Ce film a été réalisé lors de la guerre du Golfe en 1991. Le grand rabbin Warschawski avait été invité à participer au colloque de la Société d'Histoire des Israélites d'Alsace et de Lorraine pour parler du P.S.I.L., mais il s'était refusé à quitter Israël à l'heure du danger. C'est pourquoi cette cassette vidéo a été filmée, et elle a été projetée pendant le colloque en lieu et place du conférencier.
Le PSIL est une école qui a existé environ entre 1942 et 1945. Il devait en principe préparer des élèves à achever leurs études secondaires et à devenir ensuite des élèves au Séminaire israélite de France, l’Ecole rabbinique de Paris.
Il est donc important, avant de vous parler du PSIL, de vous faire un court historique de l’Ecole rabbinique, sont but, le recrutement de ses élèves, et ce qui a amené au cours de la dernière guerre l’ouverture à Limoges d’une école préparatoire.
En 1829, les communautés juives français, sous l’égide du Consistoire central, ont décidé de transformer la yeshiva de Metz en une yeshiva centrale, ou une Ecole centrale rabbinique de France.
Deux ans plus tard, lorsque la loi française a assimilé le judaïsme aux religions chrétiennes, et que les cultes ont été rétribués par l’Etat, cette école rabbinique a elle aussi été subventionnée par le Gouvernement français, et pendant plusieurs dizaines d’années, les seuls rabbins formés officiellement en France sortaient de cette école de Metz.
En 1859, sur la pression du consistoire de Paris et d’une communauté juive française qui commençait à être plus ou moins assimilée, on a estimé que Metz était trop religieuse, trop attardée, et qu’il valait mieux transporter l’Ecole rabbinique et l’installer à Paris, où il y avait les universités et toutes sortes d’instituts, et où les élèves, les futurs "pasteurs" comme on les appelait alors, les rabbins pourraient avoir d’autres contacts, et être en permanence dans les milieux intellectuels de la France.
On l’a installée d’abord, cette école rabbinique, rue du Parc royal, puis, avant la guerre de 1870, boulevard Richard-le-Noir, avant de construire rue Vauquelin le bâtiment dans lequel des centaines et des centaines de rabbins français ont fait leurs études, jusqu’aujourd’hui encore.
Jusqu’en 1870, le recrutement rabbinique en France se faisait surtout dans les communautés d’Alsace et de leurs pairs. Sur dix rabbins sortis du Séminaire, plus de neuf venaient de ces régions-là. Lorsqu’en 1870 l’Alsace et la Moselle sont devenues allemandes, les élèves alsaciens ont continué au début à aller faire leurs études à Paris jusqu’en 1894, où la législation allemande leur a pratiquement rendu impossible de poursuivre, voire même d’entreprendre leurs études en France, et a obligé les élèves alsaciens a aller faire leurs études dans les écoles rabbiniques allemandes, que ce soit à Breslau ou que ce soit à Berlin, à l’Ecole Hildesheimer.
Entre 1894 et 1918, l’école rabbinique de France a vu décliner 45 élèves. Sur ces 45 élèves, 31 sont devenus rabbins en France, mais sur ces 45 élèves, 26 étaient nés à l’étranger, en général en Europe orientale, onze étaient nés en France ; quatre en Afrique du Nord, et quatre en Alsace et en Moselle.
Pour permettre un recrutement qui devenait de plus en plus difficile, et d’autant plus difficile que la source alsacienne était tarie, l’Ecole rabbinique a inclus ce que l’on appelle le Talmud Torah. Il s’agissait d’une institution qui avait donc été créée vers 1853, et qui devait permettre à des élèves parisiens d’apprendre ce qu’était le judaïsme tout en poursuivant normalement leurs études dans leurs lycées ou leurs écoles.
Lorsque la rue Vauquelin a été terminée, le Consistoire a décidé que le Talmud Torah intégrerait le même bâtiment, et que les élèves qui y feraient leurs études secondaires viendraient ensuite poursuivre leurs études rabbiniques et ainsi, on résoudrait le problème de la crise du recrutement des rabbins.
