En 1324 les comtes de Horbourg, Walther IV et Burkhard II, vendirent leurs possessions en Alsace à Ulrich X, comte de Wurtemberg. En l'année 1391, le duc de Wurtemberg, Eberhard-le-Jeune, joignit à ses terres le comté de Montbéliard, que sa femme Henriette lui apporta en dot. A partir de ce jour la ville de Montbéliard devint le chef-lieu des terres que le duc allemand possédait en Alsace et en Franche-Comté ; ce fut à Montbéliard que s'établit la Régence, et de cette cité partirent les ordres adressés aux habitants de Horbourg et de Riquewihr. Au 16e siècle, la Réforme fut introduite dans les Etats de Wurtemberg. Les villages alsaciens embrassèrent les doctrines d'abord de Zwingli, puis celles de Luther (1).
Le seul endroit du comté de Horbourg où la permission de résider ait été accordée aux Juifs, au moyen âge, semble avoir été Riquewihr. Ce village, renommé surtout par ses beaux vignobles, est cité, en effet, dans les listes des lieux célèbres par les persécutions des Juifs au 14ème siècle. Il paraît qu'ils y revinrent bientôt après, mais en 1420 ils furent chassés à l'insu du seigneur, par les habitants, sans qu'il y eût aucune raison pour cela, et les retardataires furent massacrés (2). Depuis il n'y a plus eu de Juifs dans cette localité.
"voulut bien le recevoir avec sa femme, ses enfants et domestiques sous sa protection pour aussi longtemps qu'il se comportera bien, et que ces derniers ne se marieront pas":Il lui fut permis d'établir son domicile à Horbourg et d'y "trafiquer loyalement et de bonne foi". Les conditions imposées à ce Juif furent le payement annuel de 10 florins rappen et d'une oie grasse, la promesse d'obéir aux ordonnances du duc, de n'acheter aucune maison ni biens-fonds sans permission spéciale. Il ne pouvait loger chez lui aucun de ses parents sans cette même autorisation, sauf son père et sa mère, s'ils étaient pauvres, vieux et sans ressources (3).
Le duc Léopold Eberhard mourut dans la même année (1723). Le partage de la succession fut difficile; il laissait plusieurs fils et n'était pas régulièrement marié. L'Intendant d'Alsace fut nommé administrateur-séquestre des deux terres alsaciennes (Horbourg et Riquewihr), avec pouvoir de trancher toutes les questions administratives qui y seraient soulevées. A son tour il choisit comme commissaire-séquestre un sieur Nithard, conseiller du roi (4). Ce changement de gouvernement faillit être fatal aux Juifs de Horbourg. Nous disons Juifs, puisque la famille de Paul Bickart (c'est ainsi que nous le nommerons dorénavant) était composée de plusieurs membres. Il paraît, en effet, que le conseiller Nithard, un certain Dietermann, probablement bourgmestre de Horbourg, et les paysans se plaignirent auprès du Maréchal de Bourg, Intendant d'Alsace, de la présence des juifs, et celui-ci prit contre eux un arrêt d'expulsion. Mais la princesse Anne intervint courageusement en leur faveur: elle écrivit à son homme d'affaires à Strasbourg, le 22 mars 1725 :
"Nous ordonnons que les Juifs restent dans nos maisons et que personne ne commande dans la juridiction de nos droits, ni Dielermann, ni Nithard, ni les paysans. Le Roi ne le fait pas, il doit nous rendre le blé et le vin qu'il nous a enlevés, il y a trente ans".Il y eut toute une correspondance à ce propos et finalement le représentant de la princesse parvint à faire révoquer l'ordre donné par le gouvernement français concernant l'expulsion des Juifs de Horbourg (5). Dans la suite leur nombre s'augmenta et d'un rapport dressé en 1748 nous apprenons que de 1725 à 1729 il y eut quatre familles juives à Horbourg payant chacune les mêmes droits. De 1729 à 1748 il n'y en eut que deux, et en 1737 il n'y en eut même plus qu'une, l'autre s'étant retirée à Herrlisbeim.
