Ely BEN GAL
16 juin 1935 - 11 mars 2015
par Barbara Weill
Merci à Levana FRENK d'avoir relu et modifié cet article

Ses racines

La famille de d'Ely Ben Gal est originaire d'Alsace, mais après la guerre de 1870 et l'annexion par l'Allemagne, la famille d'Emanuel Bloch, son grand-père, choisit de partir vivre en France. Le père de Ben Gal, Robert Bloch, épouse sa cousine Henriette Brunswick, originaire de Montpellier, et ils s'installent à Lyon où naît Ely Ben Gal, sous le nom de Pierre BLOCH.

Emmanuel Bloch, son grand-père, est un fier patriote français. Il est le chantre de la synagogue de Montbéliard, mais il n'est pas vraiment strict sur les pratiques du judaïsme. Pendant la première guerre mondiale, il sert comme médecin dans l'armée française. Lorsqu’éclate la deuxième guerre mondiale, il refuse de se cacher des Allemands, persuadé qu'aucun mal ne lui sera fait. Mais il sera arrêté  au cours de la grande rafle au siège de l'UGIF, rue Sainte Catherine, à Lyon le 9.02.1943, organisée et orchestrée par Klaus Barbie, et exterminé à Auschwitz. La trahison de la France envers son grand-père influencera grandement Ben Gal et trouvera son expression dans ses écrits des années plus tard.

Robert Bloch, son père, a des opinionsde centre-droit : il croit au capitalisme et s'oppose à la gauche et au socialisme. Son approche et sa vision du monde seront une pomme de discorde avec son fils, pendant la majeure partie de leur vie. La rébellion contre son père et leurs relations complexes ont largement façonné la vision du monde d’Ely Ben Gal. Celles-ci sont décrites en détail dans son ouvrage, Quand tu manges avec Satan.

Ben Gal est né avec le prénom "Pierre", mais il adoptera le prénom hébreu "Eliakim" dans sa jeunesse, et l’abrégra en "Ely" après son immigration en Israël ; Plusieurs années plus tard, il découvrira que son prénom juif à sa naissance était "Yishsachar".
Quant au nom de "Ben Gal" ("fils de Gaule") qu’il s'est choisi, c’est une traduction approximative en hébreu du nom "Bloch" (1).

Enfance et jeunesse

Pendant la deuxième guerre mondiale, la ville de Lyon, où vit la famille Bloch, appartient à la "zone libre", jusqu’à ce que celle-ci soit occupée par les Allemands en novembre 1942. Début 1943, après l’arrestation du grand-père, la famille se cache au Chambon-sur-Lignon, en compagnie de nombreux autres juifs. La population du village, qui compte d'environ 5000 âmes, de religion protestante pour la plupart, a sauvé un grand nombre de juifs, et 32 ​​parmi les habitants seront récompensés pour cela, du titre de Juste parmi les Nations au nom de Yad Vashem. Exceptionnellement, l’Institut Yad Vashem de Jérusalem a décerné en 1990 un diplôme d’honneur collectivement "aux habitants du Chambon-sur-Lignon et des communes voisines qui se sont portés à l’aide des Juifs durant l’occupation allemande, et les ont sauvés de la déportation et de la mort".

La famille reste dans le village pendant environ deux ans jusqu'à la Libération, puis retourne à Lyon.
Ben Gal (alors Pierre Bloch), 11 ans et demi, commence à façonner son idéologie : appartenance au peuple juif, colère profonde envers la France, qui a trahi ses citoyens juifs et les a abandonnés à leur sort, et un rejet de sa culture bourgeoise et de son mode de vie, qui à son goût sont entachés d'hypocrisie. Il décide de se tourner vers la religion : il mange casher après avoir prononcé la bénédiction, au grand dam de ses parents qui, en tant que Français enracinés, tiennent à la cuisine française.

