Les familles juives d'Obernai autour de 1800
par Moché Catane
extrait de Mélanges André Neher, Paris, 1975, p.385-396.


Dans ce qui constitue actuellement le département du Bas-Rhin, il y avait aux environs de 1800 plus de cent communes où habitaient des juifs (1). Parmi celles-là figure honorablement la communauté d'Obernai. Bien que les juifs aient été expulsés de cette localité en 1512, on y signale dès 1680 trois familles, douze en 1700, 17 en 1716, 21 en 1720, 19 en 1744, 25 en 1754, 23 en 1766 et 34 en 1780 (2). Dans le présent travail nous nous occuperons particulièrement des familles juives de l'endroit depuis le "dénombrement" de 1784 jusqu'à la fin du Premier Empire.

Le Dénombrement général des juifs qui sont tolérés dans la province d'Alsace..., imprimé à Colmar chez J.-H. Decker en 1785, fournit, sous le n° 105, l'état détaillé des familles juives d'Oberenheim (Obernai) à la date du 13 décembre 1784. II se monte à 36 familles, plus un veuf et une veuve "pauvres", au total 196 individus (p. 225-228), auxquels il faut ajouter le n° 8 du supplément (p. 389), comprenant deux " garçons" et trois "filles". Nous avons par conséquent en tout 201 âmes.

Le recensement préfectoral du 15 août 1806 ne présente plus que 31 familles, formées de 56 "adultes" et de 56 "célibataires", soit 112 personnes (3). Peut-être cette baisse de population s'explique-t-elle par l'ouverture aux juifs, à la suite de la Révolution et de l'égalité civique, de plus grandes villes, telles que Sélestat et Strasbourg (4). Mais dès 1808, les effectifs sont remontés à 164 individus (75 adultes et 89 enfants) (5), que le document consistorial (6) de 1809 présente comme 33 "foyers ou chefs de famille".

Il nous a semblé intéressant d'essayer de suivre les familles de 1784 à 1808, en complétant les données démographico-généalogiques par quelques indications sur la profession des chefs de familles, telles qu'elles se trouvent dans les dossiers d'octroi des patentes spéciales que les juifs d'Alsace devaient obtenir pour avoir le droit de se livrer au commerce (7).

La première famille du dénombrement de 1784 est celle de "Goudchaux LEVY, préposé", c'est-à-dire président de la communauté (parnass). Il a avec lui sa femme, née Hendlé WEYL ; ses trois fils Lazare, Baruch et David, ses trois filles Merlé, Mincklé et Eva (8), et deux servantes, prénommées Mincklé et Jende1 (9).
Nous retrouvons l'aîné des fils, Lazare, orthographié Lazar, dans le registre de 1808 (f° 2B). A cette époque, il est marié avec Zibora (Zipper) GOMBRICH (ci-dessous, troisième famille) et il a sept enfants, tous nés à Obernai (10) : Ève (anciennement Kaja, c'est-à-dire Haya) née le 15 novembre 1788, Bellonne (Beilé) née le 13 août 1790, Sara (Jachelte) née le 23 vendémiaire an III (14 octobre 1793), Éléonore (Elcken),née le 2 nivôse an V (22 décembre 1796), Rosette (Reissel) née le 23 prairial en VII (11 juin 1799), Léopold (Lion) né le 19 floréal an XI (9 mai 1803) et Moïse né le 12 octobre 1808.

La deuxième famille (11) a pour chef Feist HIRSCH (c'est-à-dire Feist fils de Hirsch) (12). Outre sa femme Sara, la famille comprend deux fils : Hirsch - du nom du grand-père - et Wolff,une fille Mindel,une mère (sous doute celle du père) Fromelle, un "précepteur" Elckan KAIN et une servante Jachele. Nous ne retrouvons pas cette famille au début du 19ème siècle.

La troisième famille est celle de Jacob GOMBRICHT, qui s'inscrira en premier (avec la variante orthographique GOMBRICH) dans le registre de 1808 (f° 1A). A ce moment, sa femme Jüttelé n'est plus là ; elle a vraisemblablement quitté ce monde. Mais nous retrouvons sa fille Zipper (f° 2B), qui est devenue Mme Lazar Lévy (ci-dessus, première famille). Par contre nous perdons de vue son autre fille Elcka, ainsi que son valet Elias et sa servante Hindelé.

