Ribeauvillé, entourée de murs entre 1284 et 1287 et citée comme ville, pour la première fois, en 1290, était divisée en deux parties, la ville haute et la ville basse, dont la première avait été donnée, en 1084, par l'empereur Henri IV, à l'évêque de Bâle, tandis que la seconde appartenait, en toute propriété, aux seigneurs de Ribeaupierre, et il est à supposer que ces seigneurs ont, les premiers, accordé l'autorisation à des familles israélites de s'établir dans leur territoire, contre une redevance annuelle naturellement.
L'empereur Louis de Bavière usa de ce droit à propos des Juifs
de Ribeauvillé, le 15 février 1331, en les engageant à
Jean de Ribeaupierre pour la somme de 400 Marcs-argent, environ 20.000 francs-or.
(Albrecht, Rappolsteinisches U. B. I, n° 416.)
A partir de ce jour, les Juifs n'avaient donc plus à payer leurs contributions
à l'empereur, mais aux Ribeaupierre, mais ils restaient néanmoins
les sujets de l'empereur qui avait à les protéger contre toute
injustice fiscale et contre toute persécution.
Ce Jean de Ribeaupierre paraît avoir été un capitaliste de grande envergure, puisque le même jour du 15 février 1331, il avança à Louis de Bavière la somme de 1.100 Marcs-argent, donc environ 55.000 francs-or, pour pouvoir encaisser, en contre-partie, des Juifs de Colmar, une contribution annuelle de 60 marcs-argent et 300 livres-deniers sur l'Umgeld, contribution sur l'achat et la vente du vin, à Colmar (Wiener, Regesten zur Geschichte der Juden in Deutschland, p. 34, n. 72), et, le 26 mars 1331, le même Jean de Ribeaupierre avança encore 400 Marcs-argent, environ 20.000 francs-or, à Louis de Bavière sur l'impôt des Juifs de Ribeauvillé (Schoepflin, Als. dipl. II, 143).
Mais la protection des Juifs de Ribeauvillé qui incombait à l'empereur
et qui, dans leur propre intérêt, aurait dû être sauvegardée
aussi par les Ribeaupierre, fut négligée tant par ceux-ci que
par l'empereur.
Nous savons, en effet, qu'une persécution eut lieu, en 1337, contre les
Juifs de la basse-ville de Ribeauvillé et que beaucoup d'entre eux furent
tués, parce qu'on les accusait d'avoir empoisonné les puits (Grandidier,
Vues pittoresques de l'Alsace, art. Ribeauvillé, p.
7).
Selon Schoepflin, Als. dipl. II, 162, les seigneurs de Ribeaupierre
eux-mêmes auraient fait tuer ou chasser une partie des Juifs, afin de
pouvoir s'emparer de leurs biens.
Les comtes Berthold de Graisbach et Albert de Hohenburg, fonctionnaires de l'empire, demandèrent compte aux frères Anselme et Jean de Ribeaupierre de ces méfaits exercés à l'encontre des Juifs, serfs de la Chambre fiscale de l'empire. Mais il semble que l'empereur ne vit pas d'un bon oeil cette action et qu'il recommanda aux deux comtes de s'arranger avec les Ribeaupierre. Ce qui fut fait, et le 15 octobre 1338, Louis de Bavière fit publier un ordre exprès qu'aucun de ses fonctionnaires ne devait actionner judiciairement les frères Anselme et Jean de Ribeaupierre à cause des émeutes, horions, et disputes mis en scène contre les Juifs de Ribeauvillé, puisqu'ils s'étaient arrangés avec le bailli principal (Als. dipl. II, 162. - Strobel, Vaterländische Geschichte des Elsasses II, 222/3).
Il va sans dire que la même accusation concernant l'empoisonnement des puits fut portée aussi contre les Juifs de Ribeauvillé en 1348 et 1349, lorsque la Peste noire commençait à faire son apparition en Europe et que les Juifs, par milliers, furent livrés aux flammes. Nous savons, en effet, par une source juive contemporaine, que des Juifs furent tués aussi à Ribeauvillé (Mémorial de Nuremberg).
