Allocution du Rabbin SPINGARN
Mes Chers Amis,
Il y a fort longtemps, le Dr Wiener, bien connu de ceux qui sont présents, a pris un jour la parole au nom de l'Appel Juif Unifié.
Et notre ami de souligner un verset qui décrit la nomination des Cohanim :
וַיִּקַּח מֹשֶׁה מִדָּמוֹ, וַיִּתֵּן עַל-תְּנוּךְ אֹזֶן-אַהֲרֹן הַיְמָנִית; וְעַל-בֹּהֶן יָדוֹ הַיְמָנִית, וְעַל-בֹּהֶן רַגְלוֹ הַיְמָנִית
Lorsque le Cohen était consacré au service divin, on lui apposait une goutte de sang sur trois parties de son anatomie. Une goutte sur le lobe de l'oreille droite, une sur le pouce de la main droite et enfin une troisième sur l'orteil droit. Pourquoi ces trois lieux ?
Lorsque l'on se met au service d'autrui, il faut d'abord être capable d'entendre. Entendre le cri, la plainte, la demande. Mais entendre aussi le silence, le silence assourdissant de celui qui ne sait plus exprimer son propre besoin.
D'abord entendre :
אֹזֶן puis savoir donner :
בֹּהֶן. Donner de son temps, donner de son sourire, de sa disponibilité, de son argen
t.
Une goutte de sang sur un lobe, un pouce, enfin l'orteil.
Car nous sommes souvent capables d'entendre et de donner. Lorsque la nécessité est toute proche. Mais sommes-nous sensibles au point de nous déplacer, d'aller au devant, de ne pas attendre l'expression du dénouement, mais de le précéder ? !
Etre au service d'autrui. De tout son "être".
Et pourtant, Chère Famille, Chers Amis, le Rabbin Heymann et moi-même, en organisant cette journée, avons choisi un autre symbole qui nous rappelle le Grand Rabbin Warschawski.
Sur l'affiche qui annonce ce moment, se profile son visage, ou plus précisément ses yeux et sa bouche.
Sa bouche, car qui ne se rappelle de ses mélodies, son chant, son amour de la
Tefila, de l'étude, ses
drashoth. La présence naturelle de la
Chorale du Chant Sacré est là pour mettre en exergue son affection et sa connaissance de la liturgie.
Enfin, sur l'affiche, apparaissent ses yeux. Ses yeux car je dis souvent que l'on sourit bien plus avec ses yeux qu'avec ses lèvres.
Morénou Harav Méir Shimon avait cet éclat et répandait sa chaleur.
En saluant tous les acteurs de cette journée, ceux qui ont donné un
shiour à sa mémoire, ceux qui y ont assisté,car, y-a-t-il pour un Rav plus beau symbole qu'une rencontre féconde de
limoud, permettez-moi de remercier Monsieur le
Grand Rabbin Gutman, le Président du Consistoire Francis Lévy, le Président de la Communauté Jean Paul Kling d'avoir bien voulu dédier un lieu à ce Maître.
Nous voulons aussi dire au Président d'Honneur du Consistoire, Monsieur
Jean Kahn, si fidèle collaborateur du Grand Rabbin Warchawski pendant de très nombreuses années, combien nous sommes sensibles à sa présence.
Il était normal que Janine Elkouby, fidèle parmi les fidèles propose son témoignage en tant que
talmida.
Enfin nous voulons exprimer à ses enfants, Evelyne, Annie et certains petits-enfants du Grand Rabbin, notre joie de les accueillir. Nous sommes sensibles au fait d'entendre un de ses enfants prendre la parole, au nom de la famille Warschawski, en ce moment privilégié.
Nous devinons son émotion et nous la chargeons d'exprimer à sa Chère Maman, nos plus amicales pensées.
La parole est au Président du Consistoire.
