Un cimetière agrandi à plusieurs reprises
La création du cimetière
Le cimetière est implanté sur une parcelle appartenant initialement aux seigneurs de Frauenberg pour desservir à la fois la communauté locale et celles de Bliesbruck et Sarreguemines, cette dernière commune ne possédant un cimetière juif qu'à partir de 1899. Au 19ème siècle, y sont aussi inhumées des personnes de Welferding, faubourg de Sarreguemines, aujourd'hui intégré a la ville. Avant sa fondation, les juifs de la vallée devaient être enterrés à Bliescastel dans la Sarre, à près de 20 km de là. Sous l'Ancien Régime, les cimetières juifs ont en effet souvent un large ressort, parfois même régional comme celui de Metz, les créations devenant plus nombreuses dans les années précédant immédiatement la Révolution (13).
La date de sa création n'est pas connue mais remonte aux environs de 1720-1730, époque à laquelle s'implantent plusieurs familles. En effet en 1772, un contrat d'acensement perpétuel signé entre le seigneur de Frauenberg et des représentants des juifs de Frauenberg, Bliesbruck et Sarreguemines, s'engageant à payer chaque année trente-six livres à la Saint Martin, précise que le cimetières existe "depuis un temps immémorial", ce qui semble indiquer au minimum 40 à 50 ans d'âge (14).
Le premier document figurant ce cimetière est le cadastre napoléonien. En 1815, il correspond à la parcelle 97, une petite maison servant à la Hevra Qaddishah etant cadastrée 96. A l'ouest, une parcelle un petit peu plus grande (P 95), appartenant également à la communauté mais mentionnée comme verger, fait office de réserve foncière. L'ensemble est encastré à l'intérieur de la parcelle 98, occupée par le château, alors propriété d'un certain Mathis Kalis.
Au moins trois extensions dans le temps
Chaque défunt ayant droit à une sépulture individuelle séparée de ses voisines d'au moins six pouces (60 a 70 cm) (15) et toute exhumation étant en principe interdite, les cimetières juifs sont souvent vite saturés.
Lorsque qu'aucune extension ou création de nouveau cimetière (16) n'est possible, la seule solution consiste à recouvrir les anciennes sépultures d'une couche suffisante de terre pour pouvoir procéder a de nouvelles inhumations, solution fort coûteuse, rarement adoptée en dehors des grandes villes (17). On ne sait pas avec précision en quelle année le cimetière est agrandi sur la parcelle voisine du verger mais cette extension, visible dans le mur de clôture, semble avoir lieu vers 1840 (Fig. 4).
Une photographie de la fin du 19ème siècle (Musée lorrain) montre cette première extension. On y distingue une nouvelle maison pour la Hevra Qaddishah, dont ne subsistent plus aujourd'hui que quelques pierres (Fig. 5).
Fig. 5/ Photographie ancienne du cimetière montrant l'extension des années 1840 et la maison de la Hevrah Qaddishah @ Musée lorrain
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Fig. 6/ Vue de la dernière extension du cimetière @ Région Grand Est - SRI/ photo Claire Decomps |
Une dernière extension est enfin nécessaire au début du 20ème siècle. Disposée en terrasses, on peut la dater par la disposition des tombes des années 1903-1904 (rangées L-P), les premières tombes étant installées en haut à droite (Fig. 6). Plusieurs inhumations postérieures sont néanmoins effectuées dans la partie ancienne du cimetière, notamment en bout de rangée, près de l'ancienne porte.
Le terrain présente une forte pente. La plupart des cimetières juifs sont en effet disposés sur des parcelles plutôt ingrates, difficilement utilisables pour autre chose, soit donc en pente comme ici ou à Sierck-les-Bains, Bouzonville, Hellering ... , soit sur des terrains inondables comme à Metz. L'ensemble est clos de mur conformément aux usages. Aujourd'hui le cimetière comporte deux portes (mais celle d'origine se situait entre les deux). Près de la plus ancienne, une petite fontaine permet aux visiteurs de se purifier à la sortie, conformément aux prescriptions rituelles.
Parmi les tombes célèbres, on signalera celles d'Abraham et Elie Lazard, morts en 1832 et 1833 (18) (E27 et E30) ou celle de Lion Cahn (1816-1893), grand-père de Pierre Mendes-France (A22).
