Histoire de nos communautés : Obernai
par Lucien Weill
extrait du Bulletin de nos Communautés n° 19, 9 octobre 1957, p.14-15.
Les sous-titres sont de la Rédaction du site


La synagogue d'Obernai sur une carte postale ancienne - coll. © M. & A. Rothé
Jusqu'au 13ème siècle cette ville s'appela EHENHEIM ou EIHNHAIM, pour prendre en 1242 le nom de OBEREHENHEIM, pour se distinguer de sa commune voisine appelée NIEDEREHENHEIM et qui devint, dans la prononciation française, celle de OBERNAI. (Dans le langage populaire on prononce "Ewernah").

Obernai, d'origine gallo-romaine, fut le siège du duc Attic, père de Ste Odile, puis appartint aux Ratsamhausen vom Stein et aux Von Morsperg ; ces derniers cédèrent au 12ème siècle leur part de, propriété à la famille du Baron De Gail. Après la guerre de Trente ans, la ville fut pourvue d'un bailli français, mais son rattachement définitif à la France ne date que de 1672.

Expulsion des Juifs au 13ème siècle

Ayant appartenu également pendant un certain temps aux Hohenstaufen, Obernai devint ville libre, adhéra à la Décapole Rhénane (Rheinischer Städte-Bund) et fut élevée, vers la fin du 13ème siècle, au rang de ville fortifiée, entourée à cette occasion d'une double rangée de fortifications dont une partie bien conservée est encore visible de nos jours. Elle eut à subir par la suite toutes les vicissitudes des multiples opérations guerrières qui se déroulèrent sur le sol de notre contrée, suivant en cela le sort de tant d'autres localités soumises au sort des guerres du moyen âge.

A l'exemple de la, vie mouvementée de la ville, les habitants juifs d'Obernai furent soumis à toutes les tracasseries, toutes les. misères et toutes les cruautés dont nous trouvons un peu partout dans notre pays les traces à travers les événements historiques. Les premiers juifs à Obernai sont signalés, avec certitude, dès 1215, sans doute réfugiés de France après l'expulsion de 1182. En 1336, les hordes déchainées du "Roi Armleder", dont le nom seul provoqua la terreur, firent des massacres dans la population juive, et ne laissèrent sur place que quelques rares survivants. Quelques années plus tard, en 1349, lors de la grande peste, ils connurent à nouveau des malheurs encore plus grands : ils furent accusés d'avoir empoisonné les puits et beaucoup furent mis à. mort après d'horribles tortures. Le magistrat de la ville, afin de justifier ses agissements, fit envoyer au magistrat de Strasbourg les procès-verbaux des soi-disant aveux des condamnés, à ce magistrat qui assista à la même époque aux émeutes de la population qui eurent pour résultat de livrer aux flammes les 2.000 habitants juifs de la ville (en février 1349).

Retour des Juifs à Obernai

Le magistrat d'Obernai prit alors la résolution d'expulser tons les juifs et de ne plus en admettre un seul à l'avenir ; les quelques rescapés trouvèrent asile dans les villages environnants. Ce ne sera qu'environ cent ans plus tard, en 1437, qu'on rencontre à nouveau trace de juifs dans la ville, Il s'agit de trois familles du nom de Mosse, David et Mossel, qui eurent l'autorisation de venir dans la cité, avec leurs domestiques et enfants, mais leur séjour fut très précaire. On exigea d'eux naturellement le paiement de la taxe de protection (Schirmgeld), d'un montant élevé de 20 florins, et on leur imposa un règlement très strict pour limiter leur commerce qui consistait en prêt sur gages.

Cette admission ne put avoir lieu qu'après intervention des autorités impériales, car le magistrat consentit à ne recevoir ces quelques juifs "qu'au nom de l'Empire" et ne leur accorda le séjour que pour une durée de cinq ans. Dans le règlement qui leur avait été imposé, ces juifs acceptèrent de ne prêter sur gages que sur des biens mobiliers : (donc ni sur immeubles ou terres, etc.) à l'exception d'objets d'ornement d'église, ou d'équipement militaire des citoyens. La taxe de tolérance, à raison de 6 florins rhénans, devrait être payée chaque année le jour de la St-Martin (cette taxe devait remplacer le "Gewerf" (ou redevance) qui était due par tous les citoyens).

En 1404, l'Evêque de Strasbourg, Robert de Bavière, confirma à Heidelberg les privilèges accordés antérieurement aux juifs et en 1406 il prend sous sa protection directe ceux d'Obernai (en même temps que de diverses autres localités).
En 1476, les mercenaires suisses,sur leur marche vers la Lorraine, pillèrent les maisons et les biens des juifs, et ils firent de même l'année d'après lors de leur retour. De nombreuses villes, dont Obernai, durent subir leur pillage et leurs méfaits.

