L'entreprise de montres
Armand Schwob & Frère était basée à La
Chaux-de-Fonds (Suisse) au 14, avenue Léopold Robert. L'entreprise
a été fondée le 1er novembre 1881 et immatriculée
le 27 janvier 1883 en tant qu'entreprise de fabrication d'horloges métalliques
à part entière à La Chaux-de-Fonds. L'entreprise appartenait
à Armand Schwob & Abrabam Schwob, originaires de Hégenheim,
mais qui vivaient à Paris. À Paris, la société
était représentée avec un point de vente de montres et
bijoux au 19 boulevard Bonne-Nouvelle.
Généalogie
Le premier Schwob recensé à Hégenheim
était Naftaly Mosché, né avant 1665.
C'est l'aïeul lointain de Aaron Schwob né le 3 janvier
1822 à Hégenheim, marchand de peaux et cuirs, puis négociant.
Marié à Florine Bloch de Durmenach,
il eut deux fils Armand Schwob (1857-1930) et Abraham
Schwob (1858-1901) (1).
Il se remariera avec Henriette Dockes de Hattstatt
, avec laquelle il aura quatre enfants.
Armand Schwob restera célibataire.
Abraham Schwob (né le 16 octobre 1858 à Hégenheim), épouse
Anne Van Vers (1863-1901), une Belge de Bruxelles. Le mariage a lieu le 3
août 1897 à Paris, mais le couple n'aura pas d'enfant. Décédé
le 25 août 1901 à Vaucresson, Abraham est enterré au cimetière
Montparnasse à Paris. La cause de son décès reste inconnue.
Armand Schwob, un homme d'affaires précoce (2)
Il fréquente le lycée de Nancy et après avoir passé son bac,il travaille avec son oncle, qui dirige une manufacture horlogère à La Chaux-de-Fonds.Après un an d'apprentissage, son oncle confie au jeune homme de 17 ans une somme d'argent avec laquelle il ouvre une succursale dans l'une des rues les plus élégantes de Moscou. En deux ans, il réussit à y gagner pas moins de deux millions de roubles or. Il fréquente des cercles mondains et offre au Tsar une montre en or avec le portrait de la tsarine et à celle-ci avec la photo de son mari. Le tsar dit-on a porté cette montre pendant longtemps.
Il a ensuite dû se rendre à Aix-la-Chapelle pour faire une cure.
Quelques années avant l'Exposition de 1900, il est, à
Paris, où il installe, boulevard Bonne-Nouvelle, un grand magasin d'horlogerie.
Comme enseigne, il imagine un immense cadran qui, toutes les cinq minutes,
change de couleur ; les passants, amusés, s'arrêtent, la
clientèle afflue.
Comme partout ailleurs, il cherche et trouve bientôt le contact avec
les hautes sphères du monde politique et financier. Le point culminant
de ses réussites sociales est sa présentation au Président
de la République française, Carnot.
Par l'entreprise de Charles Séguin,
Schwob établit des liens avec l'Amérique du Sud.
Bien qu'ils aient annoncé qu'ils avaient une usine à
La Chaux-de-Fonds, ce n'est qu'un bureau ou une succursale, et
il y en a une autre dans la capitale argentine. Ils n'ont jamais possédé
d'usine.
En 1892, l'entreprise fait faillite ; fin mars, les frères associés
ont suspendu leurs paiements et se s'adressent au tribunal de Commerce de
la Seine pour obtenir la liquidation judiciaire.
Tout au long de sa brève histoire, leur entreprise française
a déposé seize marques en Suisse.
Leur référence : la montre mystérieuse (3)
Exemplaires de la montre mystérieuse |
Après un accueil mitigé, la montre mystérieuse est décrite de la façon suivante dans un journal américain (4) : Les MM. Schwob viennent de sortir une montre assez singulière. C'est, pour ainsi dire, une "horloge" de poche mystère. Un cadran en verre est serti dans une lunette à bord argenté, et deux aiguilles se déplacent, comme par magie, sur le verre transparent sans la moindre transmission apparente de mouvement. La vue à travers la vitre est dégagée et une personne peut lire son journal à travers le cadran. Quelle est la clé de l'énigme ?La suite de l'article explique comment le mécanisme a été conçu.