La quatrième famille est celle de Cerf SALOMON. En 1808, il doit être décédé, mais nous reconnaissons sa veuve Tertia,inscrite alors Thérèse (13) WEILL (14) (f° 1A). Elle exerce - le dossier des patentes le démontre pour la période 1809-1813 (15) - le métier de cabaretière. Nous retrouvons aussi ses enfants : Löw (qui en 1808 déclare changer son prénom de Loeb Hirsch en Léopold) est marchand de rubans en 1809 ; il s'est probablement marié juste en ce mois d'octobre 1808, puisqu'il figure au f° 1B comme fils majeur tout de suite après sa mère, alors que sa femme Roelle ALEXANDRE, devenue Riffqua BLUM, n'apparaît qu'au f° 13B ; Johlen est peut-être celui qui déclare en 1808 se prénommer Jacques (f° 16A) ; Moyses - Moïse en 1808 - (f° 5B) est lui aussi "rubanier" en 1808 et 1809 ; Aron, né à Obernai le 23 septembre 1789, ne figure évidemment que dans le registre de 1808 (f°1B). Quant à la fille de Cerf et Tertia Salomon, Ella,elle pourrait être cette Elle,puis Lia SALOMON (f° 8B), épouse de Samuel Weill, revendeur (ci-dessous, sixième famille). La servante Léa n'est naturellement pas identifiable.

Cinquième famille, dont nous ne trouvons plus trace après 1784 : celle de Benjamin BROPST, avec sa femme Dina,son fils Salomon,ses filles Kohlen, Bella et Esther, son commis Michelet sa servante Bella Löw.

La sixième famille est composée de Samuel WEYL, de sa femme Ella,de leur fille Esther et de leur servante Ittel. La fréquence de ces prénoms et de ce patronyme rend délicate l'identification avec des personnages postérieurs. Toutefois il serait possible qu'il s'agisse de Samuel WEILL (l'orthographe est sans importance) du registre de 1808 (f° 8B), qui en 1813 était "revendeur". Mais là nous nous heurtons à une difficulté : la femme de ce dernier s'appelle Lia (auparavant Elle) SALOMON, et nous avons voulu tout à l'heure l'identifier à une jeune fille de la quatrième famille. Or, dès 1784, notre Samuel a une femme, qui s'appelle certes Ella, mais ne peut être la demoiselle figurant, avec ses parents un peu plus loin puisque le dénombrement, est nominal et numérique. A moins que Samuel Weil soit devenu veuf entre 1784 et 1808 de sa première femme Ella X. et ait épousé en secondes noces Elle Salomon... (16).
Toujours est-il que ce couple se présente dans le registre de 1808 avec quatre enfants (f° 8B et 9A) et deux enfants en tutelle (f° 7B et 8A), tous nés à Obernai. L'aîné des fils, Loeb, qui prend le prénom de Léo,né, le 24 décembre 1789, exerçait en 1808 un "commerce de rubanerie, soyerie, mousseline, perkale" ; en 1813 il est inscrit comme "colporteur". Les autres sont Isidor (primitivement Isché) né le 3 mai 1806 et Ies jumeaux Mansui (primitivement Meyer) et Moïsenés le 31 octobre 1807. Comme nous l'avons indiqué, Samuel Weill est le tuteur d'EsterWEILL, née en juin 1790, et de Judas (auparavant Leibel) WEILL, né en avril 1792 (17).

De la septième famille de 1784 également, aucune trace ultérieure. Löw GUGENHEIM y est seul avec ses fils Raphaël et Joseph et sa fille Schindel.

La huitième famille ne semble pas non plus avoir fait, souche à Obernai. Abraham JONAS et sa femme Sara ont un fils Moyses et deux filles Resselet (18) et Goldé. La famille comprend également un "beau-fils", appelé lui aussi Moyses,et trois "belles-filles", Gentichen, Esther et Modelé, probablement enfants d'un premier lit de la mère de famille. La servante porte le nom de Bella.