L'étude du cimetière
L'étude de l'Inventaire général en 2006
Si les tombes les plus anciennes sont aujourd'hui enterrées dans la partie basse du cimetière, nous en avons recensé 695 en 2006 (en prenant en compte tous les vestiges visibles) et effectué quelques 350 photos.
Pour ce repérage, nous sommes partis du travail du Cercle de généalogie juive, effectué par Jean-Pierre Bernard en 1997 (19), document fournissant à la fois un plan et un listing. En l'absence de relevé topographique, ce plan nous a été fort utile bien qu'inexact (les rangées sont beaucoup moins régulières et il en manque une (E') entre la partie ancienne et l'extension de 1870).
Bien que les tombes soient numérotées à l'envers par rapport à l'ordre chronologique, nous avons essayé de reprendre les mêmes numéros (sauf pour les lignes E et E' où cela n'était pas possible). La liste mentionnant les noms et dates des défunts nous a fait également gagner du temps en déchiffrage, bien qu'elle soit incomplète (elle ne prend en compte que les donnes en caractères latins même lorsque l'hébreu est lisible).
Datation des tombes
Toutes les tombes portent une date hébraïque mais celle-ci n'est pas toujours lisible, surtout pour les plus anciennes, la partie inferieure des stèles où est placée la date, étant la première à disparaître sous terre. A partir de 1810, elle apparaît souvent aussi en caractères latins à l'arrière du monument ainsi que le nom du défunt, ce type d'indication devenant quasi systématique dès le milieu du siècle. C'est ainsi que 384 monuments peuvent être datés à l'année, soit 55% de l'ensemble, la plus ancienne stèle datée remontant à 1810.
Lorsque ce n'est pas le cas, l'alignement permet néanmoins de dater approximativement la plupart des monuments. Cette datation au quart de siècle, aisée à partir du milieu du 19ème siècle, est plus difficile dans la partie ancienne où les tombes sont mal alignées, et où les repères chronologiques manquent, d'où parfois l'obligation de se contenter d'une datation au demi siècle (limite 18ème -19ème siècles, première moitié 19ème s. ou milieu du 19ème s.).
Ce qui nous donne 187 tombes avant 1850 (27%), 383 dans la seconde moitié du 19ème s. (55%) et 125 au 20ème siècle (18%).
Le nombre de tombes conservées s'accroît fortement au cours du 19ème s., notamment à partir de 1860 pour culminer dans les années 1880 et 1890. Il décroît ensuite au 20ème s., à la suite de l'ouverture du cimetière de Sarreguemines et du fait du déclin démographique des communautés (avec un certain décalage, les personnes quittant la région étant en général les plus jeunes).
L'implantation des tombes
Les tombes sont alignées sur des rangées parallèles à la pente, formant des sortes de terrasses. Plus on descend, plus cet ordre se trouve bouleversé par l'instabilité du terrain.
Les extensions progressives du cimetière ont aussi entraîné un certain désordre dans les alignements. Si une petite allée sépare en principe deux rangées, elle disparaît totalement au niveau de la limite supérieure de la partie ancienne et de la limite inférieure de l'extension de 1870, rendant difficile la distinction entre les deux rangées E' et E. Plus bas, dans la partie ancienne, les rangées initiales sont encore plus difficilement lisibles, beaucoup de stèles ayant glissé.
Par souci d'égalité, les morts sont enterrés par ordre chronologique, plusieurs rangées étant toutefois utilisées conjointement selon le terrain disponible (par exemple les rangées A, B, C, D, qui démarrent à gauche en 1871 ou 1872 et s'achèvent à droite entre 1898 et 1902). A partir de la fin du 19ème siècle, il arrive que certaines familles de notables réservent un emplacement pour la tombe d'un conjoint, voire d'un enfant (21), les stèles formant un ensemble de deux ou trois monuments identiques (Fig. 8) ou un seul double. Cette pratique, initialement limitée à de rares notables, tend à se développer au cours du 20ème siècle dans la dernière extension du cimetière.
