Les Scènes de la vie Juive en Alsace ont paru tout d'abord et à d'assez longs intervalles (de 1857 à 1859), dans la Revue des Deux-Mondes. Nous les réunissons aujourd'hui dans ce petit volume.
Qu'on nous permette de dire comment nous est venue l'idée de les écrire et quel en est l'esprit général.
Parmi les divers romans dus à la plume d'une illustre contemporaine, nous venions d'en lire quelques-uns empreints d'un cachet particulier. Nous voulons parler de ceux, où laissant de côté toute théorie politique et sociale comme aussi la peinture brûlante des orages du coeur, l'auteur de la Mare-au-Diable et de François le Champy aborde des sujets plus calmes, moins irritants, et avec un rare bonheur, entre dans une veine nouvelle, celle de la vie rustique et de la poésie champêtre. Comme tout le monde, nous fûmes émerveillés à la lecture de cette série de petits chefs d'oeuvre. Ces récits si simples, ces tableaux si frais, cette naïveté de moeurs, ces curieuses chroniques de village, ces traditions populaires si gracieusement racontées, ces amours tout agrestes, ces individualités rustiques si bien étudiées, tout cela nous avait vivement impressionné. En même temps s'étaient éveillées en nous une foule de réminiscences ayant trait à un monde à la fois analogue et différent, si on peut le dire ; analogue par la bonhomie des habitudes, l'ancienneté des usages et l'originalité de certains personnages; différent, par la religion qui sert de cadre à tout cela.
Le Berry, me dis-je alors. n'est pas la seule contrée de la France où vivent des populations au caractère tranché, aux coutumes antiques, à l'idiome pittoresque. Aux paysans de l'Indre, on pourrait opposer sous plus d'un rapport, dans une autre sphère d'existence et d'idées, les Juifs de nos hameaux de l'Alsace. Etablis dans cette contrée depuis des siècles avant la conquête française, n'y ont-ils pas conservé un langage à part (un patois composé d'allemand et d'hébreu) et ne s'y sont-ils pas fait une vie à part aussi ? Vie, qui ne ressemble pas plus à celle des populations chrétiennes dont ils sont entourés qu'à celle de leurs coreligionnaires des villes ? La vie juive dans les villages alsaciens, me disais-je encore, ne présente-t-elle pas un curieux ensemble d'idées, de rites, de cérémonies, de superstitions, de traits de moeurs, de types campagnards, de fêtes périodiques (les Israélites des villes célèbrent les mêmes fêtes, sans doute, mais avec beaucoup moins de cérémonial et de solennité), formant, le tout, comme une sorte de civilisation, double fruit, d'un côté, d'une antique croyance, et, de l'autre, des misères du moyen âge et des persécutions ? Spectacle intéressant, à coup sûr, pour le philosophe et pour l'artiste !
Tout en faisant ces réflexions, je me demandai pourquoi, après tout, en ma qualité d'Alsacien et d'Israélite, né et élevé au village, je n'essaierais pas d'initier le lecteur profane à cette vie si peu connue et si digne de l'être. Aidé de nos souvenirs d'enfance comme aussi des impressions résultant de quelques récentes excursions au pays, nous nous mîmes à esquisser les scènes qu'on va lire. On y verra les Juifs de l'Alsace dans les principales phases de la vie de famille et de la vie religieuse, au foyer et dans la synagogue. On fera connaissance avec leurs habitudes, leurs traditions, leurs légendes, leurs fêtes, leurs moeurs et leurs caractères. Nous avons cherché à dépeindre de notre mieux cette sorte d'antiquité judaïque contemporaine prête, hélas! à disparaître; car au train dont va le siècle, -le progrès et les chemins de fer aidant- quelques années encore, et il ne restera plus vestige de ces moeurs primitives. Déjà, en plus d'un endroit, elles s'effacent comme tout ce qui vieillit. Hâtons-nous donc d'en consigner bien vite les traits les plus caractéristiques.
Daniel STAUBEN.
Paris, février 1860.