Neuvième famille : son chef Simon DREYFUS a une femme Zipper,quatre fils Mouhlen, Elias, Mardoché et Lazare,et une servante Jüttel. Dans le registre de 1808 figure certes une famille Dreyfus (la vingtième ci-dessous), mais celle-là a disparu.

La disparition de la dixième famille se comprend facilement : formée d'un couple, SchmulenWEYL et Madelen,et d'une servante Kentel,ce sont sans doute de vieilles gens.

La onzième a peut-être laissé une trace. Wolff MEYER et sa femme Bella ont deux fils Löw et Samuel, une fille Jachetet une servante Meuchiche (?). Il n'est pas impossible que le second fils soit le Samuel MEYER du registre de 1808 (f° 10A), revendeur en 1808-1809 (19). Ce dernier a deux enfants, nés à Obernai, Samuel (20) le 2 frimaire an XI (23 novembre 1802) et Sara le 31 août 1806. Son épouse, Jendelle JACOB,qui devient Judith JUDAS, ne figure qu'au f° 17A : sans doute avait-elle été absente ou omise. Elle est certainement la fille de celui qui est inscrit juste avant elle dans le registre, Jacob JUDAS, qui, d'après le dossier des patentes, est, en 1808-1809, un "ferrailleur" (21) septuagénaire, Peut-on l'identifier avec le pauvre veuf Jacob,ajouté à la liste des familles comme isolé dans le dénombrement de 1784 ? Il est malaisé de l'affirmer.

Par contre la douzième famille, celle de Joseph KOSSMANN est bien restée implantée à Obernai. En 1808, survit le patriarche, qui déclare s'être appelé jusqu'à présent Joseph MOÏSE (22) (f° 6A). Sa femme, Bella,n'est plus là, ni, bien sûr, son "valet" Hänel COSSMANN (23). De ses enfants aussi, les fils Kochel, David, Jacob et Koppel (24) et les filles Jüttel et De Laya (25), seul est identifiable en 1808, quand il adopte définitivement le nom de KOSSMANN, le fils Jacob JOSEPH (f° 6A), qui a fait souche. Marié à Dina (auparavant Hinna) PICARD, il a quatre enfants : Salomon, précédemment Cochet, né à Obernai le 30 brumaire an IV (21 novembre 1795), David, né à Strasbourg en juin 1799, Caroline (Kentel), née elle aussi à Strasbourg en juillet 1801, et, Moïse, né à Hagenthal (Haut-Rhin) en décembre 1806. Le jeune couple avait donc cherché fortune ailleurs, mais était revenu à son point de départ, où Jacob Kossmann était, en 1808-1809, marchand de mousseline et, en 1813, simplement colporteur.

La treizième famille est composée uniquement de Simon HALLE et de sa femme Deiché.Nous ne retrouvons pas ces vieilles (?) gens, mais sans doute un membre de leur famille en la personne d'Eve HALLE, femme de Jonas Gombrich (14e famille).

En effet cette quatorzième famille comprend Gomber JONAS, sa femme Jachabet, et ses deux fils Jonas et Hirtz. C'est sûrement le premier qui, disant s'appeler jusqu'alors Gomber JONAS (mais il voulait dire Jonas GOMBER) (26), prend le nom de Jonas GOMBRICH (f° 13A). Sa femme est née Eve HALLE, nous venons de le dire, et ses filles s'appellent Judithe (jusqu'alors Judelle) et Rosette, nées à Obernai en octobre 1788 et le 10 thermidor an III (27 juillet 1795).

C'est sans doute un frère de Gomber Jonas qui est le chef de la quinzième famille : Elias JONAS. Il a avec lui sa femme Edel, ses fils Jonas, Feyst et Abraham, ses filles Guenindelé et Jüttlen,sa mère (ou peut-être sa belle-mère) Jüttlen aussi, et une servante Hahnen. Nous ne les retrouvons plus.

