Claude Vigée a admirablement dépeint l'éclosion de la lumière intime de Hanouka, au milieu des longues pluies, du brouillard et des premières neiges :
"Dans le soir humide et glacé mille cierges luttent et meurent sous le vent dans les cimetières chrétiens où pourrissent de lourds bouquets de chrysanthèmes. C'est le temps de la Toussaint, mais ce sont aussi les préparations pour Noël, les sapins que l'on vend sur la place publique et que les mères de famille décorent en secret de bougies, de fruits, d'étoiles d'or ou d'argent. Vers huit ou neuf ans j'associais Hanouka, la fête des lumières, aux cierges de la Toussaint. Rite de souvenir, évocation de l'en-deçà glorieux de l'histoire d'Israël, au milieu des brumes, des millénaires d'exil, du gel du présent ; mais aussi, aux yeux des chrétiens comme des petits Juifs de ma bourgade natale, Hanouka c'était une sorte d'Avent d'Israël, l'annonce encore très humble d'une bonne nouvelle dans l'exil. Hanouka était devenu pour nous tous la Noël des Juifs. Ce n'était pas la veillée funèbre des cimetières de la Toussaint, avec leurs milliers de lumignons isolés dans la nuit, qui achevaient de se consumer dans la pluie et le vent, sur les tombes. Ce n'était pas non plus l'embrasement magique, et presque païen, des grands arbres de Noël odorants, bariolés, surchargés d'ornements, de la chrétienté alsacienne. Hanouka c'était, en plein hiver, la résurrection précoce de la lumière printanière dans le cadre étroit mais chaleureux du foyer ; une étincelle dont la clarté allait s'accroissant de jour en jour dans le cocon de la maison juive assiégée de bise et de nuit, où déjà la neige tourbillonnait. Parmi ces murailles obscures et les toits sinueux des vieilles bâtisses, au milieu de cet univers étranger et froid on voyait de loin en loin, au rez-de-chaussée d'une demeure, luire dans l'entrebâillement hésitant d'un volet les petites langues de feu qui se reflétaient sur les branches cuivrées des chandeliers de Hanouka" (1).
Le grand-père, de sa voix de basse un peu fêlée par l'âge et les petits verres de mirabelle, entonnait le Maoz zur ; puis "dans l'obscurité qu'envahissait la lueur rousse des chandelles", il racontait en judéo-alsacien aux enfants, à qui venaient se joindre quelques petits chrétiens du voisinage, comment les Juifs d'alors "avaient rossé les païens de Syrie déguisés en Grecs". C. Vigée évoque le crépitement des petites mèches neuves mordues par la flamme, la fumée âcre se mêlant au parfum des pelures de pommes, "qui se tordaient en brûlant sur la bordure de fonte du grand poêle de faïence...".Les familles se réunissent pour des veillées où l'on joue aux cartes (Klopfes), tandis que les enfants s'amusent avec une toupie (Hanike Trendel), et mangent un pain de fruits bruni par le four, le Houtselwécke. A minuit, le jeu cesse et les rafraîchissements arrivent : les maîtresses de maisons apportent elles-mêmes des corbeilles remplies de pommes, de poires, de noix et de raisins. Une immense miche de pain noir est placée au milieu de la table, et du vin blanc de la récolte dernière est servi dans des superbes cruches en terre cuite (3).
Ainsi, à Hanouka, la communauté retrouve sa dynamique et son effervescence, au coeur même de la grisaille hivernale (p. 310-312).
Hanouka est une fête qui a lieu vers le début de l'hiver. Dans chaque famille, on faisait tuer une oie. La graisse de cet animal est indispensable à la réussite de nombreux plats de la cuisine juive, en particulier les fameux Matseknepfle, ces boulettes de farine de pain azyme qui agrémentent le pot-au-feu tout au long de l'année. Dans l'oie, tout est utilisé. La graisse et la peau sont coupées en dés et jetées dans une cocotte avec un peu d'eau. L'ébullition leur fait rendre la graisse qui sera conservée dans des pots de grès. Les petits morceaux de graisse ou de peau grillés, les Grive, sont recueillis avec une écumoire. Mangés salés, chauds ou froids, avec du pain, ils constituent un mets très apprécié. Le foie, la poitrine et les cuisses de l'oie sont parfois conservés dans la graisse dans une terrine jusqu'à Pessah. On farcit le cou de l'animal (Gfeltes Gänsehälsel), tandis que les abats sont apprêtés (Gänse Voresse).
A Hanouka avaient lieu des veillées où se rassemblaient plusieurs familles, pour jouer à la toupie (Trendel) et aux cartes (Klopfes). On mangeait des noix, et la maîtresse de maison offrait du Hutzelwecke [appelé aussi Bireweke], délicieux pain de fruits (p. 340).
Notes :