En 1398, la synagogue de Bergheim était habitée par un nommé Clewelin Siler et sa femme Anne, qui payaient, le 20 décembre de cette année, à la Reitbruderschaft, espèce de confrérie religieuse et charitable, 3 deniers bâlois de rente pour une pièce de vigne (E. Hans, Urkundenbuch der Pfarrei Bergheim, 1894, p. 66).
Deux familles juives, celle du nommé Deyot et celle de son frère Symunt, de Bergheim, qui avaient sans doute réussi à s'enfuir en 1349, demandèrent la permission de pouvoir s'établir à Strasbourg vers 1360 (Urkundenbuch der Stadt Strassburg, V. 647).
Ce n'est qu'en 1375 que quelques familles juives obtinrent de nouveau le droit
de résidence à Ribeauvillé en même temps qu'à
Hattstatt et à Bergheim
par un privilège de Léopold, archiduc d'Autriche, daté
de Bâle, le 9 août. (Arch. de Bergheim, AA1. — V.
,Scheid, Histoire des Juifs d'Alsace, 59).
A la même date, l'archiduc Léopold II céda aux habitants
de Bergheim les droits que lui payaient les Juifs établis dans cette
localité (Arch. de Bergheim AA1).
La nouvelle en avait été répandue même à Fribourg-en-Brisgau. Le Conseil de cette ville s'adressa alors au Conseil de la ville de Colmar pour savoir ce qui en était. Celui-ci répondit, par lettre du 23 juin 1397, que Bruno de Ribeaupierre avait, en effet, emprisonné, torturé et exécuté, dans son château, des Juifs, parmi lesquels le nommé Menlin de Ribeauvillé et le nommé David de Turckheim. Ce dernier aurait avoué qu'ils avaient empoisonné les puits avec une poudre (Schreiber, Urkundenbuch der Stadt Freiburg, II, 108 et ss.).
Ces événements eurent leur répercussion jusqu'à Bâle, puisque les Juifs de cette ville ayant appris les accusations portées contre leurs coreligionnaires de Ribeauvillé prirent peur et quittèrent la ville subitement sauf une seule famille, celle du médecin de la ville. Bâle ne comptait alors plus de Juifs parmi ses habitants jusqu'au commencement du 19ème siècle, où la communauté actuelle, la troisième, commença à se former (V. Ginsburger, Die Juden in Basel, 396 et ss.).
Entre 1331 et 1336, Ulric de Ribeaupierre fit traduire par Clauss Wisse et
Philippe Colin, ce dernier orfèvre de Strasbourg, le Parcival
selon la version française de Meneschier, qui avait continué le
Perceval de Chrétien de Troyes, avec la collaboration du Juif
Samson Pine, qui leur interpréta le texte français en allemand,
de sorte que Wisse et Colin n'avaient qu'à le mettre en vers.
Je suppose que l'auteur de cette notice s'est trompé en écrivant
le nom du Juif Samson Pine et qu'il s'appelait, en réalité, Samson
Chinon ou Samson de Chinon, puisqu'un savant juif de ce nom a vécu effectivement
vers cette époque à Zurich et probablement aussi en Alsace (V.
Schorbach, Els. Literaturdenkmäler, t. VI, col. 854, v. 27 n.
Introd. p. XX, 1. — Rabbinowicz, Diqduqë Sophrim, I, 34).
A cette même époque, Ribeauvillé avait aussi un rabbin.
Nous en avons la preuve dans une lettre adressée par le Conseil de la
ville de Colmar à Hans von Valkenstein de Ramstein et datée de
l'année 1443.
Ce Hans von Valkenstein avait prié le Conseil de Colmar d'arranger une
affaire concernant son Juif Kiefmann et Perenz Verwer et sa femme, beaux-parents
de Kiefmann, qui refusaient de donner à leur gendre les cadeaux de noce
qu'ils lui avaient promis. Colmar répond que des pourparlers avaient
été engagés à ce sujet, mais que, selon les dires
de Perenz Verwer et de sa femme, le différend avait été
soumis auparavant déjà au rabbin, au Judenmeister, comme
on disait alors, de Ribeauvillé, qui était en possession des documents,
et que ce même rabbin serait appelé à prononcer un jugement
définitif dans cette affaire (Arch. de la ville de Colmar, Missivenbuch,
1442-49, f° 90).