Allocution de Francis LÉVY, président du Consistoire Israélite du Bas-Rhin
© Claude Lévy
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Madame Evelyne Sitruk,
Messieurs les Grands Rabbins,
Messieurs les Rabbins,
Monsieur le Président et Messieurs les Vice-présidents du Consistoire Central,
Messieurs les Présidents des Consistoires du Haut-Rhin et de la Moselle,
Monsieur le Président Honoraire des Consistoires concordataires,
Messieurs les Présidents de Communautés,
Messieurs et Mesdames les Vice-présidents et les administrateurs des consistoires et des communautés,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
Permettez-moi, tout d'abord, de saluer chaleureusement et de remercier de sa présence, Madame Evelyne Sitruk, qui nous a fait l'amitié de venir assister à cette manifestation et qui représente tous les membres de sa famille, et plus particulièrement, Madame Mireille Warschawski.
C'est avec une très grande émotion que je prends aujourd'hui la parole, en cette journée où nous avons voulu rendre hommage à un homme, un Grand Rabbin, une figure exceptionnelle dans notre communauté et dans notre ville, le Grand Rabbin Max Warschawski,
zikhrono livrakha.
C'est tout d'abord, et avant tout, le maître que je veux évoquer, le maître qui a été le mien, depuis l'enfance, au Talmud Tora, lors des cours de religion au lycée, au moment de ma
bar mitsva, un maître que j'ai aimé, que j'ai admiré, qui m'a profondément marqué, à qui je dois tout ce que je sais et plus particulièrement mon engagement au service de la communauté. De cela, je veux, à titre personnel, le remercier du fond du cœur.
Maître, il l'a été non seulement dans les situations d'enseignement, mais encore dans toutes les circonstances de sa vie et de la nôtre, s'impliquant de façon permanente et passionnée dans sa communauté, témoignant amour et respect à chacun de ses membres, les acceptant tels qu'ils étaient, religieux ou non, cherchant à établir avec chacun un échange convivial tout en s'efforçant de les tirer vers le haut, et de leur transmettre curiosité et amour de leur tradition et de leurs textes.
La jeunesse a toujours constitué l'axe prioritaire de l'action du Grand Rabbin : le Talmud Tora, le
Gan Chalom, plus tard l'école Yehouda Halévi, mais aussi l'enseignement religieux dans les lycées, les mouvements de jeunesse, ont été constamment le centre de ses préoccupations et les lieux où il était personnellement présent et impliqué. C'est lui qui a institué la
bath mitsva, comprenant qu'il y avait là, dans cette moitié de la communauté que l'on avait jusqu'ici oubliée dans l'ombre de la maison, et à l'heure où la société s'ouvrait à la participation bienvenue des femmes, un vivier considérable de forces, que l'on pouvait, que l'on devait mobiliser dans l'intérêt bien compris de la collectivité.
Il animait avec compétence, autorité et chaleur une équipe rabbinique engagée à ses côtés, entretenant en particulier avec le
dayan,
Rav Horowitz zal, devenu par la suite Président du Badats, l'autorité ultra-orthodoxe de Jérusalem en matière de
cacherouth, une collaboration étroite et empreinte d'un respect réciproque, où sa propre connaissance des dossiers halakhiques lui permettait de débattre sur un pied d'égalité avec son interlocuteur.
Il était ouvert à tous les domaines de la connaissance, aussi savant dans les disciplines juives qu'érudit dans les connaissances générales, capable d'instituer avec brio un dialogue des cultures qui était une fête de l'esprit et de l'intelligence et qui comblait le fossé trop souvent béant entre l'enseignement juif et l'enseignement général.
Il assurait, le Shabath comme en semaine, de nombreux cours de Talmud, de Bible, qui réunissaient des groupes d'étude fidèles et captivés.
Il participait en éminent spécialiste aux travaux de la
Société d'Histoire des Juifs d'Alsace et de Lorraine.
Il prenait part également aux séances de travail d'un groupe d'intellectuels de la communauté, auxquelles il apportait une contribution de valeur.
Ses articles, ses sermons constituaient des morceaux de bravoure qui faisaient l'admiration de ses auditeurs, aussi bien par leur teneur que par leur vigueur et leur clarté.
Israël avait une place privilégiée dans son cœur et dans son esprit. Son
alya , en 1987, a été la concrétisation d'un rêve, qu'il avait nourri avec
sa femme Mireille et ses enfants depuis de longues années.