Conformément à la tradition, on notera la présence de plusieurs carrés réservés aux enfants, dont un le long du mur, à proximité de l'ancienne porte ; K2 à K12 (1846-1868) et KK 1 à KK10 (1861-1868/1897) et un second plus récent à la jonction entre la partie ancienne du cimetière et l'extension de 1870 : E45 a E83 (1873-1897). En raison de leur innocence, les enfants sont censés ressusciter les premiers, d'où leur localisation
fréquente à proximité d'une porte.
Les travaux effectués sur le mur durant l'été 2017, sous surveillance archéologique, ont révélé la continuité des sépultures d'enfants en bas-âge le long de la totalité du mur de la partie ancienne et de sa première extension, bien qu'aucune stèle correspondante n'ait été retrouvée (22).
Les tombes de cohanim, soumis à des prescriptions de pureté spécifiques, sont souvent placées à proximité d'un mur, conformément à la tradition, afin de permettre aux membres de leur famille de les visiter sans pénétrer à l'intérieur de l'enceinte du cimetière (23) (au total une dizaine de tombes identifiées dont cinq sur la rangée A (Fig. 9) et deux sur la rangée E marquant l'ancienne limite de la partie ancienne).
Fig. 9/ Stèles architecturées de la rangée supérieure de la seconde extension du cimetière (A34-39), la quatrième est celle d'un cohen @ Région Grand Est - SRI / photo Claire Decomps |
Fig. 10/ Stèle monolithe datée 1816 (F54) @ Région Grand Est - SRI/ photo Cl. Decomps |
Description
Les matériaux
Fig. 11/ Monument en forme de cippe de 1862 (E10), avec inscription en hébreu montée à l'envers @ Région Grand Est - SRI/ photo Cl. Decomps
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Fig. 12/ Stèle double mêlant curieusement arcatures néo-gothiques et fronton néo-classique en 1866 (613) @ Région Grand Est - SRI / photo Cl. Decomps |
Fig. 13/ Monument double d'inspiration orientalisante, 1903 (M5a-b) @ Région Grand Est - SRI / photo Cl. Decomps |
A la fin du 19ème siècle, apparaît un calcaire blanc ou grisâtre à grain très fin, plus adapté à la sculpture. Si c'est le cas des tombes les plus ornées (la quasi-totalité de celles qui portent une signature), les deux matériaux continuent à coexister, parfois sur un même monument, le calcaire étant alors utilisé pour la stèle et le grès pour la partie fonctionnelle. Par effet de mode, quelques stèles en grès ont été peintes en blanc à l'imitation de la pierre ou portent de fausses plaques de marbre. A cette époque, les inscriptions initialement gravées sur la stèle, sont plus souvent placées sur une ou deux plaques en marbre.
Au début du 20ème siècle, quelques monuments, notamment en forme d'obélisque, utilisent un granite anthracite, avec parfois un jeu sur l'aspect poli ou brut du matériau.
A partir des années 1920, on rencontre aussi de plus en plus de matériaux composites (ciments, granito, pierre reconstituée ... ).
Structure des tombes
A l'exception de quelques monuments postérieurs à 1930 en forme de dalles (une dizaine), les tombes sont toutes de type ashkénaze, c'est-à-dire dotées d'une stèle verticale placée à la tête du défunt, elle-même tournée vers l'Est, en direction de Jérusalem.
Jusqu'aux années 1850-60, cette stèle est constituée d'une pierre monolithe. Par la suite, elle est généralement architecturée, les différents éléments (soubassement, stèle ou fût, couronnement) étant soit goujonnés soit emboîtés avec creusement d'une réserve pour assurer une meilleure stabilité,
A partir des années 1890, certaines tombes sont précédées d'une bordure ou d'une dalle évoquant un caveau (interdit dans le judaïsme traditionnel puisque les morts doivent être enterrés en pleine terre, mais adoptés peu à peu pour des raisons d'hygiène). Quelques tombes de notables sont en outre mises en valeur par plusieurs marches.
Une vingtaine de monuments sont bordés de clôtures, souvent très détériorées. Les plus anciennes sont des grilles en fonte de fer, apparues des 1830 et 1833 pour les tombes de la famille Lazard. A partir de 1890, il s'agit plutôt de balustre en fonte ou en pierre, retenant une chaîne métallique. Si les plus anciennes se limitent à une tombe, à partir de 1890, elles entourent souvent deux, voire trois tombeaux d'une même famille.
