Par Arrêté préfectoral du 23 décembre 2002, le cimetière
juif de Koenigshoffen dont la Communauté Israélite de Strasbourg
est propriétaire, a été inscrit sur l'Inventaire supplémentaire des monuments historiques, après examen et avis de la Commission Régionale du Patrimoine et des Sites d'Alsace réunie le 19 novembre 2002. |
Survol du cimetière - © M. Rothé, décembre 2023 |
Le tout premier cimetière correspondait à la communauté qui existait au moyen-âge vers 1200. Il avait été détruit après les massacres qui suivirent l'épidémie de la peste noire, où les Juifs furent accusés d'avoir empoisonné les puits. Quelques vestiges furent retrouvés dans les environs de la rue des Juifs, vers l'emplacement actuel de la Préfecture, place de la République, vers la grande poste. Quelques tombes furent retrouvées et sont conservées pour la plupart au Musée de l'Oeuvre Notre-Dame. Une stèle en bois fut également retrouvée et elle est déposée au Musée Juif de Bâle.
Vers le milieu du 18ème siècle, les Juifs étaient toujours interdits d'habitation dans les grandes villes. Il y eut une dérogation en 1768 pour Cerf Berr, sa famille, ses employés et ses domestiques, parce qu'il était fournisseur en chevaux et en fourrage des Armées du Roi.
Lorsqu'en 1791 l'Assemblée nationale accorda aux Juifs l'égalité de droit, ils purent à nouveau s'installer à Strasbourg. La communauté se développa rapidement, et vers 1800 elle comptait environ mille personnes, et dix ans plus tard, 1500. Celles-ci étaient originaires des communes proches mais venaient aussi du Haut-Rhin. Le besoin se fit donc sentir d'acquérir un terrain pour donner aux morts un emplacement correct.
C'est ainsi qu'un terrain fut acheté à Koenigshoffen pour en faire un cimetière. Ce fut le deuxième cimetière juif de Strasbourg. Il fut progressivement agrandi, et à la veille de la première guerre mondiale, il comptait environ quatre mille tombes. Devenue exiguë, cette nécropole fut remplacée par le cimetière en fonction aujourd'hui à Cronenbourg, qui fut installé en 1911.
Le cimetière de Koenigshoffen était entouré par une palissade en bois - le long de la rue Muhlbruche - et c'est vers 1960 qu'elle fut remplacée par le grillage qui est en place de nous jours, car les lattes de bois s'étaient sérieusement dégradées avec le temps.
La Communauté Israélite de Strasbourg ainsi que la Ville de Strasbourg s'occupent épisodiquement de l'entretien. Il faut rendre hommage à Anne-Lise Weiler, vis-présidente d'honneur de la C.I.S., pour le travail inlassable qu'elle a fait pour y mettre de l'ordre.
Cette
année (2001), on commémorera le bicentenaire du cimetière, qui par ses
nombreuses stèles, évoque le judaïsme alsacien des 19ème et 20ème
siècles.
Une
quarantaine de petites communautés avoisinantes utilisèrent ce cimetière, cela
est consigné dans les registres, mais figure aussi sur les tombes, lorsque
l'origine du défunt est mentionnée.
Le Grand Rabbin Jacob MEYER Président du consistoire du Bas-Rhin de l’Assemblée des Israëlites con… 1806 et membre du grand Sanhédrine il décéda le 27 mai 1830 à l’âge de 91 ans, après avoir accompli avec la plus noble philanthrophie les fonctions de grand rabbin pendant 60 ans Sa piété douce et charitable unie à une tolérance… le ferontà jamais regretter Que ses restes mortels reposent en paix et que son âme immortelle reçoive la récompense du Juste Amen (1) |
Durant notre travail, un grand nettoyage, élagage, taille d'arbres fut opéré, et le cimetière a changé de physionomie. La terrible tempête du 25 décembre 1999 a provoqué de très graves dégâts. Depuis, les dégradations s'accélèrent, et le terrain situé en pente glisse vers le bas, détériorant encore davantage la partie située au nord. Il serait urgent aujourd'hui d'agir pour que ces dommages ne soient pas irréversibles. Quoi qu'il en soit, certains inscriptions sont difficiles à déchiffrer.