En 1730 s'élevèrent de nouvelles plaintes contre les Juifs et ordre leur fut donné de vider le dit lieu de Horbourg sans aucun retard. Les deux chefs de famille Raphaël Jacob (Raphaël fils de Jacob, sans doute identique à Paul Bickart) et Jacob Bolach supplièrent le Maréchal du Bourg "de leur permettre de demeurer dans le dit lieu et d'y être tolérés, ainsi que les autres Juifs de la province". Ils disent qu'étant domiciliés à Horbourg depuis près de seize ans, ils n'ont jamais fait de tort à personne et que jusque-là ils se sont toujours comportés de manière qu'il n'y eût aucune plainte contre eux. Cette lettre fut accueillie avec bienveillance et les signataires purent rester à Horbourg (6).
La situation politique du comté fut réglée définitivement par le traité survenu le 10 mai 1148 entre Louis XV et Charles-Eugène, duc de Wurtemberg (branche aînée). Celui-ci reçut les terres alsaciennes et son ministre Georgii fut mis en possession de ces terres (7).
Il paraît que les conseillers de la Régence avaient envoyé le certificat de permission à leur homme d'affaire, Jean Maire de Riquewihr, avant d'avoir reçu la lettre du magistrat. Ils prirent donc Maire, par lettre du 4 mars 1756 de ne pas remettre le certificat à Joseph Bickart, ne pouvant pas statuer sans l'avertissement de Maire. Celui-ci répondit trois jours après. Il repoussait successivement tous les griefs du magistrat et disait en substance que c'est en vain qu'on se plaignait de l'augmentation des Juifs, puisque Joseph Bickart ne faisait que remplacer son père. Il paie à lui seul à la seigneurie plus que six autres habitants (11) desquels même on a de la peine à être payé, à moins que d'avoir recours aux voies rigoureuses. Si l'on dit que les Juifs sont les sangsues du peuple, il faut donner des preuves de cette allégation, puisqu'ils supportent les mêmes charges que les autres habitants. A la fin il conseille à la Régence de répondre aux gens de Horbourg que, leur opposition étant trop tardive, il n'y avait plus moyen d'en tenir compte, mais qu'à l'avenir on aura soin d'éviter que la commune soit surchargée de Juifs (12).
Le premier Juif de Horbourg qui eut le droit de posséder une maison fut le tapissier Salomon Israël. D'après les documents conservés aux Archives Nationales, il acheta sa maison vers 1749. Deux ans après, le 17 février 1751, ce fut Paul Bickert qui fit une semblable requête au prince de Wurtemberg. Il fit valoir que son loyer était trop élevé et qu'il avait avantage à acquérir une maison. Sa demande est signée ברוך בר יהודה et רפאל בר יהודה. La permission lui fut accordée, mais le receveur Flachsland ne devait lui permettre d'ouvrir une boucherie qu'après l'engagement écrit de payer exactement ses droits de boucherie pour les bêtes qu'il avait tuées et qu'il tuerait.
En 1761 la même demande fut adressée par deux autres Juifs de
Horbourg, Marem Kahn et Lehmann Braunschweig. Le premier dit, dans sa pétition,
qu'il habite Horbourg depuis plus de vingt ans. Il reçut la permission
sous la condition qu'il quitterait la seigneurie de Horbourg toues les fois
qu'il plairait au seigneur dudit lieu de l'ordonner. En 1764 il refusa de payer
le droit de consentement, ayant acheté sa maison d'un Juif de Biesheim,
nommé Léopold Salomon.
Lehmann Braunschweig habitait le village depuis dix-huit ans. Sa demande fut
appuyée par un membre du Conseil de Colmar; c'est qu'il exerçait
le métier de "médecin pour les chevaux". Il s'était
acquis la confiance du publie et on l'employait dans les grandes maisons de
Colmar.
Le 31 juillet 1774 Alexandre Joseph, qui avait d'abord demeuré à Riedwihr et qui était à Horbourg depuis trois ans, reçut également la permission d'acheter une maison. C'est le nommé Bartholdi de Colmar, sans doute un des ancêtres du fameux sculpteur, qui la lui vendit.
