Ceci naurait en soi rien dextraordinaire, car nombreuses sont les oeuvres de ce genre que lon appelle "hilouké de rabanan". Les auteurs de lEurope centrale ou orientale nous en ont laissé des bibliothèques entières. Ce qui est rare par contre, cest de trouver des ouvrages de ce genre composés par des rabbins dAlsace. Or, la Bibliothèque Universitaire de Strasbourg possède des manuscrits du 18e ou du début du 19e siècle, qui prouvent que nos anciens navaient pas moins de connaissances que leurs homologues de Pologne ou de Russie. Ils utilisaient les mêmes méthodes, parlaient le même langage. Des maîtres célèbres venaient parfois du fin fond de lEurope pour y enseigner, et les étudiants dAlsace ou de la région rhénane partaient étudier auprès des grands savants dAllemagne ou même dans les Yechivoth dAlsace comme Bouxwiller, Ettendorf ou Sierentz.
Mais si ces manuscrits, ne sont souvent que des notes prises auprès des "lumières" rabbiniques comme Rabbi Jonathan Eibeschutz et le Chaagath Arié de Metz, ou Rabbi Tebelé David Scheuer de Mayence, cest parce que les rabbins étaient trop pauvres pour faire éditer leurs ouvrages.
Il en était ainsi de lauteur du Yismah-Moshé, rabbin Moïse Bloch, plus connu sous le nom du 'Hokhem dUttene, un personnage dont chaque Juif dAlsace connaissait au moins le nom. Sa pierre tombale, dune hauteur exceptionnelle et le texte élogieux au possible dans le cimetière de Koenigshoffen, témoignent du respect et de la vénération dont il était entouré. Cest par cette matzéva que lon savait que Moïse Bloch avait écrit un livre : le Yismah-Moshé.
Ses descendants ont retrouvé le manuscrit, déposé, il y a un siècle, à la bibliothèque du Séminaire Israélite de Paris par le rabbin Lehman de Belfort, parent de lauteur. Merci à tous ceux qui ont permis de faire revivre leur aïeul par leur persévérance afin que, lorsquon lira son oeuvre, ses lèvres remuent dans sa tombe.
Uttenheim ou plutôt selon la prononciation locale Uttene est un petit village situé non loin dErstein. En 1784 on y trouve 28 familles juives, totalisant 132 âmes. Parmi ces familles figurent celle de David Bloch et de son épouse Madel Zandig. Ils ont alors deux enfants, Loëw (ou Leib) et Reitz. En 1789, naîtra Makdel (ou Madel) et, le 29 août 1790, un fils, Moyse, le futur hokhem.
Entre cette dernière date et la prise de noms patronymiques des Juifs en 1808, la mère de Moyse, est morte. Makdel devient Madeleine, Reitz deviendra Rachel. quant à Leib il est, en 1808 marié et père de famille.
Moyse Bloch eut comme professeur le rabbin de Westhoffen, Abraham Isaac Lunteschutz (1), originaire de Romanswiller, où il séjournait encore avec sa famille en 1784.
Vers 1820, Moyse sinstalla à Strasbourg avec sa femme, Madeleine Goldschmidt, dont les parents habitaient la capitale alsacienne. Madel Goldschmidt (à partir de 1808 Madeleine Goldschmidt) était issue dune famille rabbinique célèbre en Alsace (2). Son grand-père était Samuel Goldschmidt, anciennement Samuel Moyse habitant à Rosheim. Son arrière grand-père était le rabbin Tzwi Hirsch Lévy Schoplich, qui avait été enseignant à Brisach. Le fils de Samuel, Anchel (Aser Goldschmidt) deviendra le beau-père de Moïse Bloch.
Cest à Strasbourg que le jeune rabbin exerça son activité jusquen 1868, date de son décès. Cest là aussi que lui vint le surnom de Hokhem de Uttene, qui marquait à la fois son érudition et laffection quon lui témoignait. Il nétait pas rabbin officiel, mais un enseignant prestigieux de Talmud et de Halakha pour des élèves qui venaient étudier dans sa yeshiva, probablement une pièce de son appartement, situé rue de Hannong ou rue Sainte Hélène, et qui servait aussi doratoire.
Beaucoup de ses élèves deviendront rabbins et certains dentre eux poursuivront leurs études à lécole rabbinique de Metz, transférée à Paris dans la deuxième moitié du 19è siècle. Le plus connu dentre eux sera Zadoc Kahn, futur grand rabbin de Paris, puis grand rabbin de France au moment de lAffaire Dreyfus.
Bien que la communauté de Strasbourg, sous la pression de certains de ses notables, cherchât à moderniser le culte, dans la synagogue de la rue Sainte Hélène, Moïse Bloch se sépara jamais de la collectivité. Cependant, il refusa toujours un poste rabbinique officiel.
Limposant monument funéraire que lon érigea sur sa tombe à Koenigshoffen, et son épitaphe évoquent à la fois le maître, le savant, et lhomme bon et affable proche de D. et proche des hommes. A coté de sa pierre tombale, une stèle identique rappelle combien Matel Sarah bath Anchel a été sa digne épouse, pieuse, généreuse, affable et hospitalière. Elle est décédée en 1879.
Petit fils du Sage dUttenheim, Armand Bloch,(1865-1952) fut le premier rabbin de cette famille à occuper un poste officiel dans des communautés. Lorsque vers 1890, les Allemands refusèrent de nommer à des postes concordataires les élèves issus du Séminaire rabbinique de Paris, les trois consistoires décidèrent douvrir une école rabbinique pour les départements du Rhin. Une école préparatoire fut installée à Colmar. De là, les élèves devaient poursuivre leurs études rabbiniques et universitaires à Strasbourg. Mais lécole de Colmar ne fonctionna que quelques années. Les candidats au rabbinat durent faire leurs études à Berlin ou à Breslau.
Armand Bloch, avec ses camarades Ernest Weill et Zivy furent les premiers à choisir le séminaire orthodoxe créé à Berlin par Azriel Hildesheimer. Ils furent suivis par plus dune vingtaine de jeunes alsaciens qui, pour la plupart, occupèrent des postes dans leur province dorigine.
Armand Bloch fut rabbin à Soultz sous Forêts, puis à Obernai et, enfin, à Saverne. Il fut le doyen du cops rabbinique alsacien jusquà sa mort, en 1952. Certains parmi ses descendants continuèrent la tradition familiale, en France ou en Israël.
Jai voulu, à travers le Sage dUttenheim, rendre hommage à toutes ces générations de rabbins qui ont oeuvré dans notre province avec une modestie qui navait dégale que leur érudition, et dont le souvenir ne devrait pas disparaître.