SAINT LOUIS
La Communauté Israélite de Saint-Louis, son origine, son extension, son avenir
par le Grand Rabbin Edmond SCHWOB

Texte de la plaquette éditée lors de l'inauguration de la maison communautaire israélite
de St Louis (Haut-Rhin) le 20 octobre 1963

synagogueDe tous temps depuis l’époque romaine, des Juifs vécurent en Alsace. Vers la fin du Moyen Age ils furent expulsés des diverses villes où ils exerçaient les seules professions qui leur étaient ouvertes. Le judaïsme alsacien devint alors artificiellement rural. Cette situation allait lentement mais sûrement disparaître, du jour où l’Assemblée Nationale, en 1791, accorda la citoyenneté française aux Juifs. Inexorablement les vieilles communautés vil­lageoises allaient perdre une jeunesse que rien n’attachait à la terre, et que tout portait vers des carrières dont les débouchés se trouvaient en ville, et même, avec le développement des communications, dans les plus grandes cités. Certes, les phénomènes du dépeuplement des campagnes et du déclassement des centres urbains locaux ont affecté l’ensemble de la société; mais il était dans la nature de la situation faite aux Juifs, qu’ils soient les plus portés par ce mouvement inéluctable. A l’heure actuelle en Alsace, les Israélites sont presque tous concentrés dans les localités les plus importantes de la région.

L’histoire de la Communauté Israélite de Saint-Louis reflète les données fondamentales de celle du judaïsme alsacien. Cependant, tout au long du 19ème siècle, Saint-Louis n’était encore qu’une bourgade secondaire dont on ne soupçonnait pas le brillant essor ultérieur. Les Israélites ne commencèrent à s’y installer qu’au début de ce siècle. Ils fréquentaient alors la Synagogue de Hunin­gue. Une communauté fut organisée sur place en 1906 ; les noms des fondateurs figurent en première page du journal communau­taire. L’année suivante la Synagogue fut construite et le siège rabbinique transféré de Hégenheim à Saint-Louis. Le titulaire en était le Docteur Salomon Schuler qui resta en fonction jusqu’à sa mort en septembre 1938. Durant les quarante années de son pastorat, il avait été un maître soucieux de l’éducation religieuse des jeunes, et avait toujours éprouvé une joie intime dans l’enseignement quotidien de la Torah, Il était respecté dans les cercles les plus larges : à ses obsèques, la synagogue était comble, malgré les graves menaces de guerre.

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Le Rabbin Schuler n’a pas connu la terrible catastrophe. Il s’est éteint au moment où sa communauté, sans cesse grandissante, avait atteint l’apogée de son développement. L’accroissement de la population juive, rapide et constant jusqu’en 1914, avait repris de plus bel après la réintégration. La synagogue réunissait un grand nombre de familles originaires de plus de vingt-cinq villages alsaciens différents, en tête desquels vient numériquement Hagenthal. Quelques familles arrivèrent d’Europe Orientale entre les deux guerres; quelques autres étaient venues d’Allemagne au temps de l’annexion.

plaquetteNombreuses par contre furent les familles juives allemandes qui se réfugièrent à Saint-Louis quand les nazis prirent le pouvoir Outre-Rhin. Pour accueillir les fugitifs, on mit sur pieds un "Comité pour les Réfugiés". A l’approche des fêtes d’automne 1933, la synagogue s’avéra trop petite, et l’on dut aménager un deuxième lieu de culte à l’école Léon Bourgeois, dans une salle mise à la disposition par la municipalité. On abandonna le projet de construire une maison communautaire, devant l’impérieuse nécessité d’agrandir la synagogue, ce qui fut réalisé en 1934. L’édifice agrandi, tel qu’il se présente encore aujourd’hui, comportait en annexe un oratoire d’hiver ; pendant plusieurs années jusqu’alors, la Communauté s’était réunie pendant la mauvaise saison, dans un local de sa société des jeunes Achvah.

