Marie BLOCH
une des premières femmes astronomes en France (1)
1902 - 1979
par Christophe SANCHEZ
Extrait de HEGENHEIM BUSCHWILLER 2022 - Bulletin du Cercle d'Histoire de Hégenheim Buschwiller



Marie Bloch en 1965
© Archives Observatoire de Lyon
Avant-propos
À l'époque où sa carrière prenait son essor, Marie Bloch dut se battre contre deux "prédestinations" : être femme, et être d'ascendance juive. Une jeune fille de la fin du 19ème siècle n'était pas naturellement destinée à la recherche scientifique, et surtout pas dans le domaine des sciences "dures" : elle allait pourtant réussir à y atteindre un sommet. Ses origines israélites potentiellement, le fait d'être une femme et le manque de moyen financier de l'observatoire de Lyon auraient pu freiner son parcours, mais elle lutta, trouva de l'aide, et fit la carrière dont elle rêvait.

Une petite Lyonnaise, d'origine alsacienne
Marie Cécile Bloch est née à Lyon le 26 juillet 1902, dans une famille de cinq enfants.
Son grand-père paternel, Meinrad, vint à Lyon vers 1888.
Son père Salomon est né à Avenches, village de Suisse connu à Hégenheim, car le rabbin Nordmann s'occupait de cette communauté qui arriva à un pic de 260 israélites vers 1858, soit 15 % la population de la localité. Salomon était horloger et fut longuement, gardien de la synagogue de Lyon.
Le départ de Hégenheim a pu faire suite au Judenrumpel de 1848, mais aussi à la possibilité donnée aux juifs d'habiter en Suisse.
Les communautés de Wintzenheim et Hégenheim étaient proches et de nombreux mariages unissaient les deux communautés (2).

Études lyonnaises
Marie Bloch étudia à la Martinière, entrée en 1918 avec son BEPS, et diplômée en 1920 dans la seconde promotion. À la Faculté des sciences, Marie obtint à partir de 1923 le certificat de Mathématiques générales, puis ceux de Calcul différentiel et intégral, Mécanique rationnelle, Physique générale et Astronomie approfondie : une très solide formation de départ pour l'astronomie.

Marie Bloch découvre l'Observatoire
Le directeur de l'Observatoire de Lyon avait remarqué le talent de quelques jeunes femmes dont Marie Bloch. Il était un ardent défenseur de l'enseignement pour tous, filles et garçons. À l'époque, cette ouverture d'esprit n'allait pas de soi. Mais il avait aussi un autre intérêt et prenait de préférence des étudiants dociles et peu exigeants. Au sortir de la Grande Guerre, le budget de l'observatoire était dérisoire et les instruments pas automatisés. Les observations purement visuelles, demandaient beaucoup de personnel, qu'on ne pouvait guère rémunérer, pour assurer une collecte de mesures conséquente, et le traitement de ces données.

Le 19 août 1919, M. Bloch répondit à une première offre de son professeur : il s'agissait de reproduire son cours de mathématiques par polycopie.

M. Bloch sollicita ensuite d'être admise en stage à l'observatoire. Sans surprises, cette demande fut acceptée, et le 1er septembre 1920 Marie intégrait le personnel auxiliaire ; notons au passage que statutairement les stagiaires n'étaient pas rémunérés et que la durée du stage était de deux ans à l'issue desquels aucune garantie d'emploi n'était acquise, même si c'était dans les faits la filière "normale" pour devenir assistant d'observatoire.

La jeune Marie commença son apprentissage d'observatrice sur l'équatorial de 16 cm dit "équatorial Brunneré ; cet instrument était utilisé de nuit pour l'observation des étoiles, mais aussi dans la journée pour la surveillance de l'activité solaire. Elle se forma aussi à l'utilisation de la TSF, une nouveauté apportée par la guerre. Marie fut aussi chargée de dépouiller les observations météorologiques reçues des correspondants de la Loire. Elle apprit tous azimuts, tout en préparant ses deux baccalauréats qu'elle allait obtenir en 1921 et 1922.


Marie Bloch observant le soleil (1923).
© Archives Observatoire de Lyon
Marie Bloch, n'allait pas longtemps toucher à la météorologie, ses qualités allaient être très rapidement reconnues : dès 1921, de jour, elle observait seule à l'équatorial Brunner. À partir de 1923, elle utilisa une nouvelle chambre photographique, pour réaliser des observations photométriques d'étoiles : on entrait ainsi dans l'astrophysique, en s'intéressant au fonctionnement des étoiles, et plus seulement à leurs positions sur le ciel.

