SAINT-ORSE

Inauguration
de la stèle de
St-Orse (15.05.05)

Livres de
Martial Faucon :

  • Les années de guerre et de Résistance

  • Les enfants martyrs de La Bachellerie

  • Francs-tireurs et partisans français en Dordogne

    Témoignages :

    Colette Bartholomew
    née Rauner

    Raymond Cahn

    Époux Welder

  • Témoignages inédits de survivants
    Extrait de Les années de guerre et de Résistance par Martial FAUCON, pp. 361-365

    De Montigny-les-Metz, Raymond Cahn relate le long séjour de sa famille cachée dans les bories du Causse

    Raymond Cahn est également un de ceux, alors âgé de sept ans seulement, qui ont vécu le calvaire de Saint-Orse. Il était né le 27 juillet 1937 à Wasselonne dans le Bas-Rhin. C'est depuis Montigny-les-Metz, à quelques kilomètres du centre de Metz, la célèbre place forte lorraine marquée par les conflits guerriers des derniers siècles, où ses occupations l'ont amené, qu'il a bien voulu participer à la documentation de cet ouvrage. Certes, en cet automne 2003, il n'avait pas gardé de souvenirs des moments où, en 1940, toute sa famille fut expulsée après la capitulation du gouvernement de Vichy et la signature des conditions d'armistice imposées par Hitler. Il savait cependant fort bien, d'après ce qu'il avait entendu de la bouche des siens, qu'ils furent conduits jusqu'à la ligne de démarcation à Lons-le-Saulnier et que leur éjection au-delà de celle-ci fut accompagnée par un terme méprisant, dit en allemand, et qu'on peut traduire par "Foutez le camp dans votre pays !".

    Commença alors une longue pérégrination dans le sud de la France qui se termina à Saint-Orse où, tant que la situation fut relativement calme, il vécut la vie d'un enfant du pays, fréquentant, avec son frère Maurice, l'école primaire dès qu'il fut en âge, faisant l'apprentissage de la lecture et des autres matières sous la direction bienveillante de Monsieur et Madame Lamour, l'instituteur et l'institutrice du village. Lorsque les événements dramatiques du printemps 44 se déclenchèrent il allait avoir sept ans et ceux-ci ont laissé dans son esprit des traces indélébiles. Acharné à ce que tout ce que lui et sa famille ont enduré ne tombe dans l'oubli, il a consacré beaucoup de temps à rechercher les pièces authentiques relatives aux faits et à reconstituer ceux-ci, avant, a-t-il dit, la disparition des derniers témoins. Et en rédigeant à cet effet, en 1995, un texte intitulé Condensé de ma Mémoire et pour l'Histoire, le texte tellement évocateur que voici :


    "A dater du 16 juillet 1940, les AI/emands expulsèrent les Juifs d'Alsace. Pour nous, cela se fit à Barr dans le Bas-Rhin. Après plus de quatre mois d'errance et être passés par le camp de Chaudane à Castellane, nous arrivâmes à Saint-Orse (Dordogne) vers Noël 40. Notre père, Fernand Cahn, prisonnier de guerre depuis le vingt juin de cette même année, a été libéré en tant que "Alsacien-Lorrain" le 15 septembre 41. Ce n'est que grâce à la Croix-Rouge qu'il nous a retrouvé en Dordogne. A Saint-Orse notre premier logis de " réfugiés-expulsés " était au Moulin, ensuite à La Tannerie puis à Rosas chez M. Laguionie.

    Nos grands parents, Camille Lehmann et Fanny, née Strauss, ainsi que deux de leurs filles, Albertine et Simone, sont restées à La Tannerie et ces dernières se sont mariées à Saint-Orse en 1942. Malgré le déracinement, la vie s'organisa le moins mal possible. Les adultes travaillaient et les enfants étaient insouciants... C'est le 1er avril 1944 que tout changea !
    Une compagnie de la division du général allemand Brehmer encercla Saint-Orse. Les réfugiés juifs arrêtés par les barbares furent exécutés, les femmes et les enfants déportés avec le convoi n° 71 du 13 avril 44.

    Ci-dessus, la vieille borie située en plaine forêt aux Clauds Neufs de St-Orse, à 200 mètres environ de la route de Rosas à, Gabillou, où les familles Lehmann, Bloch, Cahn, se réfugièrent en premier pendant quelques jours.
    Au soir de cette journée de terreur, notre groupe de fugitifs était dans une situation très précaire dans la forêt de Rosas. Je me souviens bien que, ce jour-là, il n'y avait ni à manger ni à boire. Pourtant j'avais terriblement soif...Ma mère m'a dit de "saliver" et de "dormir". Cruelle consolation pour un enfant de sept ans !

    Les rescapés de notre famille étaient alors les suivants : Armand Bloch ; son épouse Simone qui était enceinte et leur fille Henriette âgée de onze mois ; André Lehmann ; Lucien Grumbach ; Marcel Loeb; notre père Fernand Cahn ; notre mère Blanche Cahn, née Lehmann ; mon frère Maurice et moi-même Raymond. Je me souviens qu'un peu plus tard il y a eu de nombreux orages et qu'il pleuvait beaucoup. Nous devions nous frictionner pour nous sécher car nous n'avions pas de linge de rechange et nos vêtements collaient à la peau. Une nuit, pourtant, sous la conduite d'oncle Armand et toujours dans la forêt de Rosas, nous allâmes, trempés, dans une "borie" rectangulaire dans laquelle il y avait une cheminée. Les adultes firent un bon feu qui nous permit de nous sécher et de nous réchauffer. J'ai eu une sensation de bien-être et je me suis endormi au coin du feu. Plus tard nous avons quitté ce lieu et notre nomadisation forcée a duré presque trois mois !