Homme de dialogue, il était fortement investi dans le dialogue judéo-chrétien, où il avait noué des amitiés fortes, avec
Monseigneur Elchinger, le pasteur Bernard Keller, le Père Théophane Chary et tant d'autres, donnant à la tradition et à la pensée juives une place privilégiée et respectée dans le débat d'idées et la vie intellectuelle des années 70 et 80.
Il était une personnalité morale qui comptait dans la cité, aimé et respecté non seulement par ses coreligionnaires, mais également par les Strasbourgeois. Je n'en veux pour preuve que les témoignages de Daniel Hoeffel, Président du Conseil Général du Bas-Rhin et de Marcel Rudloff, Sénateur-Maire de Strasbourg :
"Il a incarné pendant de longues années la conscience juive de notre région tout en étant profondément attaché à l'Alsace et à la France."
"Son influence a été déterminante pour le développement de la communauté de vie, d'espérance et de solidarité ...à Strasbourg entre les habitants de toutes croyances et de toutes confessions."
Je n'ai fait qu'effleurer certaines des multiples facettes de l'action du Grand Rabbin. Cette action, je le dis avec force et conviction, il n'aurait pu l'assumer ni la mener à bien sans l'engagement à ses côtés de celle qui a partagé avec lui, à chaque instant, les tâches et les responsabilités, formant avec lui ce merveilleux couple rabbinique à deux visages,
devenu la figure idéale et la référence du travail d'un rabbin.
Madame Warschawski, nous chargeons votre fille Evelyne de vous transmettre ce message : soyez assurée que la communauté juive de Strasbourg n'a pas oublié le Grand-Rabbin qui l'a accompagnée jour après jour pendant presque 40 ans, qui lui a consacré ses forces et sa vie, et à qui elle a voué une admiration et un amour qui ne se sont jamais démentis.
Allocution de sa fille Evelyne SITRUK
Laissez moi tout d'abord vous lire quelques mots que ma mère vous adresse de Jérusalem, regrettant de ne pas être parmi vous à cette occasion.
Chers présidents chers amis,
Merci beaucoup pour cette invitation J'aurais aimé être avec vous, assister à toutes les manifestations en souvenir de Max, revoir Strasbourg où nous avons vécu de nombreuses années de travail, que nous avons aimé et apprécié. La communauté et la ville nous ont donné beaucoup de joies et de bonheur.
Je ne suis plus capable de voyager, du moins pour le moment mais je penserai à vous et qui sait, une occasion se présentera peut-être àù je pourrai entreprendre le voyage.
Avec toute mon affection et ma reconnaissance.
le G. R. Warschawski en 1983
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Messieurs les rabbins, Messieurs les présidents chers amis,
Au moment même où je prends la parole, je réalise que j'ai quitté Strasbourg il y a plus de trente ans. Parler cette communauté dans laquelle j'ai grandi, j'ai un sentiment curieux. Mélange de connu et d'inconnu, de nouveau et de déjà vu.
Prendre la parole au nom de ma mère et de mes frères et sœurs est une responsabilité qui m'honore, la prendre pour évoquer la mémoire de mon père le Grand Rabbin Warschawski (
zats"al) dans ce lieu, cette salle Hirshler qui n'a pas changé, à côté de la grande
schule dans laquelle il a officié et devant sa communauté qu'il a servie et aimée plus de trente ans, c'est pour moi un moment délicat et émouvant.
Notre père n'avait pas deux facettes. L'homme privé, le mari, le père, le rabbin, le guide et l'enseignant était le même homme. Il n'était pas l'homme du "fais ce que je dis mais ne fais pas ce que je fais".
Si j'évoque ici sa fonction , alors que vous attendez que je parle du père , c'est parce qu'elle a déterminé ce que nous sommes aujourd'hui mes frères et sœurs et moi .Il était fier de nous : de nous TOUS. Quelles que soient les voies que nous avons choisies. Elles ont toutes un point commun : l'engagement et l'intérêt pour l'autre.