Les Juifs de Ribeauvillé s'occupaient, comme leurs coreligionnaires des autres villes d'Alsace, surtout du commerce d'argent, puisqu'il leur était interdit de .posséder des terres labourables et d'exercer des métiers. Ce commerce était réglé, en 1450, par une ordonnance du comte Ulrich de Ribeaupierre fixant les intérêts que les Juifs pouvaient demander à leurs débiteurs (Arch. dép. Colmar. Extrad. Munich, Cahier III).
Il va sans dire que les Juifs étaient toujours obligés de payer leurs droits de protection et autres, mais une notice nous apprend qu'en dehors de ces contributions obligatoires ils faisaient encore des cadeaux à leurs seigneurs. En 1434, ils donnèrent par exemple deux mesures de vin à Smassmann de Ribeaupierre (Zeitschrift für die Geschichte der Juden in Deutschland, III, 125, 128). Ce renseignement prouve, du reste, que les Juifs de Ribeauvillé et de Bergheim, à l'encontre de ceux des autres régions, pouvaient posséder des champs et des vignes, puisqu'il y a lieu d'admettre que le vin donné à Smassmann n'avait pas été acheté par les Juifs, mais provenait de leurs propres vignes.
Pour Bergheim, nous connaissons même des documents, d'où il ressort positivement qu'il en était ainsi. Le 16 avril 1458, le nommé Lazarus de Bergheim déclare avoir cédé une pièce de vigne à Claus Schuler pour une créance de neuf florins provenant de l'achat d'une vigne et d'un prêt de trois florins (Arch. dép. de Colmar. Extrad. Munich, p. 129). En 1472, les nommés Hans Schelkopf et sa femme Mergallen de Rorschwihr achetèrent de Jacob de Brettenheim une demi-pièce de vigne, située dans la banlieue de Bergheim, au lieu dit "uf der bunen" à côté de Hans Anckenfesel, d'une part, et de Fissel, le Juif, de l'autre (Arch. de la ville de Colmar, série K. Couverture des Unzüchterbücher [1527-1538]).
Lorsque, le vendredi 12 mai 1525, les paysans révoltés firent leur entrée à Bergheim, ils s'en prirent tout d'abord aux Juifs, puisque leurs chefs avaient dit au seigneur de Ribeaupierre qu'ils n'en voulaient à personne qu'aux prêtres, aux moines, aux nonnes et aux Juifs. Ils prirent donc tous leurs livres et leurs rouleaux de la Loi et les déchirèrent, bien que les Juifs n'eussent pas mieux demandé que de les racheter, même pour la somme de 400 florins. Puis, ils détruisirent la synagogue, enfermèrent tous les Juifs dans une maison et les y firent surveiller. Enfin ils leur enlevèrent tous leurs biens et les vendirent à tout prix. (Aus dem Bauernkriege. Tagebuch eines Reichenweirer Bürgers (Eckard Wickersheim), 1525, herausgegeben von E. Ensfelder, Strassburg o. J. — Stöber, Alsatia, 1854 u. 1855, p. 155 et 157. Ulrich XI, Herr von Rappolstein. Vom Bauernaufstand in den Monaten April und Mai 1525. Nach der Originalhandschrift der Colmarer Stadtbibliothek mitgeteilt von Daniel Michel, evang. Pfarrer zu Rappoltsweiler.)
Une nouvelle difficulté vint surgir, l'année suivante, en 1526,
au détriment des mêmes Juifs de Bergheim. Guillaume de Ribeaupierre
fit confisquer tout le vin qu'ils possédaient à Ribeauvillé
ainsi que toutes leurs créances, soi-disant parce qu'ils avaient trafiqué
malgré une interdiction qui avait été publiée devant
l'église paroissiale. Les Juifs protestèrent contre cette accusation
en invoquant le témoignage d'Ulric de Ribeaupierre, fils de Guillaume,
qui prit fait et cause pour eux.
