"Gott zuvaor un dir drnoch sei mirs mochel"
" ראשונה אלקים ואחריו אתה אנא מחול לי"
- "D'abord Dieu, et après lui, veuille me pardonner"
Prière traditionnelle dite en Alsace au cours de l'enterrement d'un père
ou d'une mère (Arthur Zivy Elsasser Yidish).
Dans la tradition des juifs ashkénazes de la vallée du Rhin (Minhag Reinuss)
à laquelle appartient la tradition alsacienne (Minhag Elsass), il
existe une tradition connue sous le nom de "Mehile Braje"
("prière du pardon"), cérémonie durant laquelle on chausse un chausson
au pied droit du mort (selon une autre tradition, on touche le doigt de pied
du défunt) et on lui demande pardon.
Dans le cadre de nos recherches sur les traditions alsaciennes, nous allons
essayer de comprendre le fondement ainsi que les raisons de cette tradition.
Je voudrai remercier le Rav B.S. Hamburger qui m'a fourni les données nécessaires
pour mes recherches en lui souhaitant la bénédiction "כי
בי ירבו ימך ויוסיפו לך שנות חיים" 'C'est grâce à moi que se muliplieront
tes jours et que te sront ajoutés des années de vie" (Proverbes
9:11).
La Tahara et le linceul
Selon la tradition ashkénaze, la Tahara (purification du corps du décédé faite par la Hevra Kadisha) est soumise à des règles strictes datant du moyen âge (voir l'article du rabbin Edgard Weill). Parmi les nombreuses règles fixées par nos maîtres, nous citerons celles concernant l'habillage du mort avant sa mise en bière. Ces règles sont fondées sur la tradition transmise de générations en générations jusqu'à nos jours.
Selon le Maharil (Rabbi Jacob ben Moche Halevi de Mayence, 1365-1427) et le Rokeah (Rabbi Eliezer de Worms, 1160-1230), le décédé est habillé des habits suivants: un chapeau (appelé מצנפת), un pantalon, une chemise, un manteau de lin (en yiddish deutsch: Sargueness), une ceinture, un col et une paire de chaussons courts (voir le livre : Traditions de la communauté juive ashkénaze d'Amsterdam de Rabbi Yehouda Brileman). C'est l'habillage du chausson au pied droit du décédé qui fait l'objet de notre étude.
Les statuts de la Hevra Kadisha “Fonds de bienveillance“ de Frankfort sur le Main
Les traditions alsaciennes sont très proches de celles qui ont cours à Frankfort
et qui se fondent sur les traditions fixées par le Maharil. Les traditions
concernant l'enterrement sont décrites dans une brochure publiée en 1890.
Deux articles des statuts concernent notre étude : Article
21 : " Si le décédé était membre de la Hevra Kadisha, la tradition
est de lui demander pardon avant que l'on fasse la toilette du mort (טהרה).
Le vétéran d'entre les membres de la Hevra tiendra l'extrémité du pied du
défunt (fusspize), prononcera la prière de convenance et on libère
le défunt de son appartenance à la confrérie".
Article 22 : " L'habillement : On demande aux enfants
mâles du défunt de lui mettre le chausson au pied droit et on les encourage
à demander pardon au défunt".
D'après les statuts il y a deux stades : Le premier :
si le mort faisait partie de la confrérie, avant de faire sa toilette, le
doyen de la Hevra Kadisha tient le doigt de pied du défunt et demande pardon
au nom des membres de l'association.
Le second : après avoir mis le linceul, on demande aux fils du défunt de mettre
le chausson au pied du défunt et de lui demander pardon (Me'hilo).
Un défunt non membre de la Hevra n'a pas droit au premier stade.
Le Me'hilo Praien ou le Mehile Braje (prière de demande de pardon)
La demande de pardon du mort est faite par la Hevra Kadisha et par les fils
(et non les filles) du défunt.
Dans le livre de Samuel Blach Judische Braeuche aus dem ehemaligen Kurhessen
il est écrit : Après que le défunt ait été posé
dans son cercueil (donc après l'habillage du mort), on demande pardon (Mehilo
Praien). Dans un premier temps le doyen de la Hevra Kadisha (contrairement
à la tradition citée ci-dessus où seul le membre de la Hevra a droit à la
Me'hilo Praien) récite cette prière standard :
Lieber ich prai dich Mechilo Hann ich dir was zu leid getan So sei mirs Mochel Mir zuvor Gott darnor |
Cher Untel fils d'Untel je te demande Me'hilo si je t'ai porté préjudice Pardonne moi s'il te plaît Au départ tu es à moi et après à Dieu |
Selon Blach, si la personne décédée était membre de la Hevra, on ajoutera: "Kindig dir auch die Kippe and der Chewro" ("Tu es libéré, ainsi que la kippa (!!), de toute association").