En 1499, lorsque les menaces de guerre devinrent effectives en Alsace, des demandes réitérées furent adressées au magistrat d'Obernai pour le supplier de donner refuge dans les murs de la cité aux juifs des villages d'alentour, en particulier à ceux de Dangolsheim, Bischofsheirn, etc.
En 1500 deux familles juives de Bischofsheim seulement obtinrent l'autorisation de séjour dans la ville. Un contrat fut passé avec eux, dont les principales stipulations étaient les suivantes : les deux chefs de famille sont admis avec femmes, enfants et domestiques, ils seront tenus à l'observation du statut municipal et des règlements de la ville, ils doivent s'engager par serment à ne pas avoir recours à une autre juridiction que celle de la ville, de payer annuellement le "cens" dit "Stadt-Steuer", de ne prêter que sur gages mobiles au taux fixé d'un denier par livre et par semaine, de n'acheter ni prendre en gage des objets d'origine suspecte ou provenant d'un vol ; ils ne pourront héberger pendant la nuit aucun autre juif, à moins que ce ne fut un proche parent, et de payer pour chaque hébergé trois deniers pour chaque nuit. Les juifs étrangers entrant en ville, qu'ils y passent la nuit ou non, devront payer aux portes, à leur entrée, une taxe de deux deniers. Tous les juifs seront tenus, pendant la semaine Sainte, les fêtes dePentecôte et de Pâques, à la Fête-Dieu et à la fête de la Vierge, de rester confinés dans leurs demeures et ne pas se faire voir dans les rues.

On reconnaît les Juifs à leur barbe et à leur chapeau jaune
Mais la municipalité n'avait pas l'intention de donner asile aux juifs définitivement. Elle adressa une requête à l'Empereur invoquant ses anciens privilèges. En 1507, l'Empereur Maximilien accorda à la ville la -permission de ne plus avoir besoin de tolérer, à l'avenir, des juifs dans ses murs, et cette permission ne devrait jamais être révoquée ni par lui ni par aucun de ses successeurs du St-Empire ; en plus, la ville sera à tout jamais libre, à son gré, de refuser ou de recevoir des juifs, comme bon lui semblerait. Forte de cette concession, la populace attaqua les juifs de passage et plusieurs furent lapidés, même des étrangers qui ne faisaient que traverser la ville. Et la municipalité s'empressa de publier qu'aucun juif ne pourra plus dorénavant habiter la ville. Ces ordonnances, et les cas de mauvais traitements infligés aux juifs donnèrent lieu à de nombreuses plaintes. Le sous-bailli d'Alsace, Jacob von FIeckenstein intervint auprès du magistrat afin de faire cesser cet état de choses. En 1521, probablement après intervention, à la Cour Impériale, de Josselmann, le moine Rüdiger de Wissembourg fut chargé par l'Empereur de rappeler le magistrat un peu à l'ordre. Il arriva à conclure avec la municipalité un arrangement (en même temps qu'avec celle de Rosheim) et celle-ci promit d'accorder un traitement plus humain aux juifs. Cet arrangement fut confirmé ensuite par le bailli Morsperg de Haguenau.

Il fut alors permis à. quelques juifs de rester dans la ville pour y traiter leurs affaires, mais durant le jour seulement, un séjour permanent continua à leur rester interdit. D'être traités ainsi et être toujours considérés comme des étrangers donna lieu à de nombreux démêlés avec la population, et les juifs se plaignirent d'être soumis à toutes sortes de vexations et d'humiliations et d'être obligés de payer des taxes très élevées pour pouvoir exercer leur commercé dansdes conditions très précaires. Le moine Rüdiger fut délégué une nouvelle fois près du magistrat, et il conclut, en 1524, un arrangement en huit points, qui était un peu plus favorable que celui conclu quelques années plus tôt, mais le séjour effectif derrière les murs de la cité resta toujours interdit aux juifs. Et une supplique de juifs de leur permettre de se réfugier derrière les murs, lors de l'approche d'une soldatesque ennemie, qui voulait les détruire, resta sans effet, le magistrat se fondant surl'arrangement conclu qui ne permettrait à aucun juif de passer une nuit dans la ville.
Et ce ne sera qu'en 1622, lors de la venue des troupes de Mansfeld, que huit familles obtinrent l'autorisation de se mettre à l'abri derrière les murs, mais le danger passé, l'année d'après, ils furent impitoyablement refoulés hors des enceintes.