L'affaire fut portée devant le Conseil de Régence d'Ensisheim
qui émit le jugement suivant :
Il paraît que pendant toute la période allant de la fin du quinzième jusqu'à la fin du seizième siècle c'est seulement Bergheim qui était habité par des Juifs, tandis qu'il n'y en avait pas à Ribeauvillé.
Les Juifs de Bergheim prêtaient surtout de l'argent sur gages, et il est tout naturel que ces gages n'étaient pas toujours de provenance indiscutable. Ainsi nous apprenons par le Vergichtbuch, le livre d'aveux, de Colmar, qu'en 1488 le nommé Heinrich Hans de Cresswiller avoua qu'il avait volé à Oterswiller, de l'autre côté du Rhin, dans une maison, deux vestons d'hommes et une paire de pantalons et qu'il les avait engagés chez un Juif de Bergheim pour un florin, et qu'il avait volé aussi à Fribourg-en-Brisgau plusieurs morceaux de cuir de semelle et qu'il les avait engagés au Juif de Bergheim pour huit schillings (Arch. de la ville de Colmar. R G H VI).
Ces Juifs devaient donc être connus aussi en dehors du comté de Ribeaupierre, sans doute parce qu'ils étaient en relations d'affaires avec des régions lointaines, et c'est cela qui explique probablement le fait que deux Juifs de Bergheim nommés Efraïm et Michaël payaient non seulement un droit de protection à la seigneurie de Ribeaupierre, mais aussi à l'évêché de Strasbourg à partir de l'année 1495 pour une durée de dix ans. (Arch. du Bas-Rhin G 2553). Il ressort, en effet, d'une liste d'actes judiciaires, conservés aux Archives départementales de Colmar (E 2422-2425-2427 2428. Extr. Munich), que les Juifs de Bergheim faisaient le commerce avec les habitants de Ribeauvillé, de Guémar, de Beinweiler, de Riquewihr, de Bennwihr et avec le seigneur Hans de Hattstatt.
Beaucoup plus loin encore s'étendaient les relations commerciales du
nommé Jäcklin de Bergheim, qui a vécu dans
la première moitié du seizième siècle. Il avait
un procès avec un certain Claus Zwinger de Bischofsheim, à propos
d'une créance de 2 Taler, l'actionna à Rottweil et devant la Cour
aulique de Spire, et fit saisir la fortune de Zwinger après sa mort.
L'administration épiscopale le fit arrêter à Matzenheim,
puis il fut condamné à mort et exécuté à
Ensisheim, sans que l'on en sache les motifs (Arch. de la ville de Strasbourg,
GUP L174).
Ce Jäcklin parait avoir été un des Juifs les plus riches
et les plus connus de la région. Ses héritiers avaient en leur
possession un grand nombre de gages qui furent réclamés par les
créanciers mais sans résultat. Ils s'adressèrent alors
au Conseil de la ville de Strasbourg, parce que beaucoup d'entre eux étaient
des bourgeois de Strasbourg et qu'ils prétendaient que le nommé
Gerson d'Ammerschwihr, fils du célèbre Josel
de Rosheim, savait où se trouvaient les objets en question et avait
dit qu'il ne trahirait pas ses coreligionnaires. Le Conseil devait donc lui
enlever son sauf-conduit. Il y eut une enquête, mais Gerson put prouver
son innocence et que la veuve de Jäcklin avait vendu les gages, lorsque
son mari se trouva en prison A Ensisheim (Arch. de la ville de Strasbourg, 1.c.).
A cette même époque, vers 1540, on se souvenait encore à Bergheim d'une ancienne tradition à propos du Tribunal régional qui se tenait au bord de l'Eggenbach. On racontait qu'un Juif était assis aux pieds du juge ou couché sous les pieds du juge, sans doute pour marquer la dépendance du judaïsme envers le christianisme (Arch. dép. du H.-Rh. C614. — Bartholdi, Curiosités d'Alsace, II, 399. — Chmel, Die Handschriften der Hofbibliothek in Wien, II, p. 461).
