CHAVOUOTH
DANS LES ANNÉES 1960 Messages des rabbins d'Alsace |
Parmi nos fêtes religieuses, certaines ont gardé une fraîcheur et un retentissement profond dans le souvenir de tous les Juifs. Leur retour annuel provoque le branle-bas des grands évènements : les maisons s'animent et les synagogues s'emplissent. Une même ferveur accueille au foyer et au temple la fête bienvenue - ainsi Pessa'h ou 'Hanouka ont un retentissement chaque année dans nos familles et dans nos communautés ; le Seder ou les lumières de la Menora évoquent en chacun de nous souvenirs et émotions.
Il est d'autres fêtes, non moins importantes, qui ont comme un sort adverse qui en fait des parents pauvres. Chavouoth semble être de celles-ci. Est-ce son manque de symboles ou de traditions spécifiques, est-ce sa brièveté qui nous empêche de l'apprécier à sa vraie valeur ? Combien parmi ceux qui emplissent les synagogues à Pessa'h, oublient jusqu'à l'existence de cette fête des semaines qui en est pourtant le couronnement ?
Nombreux sont les parents, qui, lors des fêtes, demandent une dispense de scolarité pour leurs enfants ; mais rares sont ceux qui songent à le faire pour Chavouoth.
Est-ce parce que nous ne savons plus apprécier à sa vraie valeur le message que nous rappelle la fête des Semaines ? Nous avons tellement subi l'influence des milieux dans lesquels nous vivons, que l'authenticité de la Torah et de sa tradition orale ne nous apparaît plus comme le but fondamental de notre existence.
Certes, dans beaucoup de nos communautés, on se réunit chaque
soir de Chavouoth pour le lernen [soirée d'étude] traditionnel.
Mais n'est-ce pas plutôt l'occasion - fort honorable sans doute, mais
insuffisante - de reprendre un contact amical au cours d'agapes directement
proportionnelles aux rentrées des sociétés invitantes
?
Ne devrait-on pas renouveler, et non seulement le soir de Chavouoth, ces lernen
qui, autrefois, attiraient jeunes et vieux avides de s'instruire ?
Le judaïsme était fier jadis de la culture de ses fidèles.
A une époque où, en Europe, il n'existait ni école, ni
institutions culturelles, chaque ville ou village en Israël possédait
une école primaire et l'enseignement était une obligation sacrée
à laquelle chacun était soumis. Lorsqu'un père mourait,
laissant des enfants en bas âge, c'est la Communauté elle-même
qui se chargeait des frais de leur éducation.
A travers nos communautés d'après-guerre, où en est l'éducation juive de nos jeunes ? Nous avons une seule école juive à plein temps, quelques Talmudei Torah dans les communautés importantes, les cours que des officiants dévoués assurent parmi leurs fidèles. Mais ceci est notoirement insuffisant.
Il faudrait créer un réseau de cours ou de conférences
qui s’ajoutent à ceux que le Consistoire organise chaque année.
Chaque juif devrait y participer au moins hebdomadairement et par la même
renforcer, en l'approfondissant, sa croyance et sen attachement à
notre judaïsme.
C'est là le message essentiel que Chavouoth nous adresse une fois l'an.
Pour nous, il n'appartient pas de célébrer l'anniversaire lointain
d'une loi jadis révélée. La Torah, pour nous, c'est chaque
semaine, chaque-jour qu'elle nous est donnée, toutes les fois que nous
ouvrons son texte et que nous essayons de comprendre et d'appliquer la leçon
qu'elle nous donne.
Il est de bonne mode de nos jours de crier sur tous les toits que l'homme cherche sa voie. Le Juif n'échappe pas à cette contagion et une masse de vétérinaires se pressent à son chevet pour lui proposer chacun son remède. Malheur à lui s'il les écoute, il en mourra.
C'est pourquoi, célébrer une fois par an, la fête de Chavouoth n'est pas de trop : Cet anniversaire de la révélation divine au mont Sinaï rappelle à tous les Juifs qu'il n'est qu'une seule voie pour eux, celle de la Torah. Tous les autres chemins mènent tôt ou tard à une impasse. Sentier rocailleux, semé d'embûches et de difficultés, certes ! A choisir la facilité, on récolte à coup sûr la déception ; mais à savoir affronter virilement son destin, quelles agréables et réconfortantes surprises !
Oui les sentiers de la Torah sont abrupts. Pour atteindre les sommets, combien dérisoire est une molle promenade d'une demi-journée. Il faut leur consacrer l'énergie et la persévérance chevronnée de l'alpiniste qui, dûment encordé, s'arrache à la force de ses poignets et de ses jambes à la pesanteur. Referait-il cent fois la même expédition, que cent fois un spectacle d'une beauté renouvelée enchanterait sa vue. Il en est de même du Juif : La prière de chaque soir ne cesse de lui murmurer à l'oreille : "Médite la Torah, jour et nuit, car elle est toute ta vie, toute la longueur de tes jours. Ses enseignements te paraîtront constamment renouvelés.
Les 49 jours de l’Omer que nous venons de compter et qui sont autant d’étapes dans cette ascension lente, rappelleront de manière salutaire aux gens pressés que d'un seul bond on n'atteint pas le sommet du Sinaï : tout au plus on risque de mordre la poussière.
Aie le courage de peiner et tu trouveras !
Zil gemar - Va et apprends telle est l'éternelle devise.