TABLE |
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Avertissement | .....1 | |
première partie
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I | Le père Salomon.- Le vendredi soir ; l'heure dite heure du sabbat.- Le village de Bollwiller et ses habitants. - L'intérieur et la famille du père Salomon.- Prières et repas.- Samuel le conteur | .....7 |
II | Le récit.- Une altercation peu inquiétante.- Journée et soirée du samedi | ....21 |
III | Préparatifs de voyage.- Réflexions profanes ajournées.- Conversation.- Une communauté complète.- Le parness Marem.- Un jeune malade.- Arrivée.- La veille de la noce.- Une chambre d'ami.-Le veilleur de village | ....41 |
IV | Wintzenheim.- La note : la première cérémonie du matin ; la distribution de la dîme . les Tresses ; le grand cortège ; un air consacré ; la bénédiction nuptiale ; la boutielle cassée ; les cadeaux ; l'orchestre au complet ; garçons et filles d'honneur ; la salle de danse.- Digression : des différentes transformations que subit ce local ; salle d'escrime au printemps ; greniers en été ; salle de spectacle en hiver : les marionnettes ; maître Rodolphe ; son répertoire à double fin ; annonces ; le public, le personnage d'Hansvurst.- Retour au sujet ; la danse et le personnel de la danse ; rafraîchissements peu coûteux ; une maxime consolante | ....53 |
V | Rapahaël et Léa .- Le repasde noces ; deux plats de rigueur. - Une galerie villageoise ; le chantre et les aides-chanteurs ; l'instituteur communal ; le loustic amateur ; le loustic à gages ; le Schamess.- Triste interruption | ....73 |
VI | Funérailles et deuil.- Une explication pulsée dans l'histoire.- La maison mortuaire ; les prières ; le linceul ; la convocation funèbre ; la Méhila ; le convoi ; rapprochement ; l'eau profanée ; l'Ange de la mort.- Le cimetière.- Ouverture du deuil ; la Kéria ; visites de condoléance : usages touchants.- Départ ; réflexions ; retour prochain. | ....85 |
deuxième partie
les fêtes juives du printemps et de l'automne
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I | Le Pecçah ou fête des Pâques ; les matsès. Encore le père Salomon et sa famille.- Le séder ; le mendiant Lazare ; conversation.- Le premier et le second jour de Pâques ; le halhamoëd ; une excursion ; une confidence. Départ.- L'Omer | ....98 |
II | Lehmann Hirsch ; un opéra.- Le village de Biesheim ; Rachel et Materlé.- la fête de Schebouoth (Pentecôte).- Une pieuse et touchante cérémonie ; explication.- Les dons.- La danse.- Départ. Présent et avenir | ...129 |
III | La semaine de Sélichoth : traits caractéristiques ; un fantôme.- Le Rosch haschanah (nouvel an) : diverses cérémonies ; le schophar et le sonneur de schophar ; une prière composée par un martyr agonisant.- Le Kippour ; la kopora ; un autre usage curieux : a veille du Kippour ; épisode ; la fête des morts ; deux antiques prières.- La bénédiction des Ahronides.- La Néhila | ...147 |
IV | La fête des Cabanes ; leur origine ; leur double caractère.- La soucca et son ornementation .- Le grand hosannah.- Le père Nadel et sa famille.- Le premier jour de halhamoëd.- Une entrevue matrimoniale.- Les fiançailles juives.- Un personnage important.- Le repas des fiançailles ; chansons populaires.- Un loustic.- Conclusion | ...170 |
troisième partie
les fêtes juives de l'hiver
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I | Le Pourim ou carnaval juif ; son origine historique. - Le livre d’Esther ou la Meghila. - Le Pourim en Alsace. - La lecture de la Meghila.- Incidents et détails caratéristiques .-Les marteaux. - La matinée du Pourim.- L’après-midi ; le Schlach Moness.- Le repas du soir. - Un plat de rigueur.- Le personnel du repas.- Masques.- Deux représentations dramatiques | ...195 |
II | Le Hanouka; son origine historique ; un miracle. — Le Hanouka en Alsace; les illuminations à la synagogue et dans les maisons ; Usages divers : l'argent dit argent de Hanouka ; le Moos Zour. Les veillées de Hanouka ; les visites; les jeux ; singulières et profanes coïncidences : la Saint-Nicolas et la Noël ; rafraîchissements - Les entrevues matrimoniales ; situations délicates. - Les récits au coin du feu; le père Roufenn. - Un conte merveilleux |
...212 |
appendices | ||
I | Esquisse sur la poésie pastorale dans la Bible.- Ruth.- Le Cantique des Cantiques | ...237 |
II | Un poète israélite de l'Allemagne.- M. Louis Wihl ; sa vie; ses œuvres… | ...250 |
III | Un moraliste israélite.- Les Matinées du samedi | ...276 |
fin de la table. |