publie le décret de fermeture. Le jour
même, la communauté, qui n'a toujours pas eu d’autorisation
de reconstruction, fait savoir qu'elle a entrepris des travaux afin de pouvoir
célébrer les fêtes de fin d'année. Le 16 septembre,
le Préfet publie une autorisation de réouverture jusqu'au 18 octobre.
"Après cette date, écrit-il, la synagogue devra être
définitivement fermée et il y aura lieu de pourvoir à
sa reconstruction."
La Mairie fait la sourde oreille
En novembre 1860, la démolition devient indispensable. La Mairie fait
la sourde oreille. Les juifs demandent un ajournement de la destruction pour
pouvoir procéder aux cérémonies prescrites par leur culte
au moment d'abandonner un édifice consacré : il leur faut conserver
dans le temple et jusqu'à son abandon le feu éternel et enlever
en présence d’au moins dix personnes les de Moïse pour les
transporter dans l’édifice où devra se célébrer
dorénavant le culte. Le préfet répète que
"les Israéliens ont droit à la protection comme tous les citoyens..." Et le maire fait toujours la sourde oreille. Lorsque le 29 décembre,
le sous-préfet lui demande d'autoriser la cérémonie des
adieux, il prétend avoir des scrupules pour prendre une décision.
En désespoir de cause, la communauté juive doit, en 1861, faire
approprier une salle dans une maison privée située à l’extrémité
de la ville. Cette situation va durer huit ans…
Huit années de tractations et de pétitions
Les Juifs envoient lettre sur pétition, au maire, au sous-préfet,
au préfet, pour tenter d'obtenir une autorisation de construction. En
attendant, l'ancienne synagogue continue de tomber en ruine, mais n'est toujours
pas détruite. En 1863, sa démolition d’urgence est exigée,
mais pas exécutée. En mars de la même année, la communauté
veut acquérir deux jardins (July et Hof) pour construire une nouvelle
synagogue. Le sous-préfet donne son autorisation, malgré la réclamation
de la congrégation des Sœurs du Très Saint Sauveur, soutenue
par l'évêque de Strasbourg et le Conseil municipal. Les opposants
à la construction invoquent "la nuisance réciproque" vu la proximité,
on risquerait d'entendre les chants des deux cultes. II y a 46 mètres
de distance entre la chapelle des Sœurs et la future synagogue.
1868 : une nouvelle synagogue, enfin
Finalement la construction est autorisée. Son coût total s'élève
à 40 000F.. Le Conseil municipal accorde une subvention de 4000 F. puis,
sur insistance du préfet qui estime la somme "trop modique",
fait une promesse de versement de 2000 F. supplémentaires. Le complément
est payé par une souscription lancée dans la communauté.
Reste un déficit de 6800 F pour lequel une demande de secours est adressée
au Ministère des Cultes qui octroie 6000 F. En effet, une circulaire
ministérielle de 1839 stipule que la procédure à adopter
pour les synagogues doit être la même que pour les temples.
Malgré l'insistance de la communauté juive, l’ancienne synagogue
n’est toujours pas démolie en… 1866, et le maire se met aux
abonnés absents, ne répondant ni aux sollicitations de ses administrés
juifs ni aux relances des autorités administratives car, finit-il par
répondre, "il y a dans la ville des opposants au changement de local".
En 1868, enfin, la nouvelle synagogue peut être construite.
Après un an de travaux, elle est inaugurée le 2 septembre 1869,
en présence du conseiller général Albert de Dietrich, du
maire Albert de Dietrich fils, et du
rabbin de Haguenau.
Construite par l'architecte de l'arrondissement, Alexandre Matuszynski, elle
adopte un style orientalisant mis en vogue dans la seconde moitié du
19e siècle.
Ce style monumental avait pour rôle de revendiquer l'égalité
du culte israélite par rapport aux deux autres. Rompant d'avec le style
des anciennes
schule d'aspect modeste et discret, mais surtout lieux
de rassemblement convivial, le style byzantin proclame par son caractère
solennel l'embourgeoisement de la communauté juive autant que sa différence,
et ce non sans une pointe de provocation par rapport au couvent situé
en face, et à la future église catholique qui sera édifiée
à côté de la synagogue de 1884 à 1886.
Cette synagogue fut souvent trop petite lors des grandes fêtes, car pendant
la saison, on comptait jusqu'à 200 curistes israélites.
La profanation pendant la guerre et la désacralisation
Pendant la deuxième guerre mondiale, la synagogue de Niederbronn-les-Bains
a été profanée, les vitraux détruits la porte
forcée, les objets du culte piétinés.
Abandonnée lors de l'exode de 1939, ses objets de cultes furent cependant
sauvés par la Mère Supérieure du couvent, qui les restitua
en 1945. Qu'elle en soit ici, sincèrement remerciée. Les rouleaux
de la Torah ont été sauvés par Alphonse Lévy,
commerçant en étoffe, qui avec l'aide de son gendre les envoya
dans le Nord de la France, dissimulés dans des coupons de tissus.
Durant les années noires, deux sympathisants nazis de Niederbronn,
probablement pris de boisson, ont fait lors d'une expédition nocturne,
tomber les Tables de la Loi qui surmontaient le fronton de la synagogue.
Le bâtiment a probablement été sauvé de la destruction
hitlérienne par le notaire Wagner, au motif qu'il devait d'abord en
faire l'inventaire. Cependant, l'intérieur avait été
saccagé à l'excès. Aussi, après la Libération,
de nombreux juifs niederbronnois allaient à la synagogue de
Reichshoffen.
Le président de la communauté, René Cahn, entreprit
en 1958 la restauration de la synagogue avec les fonds de la Reconstruction
et des Dommages de guerre comme principales sources de financement. Laissant
l'ancienne salle en l'état, comme témoin des exactions passées
à la mémoire des juifs disparus, il fit aménager dans
la partie antérieure un oratoire aux dimensions en rapport avec ce
qui restait de la communauté, et dans le style moderne de l'époque.
La communauté ayant quasiment disparu dans les années 1970 (après
le départ des derniers rapatriés d'Algérie), le bâtiment
se dégrada progressivement jusqu'à occasionner un accident dans
les années 1980.
Décimée, la communauté juive propose le bâtiment
à la municipalité qui recherche un endroit pour la Maison de
la Culture.
Les transactions ont lieu avec le Consistoire israélite de Strasbourg,
puis la Mairie cède le bâtiment à l'Association Saint
Martin qui en dispose aujourd'hui.
Solennellement désacralisé le 13 mai 1986, en présence
des représentants des trois cultes, l'édifice est vendu à
la Ville de Niederbronn-les-Bains, qui souhaite en faire une salle de musique.
Les bancs et divers objets sont installés à l'oratoire de la
Communauté de Haguenau.
En réalité, le maire de l'époque, Alfred Pfalzgraf, après
classement de la façade comme Monument Historique, cède le bâtiment
à l'association St-Martin, qui en fera le foyer paroissial catholique.
Malgré le classement, cette association fait recouvrir l'inscription
en hébreu signifiant "Ouvrez-moi les portes de la justice, j'y
entrerai pour louer Dieu" (Psaume 118 :19) par une plaque au
nom de la paroisse.
Le bâtiment contribue à la dimension œcuménique de
la vie niederbronnoise. Foyer catholique, anciennement lieu de culte israélite,
il accueille des fêtes protestantes... Tout un symbole... La municipalité,
pourtant, ne veut pas occulter cette présence juive, qui a contribué
à l'histoire de la cité ; c’est pourquoi elle a appelé
le nouveau parking paysager, aménagé à côté
du bâtiment, "parking de la synagogue".