Pour la seizième famille, nous serons beaucoup moins affirmatif. Son chef est Samson WEYL, sa femme Bessel, son fils Lippmann et ses filles Esther et Fromet. Mais dans le registre de 1808 il y a trois, voire quatre Samson WEILL (27). Un tout seul et tout court (f° 1A), qui est en 1808-1809 "colporteur avec balle" et en 1813 " revendeur" ; un second, qui fait toujours suivre son nom de la qualification de "relieur", et qui a une femme Riffqua née MEYER et, un fils Isaac né à Obernai le 5 février 1807 (f° 7B) ; un troisième, qui est toujours désigné comme Samson WEILL "le jeune" et qui exerce la profession de cabaretier, mais il vient peut-être d'ailleurs, car le premier des quatre enfants qu'il a avec sa femme Fromence (autrefois Fromette) née WEILL, Salomon, est né à Osthoffen en décembre 1799, tandis que les autres sont natifs d'Obernai, Judas (Leibell) le 7 fructidor an X (25 août 1802), Lazar (Lippmann ) le 14 ventôse an XII (5 mars 1804) et Dina le 13 avril 1806. Le quatrième Samson WEILL (f° 11A) change de prénom et devient Lambert WEILL (28). La solution la plus simple reste l'identification avec le premier.
Peut-être peut-on aussi reconnaître le fils de cette famille dans le Lippmann WEILL, mari absent d'Ester WEILL (f° 9A), qui déclare donc elle-même - en 1808 - ses deux filles Rosette et Monique (Minqua) nées à Obernai le 11 floréal an XI (21 avril 1803) et le 11 septembre 1806 ; à moins que Lippmann ne soit un étranger et que ce soit sa femme Ester qui appartienne à notre famille. Ce pourrait être aussi Ester WEILL (f° 15A) femme d'Aron (auparavant Hännell) SALOMON (f° 14B), qui est marchand de bestiaux (1808-1813), et qui a quatre enfants : Jonas né en janvier 1795, Rachel (Hanna) née en novembre 1799, Lazar (Lippmann) né le 8 germinal an XIII (29 mars 1805) et Dinan ée le 8 novembre 1807. Les deux premiers enfants étant natifs de Krautergersheim, on a lieu de supposer qu'Aron Salomon n'était pas un vieil Obernois, mais il aurait pu rejoindre entre 1799 et 1805 la commune de sa femme. En fin de compte le nom d'Ester Weill est si fréquent qu'aucune conclusion n'est plausible (deux en 1808, mais trois en 1784). Enfin la Fromette WEILL femme de Samson Weill le jeune pourrait être la fille de notre Samson WEYL.

La dix-septième et la dix-huitième famille du dénombrement de 1784 ont ceci de particulier qu'elles figurent avec un nom unique. Néanmoins le GRODWOHL (29) qui avec sa femme Hönen forme la dix-septième est très vraisemblablement le père de David GRODWOHL, inscrit en 1808 (f° 10B) avec sa femme Dina (Hinna) GOMBRICH.
Par contre aucune trace de la dix-huitième famille, composée de Michaël, de sa femme Reichelet de leur servante Jüttlen MICHAEL (30).

Et voici une nouvelle famille Weyl, celle de Marem WEYL, la dix-neuvième du dénombrement. Sa femme s'appelle Bella,ses fils Nathan, Jonas et Hirtz,et sa fille Röselé. Ce Hirtz est peut-être le Hirtzel WEILL, revendeur, qui prend en 1808 le prénom de Nephtali (f° 16A). Il se trouve avec sa femme Dina BLUM (autrefois Hanna ISAAC) et cinq enfants : Moïse né à Wettolsheim (Haut-Rhin) (31) en juillet 1799, Rachel (Kaja), Samuel, Lia (Hindell) et Salomon,tous nés à Obernai, le 29 ventôse an VIII (20 mars 1800), le 21 messidor an. X (10 juillet 1802), le 25 germinal an XII (15 avril 1804) et le 13 avril 1808.

La vingtième famille est celle du maître d'école, Lazare DREYFUS. Sa femme s'appelle Mörhel, ses enfants Elias et Sara.En 1808 il ne vit plus, mais sa veuve (dont le prénom est orthographié ici Moerlé) prend le nom de Marianne WOLFF (32) (f° 9B). Elle a avec elle quatre enfants portant naturellement le nom de DREYFUS, tous nés à Obernai : Élie, en octobre 1788, Caïn (auparavant Cajen) en janvier 1792, Michel (Molling) en avril 1794 et Adélaïde (Madell) en octobre 1795 (f° 10A). Il ne semble pas qu'il puisse s'agir d'une autre famille ; il convient alors de se demander comment il peut y avoir un fils Élie né en 1788 alors qu'un fils Elias - ce qui revient au même - était déjà au monde en 1784. Deux explications possibles : 1° le premier Élias était décédé, et un nouveau fils avait reçu son nom ; 2° notre Élie se serait rajeuni de quelques années, par exemple pour échapper au service militaire (33). Toujours est-il qu'il exerce en 1808-1813 le métier de colporteur (en 1808 "colporteur avec balle") (34).

