SAINT-ORSE
Inauguration Livres de Témoignages : |
Le maire de la commune, M. Camille Géraud, Martial Faucon, Marcel et Betty Wieder, Georges Bouhana pour la LICRA, le général Rabot du Souvenir Français, Bernard Reviriego pour la Mémoire de la Shoah et Jean-Marie Schmittlin, directeur départemental de l'Office des Anciens Combattants intervinrent à tour de rôle pour rappeler les faits et inciter à la vigilance contre le retour de telles atrocités, effectuées au nom d'une idéologie raciste. La prière des morts fut dite en hébreu par Marcel Wieder au nom de la Communauté juive, secondé par son épouse qui représentait les fils et filles de déportés.
D'autres moments émouvants se déroulèrent à l'occasion de cette inauguration, notamment la veille, samedi 14 mai, lors de la réception des familles par la municipalité et où furent évoqués les souvenirs de ces élèves des écoles gazés dans le camp de la mort ou le sauvetage du bébé de Simone Bloch, prénommée Henriette, devenue Madame Bach et présente à cette réception. Ce bébé avait été remis à l'assistance publique après avoir été déclaré "enfant trouvé".
Odette Dauriac et Henriette Bloch : l' "enfant trouvée" retrouve, après 61 ans, celle qui l'a cachée - © H. Bach |
Mme Dubreuil, présentant sa dédicace à la petite Edith Greif, disparue avec sa maman. |
Martial Faucon, auteur du livre
qui avait montré l'ampleur du massacre tout en notant l'absence de
tout rappel public visuel de celui-ci, a retraçé dans toute
leur horreur, au début de la cérémonie, le déroulement
des faits lors de cette tragique journée du 1er avril 1944 :
Mesdames, Messieurs,
Monsieur le maire de Saint-Orse m’ayant donc fait l’honneur de
me confier le soin d’effectuer un rappel historique des terribles événements
du premier avril 1944, je vais m’ y employer le plus brièvement
possible.
Mais, pour une meilleure compréhension de tout cela, je vous propose
de revenir à l’automne 1939, après la déclaration
de guerre à l’Allemagne hitlérienne, qui venait d’agresser
la Pologne, notre alliée.
Le gouvernement de la République décida alors l’évacuation
de populations vivant en Alsace, à proximité de la frontière,
afin, déclara-t-on, de les soustraire aux possibles effets des hostilités,
bombardements, gaz asphyxiants et autres mortelles conséquences.
La défaite de juin 40 fut pour eux, comme pour tous les Périgourdins d’origine, un coup terrible et inattendu. Le vainqueur hitlérien ayant immédiatement procédé à l’annexion des trois départements d’Alsace-Lorraine, s’intéressa très vite à ces évacués, afin de récupérer ceux qu’il considérait dignes de réintégrer le grand Reich allemand. Des familles qui n’avaient pas à redouter l’antisémitisme se résolurent, sans gaieté je suppose, à regagner l’Alsace et leurs biens abandonnés, les changements de nationalité n’étant, il est vrai, pas un phénomène exceptionnel dans cette partie de l’Europe.
Cependant, une bonne partie des réfugiés recueillis étaient juifs ou considérés comme tels du fait de leurs ascendances, Alsaciens de souche ou installés de plus ou moins longue date dans l’Est de notre pays, suite aux persécutions subies ailleurs. Ce qui excluait pour eux un retour dans la région annexée. Le régime nazi ne l’admettait d’ailleurs pas, et il procéda même, au nom de l’odieuse discrimination mise en œuvre, à l’expulsion de ceux qui n’avaient pas été évacués en 39. Raymond Cahn, ici présent et jeune rescapé du 1er avril, en souffrit avec les siens. Ses parents, son frère Maurice et lui-même finirent néanmoins, après diverses péripéties, par arriver à Saint-Orse où résidaient plusieurs autres membres de leur famille.