Dix ans après les deux frères Joseph et Isaac Bickert achetèrent des maisons sans demander d'autorisation, se basant, sans doute, sur le nouveau règlement du gouvernement français qui permettait aux Juifs d'acquérir des maisons. Le receveur Rosé et le contrôleur Sandherr, ne sachant pas si ce règlement devait s'appliquer aussi aux Juifs de Horbourg, demandèrent une consultation au Conseil souverain. La question fut mise en délibéré à Colmar, le 16 mars 1785, et l'avocat Heichstetter en dressa un procès-verbal, qui se trouve encore aux archives départementales de Colmar (13).
I1 y est dit que la loi publique, en Alsace, avait toujours accordé aux Juifs la faculté d'acquérir des maisons pour leur logement comme aux chrétiens, à cette seule différence près que, lorsqu'un Juif acquiert une maison, le chrétien est en droit de demander la préférence et le Juif est tenu de s'en désister et de recevoir du chrétien le remboursement de ce qui aura été payé par lui, Juif. Si les juifs de Horbourg ont payé jusqu'à présent un droit pour l'autorisation d'acquérir des maisons, cela ne constitue pas un précédent ; au contraire, ces exemples seraient envisagés en justice comme des exactions et des contraventions à la loi du Souverain, puisque les Seigneurs ne sont autorisés à prélever sur les Juifs que le droit de protection. Puisque le nouveau règlement permet aux Juifs d'Alsace d'acquérir des maisons, les Seigneurs ne peuvent pas leur demander le payement d'une somme quelconque, sans quoi la permission du Souverain resterait sans effet. Il est vrai que les Juifs ne peuvent acquérir qu'une maison pour s'y loger, mais point pour la louer ou la vendre. Or, ce règlement même ne peut être mis à exécution que dans le cas où un acheteur chrétien se présente, car la loi ne porte aucune peine pour la contravention et l'on ne peut forcer le Juif à vendre sa maison, s'il ne se présente pas d'acquéreur.
Nous avons vu plus haut les droits que devaient acquitter les Juifs pour s'établir à Horbourg. Les lettres patentes de 1768 élevèrent cette redevance à 36 livres (14). A ce sujet les Juifs de Horbourg adressèrent une pétition au duc de Wurtemberg, le 26 novembre 1770, pour que leurs impôts fussent diminués. Il y est dit que :
"les nommés Marum Kahn et Lehmann Braunschweig ont obtenu en 1742 de M. l'Intendant d'alors, qui représentait la seigneurie, la permission de s'établir à Horbourg, à charge de payer annuellement les charges royales et seigneuriales. Les autres cinq Juifs, savoir: Borach, Joseph et Isaac Bickert, trois frères, fils du susdit Paul Bickert, Wolf Moyse et Samson Meyer ont obtenu la permission... ; il est dit qu'ils payeront les charges ordinaires et dans une autre partie d'ycelle il est dit : à charge de payer à la seigneurie annuellement pour droit de protection 16 1. 13 s. 4 dl. et 3 1. pour une oie grasse."Cette pétition est signée par לימא בר נתן (Lehmann Braunschweig), שמשון מייאיר פון האורבוריג (Samson Meyer), וואלף (Wolf Moyse) et Mahrem Kahn, Jude zu Horburg. Elle fut rejetée le 29 novembre 1710.
Néanmoins, dans la suite, différentes requêtes individuelles
pour diminution d'impôts adressées à la seigneurie eurent
plus de succès. Le 11 juillet 1771 c'est Wolf Moyse, gendre du tapissier
Salomon Israël, qui demanda cette faveur, parce qu'il était indigent.
Son droit fut réduit de 36 livres à 15 livres. Le 12 avril 1778,
il fut même déchargé de toute taxe pour cause d'indigence
et de maladie.
La même demande fut faite en 1787 par le nommé Libmann Lévy.
Très pauvre, il demandait la remise de la moitié de sa taxe de
protection pour l'année 1786, ce qui lui fut accordé le 27 avril
1787. L'année suivante il présenta un certificat de maladie signé
par Joseph Bickart, Simon Dreyfus et Leib Khan, et il fut déchargé
du droit de protection, le 18 septembre 1788.
