Quelques jours avant la déclaration de la guerre en
1939, la ville de Strasbourg fut évacuée et sa population répartie
entre trois départements du centre de la France. La Dordogne et la Haute-Vienne
accueillirent la plupart des réfugiés ; mais nombre dentre
eux sinstallèrent dans lIndre, en particulier à La Châtre.
Le grand rabbin Hirschler était mobilisé comme aumônier militaire.
On nomma donc comme rabbin de Périgueux et de la Dordogne, Victor Marx,
qui était adjoint aux grands rabbins de Strasbourg. Limoges était
alors en manque dun guide spirituel.
Abraham Deutsch, rabbin de Bischheim, qui était responsable de lenseignement religieux de Strasbourg, décida de sy installer. Ce fut là la deuxième période de sa vie rabbinique.
Limoges avait été au moyen-âge un centre juif important et rabbi Joseph Tob Elem (bon fils) était un des maîtres les plus connus au onzième siècle. Depuis lors, la communauté de Limoges avait disparu. Mais aux environs et après la grande guerre, quelques familles séfarades de Grèce et de Turquie sétaient établies dans la ville, sans former un kahal véritable.
Cest dans cette localité, soudain envahie par des centaines de familles dAlsace et de réfugiés juifs dautres régions, que vint habiter Abraham Deutsch, jeune rabbin de 37 ans. Il sera, pendant cinq ans, lâme et le moteur de ces réfugiés de Strashourg et dAlsace et fera de Limoges une communauté modèle.
Entouré dhommes de bonne volonté, Abraham Deutsch y créa tout, faisant preuve dun talent et dun dynamisme extraordinaires au service de la Communauté.
Il fallait d'abord un lieu de culte
On trouva un petit local rue Manigne qui servit dabord de synagogue, puis pour les offices de la semaine et les cours du Talmud-Thora , lorsquune synagogue plus vaste fut utilisée le Shabath et les fêtes.
Il fallut installer un miqvé : ce fut fait.
Pour assurer lalimentation, le rabbin sadressa aux deux frères Buchinger, anciens bouchers de la Communauté Etz Haïm : et la communauté put sapprovisionner en viande strictement cachère. Un restaurant cacher, à la fois « garkirch » et cantine, vint compléter la panoplie des institutions indispensables à une communauté.
Le rabbin Deutsch avait assuré, pendant quinze ans,
lenseignement religieux à Strasbourg et avait dirigé le Talmud-Thora.
Il y aura donc à Limoges un Talmud Thora ouvert à tous les élèves.
Pour permettre aux enfants des familles isolées du département détudier
dans un cadre juif, Abraham Deutsch obtint de lOSE, louverture
dun internat dont les pensionnaires poursuivaient leur scolarité
dans les écoles secondaires ou - en majorité - fréquentaient
lécole professionnelle de lORT.
Le rabbin visitait régulièrement
ces établissements et y apportait son enseignement.
Le petit séminaire
Mais son chef-doeuvre fut louverture, à Limoges, dun petit séminaire, école secondaire du deuxième cycle, qui devait préparer ses élèves à lécole rabbinique, alors dans la banlieue de Clermont-Ferrand.
Peu de ces élèves devinrent rabbins, mais parmi eux certains seront plus tard les leaders du judaïsme français comme éducateurs, universitaires et enseignants.
Le rabbin avait persuadé Léon Meiss (après la guerre, président du Consistoire central), de lutilité, voire de la nécessité de cette école, qui fonctionna de 1942 à 1944 jusquà larrestation dAbraham Deutsch. Et certains, aujourdhui, se rappelleront des cours que le rabbin prodiguait à son domicile ou des conférences quil donnait ou animait.
Laction sociale et la reconstruction
Quant à son action sociale, il est encore des survivants pour témoigner de ses interventions permanentes en faveur dimmigrés en peine de papiers ou en quête de secours, en dehors de lassistance sociale.
Il nhésitait pas à forcer les portes des autorités à un moment où un Juif avait intérêt à se cacher. Il continuait son activité dans tous les domaines, tout en se sachant surveillé et menacé. Jusquà la dernière minute, il refusa de se cacher ou dinterrompre son action rabbinique. Que de fois, dans son appartement ouvert à tous ceux qui faisaient appel à lui, devait-il interrompre un cours pour recevoir durgence une personne désemparée qui voyait en lui le seul être capable de lui venir en aide.
Toute cette activité lui permettra, par lexpérience quil acquit, de mener à bien la reconstruction de la communauté du Bas-Rhin après la guerre.
Ce courage exemplaire devait mettre sa vie en danger. En revenant dun office à la synagogue dautres disent après un enterrement Abraham Deutsch fut arrêté par la Gestapo, avec son ministre-officiant. Miraculeusement, il fut libéré le lendemain et poursuivit sa tâche comme auparavant. En juin 1944, la milice vint larrêter à son domicile et il fut interné dans un camp de la région jusque quelques jours avant la libération où le maquis vint délivrer les prisonniers.
Il rentra en Alsace en 1945, pour remplacer "provisoirement" le grand rabbin Hirschler dont on attendit en vain le retour. La confirmation comme grand rabbin du Bas-Rhin ouvrit une nouvelle page, quil ne ferma quen 1970, après quarante-cinq ans dune activité bénie.
Vehi Zikro Barouk.