En 1924, envisageant de la titulariser, le directeur de l'observatoire, Mascart, chercha à se renseigner sur la moralité de sa jeune recrue, une démarche classique à l'époque. Bien que profondément athée, il sollicita à cette fin les responsables de la synagogue lyonnaise, et reçut cette réponse de l'épouse du rabbin : "Évidemment, Marie manque un peu de distinction et de vernis, mais ne demande qu'à s'élever intellectuellement et s'observe quand elle se trouve dans un milieu différent du sien. Elle aime la lecture… Pour ce qui est de la situation matérielle de Madame Bloch, elle est, bien entendu, assez précaire depuis la mort du père et ce sont les enfants qui devront subvenir aux besoins de leur mère. Marie, quoique assez froide en apparence, aime beaucoup sa mère et voudrait qu'il lui fut possible, à elle aussi, de l'aider un peu".

Marie commença à travailler sur le grand équatorial coudé, l'instrument de prestige de l'observatoire, et dès 1925 en fut une utilisatrice attitrée. En 1926, après un stage interminable de six ans, elle fut enfin recrutée : nommée assistante le 16 octobre, avec un salaire annuel de 8000F, elle devenait la responsable en titre de l'équatorial Brunner, et le resta jusqu'à la seconde guerre mondiale.
Elle travaillait sur des sujets très variés, comme les éclipses de Soleil.
Le 13 septembre 1934, elle accéda au grade d'aide-astronome et put faire de belles découvertes sur les propriétés des étoiles

La Guerre

Le 18 octobre 1940, le ciel tomba sur la tête de M. Bloch : la loi du 3 octobre 1940 portant statut des juifs était publiée au Journal officiel, et Marie apprenait qu'elle n'était plus une citoyenne française comme les autres, mais appartenait désormais à une soi-disant "race" définie par les nazis : avoir trois grands-parents ayant fréquenté les synagogues plutôt que les églises suffisait pour cela. Une seconde loi du 2 juin 1941 allait abaisser le seuil à deux grands-parents ; elle n'avait plus le droit d'exercer un métier qu'elle avait deux mois pour partir et "faire valoir ses droits à la retraite". Dès le 21 octobre, le recteur, que Vichy avait maintenu à son poste, demanda au directeur de l'observatoire de faire le nécessaire pour expulser ceux de ses collaborateurs qui étaient concernés.

La loi de 1940 prévoyait dans son article 8 la possibilité d'exemption pour des personnes particulièrement méritantes - ce point étant évidemment in fine laissé à l'appréciation d'autorités supérieures nommées par Vichy - et dès novembre le directeur de l'observatoire transmit un dossier au recteur ; on y lisait par exemple : "Astronome fort expérimentée, observatrice infatigable, bien douée pour la recherche scientifique, Mlle Bloch a déjà publié une soixantaine de notes ou mémoires […], mais c'est surtout en spectroscopie que les services scientifiques rendus par Mlle Bloch peuvent être considérés comme exceptionnels […] Ces recherches sur les spectres des novæ devaient conduire Mlle Bloch à une thèse de doctorat fort brillante et cette thèse serait dès maintenant achevée, si l'activité de Mlle Bloch ne s'était orientée dans une autre direction, depuis la mobilisation. Requise civile par le Centre de Recherche Scientifique Appliquée, Mlle Bloch a, dès lors, consacré tout son temps aux recherches intéressant la Défense Nationale […] elle l'a fait avec un entier dévouement et un ardent patriotisme. […] Le départ de Mlle Bloch priverait l'observatoire de l'un de ses meilleurs chercheurs…”

Le 4 novembre 1940, Marie essaya de changer de cadre, de quitter l'Éducation Nationale dont on la chassait (elle n'enseignait nullement d'ailleurs, mais les astronomes, même purement chercheurs, pouvaient appartenir à cette institution ; c'est d'ailleurs toujours le cas aujourd'hui) pour obtenir une bourse de chargée de Recherche au CNRS.
Le 8 décembre 1940, le directeur de l'observatoire qui voyait à quel point il allait être difficile de s'opposer au départ de M. Bloch la proposa même pour une promotion au choix de la 5e à la 4e classe des Aides Astronomes, et termina ainsi une argumentation élogieuse : "Toutefois, la présente proposition ne pourra être prise en considération que si Mlle Bloch, fonctionnaire de race israélite, peut être maintenue en fonction par application de l'article 8 de la loi du 18 octobre 1940". Cet article prévoyait la possibilité d'une “suspension de déchéance”… Rien n'y fit. Les oripeaux de la légalité étaient là, mais ils ne dissimulaient pas l'idéologie qui était à l'œuvre : le 19 décembre 1940, M. Bloch toucha son dernier salaire d'aide-astronome…

