Deuxième fils d’une famille de cinq enfants, Siegmund Friedemann est né le 3 avril 1902, dans la petite ville de Altstadt-Hachenburg, en Allemagne,à une époque où la vie juive y était encore florissante.
Agé de quinze ans, stimulé par son goût pour la liturgie et la vocation de l’enseignement, le jeune homme quitta la maison familiale afin de poursuivre à l’Ecole Normale (Bildungsseminar für judische Lehrer) de Hanovre], une formation d’instituteur, ‘hazan (ministre officiant), sho’heth (boucher rituel) et professeur d’instruction religieuse.
Après six années d’études, terminées brillamment malgré les vicissitudes du temps, il est nommé à Camberg, petite communauté proche de sa ville natale, puis, un peu plus tard, à Wallau, dans la région de Wiesbaden. La crise économique au lendemain de la guerre, l’inflation galopante ne devaient pas contribuer à stabiliser matériellement la situation du jeune ‘hazan en début de carrière… Pour la petite histoire et la couleur locale : les salaires d’alors, subvenant à peine aux besoins quotidiens, la sche’hita (abattage rituel) et les leçons d'instruction religieuse se verront plus d’une fois rémunérées en nature, en kilos de viande ou de farine !
En 1926, Siegmund Friedemann est engagé par la Communauté de Merzig en Sarre, dont le souvenir restera toujours cher à son coeur. C’est là qu’il rencontre Herta Kahn, jeune fille d’une grande finesse, sa future épouse qui allait le seconder, désormais, dans tous les domaines de la vie communautaire. Quatre ans plus tard, il s’établit à Sarrebrück, où il exerça les fonctions de Kantor et de professeur d’instruction religieuse. Période faste du point de vue professionnel et de grand enrichissement spirituel, mais qui ne se prolongea guère, malheureusement. Avec la montée du nazisme, les choses devaient prendre la tournure que l’on sait. Durant ces années troubles, le rabbin de Sarrebrück, le Docteur Rulf, réussit pourtant à fonder une école primaire juive pour les 200 enfants de la communauté; il demanda à son jeune collègue d’y enseigner à plein temps, en plus des occupations régulières de sa charge.
Survint le plébiscite et le retour du territoire de la Sarre à l’Allemagne; beaucoup de Juifs décidèrent d’émigrer… L’avenir s’annonçait des plus sombres. Siegmund Friedemann, chargé de famille, se retrouva sans travail, en France, en butte à toutes les difficultés que cette situation ne pouvait manquer de créer. Et ce, jusqu’en octobre 1936, où il entre au service de la communauté de Saverne qui l’accueille avec beaucoup de chaleur. Parmi d’autres relations forgées au sein de cette communauté, il se lie d’amitié avec son pieux et érudit rabbin Armand Bloch, un maître auprès de qui il aura le privilège d’approfondir son savoir.
La déclaration de guerre marque le début d’une tragédie irréversible pour les Juifs d’Europe … Ironie du sort, si on peut parler, ici, d’ironie : Siegmund Friedemann, persécuté comme juif par l’Allemagne, sera considéré comme allemand par sa patrie d’accueil ! Double origine, évidemment impossible à nier, et dont il ne fut d’ailleurs pas seul à subir les contrecoups. Interné par les autorités françaises, il ne lui restait qu’une issue : s’engager comme "volontaire" dans la Légion étrangère et partir pour l’Algérie, en mars 1940… Démobilisé un an plus tard, il se fixe provisoirement à Lyon où il n’aura point de cesse que sa femme, installée alors en zone occupée, vienne le rejoindre avec ses trois enfants.
La situation devenant de plus en plus précaire, il fallut quitter Lyon au printemps 1943. La famille Friedemann se réfugia en Savoie, dans la région de Megève. Elle y vécut, tant bien que mal, jusqu’à la fin 1944. Durant cette période, fertile en "péripéties" de toutes sortes, son chef fera preuve, plus d’une fois, d’un sang-froid remarquable, grâce auquel sa femme et ses fils lui doivent d’avoir survécu.
Le danger devait finir par s’estomper : quelque temps avant l’armistice et la défaite de l’Allemagne, Siegmund Friedemann sera engagé par la communauté de Vichy, composée en grande partie de Juifs alsaciens et lorrains qui n’avaient qu’une hâte retourner chez eux, une fois la tourmente passée. Le regretté Rabbin Max Gugenheim en était, alors, le guide spirituel. Il fallait maintenant s’adapter à une existence nouvelle, celle de l’après-Shoah, panser ses blessures, tenter de retrouver une stabilité dans des institutions communautaires dont la "reconstruction" était le principal souci, bref, redonner sa pleine mesure …
Au début de 1962, le titre de ‘Haver lui avait été décerné par le Grand Rabbin de France, Jacob Kaplan, le Grand Rabbin Schilli, directeur du Séminaire, et le Grand Rabbin de la Moselle, Robert Dreyfus. Et ce, en reconnaissance d’une carrière exemplaire consacrée au service de Dieu, du judaïsme et de la communauté.
