Léon Blum au Congrès d'Amiens, janvier 1914 (Jaurès se trouve devant lui) Croquis de H.P. Gassier |
"Moi, qui suis né juif ", écrit Léon Blum dans sa critique d'Israël, la pièce de M. Henry Bernstein jouée le 13 octobre 1908.
Quand on dit qu'on est "né juif ", c'est en réalité... laisser entendre qu'on ne l'est plus.
Et pourtant, tout au cours d'une vie politique combative et accidentée, Léon Blum a revendiqué sa qualité de juif et, en 1950, quelques semaines avant sa mort, il affirmait sa foi sioniste.
La contradiction n'est qu'apparente, comme nous le verrons.
Sa famille, du côté paternel, est originaire de Westhoffen, localité du canton de Hochfelden (Bas-Rhin) qui fut autrefois un centre juif assez important.
Dans le Dénombrement général des juifs qui sont tolérés en la province d'Alsace en exécution des lettres patentes de Sa Majesté en forme de Règlement du 10 juillet 1784, sous le matricule 4-, figure la famille Baruch Abraham dont le petit-fils prit, en 1808, lorsque les juifs français furent dans l'obligation de prendre un nom propre, le nom de Moïse Blum. Léon Blum en est le descendant. Du côté maternel, les Picart sont originaires de Ribeauvillé, où on retrouve en 1747 un Picart Salomon, l'un des aïeux de Marie Picart, épouse d'Auguste Blum, père de Léon Blum. Ce dernier vint se fixer à, Paris aux environs de 1848.
Si ses parents semblent avoir été pratiquants, Léon Blum ne l'est pas.
L un des personnages des Nouvelles conversations de Goethe avec Eckermann fait connaître son sentiment sur la religion juive qui fut, à n'en pas douter, celui de Léon Blum :
La race, il en précisera le caractère fallacieux au cours d'un discours prononcé en 1933 à la LICA (Ligue internationale contre l'antisémitisme) en pleine période d'expansion nazie.
A défaut de religion, de race, au sens scientifique tout au moins - car nous verrons Léon Blum utiliser beaucoup cette expression - comment pouvait-il se dire juif ? Il y avait, d'abord, chez Léon Blum, : sa "noblesse", sa "générosité ", sa chevalerie" pour employer les propres expressions d'André Gide (2) qui lui interdisaient de se séparer d'une communauté humaine souvent persécutée ; mais, ensuite, sa propre définition du juif caractérisé en fonction de l'antisémitisme :
Léon Blum était juif devant l'antisémitisme. Il l'était aussi devant l'injustice. Il fait dire à Goethe dans Les Nouvelles conversations :
Léon Blum avait "la religion de la Justice" (4). C'est elle qui 1'a conduit au Socialisme, qui a fait de lui l'homme d'Etat lequel a le plus amélioré la condition ouvrière en France, qui l'a guidé dans sa vie privée. C'est encore la "religion de la Justice" qui fut pratiquée avec exactitude pour les nominations qu'il effectua ou qu il inspira comme chef du Gouvernement. Ne peut-on lui appliquer ce qu'il pensait de Bernard Lazare lorsqu'il écrivait :
Déjà Jaurès, dans une page splendide, avait constaté et magnifié l'apport de ces juifs dans la civilisation française :
Donc, bien qu'imprégné de l'optimisme qui émanait de l'action et de la conception de Jaurès - après une prédilection pour l'anarchisme - Léon Blum. sans s'en dégager, se précise et s'affirme et, dans le cadre de cette étude - car Léon Blum est complexe et possède un fort penchant à l'esotérisme - va se présenter comme un Français laïc avec deux inclinations motrices : la réaction contre l'antisémitisme, l'amour passionné de la justice.
Alors viendront ses affirmations renouvelées, réitérées, constantes chez l'homme politique, qu'il soit militant socialiste, chef d'un parti révolutionaire ou Président du Conseil, de ses liens avec les juifs, tout en ne cessant pas, comme nous l'avons déjà vu, d'insister sur sa qualité de Français.
