La rue des Jardins aujourd'hui avec l'ensemble formé par l'ancienne école et la synagogue |
L'ensemble de ces changements, aujourd'hui peu visibles, peut être retracé en croisant les données récoltées sur le terrain et les traces laissées par la communauté, au cours de ses démarches, dans divers fonds d'archives (3).
Les origines de la communauté (4)
Détail d'un rideau d'arche sainte à l'usage des fêtes de Rosh Hashana et Kipour (1925) |
Sur le premier cadastre de Grosbliederstroff, dressé en 1811, la commune possède une petite synagogue, sans doute élevée à la fin du 18ème siècle (voir plan ci-dessus (7)). Elle est accolée à l'arrière de la maison d'un certain Mendel Salomon, "trafiquant", dont la façade donne sur la rue principale du village (actuels 28 et 30, rue de la Liberté). On ne peut apparemment y accéder qu'en traversant cette maison ou en passant par ses jardins ouvrant sur un chemin non habité (actuelle rue des Jardins) (8). Le voisinage d'une exploitation agricole n'est pas non plus sans gêner la tenue des offices.
En 1823, cette synagogue menaçant ruine et étant, en outre, devenue
beaucoup trop petite, le commissaire administratif de la communauté,
Lion
Lambert (9),
sollicite un secours de l'Etat pour l'agrandir. Il renouvelle sa demande en
1827, informant le préfet que la communauté vient d'acquérir
pour 400 f un terrain situé juste à côté (10).
Il ajoute que cette aide ne serait que justice, la communauté ayant participé,
comme l'ensemble du village, à l'achat du presbytère (11).
En 1833, il poursuit ses démarches, sollicitant une aide de l'Etat de
2000 f. La communauté qui compte alors près de 220 fidèles
y serait normalement éligible, mais cette subvention ne pourra lui être
allouée en raison de la faiblesse des crédits disponibles (12).
Entre temps, le don par Mendel Salomon, du reste de son jardin, en bordure immédiate de l'actuelle rue des Jardins (13), a complètement changé la donne, la communauté optant désormais pour une construction nouvelle sur cet emplacement plus agréable. De nouveaux plans sont dressés par l'architecte Schwartz de Sarreguemines, le devis s'élevant à 6 900 f, somme que la communauté est loin de posséder. Outre le terrain et une subvention de la commune de 500 f, elle ne dispose en effet que d'environ 2 700 f (14). Le Consistoire de la Moselle, interrogé par le préfet, juge le projet totalement irréaliste et prône un simple agrandissement de l'ancien édifice, ce à quoi la communauté répond, mesures à l'appui (15), que même agrandie la synagogue resterait trop petite et que, selon l'architecte, les travaux coûteraient aussi cher. Elle parvient à diminuer un peu le coût du projet en reportant à plus tard la construction d'une école et du logement pour l'instituteur (16).
Après deux années d'échanges de courrier entre la communauté, la Préfecture et le Consistoire, l'autorisation de construction de la nouvelle synagogue n'est accordée qu'en 1835, date mentionnée par le "Tableau de 1838", vaste enquête sur l'état des synagogues françaises (17), qui précise qu'elle a été érigée "aux frais de la communauté". Cette source nous précise que la communauté compte un ministre officiant rémunéré 300 f par l'Etat pour 227 fidèles. Ce chiffre inclut visiblement les quelques familles restées à Roulhing, dont la synagogue pourtant toujours en place - et sans doute utilisée - ne semble plus avoir d'existence officielle (18). En 1834, le sous-préfet de Sarreguemines ne reconnaît qu'une seule communauté comptant 174 personnes à Grosblierderstroff et 42 à Roulhing.
Coupe et façade postérieure du 30 rue de la Liberté (1947) montrant l'emplacement de l'ancien bain rituel (archives de la communauté) |
L'ancienne école (archives de la communauté) |
Photographie du pignon ouest de la synagogue avant la guerre montrant l'ancienne porte (archives de la communauté)
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Dès 1836, la communauté parvient à acheter la parcelle de jardin jouxtant la nouvelle synagogue (21) pour y édifier une école avec deux logements pour l'instituteur et le ministre officiant. Revendue depuis la guerre et transformée en logements, cette maison existe toujours. Si le linteau de sa porte est daté 1842, elle n'est curieusement mentionnée dans les augmentations du cadastre qu'en1859, ce décalage pouvant s'expliquer soit par un oubli soit par des travaux menés sur une longue période, faute de crédits. En 1848 et 1867, la communauté rachète également les deux petites parcelles voisines pour agrandir la cour (22). L'ensemble est toujours entouré par un mur percé d'un beau portail.
Jusqu'en 1940, l'édifice semble essentiellement faire l'objet de travaux d'entretien. La première campagne de restauration qui nous soit connue remonte aux années 1869-1870. Les travaux d'un montant de 3 529 f sont exécutés par l'entrepreneur Bart de Sarreguemines, sous la direction de l'architecte Louis Schwartz (23). Ils sont partiellement financés par un secours de l'Etat de 1800 f mais la communauté ne disposant que de 1900 f et la commune refusant de participer, le projet, dont on ignore la teneur, est amputé de la fourniture de nouveaux bancs et du recrépissage des murs (24). Quelques aménagements sont ensuite apportés en 1908 (installation de l'électricité, remplacement de l'ancien lambris par des peintures, pose d'un escalier entre la galerie des dames et le grenier) (25). Une nouvelle opération est enfin conduite en 1933. Suite au nouveau désistement de la commune, les travaux sont limités aux peintures (crépis des murs et châssis des fenêtres). D'un montant d'environ 2000 f, ils sont financés par un secours de l'Etat de 1500 f et une subvention du Consistoire de 500 f (26).
Projet réalisé (1947) : façade principale, côté Sud. On notera le raccourcissement des baies (archives de la communauté) |
La synagogue aujourd'hui, côté Nord |
Les archives de la communauté contiennent plusieurs plans mais aucune description précise des travaux. Elles nous apprennent en revanche que l'en semble a été financé sur dommages de guerre pour un montant de 5 257 812 f et effectué par des entreprises locales.
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Si l'ancienne entrée de la synagogue se trouvait, comme le montre une
photographie ancienne, sur le mur pignon ouest, elle a été déplacée
après la guerre au milieu du mur gouttereau sud. Son linteau porte une
plaque de marbre avec une inscription en hébreu assez courante :
"Voici la porte de l'Eternel, les justes la franchiront" (Psaume
118:20).
Les baies en plein cintre, raccourcies à la même époque, présentent des allèges en béton (28). Celles du logement sont horizontales avec encadrement en béton. A l'intérieur, le vestibule comporte un escalier conduisant à la tribune des femmes qui court sur trois côtés. En bois, cette dernière repose sur deux colonnes en fonte dorée à chapiteaux composites, peut-être en remploi.
Le mobilier (29)
A défaut de photographies, les plans dressés par les architectes au moment de la transformation de la synagogue fournissent quelques informations sur ses dispositions antérieures. L'ancienne aron ha-kodesh ou arche sainte, de style classique, apparaît ainsi schématiquement sur une coupe de la synagogue. En saillie par rapport au mur, elle semble composée d'un soubassement, d'un placard à deux portes encadré par deux colonnes, d'un entablement et d'un fronton triangulaire orné des tables de la Loi, structure évoquant les arches de Sarrebourg, Phalsbourg ou Maizières-lès-Vic. L'ancienne bimah ou tribune de lecture représentée sur le même document, est située juste devant. De plan rectangulaire, elle est desservie par deux volées droites et entourée d'une balustrade finement ouvragée.
Quelques objets, sans doute cachés pendant la guerre, témoignent aussi de cette époque de l'avant-guerre. Les éléments rescapés se résument à deux rideaux d'arches saintes ou parokheth (1866 (30), 1925 (31)), un manteau de Torah très usagé (première moitié 19ème siècle) (32), trois mappoth (1922, 1938, 1940) et quelques lustres (1908) (33).
A l'exception des rares objets cités précédemment, l'ensemble du mobilier date de 1949 ou des années suivantes, 1969 pour l'objet le plus récent.
Le style de l'arche sainte (aron hakodesh), de l'estrade de lecture (bimah), du pupitre de lecture (tebah) ou du grand chandelier (ménorah) est caractéristique de l'époque de la reconstruction, marquée par une grande sobriété. En revanche, les bancs en chêne, payés 450 000 f au menuisier Jacques Wagner d'Ipling en 1949, sont curieusement beaucoup plus archaïques, ressemblant à la production du milieu du siècle précédent. Si la présence d'un croquis d'exécution ne laisse planer aucun doute sur leur datation, ils ont sans doute été réalisés à l'imitation des anciens.
Comme souvent, les meubles ont été fabriqués par des artisans locaux, tandis que les objets nécessaires au culte étaient commandés à des marchands spécialisés, principalement la maison Durlacher, Vve Félix Bloch de Paris (34), qui fournit un sefer Torah des rimonim en argent ciselé (tours garnies de clochettes), un tass avec lions dorés (pectoral ornant les rouleaux), un yad (main de lecture) (35), un jeu de jetons pour l'appel à la Torah ou plaques à mitsvoth, un ornement complet en velours rouge (rideau d'arche sainte ou parokheth, manteau de Torah et nappe de pupitre assortis) (36), un chandelier électrique de Hanouka et une lumière perpétuelle ou ner tamid (37). Tous ces objets sont livrés en 1959 ou 1960, pour la réouverture de la synagogue, à l'exception du dernier en 1956. Plus tard, en 1969, un ornement pour les fêtes de Rosh Ha-Shana et Yom Kippour en satinette blanche, de moindre qualité, est acheté à la librairie hébraïque Tannenbaum de Strasbourg.
Une partie de ces objets est financée grâce à des dons de membres de la communauté, souvent en souvenir d'un parent dis paru dont la mémoire se trouve ainsi honorée.
On finira cette évocation par la mention de quelques bandelettes de Torah ou mappoth (43) comme on en trouve dans la plupart des synagogues du département. Sur toutes figurent les motifs traditionnels des rouleaux de Torah et du dais nuptial en illustration des termes de la bénédiction : "qu'il grandisse pour la Torah, la 'houppah et les bonnes actions". A l'exception de la première, le texte hébreu est complété par une inscription en français donnant le nom civil et la date de naissance de l'enfant. La plus ancienne remonte à 1922, les quatre suivantes (1938, 1940, 1946 et 1948) semblent de la même main. La dernière (1952) se distingue par un dessin beaucoup plus soigné et des motifs particulièrement bucoliques (oiseau sur sa branche, noisette, cerises…).
Détail d'une mappa (1922) |
Détail d'une mappa (1952) |
De qualité plutôt ordinaire, ce mobilier présente l'intérêt d'être très bien documenté grâce au fonds d'archives conservé sur place. Il est en effet plutôt rare de pouvoir dater et attribuer précisément des objets de série. La correspondance avec les fournisseurs - envois de modèles (44), d'échantillons de tissu et de propositions d'inscriptions - est en ce sens particulièrement intéressante, permettant même l'identification d'objets identiques conservés dans d'autres synagogues.
En dépit de ses dégradations et de la disparition de l'arche sainte, on peut imaginer sans peine que l'intérieur de cette synagogue, aux extérieurs fort modestes, devait présenter avec son mobilier une certaine allure. Dissimulée aux regards non avertis par la maison du ministre officiant, elle a miraculeusement échappé aux menées destructrices des nazis, et témoigne par ses dispositions d'une étape dans le long processus d'intégration des juifs à la société française. On ne peut qu'espérer qu'une réaffectation prochaine lui permette de continuer à braver le temps, souvenir d'une communauté ayant partagé la vie du village pendant plus de trois siècles.
Synagogue précédente |
Synagogue suivante |