Tentatives d'expulsion sous la domination germanique

A partir de là, et durant toute la domination germanique, aucun juif, à part quelques rares exceptions individuelles, ne fut plus autorisé à séjourner dans la ville. En 1725, un sieur Blum d'Obernai, ainsi qu'il est fait mention dans les documents, obtient (en même temps que deux juifs de Wetshoffen) une autorisation "précaire et révocable" pour se rendre à Strasbourg en sa qualité de fournisseur de la Monnaie. Quelques autres familles juives réussirent ensuite à se loger à Obernai, mais officiellement leur présence fut ignorée. Ils ne semblaient plus avoir été molestés à cette époque, et les douze familles dont on a pu relever la trace, y vivaient dans le calme, ayant même à leur tête un rabbin. Leur présence s'étant, à cause d'un incident ignoré, révélée à toute la population, la municipalité voulait à nouveau les chasser, mais grâce à une intervention de l'Intendant d'Alsace, M. de la Grange, ils obtinrent l'autorisation de rester et il leur fut même permis d'acquérir des immeubles pour leur habitation. Cependant, la municipalité se réserva le droit, toujours en se basant sur ses vieux privilèges, de n'accepter pas d'autres juifs en dehors de ces douze familles. Mais celles-ci furent soumises au paiement de taxes exorbitantes et elles s'en plaignirent auprès de l'Intendant M. de La Forest. Celui-ci obtint pour elles que leurs diverses taxes ne devraient plus dépasser 20 livres par famille. En 1715, sur intervention personnelle de M. de La Houssaye, Intendant d'Alsace, deux nouvelles familles purent venir habiter la ville: celles de Mathis et de Baruch Weyl, "en considération des services qu'ils avaient rendus pendant la guerre" et la municipalité leur accorda alors sans autres difficultés, l'autorisation de séjour permanent.

Lors d'un recensement en 1717, on constata en ville la présence de 17 familles juives et le magistrat décida d'interdire l'admission de tout autre juif. Pourtant, trois ans après, en 1720, on recense 21 familles, dont 13 habitaient leurs propres immeubles. Les taxes, droits et redevances payées par ces familles étaient fort élevés, et selon le registre municipal, elles versèrent annuellement un total de 757 livres. Mais les juifs d'Obernai préférèrent encore le paiement de ces taxes exorbitantes, plutôt que d'être refoulés en pleine campagne et d'être traités comme du bétail, sans protection d'aucune sorte, ni de trouver ailleurs un endroit qui pourrait leur donner asile.

En 1760, pour faire cesser l'affluence de marchands étrangers, le magistrat défendait à tout juif étranger de venir en ville, les jours de marché ou de foire, pour y vendre des marchandises. Et les juifs d'Obernai vécurent ainsi dans les perpétuelles transes et soumis à de continuelles tracasseries jusqu'à ce que la Révolution vint leur apporter, comme à tous les autres juifs de France, leur libération du joug intolérable et humiliant que le moyen âge n'avait cessé de leur imposer...

Construction de la synagogue

Depuis 1749 (ou 1752, selon d'autres sources), un oratoire a existé à Obernai ; vers le milieu du siècle suivant il était devenu vétuste et trop petit pour une population accrue. Déjà avant 1870, les archives font mention d'une intervention du préfet du Bas-Rhin, le Baron de Prou, qui avait envisagé la construction d'une synagogue. Lors de son passage en ville, il avait en effet pu se rendre compte que le vieux temple était devenu, presque inutilisable et il avait "ordonné" à la Municipalité de mettre la somme de 44.000 fr. à la disposition de la Communauté pour une nouvelle construction, et encore 10.000 fr. pour l'installation intérieure, le terrain devant être acquis aux frais de la communauté.