C'est dans un Règlement du comte Jean Jaques de Ribeaupierre du
13 juin 1656 touchant le droit de protection des Juifs demeurants (sic)
à Ribeauvillé qu'il est fait mention surtout de ces revenus.
Il y est dit, entre autres, que chacun d'entre eux étant marié
ou ayant son propre ménage avait à payer, tous les ans, 20 florins
A la seigneurie pour droit de protection (excepté néanmoins les
veuves de Joseph et Samuel qui se sont pour cet effet particulièrement
abonnées avec son Excellence) avec cette réserve en faveur des
Juifs, que la répartition en sera faite selon les forces et facultés
de chacun d'entre eux. (Arch. dép. de Colmar. E 1627).
Au droit de protection vint s'ajouter plus tard un droit de corvée, et
le compte de la Recette générale nous montre qu'en 1697 le droit
de protection payé par treize Juifs de Ribeauvillé rapporta 123
florins, environ 250 francs-or, et le droit de corvée 59 florins 9 sols
6 deniers (Ibidem).
On peut supposer que les mêmes sommes environ étaient payées aussi par les Juifs de Bergheim, de sorte que le revenu fourni par leurs sujets israélites aux comtes de Ribeaupierre n'était nullement à dédaigner.
Nous pouvons, du reste, nous faire une idée approximative de l'augmentation de ces revenus, si nous prenons en considération le nombre des ménages israélites à Ribeauvillé et à Bergheim pendant le dix-septième et le dix-huitième siècle.Ainsi, en 1658, il y avait à Ribeauvillé 4 ménages, en 1697 treize, en 1705 vingt-trois, en 1784, cinquante-huit, et à Bergheim 36 ménages en 1735 et, en 1784, 67 ménages avec 327 individus (Areh. du H.-Rh. E764. E1067. Dénombrement de 1784).
Samuel Lévy prit sa résidence à Ribeauvillé et plus tard à Colmar. J'ai montré, dans un travail paru dans la Revue des Etudes juives à Paris (tome 65 (1913) p. 274 et ss.) l'activité de Samuel Lévy tant comme rabbin en Alsace que comme trésorier du duc Léopold de Lorraine ainsi que celle de son successeur Samuel Sanvil Weil, fils de Baruch Weil de Ribeauvillé, qui a exercé les fonctions rabbiniques de 1711 à 1753, non seulement dans le comté de Ribeaupierre, mais dans toute la Haute et Basse Alsace en tant qu'elle était soumise à l'Administration française. (Revue des Etudes juives, t. 95 (1933), p. 54 et ss.).
Ribeauvillé est resté, par la suite, un siège rabbinique jusqu'à la Grande Guerre. Depuis ce temps, les deux communautés font partie du rabbinat de Colmar.
Les Juifs de Ribeauvillé et de Bergheim avaient aussi le droit d'acheter
des maisons, mais il paraît qu'ils ne firent pas usage de ce droit avant
le 18ème siècle.
C'est qu'en effet, suivant des documents conservés aux Archives départementales
de Colmar (E1627) une enquête faite à ce propos dans les comptes
de la chancellerie eut pour résultat que des maisons furent achetées
à Ribeauvillé par des Juifs seulement à partir de 1748
et à Bergheim à partir de 1735.
Il n'est pas sans intérêt de noter les sommes payées pour
ces maisons. Elles n'étaient pas si chères que maintenant. Ainsi
celle qui fut achetée, en 1748, par Simon Weil, coûtait 2.000 livres.
Il en avait à payer une Recognition, donc un droit d'enregistrement,
de 12 livres. Jacob Lazarus paya pour une maison à Isaac Mayer 1.200
livres, et 7 livres 4 sols de droit de mutation.
D'autres maisons sont vendues à 1.100, à 900, à 348, à
712 livres, etc. La plus chère valait 10.030 livres à Ribeauvillé
et 1.500 livres à Bergheim.
