Quelques années avant son décès, le regretté
rabbin Daniel Gottlieb,
qui s'intéressait beaucoup à notre site et qui lui avait offert
plusieurs contributions remarquables, m’avait fait découvrir
certains ouvrages de sa bibliothèque, et notamment celui que je vous
présente aujourd’hui. Ce ma’hzor [rituel de prières]
familial, avait été transmis de génération en
génération ; il est marqué du cachet de son ancêtre
J. [Jacques] Gugenheim rabbin à Sarre-Union,
qui en avait hérité de ses propres aïeux.
On a pu suivre la transmission de ce ma’hzor : son premier
propriétaire et sans doute l'auteur de ces lignes, était le rabbin Lazare
Bloch (1813-1888) qui occupait le poste de rabbin intérimaire à Ribeauvillé.
Sa fille, Sara-Julie épousa Issac Gugenheim, rabbin à Saar-Uion et fut la
mère du rabbin Max
Gugenheim, qui fut le grand-père du rabbin Gottlieb.
1849 : l'épidémie à Ribeauvillé
Cet ouvrage recèle un document important : une inscription manuscrite
sur sa couverture interne, rédigée dans un hébreu très
difficile à lire, dont les seuls mots qui apparaissent en clair sont
"choléra", écrit en lettres latines,
et à côté en caractères hébraïques
"חולי רע".
L’aide d’Abraham Malthète a été décisive
pour le déchiffrement de ce texte. Il a été traduit en
français par Jacques Bing.
[Les 3 premières lignes traitent d'une
coutume locale de la prière de la veille de Rosh
Hashana - le Nouvel an juif.] Le premier jour des Selihoth de l'année
610 selon le petit comput [1] a commencé, en raison de nos nombreuses
fautes, une épidémie de choléra [2],qui s'est renforcée
jusqu'au milieu du mois de Heshvanne 610 [3] ici dans la sainte communauté
de Rapschwiller [4]. Nombreux furent ceux qui décédèrent,
en raison de nos nombreuses fautes. J'ai décidé que chaque
homme, femme et enfant, donnerait l’aumône pour le rachat
de son âme, et que la somme récoltée (!) serait
amenée à la synagogue, en tout 271 francs, et après
la prière de Min’ha, j’ai pris 160 pièces
de la somme ci-dessus, afin de procéder à un Pidion
Nefesh [5] général au profit des membres de notre
communauté, que D. les protège. [À cette occasion],
la caisse de charité a circulé parmi tous ceux qui étaient
venus participer à la prière dans la synagogue. Ici aussi
tous ont contribué en fonction des possibilités que D.
leurs avait données. 124 Francs ont été réunis
qui ont été distribués à l'approche de la
fête de Soukoth
[6].
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1855 : l'épidémie à Bergheim
En parcourant les éphémérides du rabbin Joseph Bloch, publiés dans le Bulletin de nos Communautés (années 1950), j’ai pris connaissance du décès du rabbin de Bergheim Michel Cerf, mort du du choléra, et du dévouement hors pair de son collègue de Ribeauvillé, le rabbin Lang :
BULLETIN DE NOS COMMUNAUTES N° 19 5. 9. 1855: Mort, pendant l'épidémie du choléra, du rabbin MICHEL CERF, de Bergheim (Haut-Rhin). Un correspondant de l’ "Univers Israélite" (décembre 1855) en fait le rapport suivant : " ... Le fléau mortel, dans sa marche capricieuse, a appesanti sa main froide sur notre commune pendant plus de quatre semaines, et grand a été le nombre des victimes et des malheureux. La maison d'Israël compte dans ce contingent funèbre pour treize têtes et pour comble de malheur, une tête illustre, couronnée de toutes les vertus, nous a été enlevée dans la personne de notre vénérable rabbin. Ce jour néfaste, hélas ! a été un jour sinistre pour notre communauté ; une terreur panique s'est répandue dans tous les esprits, et la perte irréparable a été amèrement sentie et déplorée partout où la triste nouvelle est parvenue... [...] |
Voici l'article de l’Univers Israélite auquel Joseph
Bloch faisait allusion :
LA CHARITÉ ISRAÉLITE.
nécrologie de feu le rabbin michel cerf, de bergheim.
DÉVOUEMENT PENDANT LE CHOLÉRA.
