Osias Wallach est né à Sanck en Galicie. Dans son enfance,
le rabbin de cette ville était Meir Shapiro, fondateur par la suite
de la Yeshivah des Lublin et du Daf Yomi. Je crois qu'il
y a étudié et qu'il est venu à Strasbourg vers 1935-1936,
pour devenir étudiant à la Faculté des Lettres. Il demeurait
alors dans un des foyers universitaires. Pour gagner - maigrement - sa vie,
il donnait des cours privés de Talmud, et c'est ainsi que mon frère
et moi sommes devenus ses élèves ; il se rendait chez nous et
que allions chez lui.
Bien entendu, il a quitté Strasbourg en 1939. Il est devenu élève
de l'Ecole Rabbinique à Paris, où il a terminé son cursus
en 1942. Il est ensuite venu à Limoges et il a habité un certain temps chez nous (au pair : cours de Guemara
contre le logis etc.…). Peu de temps après, il a épousé
Alice Lewin, fille de Berthold Lewin, et, par sa mère, petite-fille
du rabbin Armand Bloch. A
Limoges, il a été à l'origine de l'ELEJ, Etude Libre
des Etudes Juives, qui organisait des conférences et il a publiée
des traductions de textes et des essais, sans doute jusque fin 1943 - début
1944. Il a enseigné également au PSIL.
Puis il a réussi à passer en Suisse, où il a résidé
dans un camp de réfugiés.
Après la guerre il s'est installé à Paris avec son épouse
(ils n'ont pas eu d'enfants). Il a enseigné au Séminaire et dans
divers endroits. Il est mort à l'âge de 28 ans d'une leucémie.
Depuis, malgré la richesse de sa personnalité et de son enseignement,
il a été oublié.
APPEL A TEMOIGNAGES
Nous sommes à la recherche d'éléments biographiques et de photographies concernant le Rabbin Wallach.
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Il n'est pas permis d'écrire sur la mort du Rabbin Wallach une notice
nécrologique ordinaire. La mémoire du défunt en serait
lésée. Son dernier article que Yechouroun espère avoir
la possibilité de publier bientôt dans son bulletin, est une ultime
protestation contre le nivellement de la pensée originale. Il ne faut
pas disserter : il faut créer pour faire preuve de l'esprit. ou du moins,
si l'on n'est pas encore à ce stade, qu'on transmette brute la matière
d'étude par une traduction aride. Le commentaire, qui cherche à
toute force à ranger le génie clans les catégories du vulgaire,
proscrit la réflexion féconde et tue l'art.
Pourtant loin de lui la pensée d'autoriser une spontanéité
hasardeuse. A la base l'étude, l'étude approfondie, sérieuse,
engagée, universelle. Une fois. la tête bourrée de savoir,
vient l'heure où doit éclore l'ouvrage. Ce programme fut le sien.
Doué d'une culture universitaire sans lacune, quand il vint au Séminaire,
replié à Vichy. L'élève est sur bien des points
supérieur à ses maîtres. Déjà, il donne plus
qu'il ne reçoit, car il s'alimente à ses propres sources.
A Limoges, il conquiert l'opinion publique, malgré l'aspect rébarbatif
de tout enseignement volontairement d'élite. Dans des salles de fortune,
sa parole attire jeunes et vieux, tous ceux qui veulent s'élever par
la connaissance. Les enfants même, s'ils ne suivent pas tout, aiment baigner
dans cette atmosphère de science vraie et de foi dépouillée.
Du reste, le maître, pour supérieur qu'il soit, est humain : il
rit, fait rire et fait penser. Le sujet importe peu : Sidra, Grammaire,
Talmud, il est prêt à offrir toute nourriture, pourvu qu'on ne
lui demande pas de l'affadir. Ses élèves les plus proches, au
Petit Séminaire, qu'il déconcerte un peu, se sentent enrichis
au sortir de ses leçons. Ils entrevoient le visage de la Science, de
cette Science que le judaïsme compte comme le plus précieux des
biens.
