SAINT-ORSE
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Raymond Cahn est également un de ceux, alors âgé de sept ans seulement, qui ont vécu le calvaire de Saint-Orse. Il était né le 27 juillet 1937 à Wasselonne dans le Bas-Rhin. C'est depuis Montigny-les-Metz, à quelques kilomètres du centre de Metz, la célèbre place forte lorraine marquée par les conflits guerriers des derniers siècles, où ses occupations l'ont amené, qu'il a bien voulu participer à la documentation de cet ouvrage. Certes, en cet automne 2003, il n'avait pas gardé de souvenirs des moments où, en 1940, toute sa famille fut expulsée après la capitulation du gouvernement de Vichy et la signature des conditions d'armistice imposées par Hitler. Il savait cependant fort bien, d'après ce qu'il avait entendu de la bouche des siens, qu'ils furent conduits jusqu'à la ligne de démarcation à Lons-le-Saulnier et que leur éjection au-delà de celle-ci fut accompagnée par un terme méprisant, dit en allemand, et qu'on peut traduire par "Foutez le camp dans votre pays !".
Commença alors une longue pérégrination dans le sud de la France qui se termina à Saint-Orse où, tant que la situation fut relativement calme, il vécut la vie d'un enfant du pays, fréquentant, avec son frère Maurice, l'école primaire dès qu'il fut en âge, faisant l'apprentissage de la lecture et des autres matières sous la direction bienveillante de Monsieur et Madame Lamour, l'instituteur et l'institutrice du village. Lorsque les événements dramatiques du printemps 44 se déclenchèrent il allait avoir sept ans et ceux-ci ont laissé dans son esprit des traces indélébiles. Acharné à ce que tout ce que lui et sa famille ont enduré ne tombe dans l'oubli, il a consacré beaucoup de temps à rechercher les pièces authentiques relatives aux faits et à reconstituer ceux-ci, avant, a-t-il dit, la disparition des derniers témoins. Et en rédigeant à cet effet, en 1995, un texte intitulé Condensé de ma Mémoire et pour l'Histoire, le texte tellement évocateur que voici :
"A dater du 16 juillet 1940, les AI/emands expulsèrent les Juifs d'Alsace. Pour nous, cela se fit à Barr dans le Bas-Rhin. Après plus de quatre mois d'errance et être passés par le camp de Chaudane à Castellane, nous arrivâmes à Saint-Orse (Dordogne) vers Noël 40. Notre père, Fernand Cahn, prisonnier de guerre depuis le vingt juin de cette même année, a été libéré en tant que "Alsacien-Lorrain" le 15 septembre 41. Ce n'est que grâce à la Croix-Rouge qu'il nous a retrouvé en Dordogne. A Saint-Orse notre premier logis de " réfugiés-expulsés " était au Moulin, ensuite à La Tannerie puis à Rosas chez M. Laguionie.
Nos grands parents, Camille Lehmann et Fanny, née Strauss, ainsi que
deux de leurs filles, Albertine et Simone, sont restées à La
Tannerie et ces dernières se sont mariées à Saint-Orse
en 1942. Malgré le déracinement, la vie s'organisa le moins
mal possible. Les adultes travaillaient et les enfants étaient insouciants...
C'est le 1er avril 1944 que tout changea !
Une compagnie de la division du général allemand Brehmer encercla
Saint-Orse. Les réfugiés juifs arrêtés par les
barbares furent exécutés, les femmes et les enfants déportés
avec le convoi n° 71 du 13 avril 44.
Les rescapés de notre famille étaient alors les suivants : Armand Bloch ; son épouse Simone qui était enceinte et leur fille Henriette âgée de onze mois ; André Lehmann ; Lucien Grumbach ; Marcel Loeb; notre père Fernand Cahn ; notre mère Blanche Cahn, née Lehmann ; mon frère Maurice et moi-même Raymond. Je me souviens qu'un peu plus tard il y a eu de nombreux orages et qu'il pleuvait beaucoup. Nous devions nous frictionner pour nous sécher car nous n'avions pas de linge de rechange et nos vêtements collaient à la peau. Une nuit, pourtant, sous la conduite d'oncle Armand et toujours dans la forêt de Rosas, nous allâmes, trempés, dans une "borie" rectangulaire dans laquelle il y avait une cheminée. Les adultes firent un bon feu qui nous permit de nous sécher et de nous réchauffer. J'ai eu une sensation de bien-être et je me suis endormi au coin du feu. Plus tard nous avons quitté ce lieu et notre nomadisation forcée a duré presque trois mois !
J'ai également le souvenir que les adultes allaient de nuit chercher des aliments à Rosas et à La Rolphie, peut-être en d'autres endroits que j'ignore. Il est certain que la population locale, connue ou inconnue de moi, participa à notre sauvetage en nous donnant des œufs, que nous gobions crus, du pain, de la viande confite. Les bouteilles de lait frais encore chaud nous arrivaient toujours par deux. Quel bonheur pour mon frère Maurice et moi-même ! Oui, je pense toujours à cet élan de solidarité humaine dont nous avons bénéficié.
Malgré l'ennemi, allemand, milicien ou mouchard, notre cousine Henriette
Bloch, 11 mois, fut extraite de la forêt et avec des complicités
efficaces, déclarée en mairie "enfant trouvé"
avec un nouveau nom : Marguerite Levignaud. La maman d'Henriette fut sortie
de la forêt avec les mêmes complicités, afin qu'elle puisse
accoucher de sa seconde fille, Michèle, et cela eut lieu le 27 mai
à Clairvivre.
En septembre 1995 j'ai revu avec une grande émotion la construction
rectangulaire où nous nous sommes séchés pendant notre
fuite et lutte pour garder la vie. Monsieur Gay, de Rosas a eu la gentillesse
de m'y conduire et je l'en remercie vivement. Plus de 50 ans déjà,
depuis ces faits dont nos familles ne sont pas sorties indemnes, mais aucun
des rescapés du 1er avril 44 n'a jamais oublié Saint-Orse, ce
village de Dordogne, et la grandeur de beaucoup d'habitants du bourg et de
ses hameaux, pendant les heures sombres de 1944. Reconnaissance éternelle
à tous ceux qui nous ont aidés."
Pour quelles raisons lui et sa famille sont-ils demeurés si longtemps dans les bois? La peur qui s'était incrustée dans les esprits et la crainte d'un retour sans préavis d'une troupe hostile, des troupes allemandes passant toujours en effet sur la RN 89, motivaient ce comportement. Et cela a persisté même après le débarquement ! Cependant, trois parmi le groupe précité, aptes à porter les armes, Armand Bloch, André Lehmann et Marcel Loeb, ont décidé de participer à la lutte libératrice et ont rejoint le maquis.
Raymond CAHAN en septembre 2003 à Montigny les Metz, en train de consulter
l'épais dossier qu'il a constitué sur la terrible période
vécue à Saint-Orse, alors qu'il était âgé
de sept ans