La ville ne disposant pas de fonds et la guerre survenant entre temps, la question d'une construction fut reprise en 1872. En cette année, la Communauté adressa une requête au gouvernement impérial en vue d'obtenir une subvention (cette requête porte les signatures du Président M. Charles Scheyen et des MM. Moïse Lehmann, Samuel Weill, Léon Weill et Aron Blum, membres de la Commission administrative) pour la construction d'un temple. Une enquête fut faite d'ordre du Krelsdirektor (sous-préfet) qui révéla les circonstances suivantes : "Le "Beetsall" (l'oratoire), construit en 1752, au premier étage d'un immeuble, a 9,90 m. de long, 8,05 de large et 3,45 m. de haut. Il est devenu trop petit et ne suffit plus aux besoins actuels. Il contient 70 places pour hommes et 49 pour femmes, et la population juive actuelle est de 200 âmes. Il y a impossibilité de l'élargir, mais un rehaussement est faisable dont le coût est estimé à environ 8.000 fr. Malgré cela le local resterait néanmoins trop petit et son état général est défectueux et vétuste. Les frais pour une reconstruction entière seraient de l'ordre de 68.000 fr., somme à laquelle la communauté s'offre de contribuer pour 30.000 fr. Elle pense se procurer cette somme ainsi: d'abord par le produit de la vente de l'ancien oratoire et du terrain, ensuite par les taxes à prélever sur les stalles du nouveau temple et finalement par des cotisations volontaires ou des dons de tous les membres de la Communauté. On commencerait par acheter le terrain sur lequel le nouveau temple devrait être édifié et la municipalité, dès qu'elle aura touché le produit de la vente du magasin de tabacs, pourra, elle aussi, verser un montant important en ce but, mais pour le moment, elle ne veut prendre aucun engagement." Le dossier ainsi transmis au Bezirkspräsident (préfet), celui-ci décide ce qui suit : "J'ai étudié votre projet et examiné les plans pour la reconstruction d'un temple. L'édification envisagée de cinq coupoles comme embellissement ne me plaît guère, et est en outre inesthétique. En négligeant .ces dites coupoles, la demande de subvention devient inutile, ces coupoles seraient d'un prix trop coûteux. Je ne pourrai donc prendre en considération votre requête que lorsque un autre devis précis et définitif m'aura été soumis, e lorsque, en plus, les quote-parts offertes tant par la communauté que par la municipalité seraient disponibles."

Voyant que le projet de reconstruction n'avance guère, le président Scheyen demande une audience au chef du gouvernement, le Freiherr von Möller (en 1873) en le priant de ne pas fixer le jour de l'audience un jeudi, car ce jour-là sa présence est indispensable à Obernai. Par la suite, les archives ne portent plus trace de ce dossier jusqu'en 1883. En cette année on constate que la Communauté compte 219 membres ayant à, sa tête un rabbin. appointé par l'Etat. On y apprend aussi que le temple avait effectivement été construit en 1876, mais déjà il est devenu trop petit. Toutes les dépenses y relatives sont maintenant réglées, cependant, il subsiste un déficit non couvert de 6.400 Mk. que la Communauté n'est pas en mesure de régler elle-même. Le gouvernement accorde alors un secours de 200 Mk. en tenant compte de l' Opferwilligkeit (esprit de sacrifice) dont ont fait preuve tous les membres de la communauté.

Mais l'affaire n'était pas terminée pour autant, car deux ans plus tard, la communauté adresse une nouvelle demande de secours au gouvernement : un engagement." Le dossier ainsi transmis au Bezirkspräsident (préfet), celui-ci décide ce qui suit : "il ne lui a pas été possible de se procurer les 3.400 Mk., reste de la dette qui subsiste toujours. Les quelques membres fortunés, y est-il exposé, qui à l'origine avaient contribué par des dons importants aux frais de construction, sont ou morts ou bien ont quitté la communauté, et de nouveaux ménages ne sont pas venus habiter ici. Les membres actuels de la Communauté ne peuvent pas s'engager à garantir le paiement du déficit". Une dernière fois encore le gouvernement donne une subvention de 1.000 Mk. (eu 1885) en faisant remarquer "que dans l'avenir plus aucun autre secours ne pourra plus être accordé ". Et pourtant, malgré ces affirmations énergiques, en 1888 une ultime subvention de 1.000 Mk. fut donnée, ce qui mit le point final à plus de quinze années d'échange de correspondance et de demandes de secours entre la communauté et le gouvernement.


La nouvelle synagogueau début du 20ème siècle
au fond : Benjamin Becker, ministre officiant 1863 - 1910

La synagogue aujourd'hui - © Michel Rothé

Obernai aujourd'hui [1957]

Obernai avait, en 1948, l'honneur de voir sa synagogue, restaurée la première, accueillir les manifestations du centenaire de 1848, en présence des plus hautes personnalités de la région. Pendant plus de 12 ans, la Communauté, administrée par M. Klein, puis par M. Nathan Lévy, qui unirent leurs efforts pour assurer une rapide reconstruction et réussirent, avait la joie de compter parmi elle un homme dont la science et l'amabilité lui attiraient l'estime unanime : le rabbin Emile Schwarz, dont la disparition laisse un grand vide bien difficile à combler. Grâce au dévouement du rabbin Roger Cahen, l'enseignement est assuré normalement; le dévouement de tous les fidèles a permis l'installation d'une famille nord-africaine qui s'est rapidement intégrée à la vie communautaire.
Obernai semble sur la voie du renouveau..

Evolution de la population juive d'Obernai
1694 1717 1784 1808 1842 1850 vers 1870 1883 1895 1900 1936 1953 1956
12 ménages 17 ménages 196 137 218 237 207 219 171 178 138 80 80 environ

Sources :

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