La maison de 10.030 livres fut celle de Meyer Weil de Ribeauvillé vendue,
en 1754, à Libmann Moyses de Bergheim, qui exerçait ici les fonctions
rabbiniques. Ce même Meyer Weil avait fait construire, de ses propres
deniers, la synagogue de Ribeauvillé et en avait fait don à la
communauté par acte du 29 octobre 1738, déposé chez les
notaires Haxo et Drouineau à Colmar. L'histoire de cette maison et de
la synagogue a été publiée par J. J. Becker dans le Journal
de Ribeauvillé en 1911.
En la même année 1738 fut établi par le rabbin et le président de la communauté et confirmé par la chancellerie un Règlement fixant, en 27 articles, tout ce qui concernait les offices religieux ainsi que l'ordre intérieur de la Communauté (Arch. dép. du Haut-Rhin E 699. - Scheid, Histoire des Juifs d'Alsace, p. 261).
A proximité de la synagogue actuelle, qui a été construite entre 1830 et 1840 sur l'emplacement de l'ancienne, se trouve la maison de l'Hospice israélite fondé en 1832 par les membres de la Communauté.
Par contre, il n'a jamais existé de cimetière israélite
ni A Ribeauvillé, ni à Bergheim.
Aux 14ème et 15ème siècles, ils enterraient leurs morts
a Colmar, car nous savons que, lorsque les autorités de cette ville confisquèrent,
en 1510, la nécropole juive avec le consentement de l'empereur Maximilien,
Guillaume de Ribeaupierre, dans sa qualité de bailli provincial des possessions
autrichiennes en Alsace, protesta contre cette mesure, parce que ce cimetière
n'était pas seulement à l'usage des Juifs de Colmar, mais aussi
de tous ceux des domaines autrichiens (X. Mossmann, Etude sur l'histoire
des Juifs à Colmar, p. 20).
Plus tard, les Juifs de Ribeauvillé, de Bergheim et des communautés
des environs achetèrent un terrain dans la banlieue de Sélestat
au canton dit Burner appelé aussi Paradies-weg, et y établirent
un champ de repos pour les morts. Ce terrain fut agrandi à différentes
reprises, et sur les actes d'achat des champs figurent régulièrement
aussi les représentants de la communauté israélite de Ribeauvillé
(Scheid, Histoire des Juifs d'Alsace, p. 293 et ss.).
La Grande Révolution devait enfin apporter aux Juifs de France d'abord et à ceux du monde entier ensuite la liberté et l'émancipation qui leur avait été si longtemps retenues. Déjà le principe inséré dans la Déclaration des droits de l'homme et disant que "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi" aurait dû entraîner de plein droit l'attribution aux Juifs des droits de citoyens ; mais il n'en fut rien, car la question religieuse se compliquait surtout en Alsace, de difficultés locales et de préjugés invétérés.
Dès que la nouvelle de la prise de la Bastille fut connue, des désordres se produisirent dans presque tous les villages du Sundgau habités par des Juifs. J'ai montré en me basant sur des documents authentiques conservés aux Archives de Mulhouse et de Bâle que, contrairement à ce que l'on a prétendu toujours, les instigateurs et les auteurs de ces désordres n'étaient nullement des paysans appauvris, mais presqu'uniquement des gens sans aveu qui n'avaient d'autre but que de piller les maisons juives et de s'emparer de leurs biens. (Isr. Wochenschrift, 1908, 36 ss.).
Ces événements eurent leur répercussion aussi à Ribeauvillé, puisque plusieurs Juifs persécutés, entre autres Baruch Lévy de Froeningen, dont la maison avait été détruite et qui était le beau-père de Séligmann Meyer de Ribeauvillé, et Raphaël Félix, ancêtre de la célèbre tragédienne Rachel Félix, adressèrent des demandes à la chancellerie en vue de pouvoir s'établir à Ribeauvillé. (Arch. dép. du H.-Rh. E1625). Il est vrai que ces demandes furent accordées, mais, d'après une notice conservée aux Archives départementales de Colmar, il paraît que, bientôt après, il y eut des désordres aussi à Ribeauvillé, puisqu'il en est fait mention dans un Arrêté du Directoire du Haut-Rhin du 13 décembre 1791 (Arch. du H: Rh. L39).