Malgré les limites mises à l’établissement des nouveaux venus le long de la frontière, lorsqu’éclata la deuxième guerre mondiale et que la population ludovicienne fut évacuée, la Communauté Israélite de Saint-Louis était devenue l’une des grandes communautés d’Alsace. Monsieur Émile Jacob en était le ministre-officiant vénéré depuis 1910. En sa qualité de secrétaire, il en rédigeait le livre qu’il emporta en exode, et dans lequel il inscrivit brièvement la tragique réalité. Il termina sur ces mots : "Das elsässische Judentum hat oufgehört zu existieren (le judaïsme alsacien a cessé d'exister). Baume les Dames, 1 Sept. 1940. E. Jacob". Mais il se reprit, et, transformant le point final en une virgule, il ajouta: "wird aber mit G’. Hilfe wieder neu aufleben (mais avec l'aide de D.ieu il renaîtra à nouveau) ".

La prophétie de Monsieur Jacob s’est réalisée. Mais lui et son épouse ont péri en déportation. Leurs noms ont été gravés parmi tant d’autres sur un monument érigé au cimetière de Hégenheim à la mémoire des martyrs de la Communauté de Saint-Louis et de ceux des Communautés disparues de Hégenheim, Huningue, Sierentz et Uffheim.

St Louis interieur   St Louis Arche

Après la Libération, quelques familles restèrent établies en leurs lieux de refuge, de sorte que la communauté reconstituée ne comprenait guère plus de la moitié de ses membres. La synagogue avait été détériorée; en attendant qu’elle put tout au moins recevoir les fidèles, une salle fut prêtée par le collège. Mais plus que la réfection matérielle, le gros problème depuis le retour d’exil a été celui des cadres communautaires. Il faut y voir essentiellement la répercussion locale de la crise ouverte dans le judaïsme français par la disparition d’une importante partie de ses guides et fonctionnaires.

St Louis porteCependant la Communauté Israélite de Saint-Louis contient une foi certaine en son avenir. La nouvelle maison communautaire en est le témoignage. Elle est l'oeuvre d’une Commission Administrative qui comprenait Messieurs Marc Ullmann, Sylvain Lévy, Marcel Klein, René Dreyfus et José Kahn, élargie en une Commission de Construction par le concours du Rabbin de Saint-Louis et de Messieurs André Blum et Julien Ullmann. Les fonds proviennent des dommages de guerre et notamment de ceux résultant de l’anéantissement de la Synagogue de Huningue. La ville de Saint-Louis a apporté son concours.

(Lors de la rédaction de cette plaquette) Monsieur Marc Ullmann est le septième président de la Communauté après Messieurs Emile Weill, Léopold Rueff, Martin Meyer, Gustave Rein, aujourd’hui président d’honneur, Léon Lévy et Sylvain Lévy. Monsieur Jacques Weil est vice-président d’honneur. La Commission Administrative réunit actuellement autour de Monsieur Marc Ullmann: Messieurs Roger Rueff, vice-président; René Dreyfus, trésorier; Léon Jacobert, secrétaire; Michel Guttmann, membre. Pour organiser l’inauguration de la maison communautaire, elle a désigné un comité présidé par Monsieur Fernand P. Koch. Celui-ci préside en outre l’Administration des Cimetières de Hégenheim, Hagenthal-le-Haut et Hagenthal-le­Bas, ainsi que le Comité de Bienfaisance de la Communauté. Deux sociétés animent la vie communautaire: une Société Mutuelle des Hommes (‘Hévra Kadisha) et une Société des Dames dont la présidente d’honneur est Madame Sylvain Lévy et la présidente Madame André Blum. Au Rabbinat de Saint-Louis ont été rattachées la plupart de celles qui restent des petites communautés du Haut-Rhin.

On ne peut prévoir ce que les prochaines années réservent à la Communauté Israélite de Saint-Louis. Son essor dépend d’un développement accéléré de la cité. Un souffle de jeunesse passe par la Porte de France : puisse-t-il être long et puissant. Tout aura été matériellement réalisé par le judaïsme ludovicien en vue de lendemains qu’on espère prometteurs.

Photographies et illustrations : © Michel Rothé

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