Veille de la fête de Chavouoth, 1967. L'aumônier général Shlomo Goren au Mont Sinaï, lieu du Don de la Torah |
Si l'époque où nous vivons est déjà une époque exceptionnelle, exceptionnelle par la guerre totale que nous avons vécue, par les six millions de Juifs sacrifiés sur l'autel de la haine, elle l'est davantage encore par les extraordinaires évènements de la semaine passée. Deux millions de nos frères ont mis en fuite 80.000.000 d'Arabes. Le plus sceptique d'entre nous ne peut ne pas y voir la Main de D.
Combien notre angoisse a-t-elle été grande lorsque lundi le 5 Juin nous avons appris que la guerre avait éclaté ! Si à ce moment-là qui que ce soit avait osé prédire une victoire, on l'aurait traité de fou. Et pourtant, trois jours plus tard l'impossible est devenu vrai : l'ennemi qui a juré la destruction d'Israël a battu en retraite comme il est dit "Et cinq d'entre vous vont pourchasser des centaines."
Tout Israël pendant ce temps a été plongé dans le jeûne et dans les prières. Jamais encore - et l'histoire le retiendra - on n'avait vu une pareille mobilisation morale de tous nos frères dans le monde et croyez le bien, cette prière, ce jeûne eux aussi tout comme l'exceptionnel esprit de sacrifice qui s'est traduit par une collecte qui a atteint des proportions inconnues jusqu'à ce jour, ont été une forteresse pour Israël puisqu'ils ont trouvé une oreille favorable auprès du Tout-puissant.
S'il en est ainsi, si nous avons une fois de plus reconnu que D. est au milieu de nous, pourquoi ne pas, à l'occasion de la fête de Chovouôs, jour anniversaire de la promulgation de la Torah au Sinaï, pourquoi ne pas nous proposer de nous rapprocher d'elle, en guise de gratitude envers Celui qui a aidé si visiblement Israël et qui dans les prochaines semaines, si dures et si indécises encore, l'assistera encore ?
Que notre solidarité dans la détresse devienne notre solidarité
dans la paix, que nos prières dans le malheur deviennent des prières
dans toutes les circonstances et qu'enfin par un accomplissement plus consciencieux
de nos mitsvôs, telles que Shabath et lois alimentaires nous nous montrions
dignes de la bonté de Celui qui n'abandonnera pas Israël, Amen.
Jadis, dans nos communautés encore florissantes, la fête de Chovouôt se parait de traditions dont certaines sont tombées dans l'oubli. Elles n'étaient certes pas essentielles, peut-être même étaient-elles sans importance, mais leur disparition nous peine et c'est avec un sentiment de nostalgie que je les évoque aujourd'hui.
Vous souvient-il, chers frères et chers sœurs, de ce gâteau levé en forme de tresse qu'on appelait "Kolètche" ? Et qu'on disait interdit à tous ceux qui n'avaient pas "geomert" (1) ? Bien souvent, je me suis demandé ce que pouvait bien signifier ce terme "kolètche" dont j'ai gardé dans le souvenir jusqu'au goût. Serait-ce le mot "kol-Ech" ("voix du feu") qu'on trouve dans la Torah uniquement dans le verset suivant (Deutéronome 4:33) "Kol Elokim medaber mitokh hoesh", "la voix de D.ieu parlant au milieu du feu" ? J'avoue que je ne le sais pas. Comme d'ailleurs, souvent, la signification de certains mots que nous employons et dont l'origine nous échappe.
Mais, quoiqu'il en soit, ce "kolètche" que nous mangions dans notre jeunesse prouvait bien à quel point la religion était intimement mêlée à la vie quotidienne. Pas de fête sans sa tradition propre : elles se distinguaient si bien entre elles, prenaient tant une personnalité propre que l'on aurait difficilement imaginé Pessa'h sans les mazzeknepfle (2), Chovouôt sans les kolètches, Soukoth sans les tartes au prunes, Hanouka sans les hutzelvwäke (3) et Pourim sans les buremkichlä (4), etc.
Si donc à Chovouôt on mange les kolètches, n'est-ce pas pour nous rappeler la voix de D.ieu qui résonnait au milieu du feu ? Le feu du Sinaï, de cette humble montagne, perdue dans un désert d'où devait retentir une Voix qui, comme le dit la Torah, n'a pas encore cessé de retentir. "Je suis ton D.ieu, tu n'auras pas d'autres dieux, tu ne prononceras pas le nom de D.ieu pour rien, tu observeras le Shabath, tu honoreras tes parents, tu ne tueras ni ne commettra d'immoralité, ni voleras, ni mentiras, ni convoiteras le bien de ton prochain." Ces paroles n'ont pas cessé d'être valables ; avec insistance, elles viennent nous rappeler nos devoirs sur terre, si nous voulons y vivre heureux.
Dans certains synagogues, à part les fleurs qui ne rappellent que la fête de la récolte, on érigeait un "Mont Sinaï" ; on y apportait avec ferveur de la terre et on y piquait des fleurs jusqu'à ce qu'apparût un monceau de fleurs odoriférant. Quelle magnifique leçon de choses pour les jeunes qui voyaient ainsi se matérialiser le message du Sinaï !
Oui, Israël en est le messager. C'est par nous, notre fidélité à notre mission que nous avons gardé dans nos coeurs la voix de D.ieu, au milieu du feu de nos épreuves, du feu des fours crématoires, nos martyres ont proclamé D.ieu et donné au monde une Loi, une Morale.
Je ne pourrais mieux vous encourager à persévérer dans la voix qui s'ouvre devant vous, qu'en vous demandant de réfléchir à l'invraisemblable situation dans laquelle nous nous trouverions si nous, le peuple du Livre, nous qui avons donné ce Livre à l'Humanité, nous oubliions nous-mêmes d'en tirer notre profonde leçon de la vie ?