Dans la Chambre des Députés "bleu-horizon", le 11 janvier 1923, le royaliste Magne, député éphémère du Gard, lui lança : Il n y a place que pour des Français, ici " ; Léon Daudet ponctua : "A Jérusalem !" et - on ne sait pourquoi - M. Ybarnegaray le qualifia de "juif protestant" ; si bien que, dans le tumulte qui s'ensuivit, Léon Blum répliqua :
Le journaliste allemand Frédéric Sieburg, dans un portrait de Léon Blum qu'il adressait de Paris en juin 1936, à la presse de son pays, ne s'y est pas trompé :
Pour la première fois dans l'histoire politique de la France, un Président du Conseil vint s'expliquer directement devant le peuple. Après avoir reçu les délégués des usines métallurgiques de la Seine, Léon Blum, le 6 septembre 1936, dans une grande réunion publique à Luna Park, répondant à un argument selon lequel on peut assurer la paix en exaltant le sentiment patriotique, s'écriera, à propos de sa politique espagnole :
De' même, au cours de son procès devant la Haute Cour (de Riom) pendant l'occupation, il relatera sa conversation, en 1936, avec le docteur Schacht, alors ministre de l'Economie nationale et gouverneur de la Banque du Reich, affirmant nettement "je suis marxiste, je suis juif " comme une fois de plus, il avait répété au cours de ce même discours de la LICA du 26 novembre 1938 :
Il est absurde de penser que Léon Blum a considéré "la race juive comme supérieure, comme appelée à dominer" (André Gide dixit en 1914) ou qu'il favorisât ses coreligionnaires ; une légende tenace, comme toutes les légendes, veut qu'il ait peuplé les cabinets ministériels de juifs : dans le sien propre, en 1936, il n'y en avait qu'un - l'auteur de ces lignes - (sur treize membres) ; mais il les fréquentait. Tous ses amis n'étaient pas juifs, ni tous les juifs ses amis, mais il avait des affinités avec eux ; ce n'est pas par un pur hasard que lui, que n'inspirait aucune préoccupation religieuse, que n'animait aucun souci de préservation raciale, devenu veuf deux fois, se soit remarié, une troisième fois, comme les précédentes, avec une juive.
Comme M. François Mauriac l'a écrit justement : Il avait un penchant pour les siens."
Les "siens" ne lui ont pas toujours montré la même inclination et nombre d'entre eux lui ont reproché avec virulence son activité politique socialiste, soit qu'ils craignissent une atteinte à leurs privilèges capitalistes, soit qu'ils redoutassent un accroissement de l'antisémitisme.
Un homme politique ne reçoit pas seulement que des compliments... Ses coreligionnaires fournissaient un très large lot de lettres injurieuses, outrageantes ou tout simplement viles. Certains retirèrent à l'avocat les dossiers qu ils lui avaient confiés ; il y eut même un 'hazan en exercice qui lui appliqua l'épithète de "sale juif", - et surtout, cette démarche, qui eût été une basse insulte et une vilenie, si elle n'avait été camouflée par une amitié d'enfance, d'un ministre important du culte israélite, personnage considérable dans la Comunauté juive, venant lui proposer, en mai 1936, s'il renonçait à la Présidence du Conseil, une indemnité égale, sa vie durant, au traitement de premier Ministre !
Rien ne le fit dévier de la ligne qu'il avait choisie.
Il avait jugé sévèrement la pusillanimité de nombreux juifs dans ses Souvenirs. sur l'Affaire et constaté
Le 15 mai 1936, avant même la formation du gouvernement qu'il allait présider, à l'occasion d'un déjeuner offert par l'American Club, il décochait à ces juifs ce trait :
Le 26 novembre 1933, après son passage au pouvoir, il précisait courageusement dans ce discours à la LICA que j'ai déjà cité, et avec ce don de prescience qu il avait souvent :
La catastrophe déferla sur le monde. Emprisonné par Pétain qui le détestait, Léon Blum condamné par lui avant jugement, fut également livré par lui à la Gestapo. Quand il revint de déportation, le nouveau président du Consistoire Central des Israélites de France, M. Léon Meiss, lui adressa une lettre de sympathie déférente, et à sa mort, l'organe du Consistoire israélite écrivit :
Il ne rentre pas dans le cadre de cet article d'examiner l'attitude et la politique de Léon Blum à l'égard du catholicisme et du Saint-Siège.
Je me contenterai d'indiquer qu'il a fait triompher dans le Parti Socialiste la formule guesdiste : "la religion est une affaire privée" sur celle des blanquistes : "ni dieu, ni maître". Comme Président du Conseil, rompant avec une tradition qui datait du début du siècle, il. est allé à la Nonciature pour l'anniversaire du Pape, ce que ne faisait aucun de ses prédécesseurs depuis M. Combes. Louis Marin, qui combattait, avec un acharnement sans faille, le Gouvernement de Front Populaire, déclarait à l'époque que "jamais un Gouvernement français n'avait été aussi bien vu au Vatican."
Sioniste, il ne l'était pas encore en 1903 lorsqu'il rendait compte du Retour de Jérusalem. C'est le professeur Weizmann qui, suivant sa propre expression, l'a "enrôlé". Il semble que la première guerre mondiale attira son attention sur les problèmes spécifiquement juifs et que, vers 1918, il se soit passionnément intéressé à la cause sioniste. Il a raconté à Marc Jarhrblum, comme il que l'a raconté plusieurs fois à moi-même, comme il l'a écrit, comment, après la déclaration Balfour sur le Foyer national juif, il avait usé, au moment de la Conférence de la Paix, de ses relations considérables, de son amitié profonde avec son voisin et ami intime, Philippe Berthelot, pour obtenir la levée simultanée de l'opposition française contre l'attribution du mandat palestinien à la Grande-Bretagne, et de l'opposition américaine contre l'attribution du mandat syrien à la France. "
Le mandat donné à la Grande-Bretagne prévoyait la constitution d'un organisme, "l'Agence Juive", chargé de coopérer avec le Gouvernement mandataire par le concours de tous les juifs s'intéressant au Foyer national juif.