Parmi les millions de visiteurs de l'Exposition universelle de Paris de 1889 durant laquelle la montre est exposée figure le Shah de Perse qui se voit remettre un spécimen de l'objet impossible. Le quotidien Le Figaro (5) rapporte : Mercredi 7 août 1889, MM. Armand Schwob et son frère, horlogers, ont offert au Shah un magnifique spécimen de la "montre mystérieuse" […]. Cette montre est composée d'un cadran en verre serti d'un cerclage d'or, sur lequel opèrent deux aiguilles sans que l'on perçoive la moindre trace de mouvement. Naser al-Din fut très intrigué par ce bijou admirable, qu'il accepta avec grand plaisir.Pour sa création, le monarque perse fait Hugues Rime chevalier de l'ordre du Lion et du soleil, tandis que les Schwob, en tant que fabricants sont faits officier du même ordre (6).
Il n'y a pas deux montres qui se ressemblent. Elles sont différentes soit par la forme du col, de l'arc, de la couronne ou du loquet, les motifs du cache-poussière la forme du cartouche, la couleur ou le style des aiguilles, les chiffres romains et/ou arabes, le décor élément peint au centre du cadran, boîtiers en or, vermeil, argent, etc. C'est une indication que chaque montre de poche a été fabriquée individuellement. Parce qu'Armand Schwob et Frère n'a jamais été une manufacture d'horlogerie, on ne sait pas qui était le vrai fabricant.
L'usurpation de nom de Pateck Philippe (7)
Lors de l'exposition d'Anvers
en 1895, la maison Pateck-Philippe découvre dans les vitrines de A
Schwob et Frère une montre portant le nom de "Patek-Philipp, Genève".
Le commissaire suisse de l'exposition ne veut pas provoquer de scandale et
l'affaire n'a pas de suite. Cependant la presse a vent de l'histoire par la
maison Schwob qui veut protester et clamer sa bonne foi en soulignant que
seule une montre trouvée dans ses vitrines avec la marque Patek et
Cie n'a pas été produite par leurs ateliers de fabrication.
La maison Pateck-Philippe porte l'affaire devant les tribunaux en considérant
que l'usage de son nom est un préjudice considérable étant
donné que les montres fabriquées par A. Schwob sont de qualité
inférieure.
La maison Schwob se défend en clamant que les deux marques ne peuvent
être comparées et que la maison Pateck n'a pas perdu un seul
client. Il est aussi d'usage ancien de graver sur la cuvette de la montre
Patek. Cela était su et n'avait jamais créé de problème.
Le nom est également écrit sans le "c".
S'ensuit un long procès, suivi de près par les journaux. La marque mise en cause tente dans un premier temps de réfuter la faute en prétendant avoir acheté la montre à un certain Monsieur Bonneault à Paris le 29 mai 1885. Par manque de preuves le procès s'éternise ; les semaines et les mois se succèdent sans qu'aucun des partis n'obtienne gain de cause. Armand Schwob est connu comme juif, et cette affaire a pour effet de "nourrir" la presse antisémite (bien que ce dernier mot n'ait pas encore été inventé).
Cependant un événement veint basculer l'affaire en faveur
de la maison "Patek Philippe & Cie".
En décembre 1886 une montre signée "Pateck, Genève" et portant les initiales "A.S. & F" (comprenez ici
Armand Schwob & Frère) est envoyée en réparation
à la maison "Patek Philippe & Cie". Une dernière
preuve fait surface en 1890 par le témoignage de Georges Roulet, qui
déclare avoir déjà gravé le nom "Pateck
& Cie, Genève" à la demande formelle et écrite
d'Armand Schwob et Frère.
Les preuves étant finalement irréfutables, la maison Armand
Schwob & Frère est condamnée à payer 15 000 francs
en plus d'une interdiction d'utiliser le nom "Pateck".
Le tribunal cantonal de Neuchâtel condamne les Schwob en novembre 1890.
La maison Armand Schwob & Frère doit payer 15 000 francs en plus
d'une interdiction d'utiliser le nom "Pateck". Le
tribunal avait recensé plus de 678 montres portant le patronyme "Pateck" ou "Pateck et Cie Genève".
À cette liste de condamnations s'ajoute la publication du jugement dans cinq journaux choisis par la maison "Patek Philippe & Cie" et l'obligation d'endosser la totalité des frais du procès (8).
1893 – L'ambre spécial (9)
Armand Schwob, membre du cercle Betting club, propose à son directeur,
M Bertrand, parfumeur, d'investir dans la fabrication d'un ambre
comparable à l'ambre naturel.
La maison Franquel, dont le siège se trouve à Berlin, s'occupe
de la fabrication, mais elle a besoin de plus de capitaux pour se développer.
M. Bertrand se laisse séduire et investit 45 000 fr. Cette somme sera
remboursée peu de temps après avec une belle plus-value par
une banque à Londres.
Sur ce, M Bertrand investit de gros montants pour un remboursement calculé
par M. Schwob à 8 millions.