Un an plus tard, elle fit une dernière tentative : obtenir une révision de son dossier en arguant du fait qu'elle n'exerçait pas de fonctions d'enseignement, et n'avait aucun contact avec le public : l'observatoire est un laboratoire de recherche et, de plus, isolé de la Faculté. Elle tentait ainsi - le croyait-elle vraiment ? - de convaincre la police française qu'elle ne risquait pas de propager des idées séditieuses ! Mais malheureusement pour elle, derrière la façade légale, il y avait bien autre chose, une chose effroyable que son esprit refusait certainement de toutes ses forces. Cette lettre du 29 novembre 1941, adressée au secrétaire d'état à l'Éducation Nationale et à la Jeunesse, à Vichy, était signée Marie Bloch, ex-aide-astronome à l'observatoire de Lyon, place Maréchal Pétain, St-Genis-Laval… Elle était accompagnée d'un certificat de moralité signé du maire de Saint-Genis, attestant que… Mlle Marie Bloch […] résidant dans ma commune depuis l'année 1920, n'a jamais eu aucune espèce d'activité politique…

M. Bloch allait toutefois réussir à passer la guerre entre St-Genis-Laval et Lyon dans une entreprise d'achat et de répartition du charbon pour les usines à gaz ; elle y travailla du 20/12/1940 au 30/9/1944.
Comme on s'en doute, si elle eut la chance inouïe d'échapper à la déportation, la vie ne fut pas sans dangers pour Marie.

L'après-guerre
Cette ignominie allait avoir une fin : le 2 juin 1944 était constitué le Gouvernement Provisoire de la République Française, et le 20 août Philippe Pétain s'enfuyait en Allemagne. Le 10 octobre de la même année, un arrêté réintégrait Marie Bloch dans ses fonctions à compter du 3 septembre. Mais Marie ne voulant pas mettre en difficulté l'entreprise qui l'avait sauvée, prit un congé sans solde d'un an pour aider au retour à la normale dans cette société. Fin décembre 1945, pour retrouver la recherche universitaire elle abandonna alors la situation - plus lucrative - qu'elle avait eu la chance de pouvoir se créer dans l'industrie. Elle pouvait donc retrouver son poste d'aide astronome à St-Genis-Laval. En 1950, M. Bloch soutenait sa thèse de doctorat d'État à la Faculté des Sciences de Lyon. Le 1er janvier 1951 elle était nommée astronome adjointe, puis astronome titulaire en 1965, sur le second poste jamais créé en province pour ce grade prestigieux.

Marie fit pendant des années des missions dans l'observatoire de Haute-Provence à Manosque. Elle était une astronome observatrice, c'est-à-dire qu'elle étudiait la lumière que nous envoient les astres pour identifier les processus physiques à l'œuvre, charge ensuite aux astronomes théoriciens d'édifier la théorie capable de modéliser les observations

Marie Bloch était une personne de qualité, on l'aura compris, et ceci se traduisit de bien des façons : représentante du personnel au Conseil des Observatoires de 1954 à 1965, plus de deux cents publications, présence active aux réunions et colloques de l'Union Astronomique Internationale, Prix Lalande de l'Académie des Sciences en 1960…, commandeur dans l'Ordre des Palmes Académiques en 1971.

Le bout de la route
Marie Bloch prit sa retraite en octobre 1972, mais continua à fréquenter régulièrement l'Observatoire, et à publier ses résultats jusqu'en 1975.
Elle décéda à Meyzieu le 1er août 1979, après une longue maladie qui lui fit perdre progressivement son discernement ; elle repose à St-Genis-Laval, près de son observatoire comme elle l'avait souhaité.

Marie Bloch, une généalogie (3) qui reflète l’histoire de la communauté juive de Hégenheim