L'invitation fut donc adressée au judaïsme français d'envoyer des délégués choisis parmi ceux n'appartenant pas à des organisations sionistes en vue de participer à une assemblée qui serait à la fois le seizième congrès sioniste et le congrès d'élargissement de l'Agence Juive. Il se réunit à Zurich, du 28 juillet au 14 août 1929. Un comité d'initiative avait été créé en France qui désigna trois délégués, dont Léon Blum, alors député et leader du Parti Socialiste français. Léon Blum intervint au congrès, naturellement dans la seule langue qu'il parliât, le français. Je n'ai pu retrouver, malgré mes recherches, aucun texte français donnant un compte rendu complet de son intervention. Il existe un résumé allemand du procès-verbal du congrès, qui a été retraduit pour moi, obligeamment, par M. Paul Giniewsky, de la Terre Retrouvée.
Après avoir indiqué que son activité était consacrée au socialisme international, Léon Blum affirma qu'il n'avait jamais renié son origine et qu'il l'a même toujours revendiquée avec fierté, mais qu'il était détaché de toute foi et de toutes pratiques religieuses ; il a salué Einstein, présent au congrès, a célébré le peuple juif, "la grande victime de l'histoire", et ajouté que la Palestine juive était une anticipation de la nation internationale qui mérite non seulement l'admiration du judaïsme mais aussi de toute l'humanité.
memorial Léon Blumau kiboutz Kfar Blum oeuvre d'Avishaï Teicher , novembre 2008 |
Il existe un opuscule de Léon Blum qui a pour titre : Le devoir international vis-à-vis du Foyer national juif, paru peu auparavant. A mon avis, bien que publié sous son nom, et vraisemblablement avec son autorisation, cet opuscule n'a pas été rédigé par lui. J'avoue ne reconnaître dans cet écrit aucune des caractéristiques de la pensée ni du style de Léon Blum. Harcelé parfois par telle ou telle personne qui lui demandait une lettre ou un message, Léon Blum lui disait : "Faites-le donc vous-même" ; il donnait ensuite son imprimatur, et le texte partait, avec la signature de Léon Blum, et comme étant de lui-même. Il y avait à cette époque, vivant à Paris, un sioniste d'envergure, le docteur Victor Jacobson. Est-ce lui qui est le véritable auteur de ce texte ? Est-ce un autre ? Je l'ignore, mais Léon Blum a certainement connu ce travail. L'a-t-il relu ? L'a-t-il corrigé ? Je l'ignore.
Léon Blum fut cruellement déchiré par l'obstination de Bevin et la politique du cabinet travailliste à l'égard de la Palestine juive. Il intervint sans succès auprès d'Attlee à qui l'unissaient des liens personnels d'amitié, mais il n'hésita pas ; il proclama son opinion pro-israélienne dans de nombreux articles et même il aida de toutes ses forces à l'avènement de l'Etat d'Israël (5).
Dans l'affaire de l'Exodus, il encouragea le socialiste Ramadier, Président du Conseil, à ne pas violenter la volonté des immigrants dont le débarquement forcé fut empêché par l'énergie résolue d'Edouard Depreux, ministre de l'Intérieur, malgré les pressions continues du Gouvernement britannique. Première victoire d'Israël, grâce à l'attitude de la France !
Le 1er février 1950, le Keren Kayemeth Leisrael (Fonds National juif), avait organisé un banquet en l'honneur du professeur Weizmann, Président de l'Etat d'Israël ; Léon Blum, dans l'incapacité physique de s'y rendre, adressa un message dont - lui qui ne se citait pour ainsi dire presque jamais - il répéta, mot pour mot, un passage, dans une lettre adressée à Guy de Rothschild pour la réunion inaugurale du Fonds National juif unifié, peu de temps avant sa mort, montrant; ainsi la fermeté définitive de sa conception :
Ainsi, proche de la fin, se mêlaient dans une aspiration finale son patriotisme français, sa solidarité juive et aussi son esprit socialiste qui lui faisait admirer les réalisations de Palestine, lesquelles avaient su concilier la justice sociale et la liberté.
La dernière conversation que j'eus avec lui, quelques semaines avant sa mort, chez moi, où il était venu me voir à l'improviste, porta exclusivement sur Israël où il désirait tant se rendre.
Son dernier article, paru dans le New-York Forward, était consacré à la Question de Jérusalem :