Né en 1870 à Westhouse (Bas-Rhin), à une vingtaine de km au sud de Strasbourg, Justin est le quinzième enfant (sur 21) de Mardoché Schuhl, marchand de biens à Westhouse, et le fils de la troisième épouse de celui-ci, Jeannette, née Hintel Weyl.
Le couple descend de familles ancrées là depuis plusieurs
générations, et d'ancêtres qui furent, au cours du
18ème siècle, syndics, parness, de leur communauté
: David Weyl du côté paternel, Leiser Weyl et Koppel Dreyfus de son acendance maternelle.
L'arrière grand-père "Moÿses" (Mauschen) Schuhl
(1738-1809) y était colporteur, instituteur et mohel (circonciseur).
Son nom de Schuhl, attesté au moins depuis les années 1720,
lui vient de son père, Isaac, qui fit transformer sa grange en synagogue,
schul.
En 1770, Moyses Schuhl épouse Pessel (Bösel), fille d'Isaac Weyl, préposé seigneurial. Ils ont sept enfants, dont six figurent sur le recensement de 1784. Parmi eux, Abraham (1779-1861) qui, après quelques ennuis de patente professionnelle à la suite du "décret infâme" de 1808, s'unit à Thérèse Heimendinger, fille d'un marchand de chevaux de Grussenheim, Haut-Rhin.
Mardoché Schuhl (1819-1901), le plus jeune de leurs cinq enfants connus, de colporteur devient marchand de biens, avec ferme et char à bancs tiré par un cheval blanc, le "Schimmele". Mardoché et sa troisième épouse Jeannette Weyl (1838-1902), fille de Leiser Weyl, marchand de cuir, et de Madelaine Dreyfus, petite fille de Koppel Jacob Dreyfus, préposé, auront dix enfants qui s'ajoutent aux onze précédents...
Le petit Justin va, comme ses frères, suivre les classes primaires du collège protestant de Matzenheim, de bonne renommée, puis, c'est le Lycée de Strasbourg. Le jeune homme se décide à suivre la formation de l'Ecole rabbinique à Paris de 1894 à à 1900 - vocation tardive. Parmi ses condisciples, citons :
Rabbin et instituteur à l'école de l'Alliance Israélite Universelle à Alger de 1901 à 1903 (où il la dirige même quelque temps, durant l'absence du directeur Moïse Nahon), le rabbin Justin Schuhl s'efforce d'enseigner l'histoire juive aux jeunes apprenties. Il ne réussit pas du tout à s'adapter au milieu ambiant et retourne en France métropolitaine.
Il est alors élu rabbin de Vesoul, grâce à l'autorité
de son frère aîné, le grand
rabbin Moïse Schuhl, ancien rabbin de la circonscription et dont
le siège consistorial a été transféré à
Epinal en 1896. C'est durant ces cinq années (1903-1908) passées
à Vesoul que Justin Schuhl rencontre et épouse Camille Samuel,
fille du président de la commission administrative, et tante du futur
résistant Raymond Aubrac.
Celui-ci trace un portrait sympathique de son oncle Justin :
personnage jovial, libéral, érudit et chaleureux
(cf. Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, p. 16-17 et
45-46).
Après avoir été quelques mois titulaire du siège de Nîmes (1908), il se rend enfin compte qu'il n'est pas fait pour être rabbin de communauté. Il trouve sa véritable voie en devenant aumônier militaire en 1914. En 1915, Justin Schuhl est aussi professeur à l'Ecole horticole et professionnelle de garçons du Plessis-Piquet, dans la banlieue parisienne.
Appelé à accompagner les troupes au combat, il s'illustre pendant la première guerre mondiale et reçoit la Croix de Guerre en juin 1918. Citation officielle : "aumônier d'un dévouement inlassable, fait preuve de beaucoup de zèle et de courage en se rendant fréquemment dans toutes les unités du C.A., jusqu'aux premières lignes, pour l'exercice de son ministère". Le rabbin Schuhl sera nommé chevalier de la Légion d'Honneur en 1920, officier en 1950.
Il stationne auprès de l'armée d'occupation française en Rhénanie jusqu'aux années trente. Nommé, à partir de 1934, aumônier militaire pour les trois départements concordataires, il se rend fréquemment dans les forts de la Ligne Maginot, qu'il aimera faire visiter lorsque la paix sera revenue. Avant d'être évacué en 1939, il participe activement à la mise en lieu sûr des rouleaux de la Torah des synagogues d'Alsace, face à l'invasion des armées nazies.
De retour au pays après avoir trouvé refuge à Limoges et à Périgueux pendant l'Occupation, l'aumônier Schuhl devient une personnalité populaire du Strasbourg de l'après-guerre. Passionné de généalogie, amateur de bons mots, alité mais toujours animé d'un patriotisme cocardier, c'est le calot sur la tête qu'il reçoit ses visiteurs dans les dernières années de sa longue vie.
Eliane Roos Schuhl, sa petite-nièce.