1. Bloch Marie, née à Lyon en 1902 et décédée à Meyzieu en 1979.
1.1 Bloch Salomon né à Avenches en 1855 et décédé à Lyon en 1923.
Plusieurs membres de la famille Bloch sont partis à Avenches dont une tante de Meinrad, Judith Bloch suite à son mariage avec Abraham Picard. Salomon Bloch a fait son service militaire en France. Il a tiré au sort à Pontarlier en 1875 et a fait cinq ans de service militaire. Il fait l’école d’horlogerie de la Chaux-de-Fonds. Comme horloger, il n’a jamais fait de bonnes affaires, il ne se faisait jamais payer ou du moins ne relançait pas les clients défaillants. Il s’est établi à Lyon entre 1887 et 1889, vraisemblablement parce que son cousin Jacques Bloch s'y trouvait. Après sa carrière d’horloger, il devint gardien de la synagogue depuis 1898 au moins jusqu’à sa mort en 1923 (4). Marié à :
1.2 Trier Sarah née à Paris en 1858 et décédée à Lyon en 1933. Horlogère.
1.1.1 Bloch Meinrad né à Hégenheim en 1820 et décédé à Lyon en 1891.
Marchand de chevaux à Avenches. A opté pour la France le 22 mai 1872 pour lui et ses deux fils. Marié à :
1.1.2.a Bernard Adèle, née à Wettolsheim en 1824 et décédée à Avenches en 1858.
1.1.2.b Rosine Segal, née à Dornach en 1827. Son père Joseph Segal est cordonnier, comme son frère Isaac qui fera le même métier à Hégenheim (5).
1.2.1 Trier Joseph né à Spire (Palatinat) en 1811. Il était entrepreneur de peinture et peintre en bâtiment (6). Décédé à Paris en 1864. Marié trois fois à :
1.2.2.a Bloch Rose née à Sarrelouis vers 1809 et décédée à Paris en 1849.
1.2.2.b Zebora Goldmann née vers 1804 à Westhoffen et décédée en 1856 à Paris
1.2.2.c Borach Rosalie née à Colmar en 1823 et décédée à Paris en 1891. A opté (7) pour la France en 1872.
1.1.1.1 Bloch Salomon né en 1785 à Avenches et décédé en 1836 à Hégenheim. Marié à :
1.1.1.2 Nordmann Gertrude née en 1808 à Hagenthal-le-Haut et décédée à Hégenheim en 1854.
1.1.2.1 Bernard Clément né en 1790 à Wettolsheim et décédé à Wintzenheim. Il fut boucher à Wettolsheim de 1823 à 1929 puis fripier dans la même commune de 1832 à 1834. Il alternat ces deux métiers par la suite avant de s’installer à Wintzenheim (8). Marié à :
1.1.2.2.a Bloch Thérèse née à Hégenheim en 1795 et décédée à Wintzenheim en 1838.
Neuf enfants sont nés de cette union.
1.1.2.2.b Sara Meyer née à Wettolsheim en 1805.
1.2.1.1 Trier Abraham , soldat du Premier empire, médaille de Sainte-Hélène (9). Marié à :
1.2.1.2 Bing Sarah
1.2.2.1 Borach Jacques (10), né à Biesheim en 17 935 et décédé à Colmar, négociant.
1.2.2.2 Braunschweig Seraphine ou Sara née à Hégenheim en 1797 et décédée à Colmar en 1855.

Sources :

Notes :
  1. Le texte publié dans notre bulletin est un extrait des notes de Gilles Adam postées sur le site http://selene-projet.fr/Marie_Bloch/Marie_Bloch.html
    De nombreuses informations me sont parvenues par Marie Couton qui a fait une étude remarquable sur la famille Bloch et a remis une documentation très complète que je référencerais par "MC, La famille Bloch" dans mes notes.
  2. Stauben Daniel, Scènes de la vie juive en Alsace.
  3. Généalogie documentée par Marie Bloch sur la demande des fonctionnaires français de Vichy. Certaines informations ont été complémentées grâce au site Geneanet.
  4. MC, La famille Bloch
  5. id.
  6. id.
  7. Après la défaite de 1870, la France avait signé le 10 mai 1871 et le 11 décembre 1871 le traité de Francfort qui cédait à l'Allemagne victorieuse des territoires d'Alsace-Lorraine. Les textes prévoyaient la possibilité, pour "les sujets français, originaires des territoires cédés, domiciliés actuellement sur ce territoire, qui entend[aient] conserver la nationalité française [...] de transporter leur domicile en France et de s'y fixer, [...] moyennant une déclaration préalable faite à l'autorité compétente". La décision devait être enregistrée au plus tard le 1er octobre 1872, les modalités en furent précisées le 23 juillet 1871. C'était ce qu'on appelait l'option pour la nationalité française ou allemande. Note de Gilles Adam.
  8. MC, La famille Bloch
  9. La médaille de Sainte-Hélène, instituée par décret de Napoléon III, est dédiée aux "compagnons de gloire" de Napoléon Ier dans les "campagnes de 1792 à 1815" , afin de satisfaire les dernières volontés de Napoléon Bonaparte telles que rédigées dans son testament à Sainte-Hélène. Elle est considérée comme la première "médaille commémorative" française.
  10. MC, La famille Bloch. Jacques Borach est le beau-frère d’Isidore Widal (même mère Eve Kahn). Le fils d’Isidore n’est autre d’Auguste Widal (ou encore Daniel Stauben) qui a publié Scènes de la vie juive en Alsace que nous avons reproduit dans notre bulletin.


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