Ainsi, pendant des générations, les jeunes élèves venaient d’un peu partout étudier au Talmud Torah, mais peu nombreux étaient ceux qui continueraient ensuite à faire leurs études rabbiniques. Et en particulier, tant que cela a été possible, des dizaines de jeunes élèves alsaciens, venaient au Talmud Torah apprendre le français, passaient les examens de fin d’études secondaires, et la plupart d’entre eux ensuite faisaient des études supérieures, mais peu se destinaient au rabbinat.
Voilà la situation telle qu’elle se présentait pratiquement jusqu’à la déclaration de la guerre de 1939.
Pendant très longtemps, le directeur de l’Ecole Rabbinique, et en même temps le directeur du Talmud Torah était le grand rabbin Jules Bauer, originaire d’Alsace, de Balbronn, et à sa mort en 1931, c’est le grand rabbin Liber qui, lui, était parisien, qui a repris la direction de l’Ecole Rabbinique.
En 1939, par peur de la guerre, l’Ecole Rabbinique a été transférée de Paris à Vichy. Et presque jusqu’au moment de l’Armistice, c’est à Vichy que les quelques élèves que comptait l’Ecole Rabbinique, parce que les plus âgés parmi les élèves avaient bien entendu été mobilisés. Les plus jeunes élèves de l’Ecole Rabbinique ont fait leurs études à Vichy. Puis, vers le mois d’avril, l’Ecole Rabbinique est remontée à Paris. Et peu après a eu lieu le Blitz, l’avancée foudroyante des Allemands, et il y a eu l’Armistice et l’occupation de tout le nord de la France.
C’est à ce moment-là que l’Ecole Rabbinique s’est déplacée et s’est installée dans la banlieue de Clermont Ferrand, et elle y restera presque durant toute la durée de la guerre. Les élèves de l’Ecole y ont fait leurs études à peu près normalement, et beaucoup d’étudiants de l’Université de Clermont, et surtout de l’Université de Strasbourg repliée à Clermont rencontraient les élèves, et l’Ecole Rabbinique était souvent un lieu de concertation, et l’occasion pour des étudiants qui ne se destinaient pas du tout au rabbinat d’être en contact avec des études juives.
Il y a eu le Statut des Juifs [3 octobre 1940], et à la suite de ce statut, également un numerus clausus dont on parlait comme imminent, et qui devait empêcher la plupart des étudiants juifs de poursuivre leurs études supérieures.
Il n’existait plus de Talmud Torah, donc il était très difficile de trouver des élèves, candidats au rabbinat qui seraient rentrés au Séminaire avec un minimum de connaissances juives, avec un bagage au moins élémentaire, qui leur aurait au moins permis de faire leurs cinq années d’études rabbiniques.
C’est à ce moment-là que le rabbin Deutsch, qui avant la guerre avait été le rabbin de Bischheim, et qui était un spécialiste de l’éducation, il était directeur de l’enseignement religieux. Le rabbin Deutsch, qui était le rabbin d’une partie de la communauté de Strasbourg repliée au Haute-Vienne, a eu l’idée de faire rouvrir à Limoges une espèce de Talmud Torah, d’école préparatoire aux études rabbiniques.
Le président du Consistoire central de l’époque était Léon Meiss qui était très compréhensif pour ces problèmes. Il a accepté de faire financer par le Consistoire l’ouverture de cette école dont le responsable devait être le rabbin Deutsch.
Cette école devait accueillir les élèves de toute la France, c’est-à-dire les élèves de la zone libre, et leur faire terminer leurs études secondaires pour leur permettre par la suite d’entrer à l’Ecole Rabbinique, mais l’on pensait déjà à l’après-guerre, donc à la remontée à Paris.
Le rabbin Deutsch entouré des élèves du PSIL : en bas à droite Raymond Frank , à dr. dans l'ombre, Joseph Oppenheimer, 1er à gauche, Michel Deutsch, à côté de lui, Jean-Jacques Samuel |
Les élèves du PSIL en 1942 : 2ème à gauche, Benno Gross, à côté de lui, Edgard Weill coll. © Max Warschawski. |
C’est ainsi qu’en 1942 s’est ouvert le Petit Séminaire Israélite de France.