JUSTIN
SCHUHL est né en pleine guerre de 1870, à Westhouse, dans le
Bas-Rhin. Il suivit la même vocation que son
frère aîné, Moïse, grand rabbin d'Epinal et auteur
du recueil des Sentences
et proverbes du Talmud, qui fut publié en 1877. Après
des études secondaires au collège de Matzenheim et au Gymnase
protestant de Strasbourg, il entra à l'école rabbinique de la
rue Vauquelin, où il fut l'élève, pour la littérature
française, d'Albert Cahen (Il y fut le condisciple du grand
rabbin Isaïe Schwartz, auquel le lia une profonde amitié.).
C'était l'époque de l'affaire
Dreyfus : il fréquenta à ce moment la boutique des Cahiers
de la Quinzaine, dirigés par Charles Péguy.
En sortant du séminaire, il fit son service dans les zouaves, en Algérie, et il fut ensuite aumônier de l'Ecole agricole du Plessis-Piquet, aux environs de Paris. Il épousa Mademoiselle Camille Samuel, de Dijon, et fut nommé rabbin de Nîmes, puis aumônier militaire.
Pendant la guerre de 1914-1918, il se signala par son courage, dont témoigne l'anecdote suivante. Un jour, un officier de l'unité à laquelle il était affecté le vit debout, en dehors de la tranchée, immobile sous le bombardement (sans doute disait-il la prière d'Amida) : "Que faites-vous donc là, Monsieur l'Aumônier, et pourquoi ne vous abritez-vous pas ? Attendez-vous le Messie ?" A quoi il répondit avec calme, comme si les obus ne pleuvaient pas : "Mon Commandant, le dirais plutôt l'ère messianique. Nous préférons en général cette expression à l'autre aujourd'hui."
Après 1918, il fut plusieurs années en résidence à Mayence, en Allemagne occupée, avant de regagner Strasbourg, au moment de l'évacuation de la Rhénanie.
En 1940, après avoir préparé le repli des objets du culte vers la Dordogne, il se réfugia dans la banlieue de Toulouse, chez un jardinier alsacien, puis revint à Strasbourg où il resta en fonctions jusqu'à un âge très avancé. Il s'entendait fort bien avec les aumôniers des deux autres cultes. Par sa participation à de nombreuses cérémonies du Souvenir, par son éloquence patriotique et par sa bonhomie, il devint une figure très populaire en Alsace. Il reçut, il y a quelques années, la rosette d'Officier de la Légion d'honneur, et assista encore, au milieu de la vénération générale, à l'inauguration de la Synagogue de la Paix à Strasbourg. Sa bibliothèque avait été prise par les Allemands, mais il obtint des services de la Récupération la restitution d'un certain nombre d'ouvrages fondamentaux : "Un rabbin qui n'étudie pas le Talmud n'est pas un rabbin", me disait-il.
Il eut le grand chagrin de perdre sa femme il y a quatre ans. Une fracture du col du fémur l'empêcha dès lors de sortir, mais il subit ces épreuves avec une grande sérénité, et nombreux étaient ceux qui venaient le voir pour trouver auprès de lui du réconfort. Il garda jusqu'au dernier moment une entière lucidité d'esprit et une admirable mémoire, qui lui permettaient de relater avec une extrême précision les faits les plus lointains ; mais en même temps il s'intéressait très vivement au présent et à l'avenir. Il témoignait à tous ceux qui venaient le voir la plus grande sollicitude et était très sensible aux témoignages de déférente sympathie qui venaient à lui de toutes parts, en toute occasion, notamment au moment de son anniversaire et de différentes solennités religieuses. Jusqu'à la fin sa maison resta très accueillante à tous, et sa conversation, agréable et bienveillante. Il faisait preuve d'une très grande largeur d'esprit qui faisait beaucoup rechercher ses conseils. Très respectueux des prescriptions traditionnelles, il se montrait pourtant très indulgent pour les vétilles : "Dieu est si grand", me disait-il.
Le 6 novembre 1964, à l'occasion de son 94° anniversaire, le journal
Unir écrivait :
"Le souriant patriarche... est l'incarnation même des valeurs humaines
les plus nobles. On voudrait que chacun sache mesurer l'exceptionnel privilège
et la merveilleuse bénédiction donnés à une communauté
de pouvoir honorer une personnalité aussi riche en années et
en mérite."
Et l'article terminait en évoquant sa "vivacité d'esprit",
l'intérêt vivant qu'il portait à tous les aspects de l'existence,
et sa sollicitude pour le sort de chaque être humain.
Je l'avais vu en juillet 1965, toujours aussi plein de sérénité,
aussi désireux de ne jamais attrister ses interlocuteurs, de souligner
tout ce qu'il y a dans la vie d'exaltant, de tonique et de noble. Quand il
fut enlevé, le 12 août 1965, par une crise d'urémie, le
journal Les Dernières
Nouvelles d'Alsace lui rendit cet hommage :
"Impossible d'imaginer un homme plus modeste, plus affable et plus humain.
Sa bonté proverbiale, son indulgence, la douceur de son sourire faisaient
de lui un personnage de légende... C'est un sage qui disparaît
en la personne de Justin Schuhl."