Mais lui ne se laisse pas dérober par son enseignement. Sa maturité de jugement lui conseille de sauvegarder pour les générations une part de son message. Pour les générations, ou plutôt pour lui-même : ce qui revient au même, avec plus de sincérité dans l'expression. Et clans la solitude de son bureau, ou un livre à la main sous les arbres de la roule de Naugeat, il se livre à. la méditation qui se prolongera auprès de la feuille de papier couverte d'une écriture minutieuse et stylisée. Ainsi prennent naissance les Midrachim choisis, légèrement annotés qui viendront illustrer chaque semaine la Sidra, dans tous les foyers juifs de la zone sud. Puis, de temps en temps, comme un couronnement, ces essais fulgurants d'intelligence, où la vérité est fouillée jusqu'au roc, sans craintes des pensées neuves et fortes. Qui ne se rappelle (je cite da mémoire) le Miracle des Lumières, Le Judaïsme et l'Art, Les Fêtes, et plus près de nous, son étude sur Ruth, et ses cahiers Yabné où il combinait les deux méthodes : chaque fois un aspect nouveau et triomphant d'une réalité mille fois côtoyée et méconnue apparaissait comme par magie. Le style, haché, audacieux, cruel, dénudé qu'il employait, faisait crier au solécisme ceux qui ne savent que répéter ce qui a déjà été dit. Car lui faisait de chacun de ses mots une création. C'est avec impatience que nous attendons la parution de ses autres œuvres poétiques et dramatiques, qui, jointes au bagage déjà édité çà et là, devront former un monument vivace pour la renaissance de la pensée juive, qu'il souhaitait et qu'il a pu sentir approcher. Une biographie de l'homme, ou mieux: un instantané de l'homme, quelques extraits d'une correspondance toujours ornée et personnelle, compléteront cette édition que l'honneur des Juifs de France impose de mener à bien sur-le-champ et dans une forme impeccable.
Il était si profond et si riche que nul, même parmi ses plus proches,
ne peut se flatter de l'avoir connu tout entier. Ses réactions dans les
circonstances les plus diverses, sous la terreur hitlérienne, dans les
camps de Suisse, toujours empreintes d'humanité et de sagesse, recherchant
toujours le noyau du judaïsme, ne laissaient pas de dérouter la
routine. Nous sommes d'autant plus à plaindre de l'avoir perdu si prématurément,
qu'il avait encore mille trésors à nous livrer. Mais soyons sûrs.
qu'une œuvre si lourde ne périra pas. Wallach survivra dans nos
cœurs, et, lorsque nous ne serons plus, dans l'esprit de plusieurs siècles
de judaïsme.
A nous de veiller à ce qu'aucune négligence ne vienne étouffer
son message fécondant. P. K.
Nous assistons indéniablement à une dévaluation du judaïsme en France. Point n'est nécessaire d'accumuler des preuves. Un coup d'œil rapide sur les publications de jeunes et le fait s'impose avec toute son accablante certitude.
Il n'entre pas dans mort dessein de rechercher ici les causes de cette dévaluation. Aussi paradoxal que cela puisse paraître à première vue, une des causes les plus facilement décelables en est la propagation même du judaïsme par les mouvements de jeunesse les plus actifs et les plus ardents. Entendons-nous : la propagation d'un judaïsme adapté aux facultés d'un public moyen a fini par triompher sur la nécessité de former une élite par des écrits plus approfondis. Les Mouvements de jeunes sont devenus des sortes d'Uniprix pour l'enseignement, des foires intellectuelles.
Les "Cours par Correspondance Yechouroun" avec ce qu'ils comportent de positif contenaient dès le début les germes de cette dévaluation. Trop de résumés, trop de facilités, trop de catéchismes, trop d'uniformité. Présenter aux jeunes des doctrines toutes faites a certes son utilité. Mais ceux qui voient la problématique du judaïsme à l'intérieur même de sa doctrine considèrent comme un devoir de l'offrir à la méditation sous sa forme dynamique laissant les conclusions se détacher comme le parfum de la fleur, grâce à une participation plus ou moins efficiente du lecteur et dans la mesure de sa sensibilité esthétique et religieuse.
Et c'est de la somme de ces interprétations comme des points de repère que se composera la ligne claire du judaïsme de demain ; décanté et ramené à sa pureté premières, que "la couronne sera remise à sa place ancienne".
Je conçois fort bien le malaise que fait naître dans certains esprits le terme "évolution" ou "devenir". Nous avons connu trop "d'entrepreneurs de démolitions" pour nous permettre de jouer avec des mots ambigus. Cependant la Thora, tout comme la création, se renouvelle sans cesse à la fois dans la conscience divine et la nôtre ; en dépit de ses limites définies elle est une doctrine en marche. Le meilleur service que l'on rend à un texte sacré est de lui laisser son action intrinsèque, qui est la résultante de sa valeur intellectuelle, morale et esthétique, action que l'interprétation souvent émousse.