À l'âge de 13 ans, il rejoint les Eclaireurs Israélites et commence à étudier le Talmud. A 15 ans, il rêve d'immigrer en Israël. Mais son père s’oppose fermement à son projet : " les études d’abord". Il écrit alors à David Ben Gourion pour lui faire part de son intention. En réponse, celui-ci le félicite, mais ajoute : " fais tes études, et tu viendras après".
Au milieu de l'année 1954, après que son fils l’ait supplié maintes fois, le père d’Ely finit par accepter qu’il se rende en Israël (mais pas qu’il s’y installe), pensant que la réalité refroidira son enthousiasme sioniste. Lorsqu’il retourne à Lyon à l’issue de ce voyage, son comportement rebelle, son mépris pour la bourgeoisie française et ses opinions socialistes de gauche contribuent à la rupture avec son père.

Il est envoyé à Strasbourg par le mouvement de jeunesse Hashomer Hatsaïr (sioniste-socialiste) pour coordonner ses activités. Là, parallèlement à ses activités d'animateur, il étudie le Droit à l'université. Il rencontre le professeur André Neher, figure spirituelle de la communauté juive française, et ils resteront toujours en contact étroit, malgré leurs divergences idéologiques. C'est grâce à ce dernier que l'Hashomer Hatsaïr peut obtenir un local au Mercaz comme les autres mouvements de jeunesse, malgré un premier refus des autorités de la communauté, disant qu'il s'agit d'un groupe non-religieux. André Neher déclare qu'à la suite de la Shoah, tous les options du judaïsme doivent être prises en considération.
Après avoir reçu sa plaquette de poèmes Al kanfei necharim, A. Neher lui écrira : "Nous sommes venus en Israël le 12 juin… quand, déjà, la paix était revenue, cette Paix admirable, sereine [...] C’était un séjour trop rapide pour que nous ayons pu vous prévenir et le téléphone était encore capricieux – mais nous avons vécu un tournant, le tournant bimillénaire de notre histoire. Nous reviendrons en Israël vers Tich'a be-Av pour y rester deux mois. Notre adresse : Pension Wolff, 27 Abravanel, Jérusalem. Nous nous y sommes rencontrés il y a trois ans. Mais cette fois-ci, nous sommes bien décidés à venir vous voir à Bar-Am. Alors, à bientôt. Votre plaquette est magnifique." (2)

Après un séjour de quatre ans à Strasbourg, Ben Gal part enfin s’installer en Israël, en 1957. Il rejoint d’abord le kibboutz religieux de Sdei Eliyahu dans la vallée de Beit Shean, mais il n’y trouve pas de réponse à ses attentes sur les plans religieux et social. Il décide alors de rejoindre les membres de son groupe de de l'Hashomer Hatstaïr, qui ont été envoyés par le mouvement du Kibboutz HaArtzi (3) au kibboutz Bar’am, situé à la frontière du Liban, et qui occupe une position stratégique du point de vue sécuritaire. 

Ely Ben Gal berger au kiboutz Bar'am
Il prend l’initiative de rencontrer le leader du mouvement Meir Yaari, et lui expose ses idées sur l'évolution du sionisme qui, selon lui, doit préserver la tradition, et lui confie ses problèmes de membre religieux d’un mouvement kibboutzique laïque. Yaari lui répond : "Sache trois choses : premièrement, sans la Bible il n'y a pas de kibboutz, deuxièmement, sans la Bible il n'y a pas de kibboutz, troisièmement, sans la Bible il n'y a pas de kibboutz." Ces mots resteront profondément gravés dans la conscience de Ben Gal, et l'accompagneront dans sa vie de membre du kiboutz  : alliant sa grande connaissance des traditions juives dans leurs richesses et leurs diversités, avec un engagement socialiste éloquent, il incarne l’exigence d’une continuation de la vision prophétique dans la construction d’une société juive israélienne ouverte, démocratique et progressiste.