Même au dix-neuvième siècle encore, les Juifs de Ribeauvillé et de Bergheim furent menacés de persécutions. Dans une lettre du Préfet au Maire de Ribeauvillé datée du 26 septembre 1819, il est dit que, d'après une information du Procureur du roi, les "Juifs étaient exposés à des insultes qui semblent présager la répétition des persécutions auxquelles cette nation est en butte dans quelques parties de l'Allemagne et que la fermentation qui vient d'éclater commande les mesures les plus promptes pour prévenir un plus grand désordre".Le Préfet invita donc le Maire à prendre, sur le champ, des dispositions pour empêcher qu'il ne soit fait aucune insulte aux individus professant le culte judaïque... (Original de la lettre en possession de la famille Charles Lévy de Colmar).
Plus graves étaient les troubles, qui éclatèrent le 12
juin 1832 à Bergheim. Quatre jeunes gens, dans un état voisin
de l'ivresse, avaient adressé la veille, dans la Brasserie Schoepfert
quelques plaisanteries à un Israélite qui s'était placé
à leur table ; ce dernier y avait répondu d'une manière
assez vive pour amener, un échange de légères voies de
fait, qui n'eurent aucune suite. Peu de temps après, ces jeunes gens
quittèrent la brasserie et furent croisés dans leur chemin par
un nombre assez considérable d'Israélites vêtus de leurs
uniformes de gardes nationaux et porteurs de leurs armes. Ceux-ci instruits
des plaisanteries, dont leur coreligionnaire avait été l'objet,
barrèrent le passage à leurs adversaires et les menacèrent
de leurs sabres. Aussitôt il s'engagea une lutte, dans laquelle l'un des
quatre jeunes gens fut gravement blessé, et qui se termina par la fuite
des agresseurs. Ils furent suivis, et l'un d'eux s'étant réfugié
dans la petite boutique d'un certain Netter, les quatre jeunes gens y pénétrèrent.
C'est là que les premiers excès furent commis. Exaspérés
à la vue de la blessure que leur camarade avait reçue, échauffés
par le vin, ces jeunes gens brisèrent un volet et quelques meubles, qui
se trouvaient dans la boutique de Netter.
Les autorités de la commune s'empressèrent de se rendre sur les
lieux et procédèrent à l'arrestation des auteurs de ces
troubles qui furent de suite conduits à la salle de police.
Le lendemain, vers les quatre heures du soir, les gendarmes s'étant présentés
pour transférer des quatre détenus dans les prisons de Colmar,
des groupes se formèrent et stationnèrent sur la place publique.
Bientôt ces groupes se grossirent par l'arrivée de la population
flottante des fabriques et s'élevèrent à près de
huit cents personnes. C'est alors et dans un intervalle de temps extrême
ment court qu'eut lieu l'effraction de la prison et l'évasion des détenus
qui se portèrent immédiatement vers la maison d'un nommé
Blum. La cave fut enfoncée, des distributions de vin furent faites, l'ivresse
s'empara de toutes les têtes, et c'est à sa funeste influence que
l'on doit attribuer les scènes de désordre qui se succédèrent
pendant le reste de la journée du 12 et une partie de la nuit. Mais grâce
à l'arrivée du Procureur du roi et de la troupe stationnée
à Ribeauvillé ainsi que de la Garde nationale qui venait de s'organiser,
l'ordre put enfin être rétabli. Plus de cent cinquante personnes
qui appartenaient en grande partie à la population des fabriques furent
arrêtées.
Toutes les mesures furent prises pour que l'investigation à laquelle
se livraient les autorités produisît d'utiles résultats.
Les portes furent tenues fermées, la ville fut cernée, tant par
la troupe de ligne que par la Garde nationale ; tous les transports furent interceptés
ou rendus impossibles, et plus de deux cents visites domiciliaires furent faites
pendant tout le temps que dura cet état de siège, et enfin la
plus grande partie des objets enlevés et retrouvés fut transporté
à la maison communale.