Comme son nom l'indique Max Warschawski n'avait pas des origines alsaciennes, il était fils d'émigré. Pourtant il est devenu le plus alsacien des juifs de Strasbourg. Peu nombreux étaient ceux qui parlaient le
yiddich daïch aussi bien que lui, personne ne connaissait l'histoire des juifs d'Alsace. Il était une référence pour tout ce qui concernait les traditions spécifiques et parfois amusantes de cette communauté.
Certains de ses coreligionnaires de souche disaient "pour un polak, il est pas si mal que ça".
C'est sans doute cette altérité qui l'a rendu si sensible à l'autre : la façon si naturelle avec laquelle il a accueilli ceux qu'on appelai
les rapatriés d'Algérie, le fait qu'en tant que rabbin il trouvait normal d'aller prier de temps en temps à la synagogue séfarade ou chez les Polonais
d'Adat Israël et pas seulement à la prestigieuse
synagogue de la Paix.
Avec le temps il a été adopté puis respecté enfin aimé. Et c'est avec respect et amour que vous lui rendez aujourd'hui hommage, parce qu'il savait consoler chacun, honorer tout le monde, il ne méprisait personne, il avait un mot un sourire à chaque personne qu'il rencontrait, il ne s'adressait pas aux gens comme un homme à la recherche de "
kavod" il ne recherchait pas les honneurs, il aimait sincèrement tout le monde.
Je me souviens qu'à la maison le téléphone restait à côté de lui à table, et il était dérangé plusieurs fois au moment des repas, il répondait toujours avec gentillesse.
Lorsque nous parlions de cette manifestation, les petits enfants sont tombés d'accord pour dire "pourquoi vous battez vous autant pour que cette journée soit à la hauteur de ce qu'il était ? Il se fichait bien de tout çà" C'est vrai il était extrêmement modeste.
C'est durant trois décennies qu'il représenté sa communauté, il a été le porte parole également les juifs qui n'étaient pas dans la communauté, de leurs problèmes de leurs revendications toujours avec courage, un homme de paix et de dialogue de convictions et de compromis mais jamais de compromissions.
Le contact avec Israël ou plutôt avec Jérusalem marquera un tournant à son existence ; à notre existence comme ce jour là il y avait vraiment trouvé sa place. Si pendant vingt ans il a rejeté les injonctions de ses enfants qui vivaient là bas de venir les rejoindre, c'est parce qu'il savait que sa place était encore à Strasbourg à la tête de sa communauté et pensait qu'il n'avait pas terminé son travail.
Il avait eu un coup de foudre en 1964 pour la ville sainte. Il ressentait un besoin viscéral de s'y rendre plusieurs fois par an et souvent de partager avec des juifs de France qui venaient en touristes l'amour qu'il éprouvait pour cette ville. Encore une fois, il ne faisait pas les choses à moitié il était devenu un expert de chaque pierre de chaque rue et ceux qui ont eu le privilège de visiter Jérusalem avec lui en ont gardé un souvenir éternel.
Pendant 20 ans mes parents ont vécu à Strasbourg dans l'attente d'une seconde vie à Jérusalem.
Notre frère Joël qui regrette de n'avoir pas pu venir, et qui aurait sûrement parlé de lui mieux que moi, a répondu à cette invitation en disant que consacrer une journée d'étude à la mémoire de mon père était ce qui lui allait. Cela il ne l'aurait pas refusé. Merci à toute l'équipe rabbinique qui a su organiser une journée entièrement consacrer à l'étude des textes de notre tradition.
En effet notre père était un érudit, un maître, un éducateur et un pédagogue et lorsqu'il fallait résoudre des problèmes halahiques tel que les
guittim, les conversions ou les cas de
mamzerouth, il cherchait et interrogeait les textes jusqu'à ce qu'il trouve la réponse la plus humaine. C'est sa grande connaissance dans les domaines juridiques de la loi juive, qui lui permettait de trancher ainsi. Il n'hésitait pas à faire appel aux tribunaux civils lorsqu'il fallait faire aboutir un guet qu'un mari récalcitrant refusait de donner, liant ainsi une femme dans l'impossibilité de refaire sa vie. C'est à la maison que mes parents accompagnaient les candidats à la conversion, leur ouvrant leur porte pour vivre dans un foyer juif. Il y avait chaque Shabath et fêtes des invités qui devenaient souvent pour un temps des membres de notre famille.