Membre du Kibboutz Bar’am

Ben-Gal est le berger du kibboutz pendant une dizaine d’années. En gardant les moutons, il écrit ses poèmes philosophiques, qui seront rassemblés dans un recueil appelé intitulé Al kanfei necharim [Sur les ailes de l’aigle], où il exprime un cri de colère contre la France : "Je vous rends mes droits sur la Gaule…"

A cette époque Ben Gal étudie seul de nombreux textes sur la Kabbale et le mysticisme juif. Après avoir terminé ses heures de travail dans ce kibboutz laïque, il se rend secrètement la nuit à la ville de Safed, où il rejoint un groupe d'étude à la synagogue séfarade, dont les membre ignorent que leur compagnon d’étude est membre d'un mouvement affilié à la gauche socialiste.

En 1964, il part au Brésil en mission éducative pour le compte du mouvement Hashomer Hatsaïr. C’est là qu’il rencontre sa première épouse, Liora Lukitz.
En 1967, il est occupe le pose de chef de cabinet du ministre de la Santé Victor Shem Tov.

Dans les années 1970, Ben Gal quitte le kibboutz pour vivre à Jérusalem et à Tel-Aviv.
Dix ans plus tard, il retourne à Bar’am et prend les fonctions de secrétaire du kibboutz. Il donne fréquemment des conférences dans des kibboutzim sur le judaïsme, la société et la philosophie. Il est le  directeur du Musée d'art et de judaïcité Bar-David qui se trouve à Bar’am, et qui présente des expositions de sa grande collection permanente de peintures et d'objets rituels juifs, des expositions temporaires de beaux-arts, de sculptures et de photographies, ainsi qu'une petite salle d'archéologie qui expose des objets de la région. Il s’engage également dans l'enseignement et la recherche en études juives en tant que maître de conférences et directeur de recherche sur l'histoire du peuple d'Israël à l'Université Ben Gourion du Néguev et à l'Université Bar-Ilan. Plus tard, il sera maître de conférences en histoire au Collège Kinneret.

Carrière militaire

Un an après son arrivée au kibboutz Bar’am, il s'engage dans l'armée israélienne comme soldat combattant. Au fil des années il continuera à servir dans la réserve, et suivra un cours d'officier à un âge relativement avancé.
Il est enrôlé dans les réserves lors de la guerre du Yom Kippour en 1973 pour le front sud ; il sert comme officier dans le secteur d'Hébron et lors de la première guerre du Liban, il est attaché à l'unité du porte-parole de Tsahal, stationné à l'aéroport international de Beyrouth occupée par Tsahal. Par la suite il servira pendant un an (1980) en tant que commandant d'une station dans la région de la mer Morte.

En mission spéciale à Paris pour le compte du Mapam à l'époque de la "Révolution étudiante"

En mai 1968, des milliers d'étudiants manifestent contre les autorités françaises et l'Université de Paris. La lutte des étudiants est rejointe par des millions de travailleurs qui ont paralysé presque complètement l'économie pendant plusieurs semaines. Un nombre important des dirigeants de la "Révolte étudiante" sont juifs, dont certains antisionistes. Après la fin de la "Révolte étudiante", les dirigeants de la rébellion qui appartiennent à l'extrême gauche (certains sont maoïstes) soutiendront les organisations palestiniennes et lutteront contre le sionisme, qu'ils considèrent comme "de droite" et " colonialiste".

Dans ce contexte, le MAPAM (4) envoie Ben Gal (alors âgé de 35 ans) en France pour créer une organisation qui pourra s’intégrer dans les mouvements de la gauche française et exprimer le soutien de la gauche à Israël dans les négociations de paix entre Israël et les Palestiniens. Ben Gal travaille à Paris pendant environ trois ans, et fonde une organisation juive de gauche appelée OJR, "Organisation Juive Révolutionnaire", dont une partie des membres viendra s’installer en Israël.  