Israël-Gabriel Sée et douze autres Israélites de Bergheim
réclamèrent une somme de 169.960 francs, plus le double de la
valeur des objets enlevés.
La commune de Bergheim fut condamnée, en première et en deuxième
instance, à payer les dommages et intérêts et les frais
du procès (Isr. Wochenschrift, 1907, No 1 ss.).
Mais, si l'on fait abstraction de ces quelques phénomènes de discussion entre la population chrétienne et juive, phénomènes, en réalité, d'une importance secondaire, on peut dire, en général, que les Juifs du comté de Ribeaupierre ont toujours joui d'une situation favorable tant au point de vue politique qu'au point de vue économique et social.
Aussi n'est-il pas étonnant que des Israélites de Ribeauvillé
et de Bergheim ont été les premiers parmi leurs coreligionnaires
de France à profiter des bienfaits de 1'Emancipation.
Je me contenterai de citer à l'appui quelques membres
de la famille Sée si avantageusement connue dans les Lettres, les
Sciences et les Arts de notre pays.
Samuel Sée, né en 1775 et décédé
à Ribeauvillé en 1862, était un bienfaiteur à l'égard
de tous ses concitoyens sans distinction de culte. Il consacra des sommes considérables
non seulement à des institutions juives et à des synagogues, mais
même à des églises, par exemple à celle de Housen,
et à ses obsèques prirent part toutes les notabilités catholiques,
protestantes et israélites de Ribeauvillé et des environs.
Léopold Sée, né à Bergheim, le
5 mai 1822, mort à Paris, le 17 mars 1904, était général
de division, membre du Consistoire Central et grand-officier de la légion
d'honneur.
Marc-Daniel Sée, né à Ribeauvillé,
le 11 février 1827, était professeur à la Faculté
et membre de l'Académie de médecine.
Julien Sée, historien, bibliothécaire et collaborateur de Jean
Macé à la bibliothèque de la Ligue colmarienne de l'enseignement.
Germain Sée, membre de l'Académie de médecine, commandeur
de la légion d'honneur, à qui l'on doit tant de travaux remarquables.
Camille Sée, ancien député, conseiller
d'État, officier de la légion d'honneur, auteur de la loi Camille
Sée, loi qui a créé les lycées de jeunes filles
en France, et qui a été si appréciée par les principaux
pédagogues ou hommes d'Etat des divers pays.
Et n'oublions pas, enfin, dans un tout autre ordre d'idées, il est vrai,
la fameuse Rosel Sée de Bergheim, cette jeune fille
de dix-huit ans, qui se laissa arrêter, en 1793, pour sauver son père
et qui traînée, poignets liés, devant le tribunal révolutionnaire
de Strasbourg, confondit ses accusateurs et fut acquittée et acclamée
par le Tribunal qui rendit l'arrêté suivant :
"Considérant qu'il importe que la piété filiale de
la pétitionnaire à l'égard de son père et son
dévouement généreux pour lui conserver sa liberté
en s'offrant elle-même prisonnière soient connus du public comme
un exemple digne d'éloges.
"Le tribunal ordonne que le présent jugement soit traduit dans
les deux langues et envoyé à toutes les municipalités du
département.
"Fait à Strasbourg, le 7 nivôse de l'an II de la. République
française une et indivisible." (Souvenir et Science, III,
10 et suiv. — M. Bloch, L'Alsace juive depuis la Révolution
de 1789 p. 30 .et suiv.).
Tous ces faits prouvent, Mesdames et Messieurs, combien avait raison l'ancien
archiviste de Colmar, Xavier Mossmann, d'écrire à la fin de son
Etude sur l'histoire des Juifs à Colmar : "L'assimilation se fait
lentement, mais sûrement, et le succès démontre combien
il est vrai de dire que quand il s'agit de résister à de vieux
préjugés, de réparer des injustices séculaires,
la loi ne risque rien de prendre les devants sur l'opinion et les moeurs."
Non, les hommes de la Grande Révolution française n'ont rien risqué
d'accorder l'égalité des droits aux Juifs, bien au contraire,
ils ont rendu par là un service inappréciable à la France
et à l'humanité toute entière.
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