C'est ainsi que mes parents concevait leur implication juive, au delà de la fonction.
Rabbin dévoué à sa communauté, patriote alsacien, il était aussi citoyen de la république et pour lui la citoyenneté, chèrement gagnée, ébranlée par
l'affaire Dreyfus perdue sous le régime de Vichy, la citoyenneté signifiait engagement. La résistance bien sûr mais pas seulement. Tôt il avait pris position pour l'indépendance de l'Algérie, et vers la fin de ses jours il s'était encore impliqué dans la défense des Rom de Zamoy Hongrie victimes de pogroms racistes. Encore Grand Rabbin de Strasbourg et comme Président du conseils des rabbins européens il avait avec son ami le Grand Rabbin de Grande Bretagne Emmanuel Yakubovitz dénoncé les massacres du Liban ce qui lui valu de nombreuses attaques. Et en Israël, il était naturel pour lui de se joindre aux
Rabbins pour les droits de l'Homme dont il était président.
C'est dans l'éducation reçue dans notre famille que nous avons appris.
Pour nos parents l'engagement pour le droit, la justice le combat au côté des exclus était à la fois un impératif religieux et un devoir de citoyen.
Aujourd'hui c'est à la fois au guide religieux juif et citoyen que nous rendons ici hommage. Que sa vie et son enseignement serve de guide aux égarés que nous sommes tous.
Allocution de Janine ELKOUBY, vice-présidente du Consistoire Israélite du Bas-Rhin
Texte de la plaque qui sera posée dans le hall d'entrée
du centre communautaire
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Mesdames et Messieurs, chers amis,
J'ai été, comme beaucoup d'entre vous, élève du Grand Rabbin Max Warschawski et c'est à ce titre que je prends la parole ce soir, avec une émotion sur laquelle je n'ai pas besoin de m'étendre et que beaucoup d'entre vous ressentent comme moi.
Je ne peux m'empêcher, dans cette Salle Hirschler qui a si souvent vibré de sa présence et où sa parole a tant de fois retenti, je ne peux m'empêcher de me projeter vingt ans en arrière. C'était en juin1987, au moment de son départ à la retraite ; la salle Hirschler était comble, comme aujourd'hui ; nous remettions à Mireille et Max Warschawski le livre d'hommages et d'études,
Zer Zahav, que nous avions édité en leur honneur, en témoignage fort de l'affection et de la reconnaissance de sa communauté.
C'était il y a vingt ans.
Nous voici, ce soir, réunis à nouveau, aussi nombreux, mais c'est pour évoquer la mémoire du Grand Rabbin Warschawski, notre maître, disparu il y a déjà plus de trois ans.
Mon maître.
Un maître prodigieux, vivant, enthousiaste, qui faisait de ses cours, au Talmud Tora ou au lycée, des moments de fête, qu'aucun de nous n'aurait manqués.
Un maître rigoureux, qui ne laissait passer aucune approximation, qui exigeait une traduction précise, une pensée claire, une exposition structurée.
Un maître qui acceptait tous les questionnements, mieux, qui les sollicitait, refusant de s'abriter derrière l'argument d'autorité.
Un maître qui nous aidait à nous approprier les savoirs traditionnels et à les faire nôtres, en un mot, qui nous apprenait à penser et à vivre.
Un maître qui m'a marquée de son empreinte chaleureuse, comme il a marqué tous ceux et toutes celles qui ont eu la chance et le privilège d'être ses élèves.
C'est de cette marque indélébile et vivante, imprimée par le maître, qu'est né l'amour profond et durable de notre communauté pour son Grand Rabbin, un amour qu'elle lui a manifesté de toutes les façons, à tous les moments, heureux ou malheureux, et dont elle a continué de lui donner témoignage après son départ, lui faisant fête à chacun de ses retours et le mettant dans l'embarras de ne pouvoir honorer toutes les invitations qu'on lui faisait.