La vingt et unième famille porte encore le nom de WEYL. Les parents s'appellent Moyses et Kleyrlé. Les fils Raphaël, Isay et Nathan,les filles Vogel, Esther et Fromette.Les essais d'identification que nous avons faites dans la seizième famille sur les filles Esther et Fromets ont aussi bien valables ici.

Plus de trace de la vingt-deuxième famille, celle de Jacob MOCH, avec ses fils Lippmann, Costel et Isaac, ses filles Genindelé et Bella. Ni de la vingt-troisième famille, formée de Zaduc MEYER, de sa femme Mörehl et de ses filles Freidelet Schönelé. Ni, selon toute vraisemblance, de la vingt-quatrième, celle d'Isaac BLOCH, de sa femme Mädelé, et de ses fils Joseph et Salomon. Sans doute y a-t-il en 1808 (f° 14A) un Isaac Meyer BLOCH, qui renonce alors à son second prénom ; mais sa femme s'appelle Dina BENDELMANN, autrefois Hanna ARON, et leurs fils Aron (Aron MEYER), Moïse (Isaac Moïse, probablement mis pour Moïse Isaac) (35) et Emmanuel (Männell), nés à Obernai le 12 prairial an X (1er juin 1802), le 23 germinal an XII (13 avril 1804) (36) et le 30 septembre 1807. Ce pourrait être une seconde union d'un veuf, mais le lien est si ténu, qui ne repose que sur un nom aussi courant qu'Isaac Bloch, qu'il vaut mieux y renoncer.

La vingt-cinquième famille présente une homonymie avec la première, mais elle semble bien ne plus être représentée en 1808. Son chef, Lazare LÉVY, a une femme Rösselé, deux fils, Hirtz et Isaac,et trois filles,Schölen, Leya et Rébecca.

Au contraire, la vingt-sixième famille se retrouve presque au complet. Liber MEYER et sa femme Gouderotte deviennent en 1808 (f° 5A) Lazar MEYER et Gertrude (37) LÉVI. Lazar est en 1808 "colporteur avec balle", et, la patente lui ayant été refusée, il proteste qu'il a à sa charge, outre sa propre famille, ses vieux parents et huit frères et soeurs. Il est possible que son père soit le Meyer LAZARE, chef de la vingt-septième famille qui, lui, intervertit son nom et son prénom en 1808 pour devenir aussi Lazar MEYER, Mais il signe en hébreu Méir ben Lazer (מאיר בן לאזיר ), c'est-à-dire "Meyer fils de Lazare" (f°4B). C'est donc pour avoir le même nom de famille que son fils qu'il s'appelle Lazare Meyer ; il devrait être Meyer Lazare, et il est normal que son fils porte le nom de Lazare MEYER (38). Le fait qu'aussi bien en 1784 qu'en 1808 ils aient l'un et l'autre des enfants en bas âge ne contredit pas cette hypothèse ; dans les familles nombreuses, c'est. chose courante (39). La femme de Lazare père s'appelle Schindlen en 1784, en 1898 Schoennée et devient Charlotte BARACH. Ils ont avec eux en 1784 un fils Gomber, et deux filles Madel et Jacotte ; en 1808, deux enfants nés à Obernai, Baruch,le 6 février 1793, et Sara, le 11 nivôse an III (31 décembre 1794).
Liber et Gouderotte Meyer ont trois fils en 1784 : Samuel, Meyer et Schölen, et une fille Sara. Nous avons vu que le premier garçon pouvait être identifié avec un Samuel Meyer (f° 10A) ; le troisième pourrait être Schillel devenu Gilles MEYER (f° 5B). En 1808 le couple a avec lui (f° 5A) un fils majeur Meyer LIBER, qui devient David MEYER, et qui est "revendeur" en 1809-1813, et deux enfants mineurs nés à Obernai : Baruch le 13 août 1793 et Madeleine le 29 septembre 1795.