Finalement, ce fut près d’une cinquantaine de réfugiés que compta la commune. Passés les durs moments de la défaite et des expulsions, des raisons d’espérer se firent jour malgré tout dans ce coin du Périgord un peu à l’écart, à l’abri des grands soubresauts de la guerre. Ils partageaient la vie de notre population rurale, ne souffrant pas trop des divers rationnements par suite des suffisances alimentaires de notre sol et des méthodes mises en oeuvre pour contourner restrictions et contraintes. Et cela, en dépit des mesures de discrimination raciale et d’atteintes aux libertés que s’empressa de prendre le gouvernement installé à Vichy, mais ici heureusement quelque peu atténuées.
La menace se rapprocha alors terriblement, mais les réfugiés à Saint-Orse entrevoyaient néanmoins poindre une espérance. Celle de la fin de leurs tourments, grâce aux sacrifices et aux succès des forces qui combattaient l’Allemagne nazie, à l’Est comme à l’Ouest, et aussi à la Résistance, qu’ils voyaient grandir sous leurs yeux.
Hélas, cela ne leur fut pas accordé. Le 1er avril 44, le fer et le feu les frappèrent brutalement, lorsque la division Brehmer fit irruption, avec, pour mission, la destruction de cette Résistance et de ses soutiens, conjointement avec l’extermination des juifs réfugiés.
Les scènes d’horreur qui se déroulèrent ici, après que deux centaines de soldats se soient répandus dans le bourg, eurent fouillé, pillé, terrorisé, incendié, ont été décrites et il serait trop long d’en citer tous les détails. Quelques-uns méritent cependant d’être rappelés.
Comme le supplice subi par Léon Moch et ses deux fils, contraints d’arracher de son lit leur père malade, de le porter dans leurs bras sur le lieu de son massacre, avant d’être exécutés à leur tour. Et celui d’Abraham Kahn à Rosas, tiré d’une balle dans le dos alors que, épouvanté, il partait en courant sur un chemin, son bourreau, rieur, contemplant ensuite sa lente agonie. Celui, également, de Camille Lehmann, 72 ans, homme vénérable faisant office de rabbin, exécuté son livre de prières à la main. Ou encore Léopold Lehmann, 63 ans et les trois autres malheureux suppliciés, deux abattus ici et, quelques jours après, le troisième à Marquay, dans le Sarladais.
Le martyre de Jean-Albert Bousquet est à mettre au compte de cette même barbarie. Ce patriote, résistant, fils de Saint-Orse, avait eu le réflexe salvateur d’alerter les réfugiés de Rosas, les incitant à fuir dans la forêt après qu’il eut constaté la présence, dans le bourg, de la troupe allemande. Une heure après, il était martyrisé à son tour, sous les yeux de sa femme et de son jeune fils, ici présent, puis fusillé sommairement à deux pas de sa maison des Chauffours, où une stèle, à sa mémoire et à son geste héroïque, sera inaugurée le 5 juin prochain.
Mais, s’il était possible d’établir une graduation, nous dirions que, ce jour-là 1er avril, l’arrachement à leurs demeures de 17 autres personnes, parmi lesquelles trois enfants de moins de dix ans, tous voués à l’extermination, figurerait au sommet de l’abomination. La macabre tromperie quant à leur destination se fit, pour elles, avec moins de bruit et de sang que pour les autres victimes, mais le résultat final fut tout aussi odieux dès l’arrivée dans le camps de la mort, l’extermination immédiate, comme d’épouvantables images en ont récemment rappelé toute l’horreur.
Extermination par le gaz de ces deux malheureuses fillettes qu’étaient Arlette et Edith, élèves de l’école communale, que l’on voyait encore, quelques jours auparavant, rire et jouer avec leurs camarades de classe, dans l’insouciance des jeunes enfants. Le troisième, Philippe, 5 ans, fut sans doute éliminé en même temps que sa maman. Une seule personne enlevée ce jour-là, Albertine Lehmann, jugée apte au travail forcé, réussit à survivre, tout comme a survécu Léon Bloch, autre réfugié à Saint-Orse, qui avait été déporté après avoir été arrêté en novembre 43.