Mais si on m’a demandé d’en parler, c’est parce que j’en ai été pratiquement le premier élève.
Nous avons été évacués, ma famille et moi, comme presque tous les strasbourgeois, mais au lieu d’aller à Périgueux, où une grande partie de la Communauté avait été amenée, ma famille s’était installée à Vichy. Puis, lorsque en 1941, quand nous avons été expulsés par le Gouvernement de Pétain qui avait besoin de logements pour ses ministères, mes parents sont allés dans la région de Périgueux, et je suis allé à Limoges, où j’ai commencé des études de radiotechnicien à l’école ORT.
En 1942, lorsque le rabbin Deutsch a décidé d’ouvrir le Petit Séminaire, il m’a demandé si j’étais intéressé à rentrer dans cette école, et j’ai abandonné l’ORT pour suivre des cours, dont certains étaient presque des cours particuliers qui devaient me permettre de passer mon premier Bac en juin 1942. Le jour où j’aurais dû passer mon CAP de radiotechnicien, je me suis présenté au baccalauréat.
Fin 42, ou plutôt durant l’année 42-43, s’est ouverte au Petit Séminaire une classe terminale. Dans cette classe, nous étions quatre ou cinq élèves :
- Théo Dreyfus,
- Lucien Lazare,
- Jean-Paul Bader
- et moi-même (Max W.)
A côté de cette classe terminale, il y avait une seconde, où se trouvaient des élèves venus d’un peu partout, parmi lesquels se trouvaient Benno Gross, qui sortait lui aussi de l’école ORT.
Dans les classes plus petites, les seuls dont je me souviens, à part quelques élèves que l’on avait sortis des petites classes de l’école ORT, venait du Jura un petit garçon colmarien qui s’appelait Raymond Frank.
Le rabbin Deutsch avait trouvé pour faire les cours de philosophie un professeur d’origine hongroise, qui s’appelait Emeric Fiser, qui était paraît-il un philosophe de renommée européenne, mais qui était un piètre enseignant, même si sur le plan humain il n’était pas mal du tout. Il était très loin du judaïsme et c’est lui qui avait été choisi par l’OSE pour diriger pédagogiquement une maison d’enfants au château de Montintin. Il venait nous faire chaque semaine les cours à Limoges, et nous sommes allés plusieurs fois passer un week-end à Montintin, où il nous continuait ses cours.
Je me souviens aussi, parmi les professeurs que nous avions, un professeur d’hébreu, d’hébreu moderne, ce qui était tout-à-fait exceptionnel pour l’époque, et de grammaire, un Monsieur Gaech.
Parmi les autres professeurs de matières juives, il y avait le professeur Wallach, qui avait fait ses études rabbiniques, et qui avait été ensuite, après la guerre, à l’Ecole Rabbinique, pendant quelques mois, mon professeur de Midrash et de Talmud au Séminaire à Paris Il est malheureusement mort très jeune
Le rabbin Deutsch était la cheville ouvrière de ce Petit Séminaire. Il donnait des quantités de cours. On se retrouvait dans son bureau, où il était interrompu souvent, parce que des quantités de gens venaient demander aides et conseils au rabbin. Mais c’était déjà de l’enseignement pratique, et en même temps que nous-mêmes venions suivre les cours du rabbin Deutsch, plus tard devenu le grand rabbin Deutsch, il y avait également des prêtres catholiques qui venaient l’interroger et venaient suivre des cours chez lui.
Le courage du rabbin Deutsch a permis que ce Petit Séminaire ait continué son existence jusque dans les derniers mois avant la fin de la guerre, parce que en 1944, le rabbin lui-même avait été arrêté par la milice et la plupart des élèves, du moins parmi les grands élèves que nous étions, avions fui et nous avions rejoint le maquis juif, le maquis EI dans le Tarn.
Après la guerre, les grands élèves avaient terminé leurs études secondaires, ils avaient passé leur Bac, mais aucun d’entre eux, à l’exception de moi-même ne se sont destinés à faire le rabbinat (1).