    J'ai également le souvenir que les adultes allaient de nuit chercher des aliments à Rosas et à La Rolphie, peut-être en d'autres endroits que j'ignore. Il est certain que la population locale, connue ou inconnue de moi, participa à notre sauvetage en nous donnant des œufs, que nous gobions crus, du pain, de la viande confite. Les bouteilles de lait frais encore chaud nous arrivaient toujours par deux. Quel bonheur pour mon frère Maurice et moi-même ! Oui, je pense toujours à cet élan de solidarité humaine dont nous avons bénéficié.

    Malgré l'ennemi, allemand, milicien ou mouchard, notre cousine Henriette Bloch, 11 mois, fut extraite de la forêt et avec des complicités efficaces, déclarée en mairie "enfant trouvé" avec un nouveau nom : Marguerite Levignaud. La maman d'Henriette fut sortie de la forêt avec les mêmes complicités, afin qu'elle puisse accoucher de sa seconde fille, Michèle, et cela eut lieu le 27 mai à Clairvivre.

    En septembre 1995 j'ai revu avec une grande émotion la construction rectangulaire où nous nous sommes séchés pendant notre fuite et lutte pour garder la vie. Monsieur Gay, de Rosas a eu la gentillesse de m'y conduire et je l'en remercie vivement. Plus de 50 ans déjà, depuis ces faits dont nos familles ne sont pas sorties indemnes, mais aucun des rescapés du 1er avril 44 n'a jamais oublié Saint-Orse, ce village de Dordogne, et la grandeur de beaucoup d'habitants du bourg et de ses hameaux, pendant les heures sombres de 1944. Reconnaissance éternelle à tous ceux qui nous ont aidés."

    Montigny les Metz le 15 novembre 1995.    


    C'est dans cette cabane d'une quizaine de mètres carrés, aujourd'hui restaurée, au lieu-dit Les Forêts, à 2 kilomètres approximativement de toute habitation, presque sans ouvertures mais qui disposait d'une cheminée, que la dizaine de fugitifs de Rosas vécurent, pour certains près de trois mois en attendant la Libération, dans la promiscuité que l'on imagine.
    Ces lignes n'étant qu'un résumé assez succinct, leur auteur précise que c'est à Rosas, dans une maison sans confort comme la plupart, que sa famille était hébergée. Comme on le verra plus avant, le matin du sinistre 1 er avril, Jean-Albert Bousquet, revenant du bourg où il avait vu la troupe allemande, s'est arrêté. Il a informé les réfugiés de la situation, en leur recommandant de s'éloigner rapidement dans la forêt proche où ils pourraient attendre la suite des événements. Après avoir dit cela il s'en est allé, " et nous ne l'avons plus jamais revu ", dit Raymond Cahn qui, faisant état de son appartenance à l'Association "Réfugiés-Expulsés" ajoute : " une dénomination qui était déjà bien la nôtre !" . Conscients du danger, son père et sa mère, les Bloch, les Lehmann, tous apparentés de près, soit une dizaine de personnes en tout, n'ont pas moisi sur place, ont pris toutes les affaires qu'ils ont pu et ont gagné en hâte les bois proches et leurs vastes étendues protectrices... où plusieurs d'entre eux allaient vivre cachés durant près de trois mois! Le groupe s'est d'abord dirigé, à droite de la route communale allant à Bauzens, vers une petite borie de forme circulaire, construction en pierres sèches assez fréquente comme l'on sait, qui avait été, elle aussi, déjà repérée "pour le cas où?". Lorsque les coups de feu et les explosions détruisant les habitations de Saint-Orse et de Rosas ont retenti, les fugitifs se sont aplatis sur la mousse sans bouger, même si les tirs ne leur étaient pas destinés. Ils ont passé deux nuits dans ce refuge, dormant tête bêche à même le sol, avant de s'installer à quelques centaines de mètres de là plus à l'ouest, dans une " cabane" également en pierre et au sol de terre battue, mais de forme rectangulaire et un peu plus spacieuse. Quant à Jean-Albert Bousquet, dénoncé apparemment comme étant communiste ou socialiste oeuvrant pour la Résistance, il paya de sa vie son engagement, probablement aussi ses actes de solidarité. Et Raymond Cahn d'ajouter : "Mon grand père, Camille Lehmann, demeurait quant à lui à La Tannerie et se trouvait dans le bourg lorsque les Allemands sont arrivés. Trop confiant, il prit un outil agricole sur son épaule et fit mine de quitter celui-ci tranquillement à pied, comme s'il allait aux champs. Hélas, le chemin sur lequel il s'engagea était gardé. Il fut arrêté, emmené et fusillé au lieu-dit Les Châtenets, à proximité du bourg ".

    Pour quelles raisons lui et sa famille sont-ils demeurés si longtemps dans les bois? La peur qui s'était incrustée dans les esprits et la crainte d'un retour sans préavis d'une troupe hostile, des troupes allemandes passant toujours en effet sur la RN 89, motivaient ce comportement. Et cela a persisté même après le débarquement ! Cependant, trois parmi le groupe précité, aptes à porter les armes, Armand Bloch, André Lehmann et Marcel Loeb, ont décidé de participer à la lutte libératrice et ont rejoint le maquis.

    Raymond CAHAN en septembre 2003 à Montigny les Metz, en train de consulter l'épais dossier qu'il a constitué sur la terrible période vécue à Saint-Orse, alors qu'il était âgé de sept ans

    Shoah Judaisme alsacien Histoire
    © A . S . I . J . A .