Typologie des monuments
Au 18ème siècle et au début du 19ème, les stèles sont assez basses et en plein cintre, formant des sortes de pierres levées (une vingtaine encore en place en 2006, malheureusement non datées, sur les rangées F à K, avec un maximum rangée H).
Cette forme de base évolue, tout d'abord par le creusement d'une cuvette pour ménager un petit encadrement ou une sorte de corniche sommitale. Au cours de la première moitié du 19ème siècle, la partie cintrée tend à se resserrer en largeur et elle est souvent accostée de diverses façons (volutes, rosaces, boules ... ) (Fig. 10).
Après 1850, le cintre supérieur se transforme en fronton, séparé par une large mouluration. Peu à peu, on passe de stèles monolithes à des stèles plus hautes, en plusieurs morceaux, certaines étant particulièrement hautes. Dans les années 1850-60, apparaît aussi une série de tombes (une douzaine) en forme de cippes (fût de section quasi carrée, surmonté d'une corniche) imitant un autel antique (Fig. 11).
Plus tard, on remarque aussi des tombes en forme de colonne tronquée (une douzaine entre 1875 et 1922), symbole d'une vie prématurément interrompue, employé de manière identique dans les cimetières juifs et chrétiens, Toutes semblent concerner des enfants ou des jeunes gens. Ainsi il n'y en a pas moins de six dans la rangée des enfants située à la jonction entre la partie ancienne et l'extension de 1870.
En 1898, la tombe du rabbin Bernheim de Sarreguemines revêt la forme d'une pyramide, forme distinguant traditionnellement les rabbins et les savants, utilisée au cimetière parisien du Père-Lachaise dès 1812 pour le grand rabbin Sintzheim, puis pour Marchand Ennery (1852) ou Samuel Cahen (1862). A Metz-Chambière, on rencontre ainsi une pyramide de ce type dès 1832 pour le grand rabbin Samuel Wittersheim.
Une forme dérivée (obélisque) est employée en 1890 et 1896 pour des notables (famille du maire de Sarreguemines Lion Grumbach) avant de se démocratiser au début du 20ème siècle (une dizaine d'exemples) .
Quelques très rares monuments sont en forme de sarcophages. Toutes ces variantes n'apparaissent qu'assez tardivement et ne se généralisent que dans les années 1920-1930.
Styles
Les tombes s'inspirent souvent, quoiqu'avec un certain décalage chronologique, des styles à la mode.
Quelques stèles de la fin du 18ème siècle ou du début du 19ème pressentent des éléments d'inspiration Louis XV, voire rocaille (cartouches chantournes, coquilles).
Un grand nombre de tombes sont de structure sinon de décor néo-classique, style le plus courant à partir des années 1860 et dont on rencontre encore des avatars au début du 20ème siècle. En dehors des cippes "à l'antique", ces tombes prennent la forme de hautes stèles avec soubassement, fût et fronton cintré ou triangulaire, avec parfois un vocabulaire très typé (acrotères, denticules, rosaces, palmettes ... ), quelques tombes présentant même un caractère "étrusque". La pyramide et l'obélisque évoques précédemment dérivent aussi de ce courant.
L'influence des autres styles historiques est beaucoup plus limitée. Quelques colonnettes ou niches en plein cintre, vaguement romanes, quelques arcatures en tiers points ou polylobées, d'inspiration gothique, à partir des années 1860, ce style restant exceptionnel en raison de ses connotations très catholiques. On notera d'ailleurs sur une de ces tombes datant de 1866 (GI3) un curieux mélange entre arcatures gothiques et fronton néo-classique ! (Fig. 12). A la charnière des 19ème et 20ème siècles, quelques stèles se parent d'arcs outrepassés, de rosaces ou d'arcatures orientalisantes d'inspiration hispano-mauresque (Fig. 13), style alors jugé "plus israélite" (24).
Iconographie
Sur les tombes les plus anciennes et les plus simples, les motifs sont simplement gravés. On rencontre ensuite des décors sculptés en bas-relief.