Le chef de la vingt-huitième famille, Abraham MEYER, pourrait appartenir à la même famille, être par exemple un frère de Liber. En 1781 il a une femme, un fils Samuel (encore un Samuel Meyer qu'on peut confondre avec les deux autres) et une fille Sara.Lui-même, ou un homonyme, est isolé en 1808 (f° 5B) ; il est alors "colporteur" et l'année suivante "revendeur".

La vingt-neuvième famille de 1784 a elle aussi disparu en 1808. C'est celle de Samuel LAMBERT, avec sa femme Edel, ses fils Isayet Saduc,ses filles Laya et Guttelé.

Nous n'avons réussi à trouver aucune trace en 1808 à Obernai des trentième, trente et unième et trente-deuxième familles, qui ont toutes trois des veuves à leur tête.
Dans la trentième, la famille SALOMON la mère, Merlé, a trois fils, Feist, Alexandre et Abraham, une fille, Reichelé, et une servante, Bliemelé.
Dans la trente et unième, Bella a un fils Isaac et une fille Guttel WEYL.
Dans la trente-deuxième famille, Sara a deux fils, Jonas et Schmulen JONAS.
Il en est de même pour la trente-troisième, une famille BLOCH, où Merian a deux fils, Salomon et Mendlé, et trois filles, Sara, Tamare et Rösel ; toutefois cette dernière pourrait être la Roessel MAUSCHEN, devenue Rosette BLOCH, qui est en 1808 (f° 2B) la femme de Nephtali (auparavant Cerf) LEVI.
Ces veuves et leurs rejetons sont certainement placés intentionnellement en queue, parce qu'ils représentent des familles incomplètes.

Après, figurent des unités familiales vraisemblablement considérées comme séjournant à Obernai à titre provisoire seulement. C'est le cas d'un second "maître d'école", Isaac LÉVI, qui forme, avec sa femme Reisel,la trente-quatrième famille ; du "chantre" Wolff MARX, qui a une femme, Madel,et trois filles, Sara, Schöffaet Schönelé (trente-cinquième famille) et du "pauvre" Zacharie, indiqué sans nom de famille, avec sa femme Schönelé, mais dont le fils est intitulé Samuel ZACHARIE (trente-sixième famille).
A la fin figurent, sans numérotation, au plus bas de l'échelle sociale, un "pauvre veuf", Jacob,et une "pauvre veuve" Edel JUDEL. On pourrait cependant identifier en 1808 Schönelé MARX avec Schoennell (qui devient Jeannette) MARX, épouse de Zacharie KAHN (f° 11B), "revendeur" en 1808-1809 et "colporteur" en 1813, qui a avec lui un. fils Salomon, né à Obernai le 15 frimaire an V (5 décembre 1796).

Le supplément du dénombrement ne nous offre que deux "garçons" Jonas HERSCH et Cochel,et trois "filles", Guttele fille de Léa (41), Traide let Réele.Avec de si minces éléments, rien d'étonnant qu'on ne puisse suivre ces jeunes gens.

Nous avons terminé ici l'analyse du dénombrement de 1784.
Tandis que des familles ont quitté Obernai, d'autres s'y sont installées, et nous en trouvons en 1808 qui ne figurent pas vingt-quatre ans auparavant.
Dans un nombre de cas assez élevé, nous avons la preuve que ces familles viennent du dehors. C'est que les aînés de leurs enfants sont nés dans d'autres communes.