Après quelques semaines, M. Bertrand demande le paiement partiel d'une
partie de ses investissements. L'associé de Schwob étant
très évasif, il prend contact avec la banque de Londres et celle-ci
l'informe qu'elle ne connaît pas la maison Franquel de Berlin.
En plus d'avoir détourné entre 500 et 600 000 fr, Armand
Schwob a convaincu M. Bertrand de lui laisser un collier de perles d'une
valeur de 45 000 fr pour le vendre et faire un beau bénéfice.
Mais M Bertrand ne perçoit aucun bénéfice de cette vente.
L'argent et Schwob ont disparu.
En 1894, lors du procès, M Schwob déclare que les sommes investies
par M. Bertrand n'étaient pas pour des raisons commerciales,
mais pour l'aider a rembourser des dettes de jeu, et que celles-ci ont
été remboursées avec intérêts (10).
En mars 1895, le tribunal se déclare incompétent pour le chef
d'accusation de délit d'escroquerie, mais condamne les
Frères Schwob pour banqueroute simple à des peines de 18 mois
de prison contre Armand et trois mois pour Abraham (11).
Photo d'Armand Schwob dans le Petit Parisien |
Depuis vingt-cinq ans, Armand Schwob, que recherche la justice
française, a mené une vie princière. Avec l'argent
des autres. Nous avons, ces temps derniers, conté quelques méfaits
d'un escroc de haut vol, Armand Schwob. La police le recherche, sans
avoir pu réussir encore à retrouver sa trace. On croit, cependant,
qu'il s'est réfugié en Allemagne.
On écrirait un roman et du plus haut comique en narrant par le menu
toutes les combinaisons échafaudées par Schwob pour se procurer
les millions qu'il a dépensés, en grand seigneur. Il n'est
guère, par le monde, de capitales où il ait, assure-t-on, négligé
de faire des dupes. Et le plus extraordinaire est que, parmi ses victimes,
il s'en trouve qu'il réussit à attirer plusieurs
fois dans ses pièges.
Ce diable d'homme est d'une habileté prodigieuse. Actuellement
âgé de soixante-sept ans, élégant, correct, d'une
politesse raffinée, il possède un don de persuasion indéniable,
et toute sa vie, il a fait de ce don le plus détestable emploi.
Son coup d'essai est un coup de maître. Peut-être le fameux
Lemoine, qui prétendait avoir trouvé un moyen économique
de fabriquer du diamant s'en est-il inspiré ? En tout cas, les
procédés employés par les deux filous se ressemblent
étrangement.
Les fume-cigarettes
Un beau jour, c'était en 1900 et non pas, comme il a été
dit par erreur en 1922, Schwob se rend dans un grand cercle des boulevards,
où il compte de nombreuses relations ; il a à la bouche un magnifique
fume-cigarette d'ambre.
On admire l'objet.
- Ça sort de mes ateliers et ça vaut tout juste quarante sous,
décrète-t-il négligemment.
De ses poches, il tire une douzaine de fume-cigarette semblables et tes distribue
autour de lui.
L'un des bénéficiaires du cadeau, M. Bertrand, administrateur
du cercle, montre par hasard son fume-cigarette à un expert.
Le doute n'est pas permis, affirme celui-ci. Il est en ambre et vaut
150 fr. au minimum.
Flairant la belle affaire. M. Bertrand parle de l'invention à
M. Max Lebaudy.
On propose à Schwob une commandite. Celui-ci refuse tout d'abord. Enfin, ayant loué, en banlieue, une bicoque, où il dispose des cornues, des serpentins, des chaudières, d'un four électrique digne tout au plus de figurer dans un décor de théâtre, il consent à faire visiter ce qu'il appelle pompeusement son usine. On revoit là, encore quelques fume-cigarettes. Ce premier coup de filet rapporte, paraît-il, plusieurs millions à l'escroc.
La cloche à plongeur
Schwob trouve moyen de calmer les impatiences de ses bailleurs de fonds, d'éluder les questions embarrassantes jusqu'au moment où il lance une invention nouvelle une cloche à plongeur permettant d'atteindre des profondeurs de 300 mètres. Il montre des plans, des photographies de son appareil aussi pourvu de glaces que la lanterne d'un phare. Cette fois encore, on lui confie de fortes sommes. Sans plus attendre, il prend le train à destination du Havre et s'embarque pour New York.
En Amérique, sous le nom de Marcel Le Prévost, il continue son existence hasardeuse. Après maints avatars, il est, un beau matin, cueilli dans son lit et condamné à trois ans de prison.