Le plan que nous avons établi permet au public qui s'intéresse à cet endroit de bien le situer, de repérer et d'identifier beaucoup de stèles. Ce travail permet aussi de mieux connaître le rabbinat de notre région, son importance et sa place dans le département et en France. Il nous a permis de découvrir les médecins juifs, les membres du consistoire, certains mécènes et philanthropes. C'est également un document qui nous fait connaître la participation juive à la défense de Strasbourg, et le nombre important de militaires juifs qui donnèrent leur vie durant le siège de Strasbourg (en 1870) et sur le champ de bataille à Sedan.
Les épitaphes sur les tombes sont souvent difficiles à déchiffrer, car elle sont endommagées par l'érosion du temps, les abréviations sont difficiles à reconstituer, et je peux vous dire combien grande était notre satisfaction lorsque nous parvenions à déchiffrer, comprendre, traduire et reconstituer complètement la vie du défunt, ce qu'il avait été, ce qu'il avait fait et réalisé.
Les Registres nous ont beaucoup aidés, parce qu'ils venaient confirmer, compléter et préciser les inscriptions au sujet desquelles nous avions éprouvé des difficultés.
En général les tombes se tiennent dressées verticalement, mais nous en avons trouvé aussi qui étaient couchées.
Les motifs les plus souvent rencontrés sont la couronne, ou deux couronnes entrelacées, l'aiguière, ou petite cruche stylisée, qui signale toujours que le disparu était un Lévy. Cette cruche rappelle que le lévite les mains des cohanim (prêtres), qui sont, pour leur part, symbolisés par les mains aux doigts écartés dont ils bénissaient les fidèles au cours d'une cérémonie synagogale. La représentation d'un livre ouvert signale la présence d'un rabbin, d'un ministre-officiant ou tout simplement d'un érudit.
Le matériau dans lequel sont fabriqués ces ornements est principalement le grès des Vosges, roche relativement tendre, et devenant friable avec le temps et la pollution urbaine.
Celles
qui reposent dans ce cimetière sont nombreuses. Je ne vous donnerai qu'un
aperçu très incomplet parmi les rabbins, les grands rabbins, les militaires,
les médecins et les mécènes et philanthropes, les industriels, une mention
spéciale pour l'inventeur du xylophone, les nombreux présidents du consistoire
et les bienfaiteurs.
Toutes
ces personnalités nous permettent de retrouver et de reconstituer l'histoire de
la communauté, et c'est cela qui est passionnant.
Mais le plus important et le plus connu fut sans conteste le rabbin Moïse Bloch, surnommé le "Hokhem de Uttenheim", qui est l'auteur du Yisma'h Moshe, un commentaire d'une grande érudition sur le traité du Talmud Houlîn. Il n'occupa aucun poste rabbinique officiel, et décéda en 1868. Sur son épitaphe sont évoqués à la fois le maître, le savant, l'homme de bien proche de Dieu et des hommes. C'est par cette pierre tombale que l'on a su que Moïse Bloch avait écrit des livres. Je pense que ce rabbin est certainement la personnalité la plus prestigieuse de ce cimetière.
Reposant à côté de lui, sa femme Matel Sara bath Anchel, décédée en 1878 est une figure de grande piété et de générosité. Sa pierre est identique à celle de son mari, avec un texte acrostiche de l'alphabet hébraïque.