Ce terrible bilan criminel aurait cependant été beaucoup plus élevé sans les initiatives et les actes de solidarité active envers les réfugiés. Celui de Jean-Albert Bousquet est placé au faîte mais Charles Devaux à la Tannerie, Léo Teyssandier à Pelle, Jean Lagorce à la Meyronnie figurent parmi les plus méritants en ce domaine. Ils permirent notamment aux époux Rauner et à leur fille Colette, d’échapper à leurs bourreaux.
Celle-ci, maintenant Madame Bartholomew, citoyenne des Etats-Unis, qui a beaucoup œuvré pour que soit perpétuée la mémoire de tout cela, a fait part de ses regrets de ne pouvoir être parmi nous. Seule survivante adulte de ce premier avril, en compagnie de Simone Bloch, la doyenne, aujourd’hui âgée de 90 ans et à laquelle je me permets d’adresser une pensée affectueuse, elle se propose cependant de revenir ici un peu plus tard.
Simone Bloch, fille Lehmann, était l’une des personnes qui avaient fui à temps à l’instigation de Jean-Albert Bousquet. Elle attendait un deuxième enfant. Son père venait d’être abattu et elle se retrouvait précairement cachée avec son mari et plusieurs autres membres de sa famille dans les bories près de Rosas. C’est alors qu’elle accepta de remettre sa petite Henriette, âgée d’à peine 11 mois, au maire-délégué de Saint-Orse, Alfred Brachet.
Celui-ci, fait exceptionnel et sans doute très rare, avait eu l’idée, afin de sauver le bébé, de le déclarer "enfant trouvé", puis de le faire apporter à l’assistance publique, muni d’un acte d’état civil en bonne et due forme. Cela fut ainsi fait et, aujourd’hui, la petite Henriette, devenue Madame Bach, et son frère Camille venu au monde quelque temps après, sont parmi ceux qui honorent cette commémoration de leur présence.
Mais des actes de solidarité active se sont manifestés au-delà de ceux que nous avons cités. Bravant le danger, d’autres ont apporté aide, soutien et réconfort aux réfugiés menacés par la violence hitlérienne. A Rosas avec la famille Gay, au Maine, ou dans le Bourg chez les Deveaux, à Goursat et ailleurs, nombreux sont ceux, restés anonymes, qui pourraient être cités. Une autre rescapée, Liliane Jacob, se souvient, par exemple, avoir pu demeurer cachée toute la journée avec ses parents dans un poulailler, alors que tout à côté un incendie, allumé par les nazis, faisait rage.
Lorsque la troupe des assassins quitta le bourg, huit corps d’hommes massacrés gisaient sur les lieux de leur supplice, près du terrain de football pour sept d’entre eux. L’autorité municipale et quelques citoyens en compagnie de Monsieur Lamoure, l’instituteur, procédèrent à leur enlèvement et ils furent, le plus décemment possible et sans aucune cérémonie sur ordre des nazis, inhumés dans ce coin du cimetière où nous nous trouvons en ce moment.
Ce nécessaire monument constituera une condamnation permanente des crimes commis au nom d’une idéologie basée sur le racisme, la xénophobie et complétée par l’abolition des libertés individuelles et collectives. La commune de Saint-Orse, l’une des plus frappées dans la chair de ceux qui étaient venus se réfugier sur son sol, a, je crois, en l’érigeant avec le concours des familles et de sa population, utilement œuvré pour que les générations futures gardent les yeux ouverts sur ces idéologies parfois renaissantes et ne tolèrent jamais que cela puisse se renouveler, sous quelque forme que ce soit.
Merci à Madame Henriette Bloch-Bach de nous
avoir envoyé les photos de la cérémonie et à Monsieur
Martial Faucon de nous avoir communiqué le texte de son allocution.