La dernière
expulsion des
Juifs d'Alsace



Article de
S. Schwarzfuchs

Article de
Francis Weill

Article de
Simone Lévy

Appel aux
témoins et aux
survivants

le 15 juillet 1940 : la dernière expulsion des juifs d'alsace (2)
par simon schwarzfuchs

Les petites communes d'Alsace

Affiche de propagande nazie

Affiche
Les opérations avaient déjà commencé la veille dans certaines, peut être même dans toutes les petites communes d'Alsace. Une témoin oculaire prénommé Suzanne - son nom est malheureusement résté illisible - rédigea à l'intention de son rabbin un rapport sur les événements qui s'étaient déroulés le lundi 15 juillet à Hirsingue, son village natal. La Gestapo s'était présentée dans chaque maison juive le matin vers 9 h. 30 et avait ordonné à tous les Juifs s'y trouvant encore de se présenter avec toute leur famille à la mairie. Ils sy rendirent “pris de peur et tremblant.” Un officier de la Gestapo les y attendait, qui leur demanda nom, âge, lieu de naissance, etc. Ces formalités remplies il leur fit distribuer des fiches imprimées - nous les retrouverons plus tard - et leur fit savoir qu'ils devaient se présenter dans une heure, prêts à être embarqués pour la France. Ils devaient savoir qu'ils étaient des Français étrangers sur la terre d'Alsace, laquelle allait enfin être rendue aux Allemands, et ils devaient s'estimer heureux de ne pas être traités plus mal, comme l'avaient été les Allemands chassés d'Alsace dans les conditions les plus lamentables en 1918. L'officier leur rappela à plusieurs reprise qu'il leur était formellement interdit de prendre avec eux plus que la somme autorisée. En cas de désobéissance l'un d'entre eux serait fusillé pour l'exemple. Ils se précipitèrent donc vers leur domicile pour faire leurs paquets sous la surveillance constante de la police. Dans l'affolement , écrit Suzanne, ils prirent également des objets sans utilité.

La population locale qui venait d'être informée de la mesure prise s'était rassemblée dans les larmes et les lamentations sur la place de la mairie. D'aprés Suzanne 90 % de la population avait contemplé ce spectacle avec chagrin, mais ne pouvait rien contre la brutalité allemande. Les expulsés durent attendre trois heures avant d'êre embarqués, car on attendait les expulsés de Durmenach qui devaient se joindre à eux. Des amis catholiques avaient profité de ce retard pour chercher sa mère et les enfants - les siens ou des frères et soeurs plus jeunes ? - pour leur donner à manger et leur dire que cette injustice serait passagère et qu'ils reviendraient bientôt !

Ils finirent par partir, sans doute sur des camions, jusqu'à Altkirch où ils furent cantonnés par petits groupes dans la caserne située sur la route de Belfort alors qu'arrivaient déjà les familles expulsées d' Altkirch-même. Là bas ce fut la cohue mais tout le monde s'entraidait sous les injures allemandes . Deux jeunes gens juifs, Charles Lippman et un certain Alex furent de corvée de cabinets, de nettoyage général etc. Le soir il y eut un distribution de café noir et ils furent sommés de ne pas chercher à s'évader - on ne voit d'ailleurs pas où - : la troupe les garderait et n'hésiterait pas à tirer le cas échéant.

Le lendemain 16 juillet les expulsés furent embarqués dans des camions ouverts vers Belfort et Besançon. Le temps étant épouvantable ils finirent par obtenir que les camions soient bâchés. Il y avait là des fous, des infirmes, des malades, des vieillards de plus de 90 ans, des bébés. Le spectacle était affreux. Sans manger ni boire ils arrivèrent à Dole où ils quittèrent les camions pour trouver un abri dans un manège de l'armèe. Ils couchaient sur la paille, porte et fenêtres ouvertes. Le commissaire spécial français de Dole qui était présent faisait semblant de ne pas entendre les hurlements et les injures que lançaient les soldats allemands. Suzanne pensait que tous les expulsés du Haut Rhin avaient été réunis alors à Dole, y compris les malades arrachés de leur lit d'hôpital.

La ville de Dole leur fit distribuer du pain, du fromage, du pâté et du thé chaud. Les Allemands s'étaient opposés à ce qu'on leur serve un repas chaud. Des jeunes filles du cru apportèrent des layettes pour les bébés et un médecin capitaine français prisonnier donna des soins à l'infirmerie et remit même du coton, de la gaze et des crèmes pour les bébés.

La nuit, raconte Suzanne, fut atroce : une des évacuées dont la soeur s'était suicidée en voyant venir les Allemands et qui avait dû nettoyer avant son départ en exil la mare de sang qu'elle avait laissée, eut une crise de nerfs. Un épileptique en crise hurlait de douleur et tous les enfants pleuraient et criaient. Il y avait là Mme S., la pharmacienne de Wittelsheim, Juive russe mariée avec un officier pharmacien catholique français et sans doute alsacien. Leurs deux enfants avaient été baptisés dans la cathédrale de Strasbourg. Elle avait quand même été arrêtée et chargée sur le camion des expulsés.Avant de partir on lui avait dit qu'elle n'avait pas à s'inquiéter de son mari : les nouvelles lois lui permettraient de la répudier sans difficulté dès aprés sa démobilisation !