Si le coeur vraiment israélite s'attriste de l'indifférence
du siècle en matière religieuse, si la foi éteinte
présente une triste image de l'antique croyance, une fille du ciel,
à la figure rayonnante, aux couleurs vives et ardentes, se montre
infatigable dans sa mission d'animer les descendants du premier des
patriarches de l'amour du prochain et de la noblesse des sentiments humains
: c'est la charité. Feu notre vénérable rabbin, natif de Saverne,
d'une famille très honorable et religieusement renommée,
a terminé la soixante-troisième année de sa vie
et la trente-troisième de sa carrière rabbinique, après
trois jours d'indisposition. Sa maladie, ainsi que sa mort, a été
celle d'un juste, presque sans douleurs. C'est encore une de ces colonnes
de l'antique édifice religieux qui a disparu. Talmudiste profond
et d'une vaste érudition dans la science sacrée, il se
cachait toujours sous le voile de la modestie, qualité qu'il
poussait à l'abnégation complète. Sa manière
de juger tout le monde du bon côté était exemplaire
et admirable. Sa maison était toujours ouverte aux pauvres עניים היו בני ביתו et sa table offerte aux veuves et aux orphelins אב ליתומים ולאלמנות. Sans enfant lui-même, il élevait des orphelins
avec la tendresse et la sollicitude d'un père, et il était
le soutien universel d'une nombreuse famille. Notre communauté a été frappée de ce malheur
lorsqu'un morne silence y régnait déjà. La ville
était déserte par le départ d'un grand nombre de
ses habitants ; et beaucoup de familles israélites, repoussées
des environs, affaiblies par une longue diète et tourmentées
par la frayeur, quittaient l'endroit et abandonnaient à la merci
de Dieu et les malades et les morts. L.
HALLEL, instituteur. L'abondance des matières nous empêche de publier ce compte. Mais nous considérons comme un devoir d'ajouter un renseignement particulier qui nous est parvenu et que M. Hallel, par une modestie que chacun saura apprécier, a passé sous silence. On nous écrit de Bergheim que M Hallel a déployé le zèle le plus infatigable pour venir au secours des pauvres enfants que l'épidémie a rendus orphelins. I1 a redoublé de travail et d'ardeur et a rendu à la communauté des services qu'on n'oubliera point. A la place de feu le rabbin, il a rempli les fonctions de בעעל תקועה [sonneur du shofar] et et prononcé un discours remarquable le premier jour de Rosch Haschana. Il a adressé à nos coreligionnaires de près et de loin des lettres pour solliciter leur secours en faveur des malheureux ; il a soutenu et encouragé par ses paroles et son exemple les familles qui voulaient fuir et ajouter ainsi à la désolation générale. En un mot, M. Hallel, dans les plus tristes circonstances, s'est montré un digne fonctionnaire religieux et un noble coeur. S. BLOCH.
(extrait de de l’Univers Israélite,
décembre 1855) |
"Souvenirs du choléra morbus", à Paris, par Honoré Daumier. © National Library of Medicine, USA. |
1849 : le choléra à Ribeauvillé
Toutes les communes d'Alsace sont alertées de "l'invasion d'une nouvelle épidémie de choléra dont la marche est toujours ascendante". Cela rend urgent la nomination d'une commission sanitaire permanente qui surveillera l'exécution des mesures de salubrité publique préconisées par le gouvernement.
Dès le 9 septembre, vingt cas sont déclarés officiellement en ville. Cette maladie touche essentiellement la classe indigente qui habite dans des ruelles sombres et des maisons insalubres. Les quatre médecins de la ville, les sieurs Staub, Weisgerber, Lévi et Lambert, sont réquisitionnés. Les recommandations sont les suivantes : les personnes atteintes de ce mal ne doivent pas être accueillies dans les hôpitaux de la ville pour éviter de nouvelles contaminations.
La municipalité décide d'acheter au sieur Zürcher une maison hors la ville qui sera aménagée en dortoir et dotée de douze lits pour y installer les malades. Un crédit spécial est voté pour acquérir le bien et le mobilier. En octobre, 204 cas sont recensés sans tenir compte des 43 décès déjà enregistrés. Le mal gagne du terrain chaque jour. Les autorités sanitaires départementales dépêchent un médecin spécialiste de cette maladie.
La commission sanitaire édicte progressivement des règlements de salubrité publique. On demande aux habitants d'enlever les immondices qui encombrent les rues, d'aérer les maisons, de curer les fosses d'aisances, d'enlever les tas de bois qui gênent l'écoulement des eaux usées dans les rigoles, de laver le linge régulièrement, d'exposer les literies à l'air et de remplacer régulièrement la paille dans les paillassons...
La police est chargée de désinfecter les maisons touchées par l'épidémie. Quelques quintaux de sulfate de fer sont achetés pour cet effet.
Au mois de novembre le maire demande au curé de "supprimer les nombreuses sonneries annonçant les décès et qui répandent une sorte de terreur dans le public, entamant des suites funestes".
Très vite le cimetière catholique devient trop petit pour enterrer les morts. Le magistrat ordonne d'enterrer les défunts de la classe indigente dans une fosse commune, ce qui soulève quelque indignation dans la classe populaire.