Homme de sincérité, de sensibilité autant que de convictions, Siegmund Friedemann considérait la prière comme l’expression d’une ferveur à laquelle l’harmonie du chant et la perfection esthétique devaient apporter un soutien sans faille. Si ses compositeurs préférés dans le domaine de la liturgie furent les plus tradionnellement connus, et parmi d’autres, Lewandowski, Naumburg, Sulzer, il composa lui-même de nombreux morceaux de ‘hazanouth, dont, des Shevah Bera’hoth (bénédictions nuptiales) d’une grande beauté. Ses lectures de la Torah, soigneusement préparées, étaient ce qu’elles devaient être: exemptes de toute inexactitude.
Il fut un Officiant dans le plein sens du terme, mais aussi un Educateur. Un maître pour ses fils - qui firent tous trois carrière dans différentes branches de l’éducation - comme pour les nombreux jeunes qui lui furent confiés. Il avait une prédilection pour les activités pédagogiques et nombreux sont ses anciens élèves qui évoquèrent et évoquent encore, affectueusement, le sérieux et l’efficacité des cours qu’il dispensait.
Au lendemain de la guerre, tout était à repenser et à refaire, et en particulier des structures nouvelles pour un judaïsme saigné à blanc. Un éditorial du Bulletin de nos Communautés du 24 mai 1946, portant comme titre "S.O.S", avait abordé le problème de "la pénurie de ‘hazanim" qui risquait de compromettre l’avenir de la communauté juive en gestation. Dans le numéro suivant du Bulletin, Siegmund Friedemann avait apporté ses suggestions… Il mettait notamment l’accent sur les améliorations à apporter au statut matériel de la profession; sur l’image de marque que devait avoir le ministre du culte auprès de ses ouailles et du monde ambiant; mais aussi sur l’étude, sur l’urgence d’une formation spirituelle et pédagogique approfondie, dans les domaines religieux e profane… "Qu’on le sache, écrivait-il, un bon Lerner n’est pas toujours un bon Lehrer" ("un bon étudiant n'est pas toujours un bon enseignant") . Une formule qui, on n’en sera pas surpris, n’a rien perdu de son actualité…
Le poète aveugle Raymond Netter, en mars 1947, rendra à Siegmund Friedeman un hommage particulier, à l’occasion du 25e anniversaire de son entrée en fonction. Témoignage d’affection et d’admiration qui illustre, peut-être plus que tout autre, les qualités de cœur et d’esprit exceptionnelles de celui qui l’avait inspiré :
"En souvenir et en reconnaissance à mon cher professeur de Lyon, qui m’apporta dans mon exil, la force de sa riche science et la lumière de son enthousiasme pour le culte de notre Dieu, je lui dédie les vers que voici" ….
Immer mehr wird mir bewusst, Was Du, Edler, mir gegeben. Hast zur Krönung meinem Leben Wohl die Krone selbst gebracht. Hast in meine dunkle Nacht, Die mir doppelt aufgebürdet Während des Exiles war, Sterne, wunderbare Sterne, Und die Sonne selbst gebracht Wenn ich heut’ in lichter Nacht Unserm Herrgott Schirim juble, Leuchtend sprüht’s mir auf im Geist Keiner weiss, was es im Finstern Gottes sel’ges Jubeln heisst, Der dies Wunder nicht erlebt hat. Wenn ich “L’choh dôdi” singe Oder “Haschem Molo’h Gêus lowêsch“ Wie die heilige Opferflamme Liebend vor den Vater bringe Und im Segen fast vergeh’ Inninglich mit Riemens Feste Vor dem heil’gen Schöpfer steh’ Und am Jubel mich berausche. Wenn ich unserer heil’gen Thora Ihrem Aus- und Eingang lausche, In die wundertiefe Lade, Die der Welt Geheimnis birgt, Denk’ich dankend meines Grossen Lehrers Friedemann zu Lyon Der mir aus der Welt des Leuchtens Seiner schönen , tiefen Welt, Seiner strahlenden Begeisterung Leuchtend Licht in mich gesenkt. Dass sein Schüler an ihn denkt. Treu und dankbar ewiglich, Sei’en die Zeilen ihm ein Zeichen. Lass’ o lass’ den gold’nen Palmzweig Dir von Dichters Händen reichen, Der Du Dich und deinem Wissen, Reichem Wissen nur zum Ruhme Priesterlich im Heiligtume Deines Lebens dich bewegst Und die Krone Gotte Segens In dem überreichen Lohne Weihevollen Heimes trägst. Segen Dir und Deiner Gattin, |
En traduction libre et prosaïque : Noble âme ! Je conserverai éternellement le souvenir des bienfaits dont tu m ‘as gratifié. Tu as parsemé de merveilleuses étoiles ma nuit d’exil, deux fois verrouillée. Si aujourd’hui, enivré des louanges inspirées d'une clarté nouvelle, j’exalte le Seigneur et je chante sa gloire, si je prête l’oreille à la voix de la Torah où se cachent les secrets et les miracles de l‘univers, c‘est à toi, mon maître Friedemann de Lyon que je le dois, toi qui as su me faire partager la profondeur de ton enthousiasme pour la lumière. Que ces vers soient le témoignage des pensées fidèles que je te voue depuis. Que cette couronne de lauriers tressée par le poète vienne t‘auréoler, toi et ta famille, et ta science, si riche parce que créée pour célébrer le Créateur.
Une page du Cahier de Hazanouth de Siegmund Friedemann |