Il va sans dire que les Juifs se réunirent avant comme après cette démarche. Cela ressort clairement de la lettre adressée à la seigneurie par le receveur Rosé, le 19 novembre 1767. II y est dit qu'il y avait à cette époque sept familles juives à Horbourg, parmi lesquelles se produisent de temps en temps des désordres, même jusqu'à se battre dans leurs assemblées judaïques. Le rabbin de Ribeauvillé avait déjà voulu leur donner un préposé, comme cela se faisait dans toutes les communautés, mais lui l'en avait empêché, parce que c'était là un droit seigneurial. Pour ce motif, il propose de nommer à cette charge Marum Khan qui est le plus âgé, le plus tranquille et le plus capable. Il ajoute, en même temps, un formulaire d'instructions, qui ressemble presque entièrement à celui qui était en vigueur dans la seigneurie de Ribeauvillé (16).
Le 21 novembre 1767, les conseillers d'Etat, le Président, le Vice-Président et les Conseillers de Régence à Montbéliard notifièrent à M. Freillinger réception de la lettre du receveur Rosé. Freillinger fut d'avis qu'on pouvait nommer un préposé sans lettres patentes, et le ler décembre 1767, eu effet, un décret nomma Marum Kahn préposé des Juifs avec spécification de ses droits et de ses devoirs (17).
Le 10 novembre Marum Kahn prêta serment devant le juge de Horbourg dans les mains du commis-rabbin Salomon Wahl de Herrlisheim. Mais il ne garda ses fonctions que pendant six ans. Le 15 juillet 1773 il demanda à être déchargé des impôts eu même temps qu'à être relevé de ses fonctions de préposé, étant malade et incapable de commercer (18). Son fils Léopold le nourrit et l'entretient. Cinq jours après un décret du vice-président au conseil de Montbéliard nomma Joseph Bickart aux fonctions de préposé et déchargea Marum Kahn de ses taxes de seigneurie (19).
La même année une autre demande de la communauté de Horbourg fut accueillie, celle de construire une synagogue. La requête en avait d'abord été adressée au procureur général au Conseil souverain d'Alsace et celui-ci avait donné la permission par un décret spécial. Puis l'on s'adressa au Conseil de régence à Montbéliard, qui paraît-il, donna également son consentement. Mais il fallait encore se procurer les fonds nécessaires pour les frais de construction. Une collecte semble avoir été faite parmi des coreligionnaires de la province. Nous voyons, en effet, par une lettre adressée au Conseil de régence, que les Juifs de Horbourg demandent le renvoi de leur requête adressée au procureur, au bas de laquelle était joint le décret de permission. Ils disent qu'ils ont besoin de ces docunents pour obtenir de leur Rabbin la permission de quêter dans la province pour subvenir aux frais de la construction de leur synagogue (20).
Pour l'inhumation de leurs morts les Juifs de Horbourg se servaient, entre autres, du cimetière de Jungholtz. Dans le plus ancien registre des archives de cette localité, qui a été commencé en 1719, je trouve sous la rubrique Horbourg הורבורג les noms des personnes suivantes ayant acquis le droit de propriété :
Au commencement du siècle dernier la communauté de Horbourg s'associa avec celle de Wintzenheim pour fonder un cimetière dans ce dernier lieu, et plus tard elle enterra ses morts dans la nécropole de Colmar.
Lorsque, pendant la Terreur, on réclama partout des dons patriotiques, la synagogue de Horbourg fut également visitée par le maire et les employés municipaux. On y trouva 13 1/8 demi-onces d'argent pur, 3 7/8 demi-onces de dentelles blanches et jaunes et 18 1/8 d'argent brodé blanc et jaune. Procès-verbal de cette visite fut dressé le 11 frimaire an II l décembre 1793).
Dans le courant du 19ème siècle la communauté juive de Horbourg augmenta considérablement, mais depuis la guerre franco-allemande elle partage le sort de presque toutes les communautés des villages alsaciens : il y a eu une forte diminution par suite de l'émigration à l'étranger et dans les grandes villes. Ainsi, l'on comptait en 1875 à Horbourg encore 299 âmes juives, en 1890 il n'y en avait plus que 244 et en. 1895 que 206, de sorte qu'il est fort probable que dans un temps relativement prochain il n'y aura plus de communauté israélite à Horbourg.
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