LE RABBINAT ET LES RABBINS
de Haguenau
Grand Rabbin Max  WARSCHAWSKI
Extrait de CINQ CENTS ANS D'HISTOIRE JUIVE A HAGUENAU
Etudes haguenoviennes, tome XVIII - 1992 - Société d'Histoire et d'Archéologie de Haguenau


Intérieur de la synagogue de Haguenau
cliché pris vers 1880

La ville de Haguenau se constitua au12ème siècle autour du château construit par Frédéric le Borgne et transformé en un vaste palais par Frédéric Barberousse, et entouré de plusieurs murailles successives à partir du milieu du 12ème siècle. Devenue ville impériale en 1255, Haguenau sera au 14ème siècle chef-lieu de l'organisation des villes alsaciennes (la Décapole) et siège du Reichslandvogt (grand bailli, représentant de l'empereur en Alsace).

La communauté juive de Haguenau


Il est probable que la situation de la ville y attira des Juifs dès les temps reculés, mais nous n'avons de trace réelle de leur présence qu'en 1235, lorsqu'ils furent accusés de meurtre rituel et innocentés par l'empereur. Pendant des générations, la communauté ne dépassera jamais le nombre de six familles, incluant parfois des fils mariés ou des gendres. Au 13ème siècle, la communauté possédait sa synagogue et un bain rituel.

Considérés comme serfs de la chambre impériale, les Juifs de Haguenau acquittaient auprès du bailli nommé par l'empereur des impôts qui, de 15 marks d'argent en 1254, s'élevèrent en 1348 à 111 petits florins. En outre, ils devaient payer une taxe à la ville en échange de sa protection. Grâce à cela les Juifs de Haguenau échappèrent aux exactions des Armleder en 1338 et au soulèvement de 1345. Les massacres consécutifs à la peste noire détruisirent la première communauté de la cité. Selon le martyrologue de Nuremberg, les Juifs furent anéantis. Une autre source parle de l'expulsion des Juifs de la ville et de la confiscation de leurs biens.

Toujours est-il qu'en 1354 l'empereur autorisa la ville à reprendre des Juifs. A partir de ce moment, Haguenau sera la seule ville à posséder une communauté sans interruption jusqu'à la seconde guerre mondiale.

Le traité de Westphalie, en 1648, donna l'Alsace à la France, à l'exception de Strasbourg qui ne se soumettra qu'en 1681, et de Mulhouse qui faisait partie de la Confédération helvétique.

Pendant toute la période précédant la guerre de trente ans, Haguenau n'avait jamais accepté que six familles juives, à l'exception des périodes de guerre où la ville donnait asile à des Juifs de la région, contre paiement bien entendu (les troubles terminés, ces familles devaient quitter la ville). Entre 1626 et 1658 le nombre des familles juives augmenta et atteignit le chiffre de quinze.

Durant la période française, la population juive de Haguenau passa de 15 familles en 1658 à 54 en 1784, avec un total de 325 âmes. Elle était à la veille de la Révolution la seconde communauté de la Basse Alsace après Bischheim, et la sixième communauté pour toute l'Alsace.

La communauté juive de Haguenau atteindra son chiffre maximum vers 1845 avec une population de 732 âmes, pour osciller de 650 à 550 entre 1890 et 1936.

Le rabbinat

Durant le moyen âge et jusqu'au 16ème siècle, nous ne connaissons pas les rabbins de Haguenau. Les six familles tolérées dans la ville avaient-elles de quoi entretenir un rabbin permanent ? Il est possible qu'à la fin du 15ème siècle vivait à Haguenau Eliya le 'Hassid, oncle de Josselmann de Rosheim, qui partit pour la Terre sainte en 1485. Est-ce lui qui voulait amener avec lui Josselmann, âgé alors de six ans, ou est-ce un autre oncle, Salomon dit Salomon le Yeroushalmi (vers 1501) ? Selon Ben Sasson, Yohanan Louriya aurait vécu quelques années à Haguenau (1). Ce Yohanan Louriya était l'ancêtre de Salomon Louriya (16ème siècle, en Pologne) qui mentionne le père de Yohanan, Aron, comme le grand rabbin de toute l'Alsace (2). E. Zimmer parle d'un Raphaël ben Elezier Wolf, rabbin de Haguenau au début du 16ème siècle (3). Enfin, lors des troubles de 1610, Haguenau accueillit un certain Hayim, rabbin et médecin. Mais il dut retourner à Landau à la fin des événements.

