Les familles ROTHENBURG et ROTHENBURGER
par Pascal FAUSTINI
Introduction
Cet article est né d’une boutade de Pierre Kahn (antenne Alsace)
lors d’une de nos conversations sur ses ancêtres Rothenburger du
Haut-Rhin : et s’ils descendaient du Maharam de Rothenburg décédé
en 1293 dans les prisons de Ensisheim … ?
Rappelons brièvement que
R.
Méir de Rothenburg était considéré comme le
talmudiste le plus éminent de son époque; il est l’auteur
d’une correspondance prolifique sur des sujets de
halakha (jurisprudence
religieuse) et environ mille de ses
responsa ont traversé
le temps
(1). Né vers 1215 ou 1220 à Worms,
son premier maître fut son père R. Baruch ; il poursuivit sa
formation à Würzburg puis en France auprès du grand maître
R. Yehiel de Paris. Méir resta en France jusqu’en 1242, année
où il fut témoin de l’autodafé du Talmud à
Paris. Il quitta notre pays pour l’Allemagne et s’établit
à Rothenburg, ville où il passa la plus grande partie de sa
vie, et dont il prit le nom. Méir y possédait une maison d’une
vingtaine de pièces, comprenant les locaux de son école de Talmud
et les chambres de ses élèves. Après la mort de son père
en 1281, il transféra sa résidence à Worms. Le nouvel
empereur Rodolphe Ier de Habsbourg, élu en 1273, adopta rapidement
une politique de harcèlement des Juifs, si bien que nombre de ceux-ci
décidèrent de quitter ce pays pour la Terre Sainte. Méir,
qui était lui-même une des grandes figures de ce mouvement d’émigration
vers la Palestine, décida de partir en 1286 avec quelques membres de
sa famille. Reconnu en chemin lors de la traversée des Alpes, il fut
arrêté et remis à l’empereur, qui le fit incarcérer
sur de fausses accusations dans la prison d’Ensisheim en Alsace. Il
y mourut en captivité en 1293, refusant que la communauté juive
paie sa rançon. Son corps fut rendu en 1306 et il fut finalement enterré
au cimetière de Worms. L’acronyme de son nom est "
MaHaRam".
Ensemble, nous avons relevé le défi et collecté tout
ce que nous pouvions trouver sur les familles Rodembourg / Rottembourg
/ Rotenburg / Rothenburg / Rothenburger. Nous présentons ici
nos avancées ; nous avons mobilisé de nombreuses sources, certaines
peu connues ou inédites, et s’ils reste encore de nombreux points
obscurs, nous croyons maintenant qu’une seule lignée est à
l’origine de toutes les autres, et qu’elle descend peut-être
effectivement du fameux Maharam …
I. Les lignées ROTHENBURGER du Haut-Rhin.
Nos sources principales sont le recueil de
Fraenckel
(2) et les articles de Denis Ingold
(3).
Le premier venu, R. David ROTHENBURGER, reçoit des lettres patentes
qui lui permettent de résider à Wettolsheim près de Colmar
en 1665 . Il a d’ailleurs épousé Edel, fille de Isaac
LEVY de ce lieu. Vers 1678 nous le retrouvons à Eguisheim, où
il est encore cité en 1688 ; il y décède entre 1698 et
1700.
Son fils aîné Hirtz est nommé en 1681 "fils de
David Bouxwiller" , ce qui nous situe l’origine de la famille.
Hirtz est reçu à Eguisheim le 17.12.1687, il y est cité
jusqu’en 1708. Le second fils Abraham, dit "Frommel", réside
aussi à Eguisheim ; il est le père de Sara (qui épouse
Moyse DREYFUSS, reçu à Eguisheim puis à Sierentz), de
David (marié en 1742 avec Sarlé GINTZBURGER, remarié
en 1763 avec Nendel de Haguenau et décédé vers 1783 à
Eguisheim), d’Ichay Isaac (qui épouse en 1728 Gittel de Biesheim,
village où s’établit le couple) et sans doute de Naftali
Hirtzel (à Eguisheim dans les années 1730, époux d’une
DREYFUSS de Sierentz, père de Zerlé mariée en 1748 et
de Edel mariée en 1760).
Nous ajoutons un troisième fils de David – Denis Ingold mentionne
d’ailleurs trois fils lors de l’affaire passée au tribunal
d’Eguisheim en 1685 – prénommé Ichay ; celui-ci,
qui devrait être né vers 1670/1675, est le père de Bezalel,
et tous deux sont cités dans le contrat de mariage de leur descendant
Isaac de Biesheim en 1769 à Neuf-Brisach, lequel se présente
comme "Isaac Eisik Rotenburger fils de Bezalel fils de Ichay". La
généalogie (non exhaustive) de ces ROTHENBURGER devrait donc
se présenter ainsi :
Schéma n°1
R . David °vers 1630, d. 1698/1700
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Hirtz °vers 1660
x 1687 |
Abraham Frommel
°vers 1665
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Ichay
vers 1670/1675 |
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Sara °1690/1695
x Moyse
DREYFUSS |
Ichay °vers 1700
x 1728
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Hirtzel °1700/1705
d. avant 1748
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David °1710/1715
d. vers 1783
x 1742
x 1763 |
Bezalel °vers 1710 ?