En France, il reprend ses études et il obtient maîtrise en judaïsme à l'Institut d'études juives de l'Université de Strasbourg en France, et un doctorat (1974) en sociologie politique et histoire à l'Institut d’Etudes Politiques ("Sciences Po") de Paris. Sa thèse de doctorat a pour sujet : Israël et le judaïsme aux yeux de la nouvelle gauche.

C’est à l’occasion de ce séjour en France qu’il renoue des relations étroites avec Jean-Paul-Sartre. Pendant le séjour de celui-ci en Israël, en mars 1967, en compagnie de Simone de Beauvoir, il leur avait servi de guide. Ben Gal relatera ses entretiens avec le philosophe, dans le livre Mardi Chez Sartre : Un Hébreu à Paris (1967-1980), qui paraîtra en 1992. Il évoque aussi dans cet ouvrage sa relation avec Arlette Elkaïm, la fille adoptive de Sartre. A la suite de cette parution, il sera fréquemment invité à donner des conférences sur le sujet en Israël et dans s’autres pays, et au début des années 2000, il sera même invité dans deux universités thaïlandaises, où il se rendra deux fois par an, pour une série de conférences sur "les fondements de l'existentialisme".

Le Musée de la Diaspora

En 1978, Ben Gal est l'un des fondateurs du Musée de la Diaspora (Beith Hatfoutsoth - par la suite ANU, Musée du Peuple juif) ; l'équipe de planification et de construction est animée par Abba Kovner. Ben Gal occupera le poste d'historien en chef du musée pendant vingt ans, et sera aussi membre du conseil d'administration.

Il rédige de nombreux textes qui sont combinés avec des diaporamas, pierres murales, affichages audiovisuels et interaction informatique, à l'époque où une telle combinaison est encore inhabituelle. Il instaure une relation entre le musée et le département éducatif de Tsahal en formant une équipe d’animateurs spéciale pour les soldats qui visitent le musée.

Il est aussi le fondateur et rédacteur en chef de l'encyclopédie en ligne"Anshey Segula" ("Personnes remarquables"), qui compile des informations sur les lauréats juifs du prix Nobel. Elle est publiée sur le site Internet de Beith Hatfoutsoth, et elle est dédiée à sa mémoire.

Sa famille

En 1964, lors de sa mission au Brésil, Ben Gal épouse Liora Lukitz qu'il a rencontrée à Rio de Janeiro. Le couple a eu deux fils, Irad Ben Gal (Emmanuel - du nom de son grand-père) né en 1965, professeur au Département de génie industriel de la Faculté d'ingénierie de l'Université de Tel Aviv, spécialisé dans les domaines de l'analyse et de l'apprentissage automatique ; et son frère Yanaï Ben Gal (né en 1968), directeur du service de chirurgie cardiothoracique du centre médical Ichilov de Tel Aviv et spécialiste de la chirurgie cardiaque mini-invasive et hybride.

En 1983, longtemps après son divorce d'avec sa première femme, Ben Gal s'est remarié avec Michal Raivitz, membre du kibboutz Bar'am, avec qui il a vécu au kibboutz jusqu'à son décès à l'âge de 80 ans. Il a laissé derrière lui six petits-enfants.

Bibliographie en français

Sources

Notes

  1. Le nom "Bloch" est formé par une transcription en hébreu de l’allemand " Welsh" qui désigne argotiquement les Français.
  2. Lettre du 14 juillet 1967 d'André Neher à Ely Ben Gal, écrite un mois après la guerre des six jours.
  3. Kibboutz HaArtzi : confédération des kibboutzim affiliés à l'Hashomer Hatsaïr.
  4. Le parti MAPAM, Mifleget HaPoalim HaMeuhedeth qui signifie "Parti des travailleurs unis" est un parti politique israélien qui se réclame du marxisme. Il sera actif jusqu'aux années 1990. Le mouvement Kibboutz HaArtzi , auquel appartient le kiboutz Bar'am, fait partie du MAPAM.


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