Le Gouvernement français, en annexant l'Alsace, décida de nommer des responsables pour les communautés juives, qui devaient rendre des comptes à l'administration et veiller à l'observance des règlements concernant les Juifs et à la perception des taxes et impôts qui leur étaient demandés.

La division de l'Alsace entre des seigneurs possessionnés et le royaume amènera la nomination des rabbins par tous les grands possesseurs des terres d'Alsace. Ces rabbins étaient à la tête de tribunaux rabbiniques et, avec des préposés généraux et des préposés communautaires (Parnassim), dirigeaient l'ensemble des communautés d'Alsace.

Hirsch (Nephtalie) Lazarus Katzenellenbogen
Katzenellenbogen
La Haute Alsace avait un rabbinat à Brisach puis à Ribeauvillé, avec des adjoints dans certaines communautés. Le rabbinat pour l'évêché de Strasbourg se trouvait à Mutzig. Celui du comté de Hanau-Lichtenberg siégeait à Bouxwiller et celui des terres de la Noblesse immédiate se trouvait à Niedernai. Il y avait enfin un rabbinat pour Haguenau et la Préfecture de Haguenau. Son titulaire sera souvent reconnu comme rabbin de la Basse Alsace.

II arrivera qu'un même rabbin cumule ses fonctions dans plusieurs seigneuries dans toute la Haute ou la Basse Alsace, et même dans l'Alsace tout entière.
Nous connaissons la liste complète de ces rabbins pour ce qui concerne Haguenau. La plupart d'entre eux figurent dans les Memorbücher alsaciens (4).

Méïr Trèves

Selon Scheid (5), les Juifs demandèrent à la ville l'autorisation d'engager un rabbin vers le milieu du 17ème siècle. Celle-ci refusa. Un certain Löwel prit alors comme comptable un dénommé Meyer, qui était en réalité le rabbin de la ville. C'est sous son ministère que fut édifiée la synagogue incendiée en 1677 et reconstruite en 1683. Meyer fut alors reconnu par la municipalité. Ce serait Meyer Trèves, cité par le Memorbuch de Haguenau (6) et à qui s'adresse Gerson Achkenazi, grand rabbin de Metz, dans une de ses responsa.

Selon Carmoly (7), un dénommé Eliakim Phoebus aurait été rabbin à Haguenau au cours de la première partie du 17ème siècle.

Wolf Hohenfelden

Ce rabbin remarqué pour sa douceur et son esprit de conciliation succéda à Méïr Trèves (8). Il eut pour successeur Elie Schwab.

Elie Schwab

Originaire de Metz, issu d'une famille fortunée, il fut nommé en 1720 rabbin de toute la Basse Alsace par Louis XV.
Sur protestation des rabbins de Mutzig (évêché de Strasbourg), de Niedernai (Noblesse immédiate) et de Bouxwiller (comté de Hanau-Lichtenberg), les fonctions de Schwab furent limitées à la Préfecture de Haguenau et aux localités ne dépendant pas des seigneuries qui nommaient leurs rabbins. Schwab resta à Haguenau de 1720 à 1746. Mais il eut des démêlés avec ses administrés, avec ses collègues et même avec les adjoints qu'il avait lui-même nommés (9). Il fallut même l'interner pendant quelque temps, ses disputes ayant agi sur sa santé mentale
Le Memorbuch de Haguenau ne mentionne pas ce rabbin.

Samuel Halberstadt

En 1744, Marie Thérèse d'Autriche ordonna l'expulsion des Juifs de Prague. Parmi les réfugiés se trouvait un rabbin, Samuel Halberstadt, qui trouva asile à Haguenau. A la mort d'Elie Schwab, et peut-être sur recommandation de Jonathan Eiberschutz, son ami, grand rabbin de Metz, Halberstadt fut nommé rabbin de Haguenau (10). Il n'occupa le siège que de 1746 à 1753, date de sa mort.