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Reisel
x 1766 |
Isaac |
Zerlé
x 1748 |
Edel
x 1760 |
Isaac °vers 1740
x 1769 |
II. Les lignées ROTHENBURGER du Bas-Rhin.
Peu de noms apparaissent dans l’ouvrage de Fraenckel ; nous localisons
cependant trois branches distinctes. Pour mieux se repérer, nous avons
ajouté des dates de naissance approximatives, qui viendront ensuite
à l’appui de notre démonstration.
- une branche est issue d’un Todros, né vers 1665/1670, père
de Beylé, née vers 1695/1700, qui épouse Joseph GINTZBURGER
de Vieux-Brisach ; leur fille Sarlé GINTZBURGER, née vers
1720, épouse en 1742 David ROTHENBURGER d’Eguisheim, ….
raisonnablement un arrière-petit-cousin … !
- la seconde est issue d’un Jacob né vers 1680, père
de Moyse de Wittersheim, né vers 1710, lequel est à son tour
père de Jacob, né vers 1740, qui épouse en 1767 Edel
fille de David LEVY de Schaffhouse.
- la troisième est fondée par un Meyer, né vers 1690,
qui est reçu à Bischheim le 16.06.1721 (sans doute peu après
son mariage), encore cité en 1743 en ce lieu ; il est le père
de Feyelin qui épouse en 1737 Loewel LEVY de Balbronn. (4)
Jean-Pierre Kleitz nous a amicalement transmis le renseignement suivant,
qui a une importance capitale ; dans une obligation du 5 juillet 1728, Mayer
ROTTEMBOURG de Bischheim, pour faciliter le mariage de son cousin Isaac ROTTEMBOURG
domicilié à Eguisheim près de Colmar avec Guédel
fille d’Isaac de Biesheim, avance 600 livres pour les frais du mariage
(5).
On se doutait que Sarlé, fille de Beylé fille de Todros, avait
épousé son petit-cousin David en 1742, mais là nous sommes
dans le domaine de la certitude : Meyer de Bischheim est le cousin de Isaac
d’Eguisheim, le premier étant plus âgé d’une
dizaine d’années que le second.
Arrivé à ce point, faute de dépouiller un grand nombre
de liasses aux A.D. de Colmar ou de Strasbourg, le chercheur est à
peu près bloqué … Nous avons donc fait intervenir d’autres
types de sources, et tout d’abord un article publié dans la Revue
d’Etudes Juives en 1886 …
III – Un article de la Revue d’Etudes Juives…
Rue des Juifs à
Bouxwiller
sur une carte postale ancienne
collection M et A. Rothé
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Ce court article, publié par Neubauer dans le tome 12 (pages 91 à
94) nous a fourni quelques éléments décisifs que nous rapportons
ci :
- la famille de ROTHENBURG s’était établie, en grande
partie, en Alsace depuis que le fameux R. Méir avait été
interné dans la prison d’Ensisheim (6).
- le manuscrit 673 du catalogue de la bibliothèque Bodléiana
(à Oxford), un texte de commentaires religieux – le Mordekhai
Qatan –, est resté dans la famille ROTHENBURGER d’Alsace
pendant plusieurs générations ; on trouve à la fin
des mentions manuscrites de ses possesseurs successifs, et des dates de
naissances d’enfants. L’article en cite quelques-unes allant
de 1590 à 1740 et rapporte qu’à la dernière page
on mentionne :
- Todros fils de Mordekhai Rotenburg, douzième descendant de
R. Méir.
- David fils de Todros Rotenburg, treizième descendant de R.
Méir (1654).
- Neftali fils de David Rotenburg (1681).
Les deux derniers personnages nous rappellent immédiatement la branche
d’Eguisheim, les dates sont tout à fait compatibles.
Sur Todros ROTHENBURG, nous en apprenons un peu plus dans un article de Moïse
Ginsburger intitulé
Les Mémoriaux alsaciens (7). Todros
fut le premier rabbin à Bouxwiller et dans le comté de Hanau.
André-Marc Haarscher
(8) situe le début de son rabbinat juste après
la Guerre de Trente Ans, disons vers les années 1650.
Il nous a paru essentiel de consulter ce manuscrit, et Pierre Kahn en a demandé
une copie sur microfilm à la célèbre bibliothèque
anglaise.