Les thèmes spécifiquement juifs sont peu nombreux. Dix tombes portent des mains bénissantes de cohanim, une seule une aiguière de lévite (L21), quelques-unes des Tables de Loi. Le magen David (25) n'apparaît que très tardivement, sur des tombes du 20ème siècle, l'étoile à cinq branches figure en revanche sept fois. Deux tombes sont ornées d'un arc en ciel, symbole de l'alliance entre Dieu et les hommes après le déluge. Très rare, ce motif se rencontre aussi en Alsace, par exemple à Marmoutier.
L'urne funéraire, symbole universel mais peu "orthodoxe", est exceptionnelle dans ce cimetière - ce qui n'est pas le cas dans beaucoup cimetières juifs contemporains de l'Est de la France où elle est fréquemment associée à des torches renversées - et n'apparaît que sur des tombes du 20ème siècle (dont trois identiques où elle se réduit à une silhouette). Il y en avait cependant probablement d'autres, disparues, comme sur celle d'Eugénie Weyl (K7), datée 1859, visible sur une ancienne photo du Musée lorrain.
Le voile funéraire, ou linceul, est tout aussi exceptionnel et réduit à une simple draperie décorative.
La majorité des motifs sont d'inspiration végétale (une soixantaine d'exemples) qu'il s'agisse de rinceaux, de chutes de fleurs ou de couronnes, les plus anciens décors gravés étant des fleurs. S'il s'agit en général de végétaux très stylisés, quelques essences particulières apparaissent occasionnellement comme la grenade, symbole de prospérité et de fécondité. A la charnière des 19ème et 20ème siècles, on rencontre aussi, bien qu'en nombre assez limité, des plantes évoquant l'éternité dont la symbolique, issue de l'iconographie antique, a été reprise dans l'art funéraire chrétien : l'immortelle, le laurier, le chêne ou le lierre.
Inscriptions
Les plus anciennes sont exclusivement en hébreu, Elles couvrent en général toute la face de la stèle, avec parfois des lignes de texte disposées en arrondi sur le pourtour (Fig. 14).
Les épitaphes commencent toutes par les abréviations פנ (po nitmon : "ici repose" ou
פט (po tomon/ temuna) : "ici est caché(e)"), celles-ci se trouvant souvent nettement détachées, par exemple au milieu d'un fronton.
Au-dessous, le texte précise toujours le prénom du défunt ainsi que celui de son père, puis la date de son décès et celle de son enterrement, souvent exprimées en référence à une fête religieuse (V[eille du] S[aint] S[habbat], V[eille de] R[osh ha]- SH[anah] ... ), l'année étant notée "selon le petit comput ", c'est-à-dire sans les milliers.
Le patronyme du defunt est parfois transcrit à partir des années 1890, mais en général ne figure que son nom religieux.
L'inscription s'achève toujours par la formule "que son âme soit réunie au faisceau des vivants" (Samuel 1: 25-29) abrégée en תנצבה (Tehi nafsho tserura bizror ha-ייayim) (26).
Si ce schéma est immuable, diverses précisions peuvent être ajoutées sur les qualités du défunt. Elles sont souvent inspirées des Pirquei Avoth ou de versets bibliques comme par exemple "un homme craignant Dieu, innocent et droit dans tous les actes de sa vie,
recherchant la paix [..] » évoquant fortement le portrait de Job (27).
Très stéréotypées, elles reflètent les valeurs traditionnelles du judaïsme : l'étude pour les hommes, la modestie et le dévouement pour les femmes, la piété et la charité pour tous, conformément aux archétypes du "sage" et de la "femme vaillante" des Ecritures. Si les
plus anciennes sont assez longues, elles raccourcissent progressivement au cours du 19ème siècle, la longue épitaphe du rabbin Bernheim (A 14) en 1898 constituant une notable exception (28).
Ultime étape de cette évolution, la réduction aux deux lettres פנ, qui apparaît dès les années 1920. Ces épitaphes hébraïques étant gravées par des non-juifs, les erreurs ne sont pas rares. Ainsi une stèle est-elle montée (ou remontée) à l'envers.
Apartir de 1810, le nom et la date du décès commencent à figurer en caractères latins au dos, ou plus exceptionnellement sur le côté. A partir de 1855, ces indications apparaissent parfois aussi sur la face, sous l'épitaphe hébraïque, ou sur le soubassement, cette disposition devenant la plus fréquente après 1870.