Tombe du "Hokhem de Uttenheim" |
Tombe de son épouse |
Ici repose Aimant la paix et recherchant la paix - Décédé le 18 Tamouz 1868 - Ce juste fut porté en terre le lendemain - Sa parole était bienveillante envers chacun - Il forma de nombreux élèves à la fonction rabbinique - Son pain il le partageait avec les indigents - Que son mérite nous protège à jamais Ses explications sur la Torah et le Talmud Etaient bonnes comme les figues fraîches Yisma’h Moshé fut le titre de son commentaire sur le traité Houlîn Toute sa conduite était dictée par son amour du Ciel Jamais il ne se déplaçait sans étudier la Loi Son enseignement était d’une grande valeur Et son comportement était l’égal de sa parole Erudit en Torah autant qu’en Halakha Sa modestie était inégalée Sa bouche et son coeur n’étaient que bonté Les soucis d’autrui passaient avant les siens Sa vie entière fut consacrée à l’étude, renonçant aux jouissances terrestres Et nombreux furent ceux qu’il détourna du péché Sa lumière s’est éteinte Rabénou Moshé BLOCH Que son âme accède à la vie éternelle. (le texte hébraïque est écrit en acrostiche). |
Ici repose Epouse vertueuse, craignant Dieu, gloire de son époux Elle a l’honneur de reposer à ses côtés Bienfaisante envers les vivants, et aux morts Elle se préoccupait des besoins des pauvres de son peuple Nombreux sont ceux qu’elle ramena à Dieu que son mérite nous protège à jamais A tous elle témoignait bonté et compassion Elle acceptait les souffrances par amour de Dieu Dix mois durant, jamais une plainte ne sortit de ses lèvres Madel Sarah bath Rabbi Asher Epouse du du Gaon, notre maître, le Rabbin Moïse BLOCH Elle vendit ses bijoux pour lui acheter des livres Elle rendit l’âme le 25 sivan 1879 "Mes yeux se répandent en torrents de larmes" Sa piété était connue de tous Elle accomplissait les commandements Et en tout premier la crainte de Dieu Principe essentiel de sa naissance jusqu’à sa mort Que son âme accède à la vie éternelle (le texte hébraïque est écrit en acrostiche). |
Leur fils, le rabbin Joseph David Bloch (1793-1822) est enterré lui aussi à Koenigshoffen. Il remplaça son père comme rabbin, et des recherches montrent qu'il était également versé dans l'étude de la Kabale.
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On trouve aussi les familles Adler-Oppenheimer, fondateurs des Tanneries de Frances.
On trouve aussi d'autres militaires, tous morts en dépendant la patrie pendant la guerre de 1870, qui se trouvent dans ces rangées, mais leurs tombes sont cassées, endommagées et pratiquement indéchiffrables. Tous ces militaires avaient été enterrés provisoirement au jardin botanique, et ce n'est qu'après le siège qu'ils furent réinhumés à Koenigshoffen.
Les noms des nouveaux-nés ou des nourrissons décédés ne sont pas relevés, et ceux des enfants morts en bas âge non plus. Leurs tombes sont marquées le plus souvent par de petites pierres sans inscriptions.
Lorsqu'on pénètre dans le cimetière par la rue de la Tour, on trouve un grand carré d stèles d'enfants qui ont été placées arbitrairement à cet endroit. En 1948, après la guerre, on les avait retrouvées enfouies au fond du cimetière, sous un monceau de détritus.
Des stèles d'enfants ont aussi été édifiées le long des chemins en descendant vers le fond. Dans le fond, à droite et à gauche, on trouve quelques carrés d'enfants morts avant l'adolescence. Leurs tombes étaient enfouies sous des amas de buissons sauvages et de détritus.
On peut dire que ce cimetière est une source précieuse de renseignements sur l'histoire du judaïsme alsacien des 19ème et 20ème siècle ; il est d'une aide précieuse pour les familles qui recherchent leurs racines.
De plus, l'étude de ce cimetière nous donne des renseignements précis sur l'insertion du tissu social, politique, industriel, commercial et intellectuel. Il nous montre combien ce judaïsme qu'on décrivait souvent comme sous-développé dans le domaine des connaissances juives était instruit, érudit, et fidèle aux enseignements des grands maîtres.
Au fur et à mesure que je me suis impliqué dans ce travail, j'ai découvert la richesse intellectuelle de ces personnalités ici enterrées, la grandeur d'âme dont ils ont fait preuve, tant pour leurs coreligionnaires que pour leurs concitoyens d'autres relations, la part qu'ils ont prise au développement de la cité, dans pratiquement tous les domaines, leur dévouement et leur amour envers l'Alsace, même si l'antisémitisme n'y était pas absent. D'ailleurs, un certain nombre de personnes sont signalées dans les registres comme mortes en martyrs be'hinam (gratuitement).
Ce cimetière porte des traces significatives de la présence juive en terre d'Alsace, et témoigne d'une histoire à laquelle les Juifs ont participé, et de cet espace dans lequel ils se sont enracinés tout en conservant leur singularité et leur originalité.
Synagogue précédente |
Synagogue suivante |