Lazarus Moyse Katzenellenbogen (Eliezer Elsass) (1755-1771)
Après une interruption de deux ans, Haguenau fit appel à Lazarus Moyse Katzenellenbogen, rabbin à Bamberg puis à Bouxwiller. Ce rabbin, connu encore sous le nom de rabbin Eliezer Elsass, était le descendant d'une famille illustre. Son ancêtre, Ivleir de Padoue (Maharam Padowa, 1473-1565) était le grand-père de Chaoul Wahl (1541-1617), rabbin de Brest Litowsk, et dont la légende fait un roi de Pologne pour un jour. Son propre père, Moyse, était rabbin de Schwabach et Eliézer Moyse était le frère des rabbins de Mannheim et de Wallerstein (11).
Lazarus Katzenellenbogen avait épousé la fille de Samuel Helmann, grand rabbin de Metz. Il fut à la tête du rabbinat de Haguenau de 1755 à 1771 (en 1760, il avait un adjoint, Moyse Wormser). Son fils, que nous retrouverons plus tard (12), sera grand rabbin du Haut-Rhin. Un petit-fils, Wolf Roos, sera rabbin de Saverne, et un arrière-petit-fils, Lazare Isidor, grand rabbin de France.

Jacob Wolf Gougenheim (1710-1803)
A la mort de Lazarus Moyse Katzenellenbogen, le siège de Haguenau sera occupé par Jacob Gougenheim, d'Obernai. Gendre de Samuel Sanvil Weyl, grand rabbin de la Haute et Basse Alsace, Jacob Gougenheim prétendait à la succession de son beau-père, mais ne fut pas élu. Après avoir été rabbin de Rixheim, puis rabbin de la Noblesse immédiate d'Alsace, il fut nommé à Haguenau où il restera jusqu'à sa mort. Pendant les dernières années de sa vie, il sera assisté par Hirsch Lazarus Katzenellenbogen, le fils de son prédécesseur, qui avait été rabbin de Francfort-sur-Oder et succédera à Jacob Gougenheim avant d'être nommé premier grand rabbin du Haut-Rhin. Jacob Gougenheim, au cours de la Révolution, dut se battre pour obtenir la restitution de la synagogue et le droit d'y célébrer le culte. Il mourut âgé de plus de quatre-vingt-dix ans.

Hirsch (Nephtalie) Lazarus Katzenellenbogen (1750-1824)
Fils de Lazare Moyse, il sera un des représentants du Bas-Rhin au Grand Sanhédrin de Napoléon et, après 1808, sera nommé à Wintzenheim, siège du Consistoire du Haut-Rhin. Son fils Pinhas, rabbin de Hegenheim, mourut en 1828.

Simon Cahen (1760-1833)
Originaire de Metz, beau-frère de Netanel Wittelsheim qui deviendra grand rabbin de la Moselle, Simon Cahen occupera le siège de Haguenau de 1811 à 1825, avant d'être nommé grand rabbin de Colmar et du Haut-Rhin. Il aura donc succédé deux fois à Hirsch Lazare Katzenellenbogen.

Seligmann Goudchaux (1770-1849)
Il fut rabbin de Haguenau de 1826 à 1832. Petit-fils de Jacob Gougenheim, élève de Baruch Gougenheim, son oncle (qui fut rabbin à Phalsbourg, puis grand rabbin de Nancy), Seligmann Goudchaux avait été précepteur en Allemagne, puis rabbin à Phalsbourg. En 1832 il devint grand rabbin de Strasbourg. Trop orthodoxe au gré des responsables laïcs du Consistoire du Bas-Rhin, il quitta Strasbourg lors de la vacance du poste de Colmar en 1834 et succédera à Simon Cahen, qui était son déjà prédécesseur à Haguenau (13).

Anchel (Anselme) Lévy Schoeplich (1793-1846)
Le successeur de Goudchaux au poste de Haguenau sera le dernier rabbin de la vieille école. Né à Rosheim quelques mois après la mort de son père (dont il portera le prénom), enseignant à la Yechiva de cette ville, Anselme ou Anchel Schoeplich, après avoir étudié en Allemagne, sera Dayan (juge rabbinique) à Jebenhausen en 1799, rabbin et enseignant à Lengnau en Suisse en 1805, puis au Wurttemberg, à Mutzig, à Ingenheim et à Fégersheim. En 1833 il fut nommé à Haguenau, où il est mort en 1846. Il fut le premier rabbin de la ville rétribué par l'Etat. Il ne savait pas le français (14).