Avant la mise en bière dans la maison du défunt on fait la cérémonie dite "Mehilo Praien" des proches du décédé dans laquelle le plus proche parent chausse au pied du mort un chausson en déclarant "Sei mir mochel wenn ich dir was Boeses getan han" (Pardonne-moi si je t'ai offensé).
Il y aurait donc trois demandes différentes (et non plus deux comme à Frankfort)
:
• Celle faite par la Hevra à un décédé non membre de la confrérie, avec la
formule "standard", dite au cimetière
• Celle faite par la Hevra à un décédé membre de la confrérie, avec le rajout,
dite au cimetière
• Celle faite par le fils (avec habillage de chausson) dite avant l'enterrement.
Cas spéciaux :
Dans le livre Makom Chenahaguenou, sur les traditions de la ville de Barhaffen, le rabbin Uri Chraga Rosenstein traite des cas spéciaux : Après avoir compris le "comment" de la tradition, avec ses nuances
locales, nous avons essayé de comprendre le "pourquoi" de celle-ci.
En partant de l'idée que toute tradition a ses raisons, j'ai cherché celles
du Mehhile Braje.
Le grand spécialiste des coutumes ashkénazes, Rav Hamburger,
suite à ma demande de bien vouloir me diriger sur la question du pourquoi
de cette tradition m'a répondu, qu'à sa connaissance aucun décisionnaire ne
l'a justifiée.
Si c'est le cas, pourquoi et sur quelles base la tradition ashkénaze s'est-elle
permis de créer ex nihilo cette tradition qui a force de loi, alors
qu'il n'y a pas de "lacune" dans la loi ?
On peut donc définir la Mehile Braje comme une tradition ancestrale faisant partie des multitudes de traditions transmises de générations en générations sans avoir de base halakhique mais ayant force de loi.
Pour ne pas rester sur notre faim, nous allons essayer de trouver des éléments
qui nous permettrons de réfléchir sur la raison de cette tradition (cette
explication n'engage que l'auteur de cette étude) .
Nous avons vu que la "Mehile Breje" fait partie de la טהרה
(purification), que le fils du mort tient le gros orteil de son défunt père
en lui demandant pardon avant de coiffer le mort d'une Mitsnefeth
(chapeau), pièce d’habit parallèle au chapeau du grand prêtre (appelé lui
aussi Mitsnefeth).
Dans le chapitre 14 du Lévitique (section Metzora) il est
écrit à propos de la purification du lépreux guéri : "Le
pontife prendra du sang de ce délictif, il en mettra sur le lobe de l'oreille
droite de celui qui se purifie, sur le pouce de sa main droite et sur l'orteil
de son pied droit" (traduction de Rav Saadia Gaon). Nous sommes
en présence d'éléments communs à la purification du lépreux et au sujet de
notre travail.
Rabbi Isaac Karo explique (Toledoth Itzhak sur le
Lévitique) que l'orteil droit fait allusion au l'adage : "soit
circonspect dans ta démarche quand tu te rends dans la maison de Dieu"
(Ecclésiaste 4:17). La lèpre est une punition pour celui qui
a fauté contre la société, et son éloignement de la société, ainsi que le
fait qu'il doit se raser tout le corps (y compris ses sourcils) est une étape
nécessaire que le fauteur doit franchir (humiliation) pour réintégrer le peuple
après un long éloignement de cette même société contre laquelle il a péché.
Ce pécheur (considéré comme "mort vivant" selon Hizkiya
ben Manoah, connu comme le Hizkouni, France début du treizième siècle)
devient par l'acte du "retour sur soi même" l'égal du grand prêtre.
La personne décédée, comme le lépreux, après avoir rempli son rôle dans ce
monde, demande par l'intermédiaire de son fils (les prêtres dans le lévitique)
le "pardon" (Mehile) pour pouvoir se présenter devant Dieu
aussi pur que le grand prêtre après le service de Kippour.