Ainsi la grande famille SERF (f° 3B à 6A) est originaire de Lorraine (41). Nous voyons en effet que Nathan SERF (f° 5B), colporteur de 1808 à 1813, affirme dans sa demande de patente en 1808 qu'il habite la ville depuis trois ans. Ainsi les deux plus âgés des enfants qu'il a eus de sa femme Marianne (auparavant Mariome) MATHIS : Bellonne (autrefois Beylé) et Joseph, sont nés à Bourscheid dans La Meurthe (aujourd'hui dans la Moselle) (42) le 13 juin 1801 et le 3 juin 1804, et le troisième, David, à Obernai le 18 octobre 1807. Comme il signe en hébreu Nathan ben Yehouda, c'est-à-dire Nathan fils de Judas, il y a lieu de supposer qu'il a pris le nom de famille de SERF parce que son père, JudasSERF (f° 3B), l'avait adopté.
Les deux autres chefs de famille SERF sont vraisemblablement aussi les fils de Judas Serf :
1° Henry SERF (autrefois Serf JUDAS) est "colporteur avec balle" en 1808-1809 et "colporteur" en 1813 ; il obtient en 1810 le droit de se faire aider par le jeune Élie Levi (v. ci-dessous), à cause de ses infirmités ; il s'inscrit avec sa femme née Dina (Dreittel) MAYER (f° 3B) et trois enfants mineurs nés à Obernai : Mindel,devenue Sara, le 12 pluviôse an XI (1er février 1803), Reichel, devenue Rachel, le 30 nivôse an XIII (21 janvier 1804) et Cirell, devenue Marianne,le 20 février 1807 (f° 4A).
Lion (qui prend alors le prénom de Léopold) SERF (f° 4A), qui ne signale pas le patronyme JUDAS, mais qui signe en hébreu Leib ben Yehouda (ליב בן יהודה ), et qui, du reste, dans le dossier des patentes, s'étant vu refuser en 1808 le droit d'être colporteur, rappelle dans sa protestation qu'il habite Obernai depuis quatre ans et demi, et qu'après avoir travaillé trois ans pour son frère Cerf JUDA (43), il s'est mis à son compte. Comme à tous les autres protestataires, la patente lui sera finalement accordée, et on le voit figurer comme colporteur autorisé en 1809 et en 1813. Il est marié avec Hanna ISAACK, qui adopte le nom d'Anne TITUSHEIM (f° 4B). Enfin la femme adulte Reichel (devenue Rachel) SERF (f° 4A) est selon toute vraisemblance une sœur des trois précédents.

De même la famille KLEIN (f° 7A) a ses deux premiers enfants, Belle, devenue Bellonne, et Élie, nés à Valff (Bas-Rhin) en octobre 1788 et en septembre 1789, la troisième Hinna, devenue Hanna, étant née à Obernai le 30 octobre 1793. Le père s'appelait Jeissel BARACH avant de prendre le nom de Joseph KLEIN et la mère Mindell (à présent Minette) GOMBRICH. Joseph Klein est marchand de bestiaux (1808-1813), et son fils Élie est autorisé en 1813 à exercer le même commerce.

Voici encore Abraham WEILL et sa femme Zibora (auparavant Zepha) LEVI, qui ont un enfant Lazar, né à Soultz près de Molsheim (Soultz-les-Bains) en juin 1790 (f° 8A).

Garschon (qui adopte le prénom de Gorgon) LEVI et sa femme Frettelle (qui devient Clara) LEVI ( 11B) ont huit enfants, tous nés à l'extérieur ( 12A-2B1) : les trois premiers sont nés à Buchau (Wurtemberg), Gollel (Gertrude) en octobre 1789, Penckas (Elias) en avril 1792 (44) et Abraham en juin 1793 ; les deux suivants à Arnstein, près de Wurzbourg en Basse-Franconie, Rachelen décembre 1799 et Joseph en janvier 1801 ; un autre, Simon, à Rülzheim, dans le Palatinat français, qui faisait alors partie du département du Bas-Rhin, en juin 1803 ; un autre, Judas, à Schirrhoffen en octobre 1804, et le dernier, Aron, à Herrlisheim (Haut-Rhin) en décembre 1807.

Enfin Moïse KALMEN, "revendeur" en 1808-1809 et "colporteur" en 1813, qui prend le nom de Moïse WEILL, et sa femme Jüdell ABRAHAM, qui prend celui de Judith WEILL (f°16 B), ont eu leurs trois enfants à Niedernai : Edel, devenue Adélaïde, en mai 1791, Abraham en septembre 1793 et Roechell, devenue Rachel,en juillet 1797 (f° 17A).

Nous avons aussi des femmes isolées, qui pourraient être des servantes, Sara KAHN (f° 7B), Sara LEVI (f°8A) et Sara HIRTZFELD (f° 13B).

