En 1891, trois jeunes rabbins alsaciens, tous nés dans la même année : (1865) sortirent de l'École du pieux et célèbre Rabbi Hildesheimer et furent nommés en Alsace : Joseph Zivi à Wintzenheim (Haut-Rhin), Ernest Weill à Fegersheim et Armand Bloch à, Soultz-sous-Forêts. Tous les trois imprégnés des principes de ce grand Maître et prêts à faire leur la devise de cette École : "Dans toutes les voies pense à Lui, et Il aplanira Ta route" (Proverbes 6:3).
La population juive à la campagne était encore nombreuse à cette époque et le champ d'action ouvert à un jeune rabbin pouvait donner satisfaction à son idéalisme professionnel. Tous les trois, des personnalités marquantes, quoique différentes de tempérament et de caractère, ont répondu à tous les espoirs qu'on pouvait mettre en eux. Dès leur entrée dans la carrière, ils ont imprimé au judaïsme alsacien un caractère plus prononcé. Ils s'intéressaient à la jeunesse, donnaient un éclat plus brillant aux études hébraïques et spécialement rabbiniques.
Joseph Zivi nous a quittés en 1935 à l'âge de 70 ans, Ernest Weill est mort par suite d'un accident à Aix-lesBains en 1945, âgé de 82 ans, et le dernier, Armand Bloch, vient de s'éteindre après une maladie de quelques mois, jeudi 20 mars ayant encore pu fêter son 87ème anniversaire (le 1er Adar) entouré de ses enfants.
Armand Bloch est né le 27 février 1865 à Strasbourg où
son père (R. David Bloch) était professeur de Talmud privé.
Son grand-père, R. Moïse
Bloch, connu sous le nom de 'Hokhom (le Sage) d'Uttenheim, avait été
rabbin dans ce petit village près de Benfeld. Notre regretté ami
avait donc de qui tenir. Il fréquentait d'abord l'école élémentaire
juive de Strasbourg, et de 1877 à 1886, le Gymnase Protestant. En même
temps, son père initia le garçon extrêmement doué,
dès son jeune âge, aux études talmudiques. Encore élève,
il obtint de son professeur Euting la permission de suivre ses cours sur les
inscriptions phéniciennes qu'il donna à l'Université. Cette
matière l'intéressait tellement qu'il en fit plus tard la thèse
de son doctorat : "Neue Beiträge zu einem Glossar der phönizischen
Inschriften", thèse qu'il présenta en 1890 à la
Faculté de Leipzig. Ce petit ouvrage dépassait en qualité
de loin une thèse ordinaire et figure en bonne place comme source du
phénicien dans les dictionnaires hébreux et des autres langues
sémitiques. Il menait de front ses études universitaires et théologiques
au Séminaire, où enseignaient à côté d'Israël
Hildesheimer, son fils Hirsch, Berliner et Barth.
Pendant la guerre, après un court séjour à Nice, il s'exila à Alger où il groupa autour de lui une petite communauté de réfugiés. Après la guerre, il s'agissait pour lui de réorganiser sa communauté et de restaurer la synagogue endommagée et profanée. Il lui a été donné de présider encore à sa réinauguration solennelle.
Comme rabbin et aumônier il a rempli son devoir. Mais Armand Bloch possédait les facultés d'étendre son activité au delà des synagogues et des écoles de sa circonscription rabbinique: il était un des fondateurs, et ensuite le président de l'Association des Rabbins d'Alsace et, de Lorraine. Comme tel, il a eu une influence prépondérante sur les affaires religieuses et administratives du judaïsme de nos départements. Nous voudrions ici répéter quelques paroles que nous avons prononcées en face de son cercueil, dans la salle où nous l'avons si souvent entendu discuter des passages talmudiques les plus difficiles : "Depuis 1902, Armand Bloch a présidé aux destinées de notre corporation. Comme secrétaire de l'Association pendant la même période, je pouvais mieux que quiconque apprécier ses services rendus et admirer le dévouement avec lequel notre ami a su diriger nos séances et a voulu veiller aux intérêts du rabbinat et à celui de nos communautés." Attaché de toutes les forces de son âme au judaïsme traditionnel, il était un gardien zélé de son honneur, il se montrait jaloux de son bon renom, vigilant défenseur de ses pratiques."
La Caisse des Veuves et des Orphelins des Rabbins, elle aussi, avait en Armand Bloch pendant de longues années son président de facto, sa cheville ouvrière, le président de jure étant un membre du Consistoire.Lorsqu'en 1910, nous avons créé la revue hebdomadaire Das Jüdische Blatt qui parut jusqu'à la guerre de 1914, Armand Bloch était parmi ses fondateurs et un de ses plus zélés collaborateurs. Enfant de Strasbourg, il a publié une série d'articles sur la vie de sa communauté juive (Aus dem Strassburger Gemeindeleben - 2ème année, à partir du N° 3). Les oeuvres charitables, les unes après les autres,. sont passées en revue.
Nous ne pouvons pas oublier ce qu'il nous a donné dans nos réunions amicales (appelées par nous asséphoth) où nous nous penchions chaque mois sur les pages du Talmud pour entendre de sa bouche les explications qui étaient celles d'un vrai Talmid-'Hakham (Disciple des Sages).
Pour arracher à l'oubli cette belle habitude, il me parait utile de donner ici son histoire : c'était vers 1900 que les rabbins Salomon Bamberger, de Cernay, Arthur Cohn, de Bâle, Samuel Schueler, de Bollwiller et Dr. Z. Wolff, de Colmar ont invité leurs amis et collègues plus jeunes à Colmar, à des réunions régulières qui eurent. lieu. dans l'École Rabbinique, au boulevard Saint-Pierre N° 4. Des sujets talmudiques furent traités alternativement par les participants. L'École de Colmar ayant été dissoute en 1898, ses conférences cessèrent pendant. quelques années, Elles furent reprises vers 1910 sur l'initiative d'Ernest Weill, à Strasbourg. Lorsqu'en 1919 Ernest Weill, devenu grand rabbin de Colmar ne trouvait plus le temps de faire les voyages réguliers à Strasbourg, c'est Armand Bloch qui le remplaça. Depuis le retour de l'exil, ces réunions eurent lieu dans sa maison à Saverne ; sa maladie survenue l'année passée, nous a privés de cet enseignement de maître. Le petit nombre de rabbins survivants regretterait amèrement, si avec lui, cette belle coutume devait disparaître. Car ce n'était pas seulement une occasion d'étudier le Talmud mais aussi de nous entretenir de questions d'actualité et de connaître les vues de ceux qui devinrent ainsi nos "maîtres".
Armand Bloch était aussi un patriote ardent et le gouvernement lui a décerné en juillet 1931 le grade de chevalier de la Légion d'honneur, couronnement d'une vie passée au service de la Patrie et de la Religion.
Cette vie si riche en activité et en dévouement d'un bon rabbin est parvenue à son terme : zkhouto yaguen aleinou (son mérite nous protégera).
Que son mérite soit une consolation pour les siens, un appui et un stimulant pour nous tous.