Le grand rabbin Deutsch me racontait encore il y a quelques semaines, alors que je l’interrogeais sur le Petit Séminaire, qu’il avait été violemment critiqué par le président Meiss, qui le tenait pour responsable pour la défection de tous les élèves du PSIL, dont on attendait le recrutement pour l’Ecole Rabbinique. Et le grand rabbin a répondu, et je pense qu’il avait raison, que ce que le PSIL avait donné à la plupart de ses élèves, c’était une prise de conscience du judaïsme, une éducation et un enseignement juifs, qui on fait que tous ses élèves, s’ils n’ont pas embrassé la carrière rabbinique, mais tous, sans exception, sont entrés dans la vie active du judaïsme.
Les uns ont continué leurs études supérieures juives et sont devenus des professeurs de Faculté, comme Benno Gross et Theo Dreyfus, d’autres sont devenus des activistes de la communauté, à la fois enseignants, historiens comme Lucien Lazare
Parmi ceux qui étaient proches du Séminaire, sans avoir été élèves du Séminaire, il y avait aussi Bernard Picard est devenu directeur à [l’école] Yavneh. Etait également un élève en dehors du PSIL et qui habitait avec nous, Roger Cahen qui, lui, a fait les examens rabbiniques et qui est allé ensuite à [la yeshiva d’] Aix-les-Bains.
Et finalement, c’est de ce Petit Séminaire Israélite de Limoges qu’est sortie une pépinière de responsables de la communauté juive. Le grand rabbin Deutsch pouvait dire avec fierté que s’il n’a pas beaucoup aidé à augmenter le nombre de rabbins de la rue Vauquelin, il a du moins aidé à former les cadres de l’après-guerre pour les communautés juives de France.
Le rabbin Deutsch avait d’ailleurs à Limoges encouragé l’ouverture de l’école professionnelle ORT (2), et Limoges était le seul endroit où l’ORT avait non seulement une école, mais également un internat. Et cet internat permettait aux jeunes [juifs] de toute la région de Limoges, de toutes les petites communautés, de tous les petits villages et petites villes de la Haute-Vienne et d’ailleurs de venir à Limoges pour y faire leur apprentissage professionnel.
Lorsque le PSIL s’est ouvert, on n’a pas voulu, ou peut-être n’y avait-il pas assez de place à l’internat du célèbre Cours Pénicaud pour mettre ces élèves avec les élèves de l’ORT, et on a [ ? ] dans une famille limousine qui avait une petite maison, on avait installé une demi-douzaine ou une dizaine d’élèves du PSIL.
C’est là que nous avons passé tout le temps de nos études au Petit Séminaire, jusqu’au moment où nous avons dû partir. La famille Sommer avait été menacée par les autorités allemandes, et on a fermé la maison, et ce n’est qu’après la guerre, à la rentrée de 1944, que le Petit Séminaire s’est réouvert, et qu’un certain nombre d’élèves, mais cette fois-ci il y avait aussi quelques jeunes filles parmi les élèves, se sont préparés à d’autres examens.
C’est comme ceci que le Petit Séminaire a vécu dans les périodes les plus difficiles de la guerre, grâce à un responsable qui avait du courage, et peut-être aussi grâce à des parents qui n’ont pas hésité à laisser partir leurs enfants, intelligents, sérieux, à Limoges, dans une institution juive, ce qui n’était pas du tout évident.
Le Petit Séminaire, s’il était dirigé par le rabbin Deutsch,était financièrement entretenu par le Consistoire central, et surtout par et grâce à l’intervention de Léon Meiss, qui était un des rares à avoir compris pendant la guerre qu’il fallait prévoir les cadres de la communauté d’après la guerre.
Le Petit Séminaire était spirituellement placé sous la responsabilité du directeur du Séminaire qui, lui, était à Clermont-Ferrand. Et le grand rabbin Liber, durant toute la guerre, n’a pas hésité à voyager sans arrêt, et venait de temps en temps nous rendre visite au Petit Séminaire, soit pour nous interroger, soit pour voir quelles étaient les conditions de vie qui nous étaient faites, partageant notre repas à l’internat de Limoges. Et je crois même que une seule fois, le grand rabbin Isaïe Schwartz, grand rabbin de France, est venu inspecter le Petit Séminaire dans les salles que nous occupions (3).