Les perles
Nous sommes en 1918, se croyant oublié, Schwob revient en France. Il loue, 2 rue Édouard- VII, de somptueux locaux. Il fait maintenant le commerce des perles fines et des pierres précieuses. Son truc est simple. Il se fait confier des lots de plusieurs centaines de mille francs, les vend ou les engage, creuse un trou pour en boucher un autre, sollicite des traites de complaisance qu'il ne rembourse, bien entendu, jamais. Grâce à une diplomatie sans égale, il se maintient jusqu'en 1920, puis disparaît brusquement, laissant un passif de 4 millions.
Peu après, un importateur de perles, M. Hobaica, le fait arrêter, par une agence de police privée, dans un hôtel voisin de la gare Montparnasse, où il se cachait sous le nom de sa dactylographe. M. Pamart, juge d'instruction, ouvre une enquête, qui se termine par l'envoi de Schwob à la Santé, l'escroc n'y restera pas longtemps. Se prétendant malade, il est bientôt envoyé à l'infirmerie de Fresnes, puis obtient du magistrat l'autorisation de se faire soigner et opérer dans une maison de santé de la rue Brochant. Dès son arrivée, la clinique se transforme en un véritable office commercial.
Tous les jours, les salons d'attente sont envahis par des courtiers, des commissionnaires qui n'ignorent pas les démêlés de Schwob avec la justice et viennent cependant traiter avec lui des affaires.
Au bout d'un an, Schwob quitte, le front haut, la rue Brochant, où
il se trouvait sous la surveillance de la police. Il a réussi à
se faire mettre en liberté provisoire.
Quelques jours après, il a de nouveaux bureaux, 8, rue de la Chaussée-d'Antin.
Afin de rendre confiance à ses dupes et de redonner, pour un temps,
libre cours à sa malfaisante activité, il invente une nouvelle
histoire.
Les bijoux disparus
Celle-ci arrive très vite. Un nombre de bijoutiers parisiens lui a confié, pour vente, des bijoux d'une valeur de 500 000 frs. Un mois après ces mêmes bijoutiers reçoivent une lettre de Schwob leur annonçant son départ en voyage pour recueillir un héritage. Un de ses oncles, M. Rubens, est décédé en Amérique, laissant une fortune de huit millions de dollars. Schwob a été déshérité et, depuis longtemps, la succession est liquidée. Il en joue cependant avec sa maestria habituelle, produisant des actes qui ont toute l'apparence de l'authenticité.
Le départ et cette disparition incitent les commerçants lésés à porter plainte. M. Pamart juge d'instruction est chargé de cette affaire ; il donne mission à M. Ameline, commissaire aux délégations judiciaires, de perquisitionner dans le bureau que Schwob a sous-loué, 8, Chaussée d'Antin.
Le magistrat y peut constater que le courtier en bijoux a procédé,
avant son départ, au déménagement complet de ses bureaux.
Un coffre-fort est cependant resté, dont l'ouverture fait découvrir
des liasses de valeurs et d'obligations fantaisistes. Poursuivant ses
recherches dans la chambre qu'occupait Schwob, dans un grand hôtel
des Champs-Élysées, M. Ameline n'y trouve pas le moindre
document
intéressant. Là aussi, on ignore en quel endroit le courtier
en bijoux a pu se rendre. La valeur des bijoux et des sommes qui lui ont été
confiés, atteint un demi-million. Un des commerçants volés
H. Bloch témoigne :
"J'étais en affaires depuis plusieurs mois avec Schwob.
Je lui avais remis deux brillants blanc bleu pesant 5 carats d'une valeur
de 22 000 francs et un collier, platine, perles et brillants, valant 11 000
francs. Malgré mes réclamations, il ne voulait ni les payer
ni les rendre. Enfin, le jour même de son départ dont il ne m'avait
pas avisé il me promit de me donner satisfaction le surlendemain. J'ai
appris, depuis lors, que Schwob avait engagé mes bijoux chez un marchand
de meubles. A. Lévy, 42, boulevard du Temple qui lui prêta 10
000 francs sur les brillants et 6 000 francs sur le collier. Ces bijoux ont
été saisis depuis par la justice. Vous voyez que, en ce qui
me concerne, j'ai quelque espoir de retrouver mon bien."
La police recherche activement Armand Schwob. La description est la suivante : de taille élevée, de teint coloré, élégamment mis, il porte allégrement ses soixante-six ans.
La fin
Dans le journal de Guebwiller en 1926, on apprend que Schwob est gravement
malade et se repose dans un sanatorium à Fiume (aujourd'hui Rjeka)
en Croatie.
Il décédera dans un hôpital de Berlin en 1930 après
quelques dernières entourloupes.