Ne vous est-il point arrivé après étude d'une belle page de prophètes, après avoir péniblement labouré le texte de tous les commentaires possibles, de vous dire : "très bien, maintenant, je veux voir ce que dit le prophète", et de constater que boire à la source est autrement plus rafraîchissant que de boire dans un verre.
Nos meilleurs commentateurs n'échappent pas au reproche d'avoir serré les textes dans le cadre étroit de leur pensée. Ainsi donc nos textes, au cours des siècles, se sont-ils enrichis de commentaires qui ne sont pas toujours des zones de lumière. Que ce processus fût conditionné par la nature même de la doctrine, nul ne le conteste. Il est hors de doute que l'exégèse était et demeure un puissant véhicule de progrès à l'intérieur même de la stabilité doctrinale. C'est grâce à l'exégèse que l'évolution continue par l'effort de ces "bâtisseurs" dont les interprétations, elles aussi d'après le Midrasch ont été prononcées au Sinaï, évolution imperceptible, c'est vrai, s'effectuant toujours autour d'un axe solide, l'immuable parole de la Bible.
Mais si l'on veut provoquer un renouveau, force nous est de relâcher un peu les cordes. Pour créer, il faut plonger d'abord dans le chaos des éléments. Or il s'agit non pas d'indiquer le chemin de flèches rouges, de le jalonner de bornes peintes aux couleurs trop voyantes, mais de le faire deviner, de le faire redécouvrir. De mettre le judaïsme à la portée des jeunes non point comme un catéchisme relié, mais dans son stade ultime qui précède sa formation définitive, afin de leur permettre de refaire la dernière étape par leurs propres moyens.
Que cette méthode présente des avantages psychologiques, personne ne le contestera. Il faut que l'homme, réveillé à la raison, et qui par la force des choses a trop souvent tendance à exagérer la valeur de son raisonnement, ait le sentiment de repenser le judaïsme par lui-même.
Or nous avons trop tôt pris l'habitude de nous servir de la pensée des autres. Notre soif de citations est un des vices contractés au cours des siècles et délicieusement conservé jusqu'à nos jours. Mais très souvent à force de regarder les arbres, on oublie la forêt. Mahral de Prague se plaint dans une de ses lettres que les gens aient pris l'habitude d'initier les enfants aux commentaires avant de leur faire connaître les textes.
Je n'ignore pas l'entêtement de chez nous pour les préjugés séculaires. Il existe de ces fausses méthodes qui ont l'intransigeance d'un dogme. Les mêmes personnes qui se plaignent de l'aridité des textes "sans commentaires" s'accommodent bien avec Bergson et Valéry. Il est vrai que pour Maïmonide elles réclament un commentaire : cela fait partie du préjugé. N'aurions-nous pas le droit de solliciter le même effort pour nos textes sacrés que l'on accorde sans discussion aux auteurs modernes ? C'est de cette manière que l'étude devient un moyen efficace d'éducation.
Et puis, ce serait une grave erreur que de perdre de vue des considérations d'ordre affectif et esthétique. L'analyse décompose irrémédiablement la beauté. S'il est vrai que l'esthétique est une étape dans l'évolution religieuse de l'humanité, il .convient de ne point négliger son action sur les esprits et sur les cœurs. La morale juive s'impose non seulement par son fondement et son austérité, mais encore par sa beauté. On n'insiste pas assez sur ce point. On ne se sert pas assez de cet instrument.
L'étude du judaïsme est un engagement à longue haleine. Certes, il y a lieu de se féliciter de l'essor qu'a pris cette étude en France. Mais de grâce, renonçons aux plats préparés à l'avance. Essayons de recréer nous-mêmes, de ne pas nous servir de clefs pour résoudre tous les problèmes. Retournons aux sources. La source est identique à elle-même, immuable et toujours nouvelle. Si nous voulons un renouveau du judaïsme dans les limites de la tradition, il ne nous reste que ce chemin. La dévaluation du judaïsme ne sera conjurée que par la concentration de nos moyens.
Le Rabbin Osi Wallach.
Article d'Osias Wallach sur notre site :
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