Isaac Libermann (1815-1889)
Né à Saverne, dont son père était rabbin, Isaac Libermann a étudié à l'école centrale rabbinique de Metz, après deux années passées à Francfort. Rabbin à Surbourg puis à Lauterbourg, il fut nommé à Haguenau en 1846. Il quitta cette communauté pour devenir grand rabbin de Nancy, où il mourut en 1889.

Lazare Bloch (1828-1897)
Né à Bischheim, il fut élève à l'école rabbinique de Metz de 1847 à 1854. Il exerça toute son activité rabbinique à Haguenau et fut remplacé à sa mort par Marc Lévy.

Marc Lévy (1842-1925)
Né à Quatzenheim, il étudia à l'école rabbinique (transférée à Paris) de 1861 à 1867. Après avoir été rabbin à Dambach, puis à Wissembourg, il fut nommé à Haguenau en 1898. Il était le père de Nathan-Emile Lévy, grand rabbin de Strasbourg de 1915 à 1919. Il se retira en 1920 et mourut cinq ans plus tard. Son successeur fut :

(Dr) Simon Auscher (1869-1933)
Né à Strasbourg, Simon Auscher fit ses études rabbiniques au séminaire Hildesheimer à Berlin après un passage au petit séminaire de Colmar. Il fut nommé rabbin à Durmenach, puis à Altkirch avant d'être nommé rabbin de Haguenau en 1921. Il y décéda en 1933.
22 mars 1959 : Réinauguration de la Synagogue de Haguenau
De gauche à droite : les grands rabbins ou rabbins
Meyer Jaïs, André Neher, Robert Dreyfus, Charles Friedemann, Simon Fuks,
Joseph Bloch
(assis), Roger Winsbacher, Max Gugenheim, Abraham Deutsch.
Reinauguration

Meyer Jaïs (1906-1993)
Né à Médéa en 1906, Meyer Jais fit ses études au séminaire de Paris. Il sera rabbin à Haguenau de 1933 à 1938. Rabbin à Paris, il sera rabbin prédicateur de l'aumônerie militaire en Afrique du Nord durant la guerre, avant de retourner à Paris et y devenir par la suite grand rabbin. Robert Dreyfus (1913 - 2002)
Né à Sélestat en 1913, il a fait ses études rabbiniques au séminaire de Paris, et fut nommé rabbin de Haguenau en 1938. Il fut prisonnier de guerre et, au retour de sa captivité, fut successivement rabbin adjoint de Metz, rabbin de Bruxelles, grand rabbin de la Moselle et grand rabbin de Belgique. Il est monté en Israël au moment de sa retraite.

Dr Joseph Bloch (1875-1970)
Né à Grussenheim en 1875, Joseph Bloch fut le dernier survivant des rabbins alsaciens ayant étudié à Berlin. Il fut nommé rabbin à Dambach en 1902 et, lorsque le rabbinat fut supprimé en 1910, devint rabbin de Barr. Pendant la dernière guerre, il enseigna au séminaire de Paris replié à Clermont-Ferrand. Il refusa, vu son âge, un poste de direction à Paris et devint rabbin à Haguenau. Il y décéda en 1970 après avoir pris sa retraite en 1961.

Rabbins contemporains de Haguenau

Au Dr Joseph Bloch succéda Claude Gensburger, né à Mulhouse en 1929. Après avoir exercé à Sélestat, il occupa le poste de Haguenau de 1961 à 1965. Il est aujourd'hui aumônier militaire concordataire et rabbin régional des communautés du Bas-Rhin n'ayant pas de rabbin.
Le rabbin Edmond Schwob, né à Mulhouse en 1936, fut rabbin à Saint-Louis avant de venir à Haguenau où il restera de 1965 à 1981, avant d'être nommé grand rabbin de Nancy. Il vit actuellement en Israël.
Le titulaire actuel du siège de Haguenau est Claude Heymann, né à Strasbourg en 1952.
Tous ces rabbins ont étudié au Séminaire israélite de Paris.

Installation du rabbin Claude Heymann, dernier rabbin de Haguenau le 7 février 1982 - de g. à dr. le ministre officiant Alain Blum, le grand rabbin Warschawski et le rabbin Heymann - © Gilles Lambert
Heymann


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