Tiré-à-part de LESHONENOU,
publication de
l'Académie de la Langue Hébraïque
Jérusalem 1987.
(les syllabes soulignées indiquent l'accent tonique)
Si vous ne parvenez pas à voir les lettres hébraïques,
vous devez installer sur votre ordinateur des polices en hébreu,
par exemple à partir du site http://members.aol.com/jakuboweb/
Il me semble nécessaire de commencer par reconnaître que je m'aventure
dans un domaine qui n'est pas le mien, en venant vous parler du dialecte judéo-alsacien.
Pendant mon enfance je n'ai entendu dans cette langue que des expressions
intraduisibles en français, en particulier des termes de caractère
juif -- comme 'halèmot ('hol ha-mo'ed)
ou teshebof (tish'a be-av), même certains
dont l'origine n'était pas hébraïque mais allemande, comme
kertz (bougie de havdala) ou pseyé
(c.a.d. besehen, vérifier que des légumes sont exempts
de vermine), le tout sur fond de français normal. J'ai néanmoins
considéré comme un devoir sacré de dresser une stèle
commémorative à ce parler savoureux et si spécifiquement
juif, qui était la langue maternelle de mes deux grands-pères
enfants de villages d'Alsace. Ils étudièrent tous deux la médecine,
mais descendaient de gens simples, dont la fidélité à
la Tora d'Israël était toute la vie, fidélité qui
s'exprimait entre autre à travers leur langue particulière.
Comme dans toutes les communautés juives de la Diaspora, ou presque
toutes, les juifs des villages d'Alsace utilisèrent pendant des siècles
un dialecte fondé sur l'allemand tel qu'on le parlait dans leur région,
mais considérablement modifié, principalement par l'introduction
de nombreux termes hébraïques. Il n'y a pas grande ressemblance
entre ce dialecte et ce que l'on a coutume d'appeler "yiddish",
d'abord parce que la langue de base en était le dialecte de l'Allemagne
du sud-ouest et deuxièmement parce qu'il s'est constamment développé
au sein d'une population germanophone, et non slave, comme ce fut le cas pour
le yiddish habituel.
Le judéo-alsacien est proche de la langue que l'on parlait parmi les
juifs du sud de l'Allemagne (Bavière, Westphalie, etc.) et parmi les
juifs de Hollande. Il se distingue également sur certains points de
la langue de la population ambiante. Non seulement au niveau du lexique, mais
aussi de la phonétique. Exemple : quand en allemand on répond
"oui", on dit "ya" et en alsacien "yo",
alors que les juifs de là-bas répondent "you",
etc. Cela dit, l'essentiel des modifications consiste en l'incorporation dans
ce parler de nombreux termes hébraïques. Ajoutons qu'au cours
des derniers siècles, alors que l'Alsace était durablement annexée
à la France (à partir du 17ème siècle),
un grand nombre de termes d'origine française sont entrés dans
le langage général et de façon particulièrement
frappante dans le dialecte juif local. Ils s'ajoutèrent aux mots analogues
inclus de longue date dans le parler des juifs, peut-être directement
à partir du latin, comme oré
(1) (prier), chormé (2) (prononcer un charme,
sur une blessure, par exemple), bensché (3)
(bénir), laïé (4) (lire), shaleth
(5) (tourte), beltsel (6) (servante), trop
(7) (les signes de cantilation de la Tora), fount
(8) (enfant), me'hilé praïé
(9) (demander pardon) et, semble-t-il bien, également minish
(10) (nourriture ne comportant ni élément carné ni élément
lacté) dont l'origine n'est pas claire .
Les suivants, par contre, appartiennent certainement à une époque
plus tardive : mauschef
de Bayonne (11) (mauvaise marchandise), blétta
ésse (12) (manger des tickets, c.a.d. manger grâce aux
billets de charité distribués aux pauvres), schmuës-beriendès
(13) (vaines paroles), parrespé (14) (sauf
votre respect), godel rosh petit
chapeau (15) (éléments désassortis), et pour finir
: tous les 'haswesholem sont possibles (16)
(tout risque n'est pas exclu).
Encore une remarque: le judéo-alsacien, pratiquement, est une langue
non-écrite. Comme dans tous les dialectes analogues, la langue écrite
était généralement l'hébreu. Mais, même
quand on l'écrivait, la façon d'écrire les phonèmes
hébraïques ne relevait pas de leur prononciation courante, mais
correspondait à la langue sacrée telle qu'on l'apprenait. De
sorte que l'on trouve chez les transcripteurs en langue étrangère,
même cultivés, des différences appréciables entre
la transcription d'un mot par l'un et celle du même mot par un autre
; au point de les rendre méconnaissables. Même chez le même
auteur, la rigueur linguistique peut vaciller au point qu'un terme (Tsour
et 'Hour, rois de Madian, Nombres 31:8, vocalisés par erreur
Tsor et 'Hor) apparaît dans une même liste (17) comme Tsor
Ferhor et comme Soch Verhoch, dans le sens
d'une "foule de gens de peu". Il est difficile, bien sûr,
pour le lecteur extérieur, de comprendre quelle est la version exacte.
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