GRUSSENHEIM
La première synagogue date du dernier quart du 18ème siècle. Elle fut vendue en 1866
pour être démolie. La nouvelle synagogue, construite en 1850, fut détruite en 1940 sur
ordre des Allemands.
Souvenirs de la vie dans mon village
Grüssenheim sur une carte postale ancienne - coll. © M. et A. Rothé
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Aussi longtemps que la communauté était nombreuse et florissante
la religion faisait partie intégrante de la vie juive du village Tous se
soumettaient aux lois religieuses et aux us traditionnels. Sans ostentation on
menait sa vie propre comme les générations précédentes
l'avaient vécue depuis toujours. Tout paraissait naturel rien n'était
artificiel Mais avec la diminution de la population, le progrès technique
et l'esprit matérialiste de notre époque, le sentiment religieux
s'affaiblissait chez nous comme ailleurs.
Dans notre jeunesse, le Sabbat observé par tous sans exception, était
le couronnement de la semaine, le jour où tout paraissait se transformer
dans ces maisons étroites et basses, dès qu'elles étaient
illuminées par l'éclat des lumières sabbatiques. Comme dans
la poésie de Heine, les habitants eux-mêmes changeaient, avec leurs
vêtements, tout leur être. Les offices étaient fréquentés
par tous, le chant du ministre-officiant faisait l'objet de la critique des fidèles
Le "
Lernen"
dans les trois
Hevroth,
pour chacune fait à une heure différente, était écouté
avec attention par leurs membres.
Mais les visites dans les auberges surtout chez Schlomès avaient aussi
leur place ; sous un bruit assourdissant, on y jouait aux dominos, les jeux de
cartes étant exclus pour des raisons religieuses. Des bagarres entre jeunes
gens suivaient parfois cet amusement moins offensif, bagarres qui ressemblaient
un peu au "catch", si populaire de nos jours. A ce propos rappelons
une anecdote, transmise de génération en génération
à Zellwiller, village du célèbre Môchelé-Zellwiller
: Après sa sieste obligatoire de l'après-midi de Sabbat, en été,
un brave juif ouvre précipitamment les volets de sa maisonnette en s'écriant
: "
Schlagt mer schun? " (Est-ce qu'on se bagarre déjà
?).
A côté de ces exercices physiques d'imitation étrangère,
la charité véritablement juive, n'était ni oubliée
ni négligée : Des familles entières de pauvres passants trouvaient
gîte et nourriture chez les nôtres qui les recevaient comme de vieilles
connaissances. Et ce n'était nullement une exception si une vingtaine de
personnes passaient le Sabbat dans notre village, logées dans la "grange
de Lasé"
(ins Lasés Scheier), et augmentaient le nombre
des fidèles à la "
schoule".
A la veille de
Pâque,
la jeunesse scolaire rassemblait du bois pour allumer le "
'hômetzfeier"
dans la cour des Juifs (
Jeddehof). Là on brûlait
le
'hômetz
recherché la veille, et l'on y rougissait les casseroles de fer apportées
par les ménagères pour les rendre aptes à l'usage pascal
(
yonteftig). C'était là un amusement innocent et gratuit.
Si la veille de Pâque tombait un Sabbat, il n'y avait rien d'offusquant
de prendre "le dîner dans la cour". Dans le "
Jeddehof
" une dizaine de familles, ce vendredi soir, servaient leur repas en plein
air, et chacun connaissait le menu du voisin qui ne variait, du reste, pas grandement.
A
Tichebov
(9 Abh), tous étaient assis par terre, et les mêmes privilégiés
récitaient, année par année, les mêmes "
Kinoth"
sur un air traditionnel et invariable. De tradition était aussi un abus
enraciné, celui de jeter des glouterons (
Kletten) qui poussaient
à cette saison dans la cour de la synagogue, sur le voisin qui ne manquait
pas de riposter de la même façon. Après l'office qui durait
jusque vers midi, la jeunesse masculine se rendait à la rivière
du moulin (
Mihlbach) pour faire passer les heures en s'adonnant
à la pêche le plus souvent sans aucun résultat.
La promenade collective au "
Taschlischbach"
après l'office de
Min'ha
de
Roche Hachana était
de rigueur, mais non sans attrait ni réconfort.
Dévaliser la
Soukka
d'autrui à
Sim'hath-Thora
n'était pas considéré comme un péché, et les
amateurs de ce sport en trouvaient l'occasion dans le "
Jeddehof
" où au moins une demi-douzaine de ces huttes avaient été
construites, sans luxe ni goût, mais avec d'autant plus d'amour.
En voiture devant la synagogue - coll. © Clara Zobrist |
Ne passons pas sous silence l'art de "
schorme" (faire
passer une douleur en prononçant un charme) c'était Daïle fille
d'un ancien
'hazzan qui
l'exerçait et qui en tirait quelques ressources à côté
de son petit commerce de savon et de bougies. En écrivant ces lignes, j'ai
l'impression de sentir l'odeur de cette marchandise qu'elle gardait dans son unique
petite chambre. Elle avait un concurrent dans son commerce : Kleker-Etzig dont
la clientèle se trouvait à Jebsheim et qui se procurait sa marchandise
à Sélestat (à 15 km de distance) où il allait la chercher
chaque mardi à pied ou en profitant d'une voiture qu'il rencontrait. Avec
une satisfaction visible, il vous racontait qu'il avait déjà plusieurs
commandes de boîtes d'allumettes.
Certes la vie était simple, les hommes peu exigeants, mais peut-être
étaient-ils plus heureux que ceux de la génération actuelle
au goût raffiné et aux besoins compliqués.
Nous faisons suivre ici quelques surnoms et sobriquets qui avaient cours à
Grüssenheim (en partie déjà cités plus haut) :
On appelait d'après leur profession ou commerce :
Fésch-Büne une femme qui vendait des poissons et Fésch-Lippmann, son mari ;
Conscrits-Haendler quelqu'un qui procurait des remplaçants pour
le service militaire ;
Eise-Frurnele un quincailler ;
Gase-Schmüle un marchand de chèvres ;
Gold-Douved qui faisait le commerce de l'or ;
Mohl-Lippmann un môhel ;
Schouf-Meyerlé un marchand de moutons.
s'Hersche Lippmann en service chez Hirsch Geismar ;
KericheMotschel demeurait près de l'église ;
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D'après leur physique furent appelés :
Alt-Froumel un vieillard ;
Grauss-Froumel un homme grand ;
Buckel-Etzig un bossu ; Krumm-Fuhle un boîteux ;
Langschueh d'une grande pointure ;
Rot-Salme un rouquin ;
Schwarz-Meyer un brun ;
Garte-eisik possédait un grand jardin ;
Herre-Fuhle qui se donnait un air ; |
Les Meyer de Riedwihr furent appelés
Mükker :
Mükker-Elje
et
Katz-Mükker (qui imitait les chats)
Chineser-Leïwelé
(avait participé à la campagne de Chine - 1857-1860).
Nous n'avons pas d'explication pour :
Gogger-Elje, Goldscheisserlé,
Mummele-Eisik, Renner (peut-être démarcheur),
Wendmeller.