C'est aussi un cas particulier que celui de Jacques WEILL (anciennement Joël WEILL), qui a essuyé également en 1808 un refus de travailler comme colporteur, et qui, dans sa réclamation, affirme avoir pris ce métier "après avoir satisfait aux lois sur la conscription s. Sans doute marié depuis peu, il figure avec sa femme née Marianne WEILL (f° 11A).

Il ne nous reste finalement que quatre familles dont l'absence au dénombrement de 1784 n'apparaît pas comme une évidence du fait même de la composition de leur progéniture.

Moïse BLUM (f° 1B) est mercier en 1808. Mais en 1809, puis en 1813, c'est sa veuve, Zibora (auparavant Faiglé) LEVI, qui demande de continuer son commerce. Il laissait de nombreux enfants en bas-âge, puisqu'il en avait déclaré huit (f° 1B-2B), tous nés à Obernai : Isaï, le 26 décembre 1793 ; Salomon (Seligmann) le 12 nivôse an III (1er janvier 1795) ; Lia (Ellée) le 13 messidor an VI (1er juillet 1798) ; Jacob le 4 nivôse an VIII (25 décembre 1799) ; Mariannele 5 germinal an XI (26 mars 1803) ; Sara (Bessé) le 28 prairial an XII (17 juin 1804) ; Raphaëlle 5 mars 1806 et Baruch le 2 septembre 1807.

Il y a ensuite deux familles HEYMANN, où les pères sont peut-être frères et les mères presque sûrement sœurs. Mollet qui devient Mathias HEYMANN (f° 10A), boucher (1809-1813), est marié à Judith CERF (auparavant Jüdelle MEYER). Ils ont deux enfants, nés à Obernai : Meyer MATHIAS, devenu Meinrad HEYMANN, le 28 mai 1807, et Marie MOTTEL (45), devenue Marie HEYMANN, le 20 juillet 1808 (f° 10B). Gumber (46) BARACH, inscrit comme Ephraïm HEYMANN, marchand de bestiaux en 1808, et sa femme Sara CERF (auparavant MEYER) ont un fils Baruch, né le 30 avril 1808 sans indication de lieu (f° 11A).

Et, pour terminer, la famille de Samuel SCHEYEN, boucher (1808-1813), et de sa femme Pharé KOFFELL, qui adopte le nom de Pharaonne (!) KAUFMANN (f° 14B-15A). Leurs sept enfants sont nés à Obernai : Sara le 8 messidor an III (26 juin 1795), Ester le 20 brumaire an VII (19 novembre 1798), Jacob le 1er messidor an VIII (20 juin 1800), Jonas le 22 prairial an X (11 juin 1802), Isaac (précédemment Koffel SAMUEL) le 9 nivôse an XII (31 décembre 1803), Judith (Judlée) le 7 brumaire an XIV (29 octobre 1805) et Basilique (Beselle) le 14 juillet 1807.

Signalons enfin que le dossier des patentes enregistre en 1813 un Aron WEYL, marchand de bestiaux, et un Danie WORMS, colporteur, que nous ne connaissions pas auparavant.

En tout cas nous constatons une assez grande stabilité des familles juives d'Obernai, malgré les orages d'une époque troublée. Si nous n'avons retrouvé avec certitude en 1808 que neuf des trente-six familles de 1784, c'est parce que l'accroissement naturel rapide a sans doute obligé un grand nombre d'individus (y compris une bonne partie des membres des familles qui ont conservé des représentants sur place) à chercher fortune ailleurs.

Afin de donner une idée de l'évolution ultérieure de la communauté juive d'Obernai, nous mentionnerons qu'en 1849 elle comptait 204 âmes (47), et que, comme dans toutes les localités rurales d'Alsace, les effectifs commencent à diminuer à la fin du 19ème siècle, tant en raison de la montée vers les grandes villes que de la baisse du taux de natalité : en 1900 - 178 personnes, en 1936 : 138, et, après le retour de l'exil à l'époque de l'annexion au Reich hitlérien : 80, en 1953 (48). Comme ses pareilles, les petites bourgades d'Alsace, Obernai est une communauté en voie de disparition, et, avec elle, c'est un trésor d'histoire et de traditions qui risque de s'effacer (49).

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