Une tombe de 1895 présente une inscription sur deux colonnes (français à gauche, hébreu à droite), disposition rare dans la région, sauf a Sierck-les-Bains. Le texte en caractères latins comporte en principe le nom du défunt et l'année de sa mort. II mentionne fréquemment aussi son année de naissance ou son âge, le nom de son conjoint ou son origine géographique, ces dernières informations étant loin d'être systématiques.
Les précisions sur le statut ou les activités exercées par le défunt sont très rares (A27 : "Lion Grumbach, 1822-1890, ancien maire [de Sarreguemines]" ; P0l : "David Bacherig, combattant de guerre 1870").
Les épitaphes plus développées sont exceptionnelles. On signalera ainsi la tombe d'Eugénie Weyl, une fillette de 9 ans (K7) morte en 1859, qui occupe toute la face du monument (29), l'hébreu étant rejeté sur le côté (à moins qu'il ne s'agisse d'un remontage). Ou celle de la première épouse du maire Lion Grumbach morte en 1868 (A54) (30). Très différentes de la prose hébraïque, ces deux exemples expriment dans un langage sécularisé la douleur face à la perte d'un être cher.
Les ateliers identifiés
Toutes les tombes semblent l'œuvre de tailleurs de pierre locaux. A partir de 1885 certaines sont signées (26 Laroche, 2 Poiré et 2 Kratz, ces deux sculpteurs semblant reprendre la succession du premier avec trois modèles créés précédemment). On peut d'ailleurs attribuer à Laroche un nombre plus important de monuments, certains modèles figurant en plusieurs exemplaires, avec ou sans signature.
Toutes ces tombes se distinguent par l'emploi du calcaire.
Laroche possède un très gros atelier de sculpture funéraire à Sarreguemines entre les années 1885 et 1910 (31). Il a réalisé à Sarreguemines une vingtaine de tombes au cimetière catholique, cinq au cimetière juif (1904-1906), au moins une à Welferding (32).
Ses œuvres empruntent à des styles divers (néo-gothique, néo-classique, à l'imitation de la nature ... ).
Certains modèles néo-classiques sont utilisés à la fois pour les clientèles catholiques et juives après suppression de la croix sommitale (Fig. 15). D'autres, d'inspiration plus orientale, semblent réservés à la clientèle juive (B21, C11, M1, M5) avec quelques exemplaires identiques à Frauenberg et au cimetière juif de Sarreguemines.
Conclusion
Par rapport a d'autres cimetières juifs de la région, les tombes anciennes sont particulièrement mal conservées. En tenant compte des données historiques et démographiques connues, on peut estimer à deux ou trois cents le nombre de stèles enfouies sous la terre dans la partie basse.
Si au 19ème siècle, tous les cimetières juifs reflètent une progressive acculturation aux valeurs du pays, se traduisant à la fois par un assouplissement de certaines normes spécifiques (sobriété, absence de hiérarchie sociale ... ) et l'adoption de nouveaux modèles funéraires, celui de Frauenberg semble particulièrement "orthodoxe". En effet alors que le changement est lisible dès le milieu du 19ème siècle dans certains cimetières, et souvent largement entamé après 1870, la plupart des innovations (clôtures, regroupements familiaux ... ) y sont très rares avant 1890, nettement plus tard que dans d'autres cimetières comparables (Créhange, Sierck-les-Bains, Blamont...).
Le vocabulaire iconographique demeure très restreint, y compris dans ses formes traditionnelles, les cimetières lorrains étant sur ce plan généralement moins riches que ceux d'Outre-Vosges (33). Les symboles funéraires empruntés aux cimetières chrétiens y sont également plus discrets que dans 1a plupart des cimetières juifs contemporains qui regorgent d'urnes et autres voiles funéraires.
Les monuments sont donc très sobres, conformément à la tradition juive. Ceux des notables se distinguent peu des autres. On observe certes quelques obélisques mais pas de grands caveaux et encore moins de "chapelles" (342). A statut social égal, ils sont beaucoup plus simples que ceux des cimetières chrétiens alentours, à commencer par celui de Sarreguemines. Cette remarque pourrait être généralisée à l'ensemb1e des cimetières juifs de l'Est de la France, y compris ceux des grandes communautés urbaines comme Metz, Nancy ou Strasbourg.
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