Monsieur Warschawski, comme nous l'appelions, c'était une haute silhouette rassurante, une présence souriante et affectueuse, une attention chaleureuse à chacun d'entre nous. C'était la chorale d'élèves du Talmud Tora dans les baraques de la rue de Bouxwiller ; c'était le cours de "religion" dans son bureau de la salle 26, où, par commodité, il nous réunissait quand le cours avait lieu en première heure le matin. Il amenait alors
sa fille Babette,
zikhrona livrakha, qu'il conduisait au
Gan Chalom à 9h, avant de nous ramener au lycée dans sa Peugeot noire. Conteur exceptionnel, il nous tenait en haleine ou nous faisait rire aux éclats en évoquant la déconfiture d'Haman, qui passa, nous disait-il, par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, lorsqu'il se vit confondu par Esther. A une élève qui lui déclarait avec emphase vouloir mourir pour le judaïsme, il répondit qu'on ne lui en demandait pas tant et qu'elle devait se contenter d'y vivre. Ce fut, plus tard, le cours du mercredi soir : chaleur et lumière de la salle à manger du quai Kléber, joie de l'étude et de l'exigence intellectuelle autour de la longue table où nous interrogions le texte, guidées par le savoir et les questions du maître.
Monsieur Warschawski, ce fut, aussi, l'instauration de la
bath mitsva.
Conscient qu'il fallait valoriser les jeunes filles et leur offrir un enseignement juif qui souffre la comparaison avec leur niveau d'études générales, c'est par désir de justice et sous l'effet d'une appréciation réaliste et intelligente des réalités sociales qu'il a introduit, en conformité avec l'enseignement de son maître, Rav Yehiel Weinberg, auteur du
Sridé Ech, ce
‘hidoush, cette innovation dans la communauté. On mesure sans peine le courage et l'indépendance d'esprit dont il a su faire preuve pour imposer cette décision, qui lui a suscité de nombreuses oppositions et lui a valu des critiques et des attaques personnelles parfois virulentes. Depuis lors, la
bath mitsva est devenue une institution vénérable, que personne ne songe plus à remettre en question.
Monsieur Warschawski, c'était, aussi,
Madame Warschawski : non pas comme l'ombre de son mari, non pas comme l'épouse que l'on évoque poliment à la fin de l'éloge convenu d'un grand homme en lui offrant un insignifiant et dérisoire bouquet de fleurs, mais comme la moitié de lui-même, de cette entité qu'il constituait avec elle, et qui faisait de leur maison ce port à la fois paisible et bouillonnant que nous aimions.
Le Grand Rabbin Warschawski nous a appris qu'une communauté ne peut se construire et assurer son avenir qu'en s'appuyant sur une jeunesse impliquée, forte, sachant qui elle est, capable de s'affirmer avec intelligence mais sans arrogance dans une société dont elle est partie prenante et dont elle partage les interrogations. Nous devons, à son instar, former des élèves solidement ancrés dans le sol de leur tradition et de leurs textes et capables d'entretenir des échanges fructueux avec le monde, dans un dialogue des cultures, des idées, où le judaïsme a son mot à dire, un mot authentique, juste et vrai.
Le Grand Rabbin Max Warschawski m'a transmis des principes de vie et des façons d'être qui ont fait de moi ce que je suis : le goût et la nécessité de l'étude et de la quête, le souci des autres, quels qu'ils soient, et le refus de les cataloguer et de les juger, la mise en question des certitudes closes, le double ancrage et la recherche des passerelles, le dialogue des savoirs, des cultures et des personnes.
La dette que j'ai, que nous avons, envers ce maître, ce rabbin, est immense. Nous n'avons qu'une seule manière de l'honorer, c'est de transmettre à notre tour ce judaïsme vivant, joyeux, respectueux que nous avons reçu de lui, dans une fidélité créatrice, qui sache conjuguer
quabala et
‘hidoush, tradition et modernité, inscription dans une
halakha stricte et ouverture au monde, exigence religieuse et exigence éthique, fidélité sans faille au passé et vision clairvoyante de l'avenir.
Ont également pris la parole :
- Jean KAHN, Président Honoraire des Consistoires concordataires
- René GUTMAN, Grand Rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin