L'idée de Laure Weil, c'était de créer un foyer citadin, pour les jeunes filles juives dispersées dans les campagnes d'Alsace et de Lorraine où vivaient de petites minorités familiales juives.
Après des débuts que d'autres pourront vous conter, car je n'y suis venue qu'en 1923, bien après la première guerre mondiale, j'y ai rencontré notre grande amie, à la fleur de l'âge, qui régnait sur une maisonnée de 60 jeunes dont elle s'occupait avec son équipe très réduite, mais si homogène et qui se complétait surtout si admirablement. Pas de faille avec Irène Weill ex-Schwab, qui telle une fée organisait la maison et veillait au bien-être de tous. Dieu seul sait le nombre d'heures qu'elle passait, penchée sur son minuscule secrétaire de la grande salle d'étude, quand elle ne trottait pas en ville ou montait à pied, car cette maison n'avait pas d'ascenseur, d'innombrables fois les innombrables escaliers à travers les dédales des paliers de cette vieille demeure, tandis que dans le petit Erker - le coin contigu à la salle à manger -, Fanny Schwab corrigeait des devoirs, écrivait des lettres, surveillait des carnets scolaires et peinait sur la mise en place des écolières, des apprenties, des travailleuses et des rares étudiantes, construisant notre bibliothèque et suivant nos sorties, nos vacances, nos loisirs, nos mouvements de jeunes et nos salaires d'employées.
Laure Weil, au premier étage de la maison qu'elle avait louée d'une propriétaire-amie, meublée et installée avec des fournisseurs qui devinrent ses amis, conservait une minuscule parcelle de charmante vie personnelle.
Les pensionnaires que nous étions alors s'étaient transplantées de Forbach, de Sierentz, de Mommenheim, de Hochfelden, de Sélestat, d'Ingwiller, d'Altkirch et de nombreuses autres petites localités, comme moi qui venais de Grussenheim. Laure Weil nous connaissait, chacune. Souvent nous étions des boursières à la charge entière ou partielle du Home à une époque où il n'y avait pas d'organisations sociales pour constituer des bourses.
Avec une adorable bonté et une irrésistible simplicité
elle savait créer notre vie commune, tout en témoignant sa sollicitude
maternelle à chacune, en particulier.
Ainsi, lorsque je me suis liée avec le jeune homme qui devint mon mari,
Laure Weil le connaissait aussi et s'entretenait avec lui, comme l'aurait
fait ma mère si celle-ci avait été sur place.
Sa pédagogie était intuitive et active, de même son sens social était spontané, élevé et toujours positif. Elle qui n'avait pas été une étudiante en sociologie ou en psychologie, ni une fonctionnaire rompue aux chiffres et aux statistiques, elle a abordé chaque problème social de base :
le métier pour les filles,Le Home était le centre de ses activités sociales qu'elle déployait aussi bien en dehors que dans la maison.
le logement pour la famille,
la chambre claire et meublée pour l'étudiante,
la détente pour la mère de famille.
Lorsqu'arrivèrent en Alsace les premiers jeunes réfugiés du régime hitlérien, elle accueillait des adolescentes au Home. Lorsque je me suis mariée et que j'avais des loisirs, elle m'encourageait à m'associer à l'action de secours apportée aux nombreuses victimes du nazisme qui déferlaient sur Strasbourg. Après les terribles nuits de cristal en 1938, elle m'a poussée ainsi que d'autres à entreprendre le placement des enfants dans les familles, comme nous l'avons vu faire récemment pour les enfants d'Algérie. Elleplaçait des lits supplémentaires dans les dortoirs et les chambres pour recevoir au Home même, le plus grand nombre possible de jeunes réfugiées enseignant ainsi à ses pensionnaires les principes de l'altruisme et de la participation personnelle à l'aide du prochain.
Les Périgourdins la virent évoluer lors de l'évacuation
vers la Dordogne. Cette femme de 65 ans qu'elle était alors, se
dépensait sans compter pour les jeunes, les vieux, les malades, pour
l'ensemble de la population juive évacuée.
Les pérégrinations des années de guerre sont un chapitre
à part. Laure Weil n'a pas arrêté un seul instant de travailler,
d'espérer, de croire en la victoire de la vraie France, de lutter pour
conserver les juifs, jeunes et vieux. Elle parlementait pour ramasser des
fonds, pour mieux nourrir, pour mieux cacher, pour sauver. Je suis allée
souvent, aux heures de nuit et de jour, au 31, rue St-Front à Périgueux,
ce foyer qui fut aussi celui de Fanny Schwab. Beaucoup d'autres y venaient
comme moi, avec nos chagrins, moi avec ceux des groupes que j'avais visités
et je trouvais toujours un remède, un espoir, de l'argent; du vestiaire,
soit à la rue St-Front, soit à la rue Thiers, au bureau des
OEuvres d'Aide Sociale Israélites. Laure Weil allait, venait, faisant
et défaisant des paquets, entre Trélissac, Bergerac et St-Astier,
des Orphelinats repliés de Strasbourg et de Haguenau, aux Hospices
des Personnes âgées.
Son médecin qui fut son ami, le docteur Joseph
Weill dont elle a tant apprécié la culture de l'esprit et
du coeur, pourrait vous dire la philosophie indestructiblement créatrice
de cette artiste de la vie.
J'ai essayé de vous décrire, en quelques phrases, Laure Weil
avec sa pensée agissante. Construire la maison, créer le cadre
de vie, nourrir les corps et laisser s'épanouir la personnalité
des êtres, de centaines de jeunes filles, de femmes qui étaient
des étrangères pour elle et qui devinrent ses égales,
auxquelles elle vouait un ceeur généreux, un esprit avide de
justice et de progrès social, telle fut l'action immense et variée
de cette femme extraordinaire.
Andrée
SALOMON née Sulzer