Les Juifs expulsés du Bas Rhin.

Il semble que les expulsés furent informés vers six heures du soir qu'ils allaient être libérés. Ils faisaient leurs préparatifs pour leur départ quand arrivèrent une dizaine de camions supplémentaires. Ils apportaient ceux dont nous n'avons pas encore parlé : les Juifs expulsés du Bas-Rhin.

Selon un rapport établi le 30 juillet suivant par la grande oeuvre charitable créée pour porter aide aux Juifs évacués - elle s'intitulait “Les oeuvres d'aide sociale israélite auprès des populations repliées” et avait ses bureaux à Périgueux - c'est par un télégramme envoyé de Lons-le-Saunier par une famille expulsée de Graffenstaden qu'elle fut informée de ces événements. Le premier expulsé se présenta à ses bureaux le 24 juillet. Il devait être suivi de beaucoup d'autres. Il devint bientôt possible de retracer à l'aide de leurs témoignages le tableau de ce qui s'était passé.

Les Juifs avaient été expulsés de toutes les localités de leur résidence,le délai accordé pouvant aller d'une à vingt quatre heures. Les autorités allemandes les avaient autorisés à emporter 30 kilos de bagages, mais ils furent souvent dans l'impossibilité de les réunir, faute de temps. Ils purent également emporter 5000 francs soit par personne, soit par famille, les instructions reçues par les soldats n'étant pas toujours d'une grande précision. Dans certains cas ils furent contraints de se satisfaire de sommes bien inférieures. Les Juifs d'Alsace - il s'agit en fait de ceux du Bas Rhin - furent conduits à Schirmeck où ils passèrent trois jours dans un camp. Ils y furent déshabillés et fouillés. L'argent qu'ils avaient en trop leur fut pris, ainsi que les bijoux.

Ils furent ensuite conduits à Dole où eut lieu leur arrivèe relatée plus haut. Le même rapport raconte également l'arrivée à Schirmeck d'une expulsée de Dambach qui avait reçu une heure de préavis pour se préparer.

Selon un autre témoignage apporté par un Juif de Saverne, les Juifs de la ville furent prévenus le lundi 15 septembre à 16 heures d'avoir à se trouver place de la mairie à 17 heures munis de 5000 francs par personne pour ceux qui pouvaient disposer d'une telle somme, de linge de rechange et de quatre jours de vivres. Les valeurs et les bijoux, sauf une montre et une bague, étaient interdits. Ils déclarèrent à la mairie ce qu'ils avaient emporté et ceux qui avaient cru pouvoir prendre des valeurs ou un livret de caisse d'épargne se les virent confisquer.

De Saverne ils furent conduits dans des cars de la Gestapo au camp de Schirmeck où eut lieu une nouvelle fouille des hommes qui durent remettre les sommes qu'ils détenaient en plus des 5000 frs autorisés. Les femmes ne furent pas inquiétées. Ils couchèrent sur la paille et furent conduits le lendemain par les mêmes cars jusqu'à Dole, où ils furent entassés dans le hall de la caserne de cavalerie. Quelques centaines d'expulsés durent y coucher pêle-mêle sur la paille. Ce témoin confirme les bonnes dispositions du maire qui fit distribuer toute la journée du lendemain du lait, du thé, du pain, du fromage, de la confiture et du pâté. La boisson chaude surtout fut la bienvenue. Les expulsés devaient rester à Dole jusqu'au mercredi après midi. Ils y avaient été rejoints entre temps par de nouveaux cars arrivés tant du Bas que du Haut Rhin. Ils étaient à présent quelques milliers de personnes.

Mulhouse - expulsion de l'hospice de Pfastatt

L'hospice de Pfastatt
hospice de Pfastatt
A Mulhouse les opérations d'expulsion démarrèrent le 16 juillet lorsqu'une dizaine de soldats allemands se présenta au bureau de la communauté. Ils demandèrent les clés au secrétaire et renvoyèrent la secrétaire chez elle. Etait elle juive ? Vers 11 heures, deux soldats se présentèrent dans chaque maison juive. Ils remirent une feuille imprimée - perdue - et déclarèrent : “Vous savez qu'en 1918 les Français ont rejeté les Allemands au delà de la frontière, maintenant nous faisons de même aux Français et aux Juifs qui sont considérés également comme des français.”

Ils accordèrent une heure pour faire les bagages et les autorisèrent à emporter la somme de 5000 frs ainsi que tous leurs bijoux. Un soldat allemand surveillait la confection des bagages. C'est lui qui ferma la porte derrière eux. Les expulsés durent alors se réunir dans une école. Au cours de l'après midi ils furent transportés en camions vers l'asile de fous de Rouffach où ils reçurent une tasse de café noir chaud et un lit sans couverture. Les Juifs des environs de Mulhouse furent réunis dans la cour de la synagogue. Ceux du Bas Rhin durent passer la nuit à Schirmeck où l'on ne manqua pas de les dépouiller à nouveau. Il y eut une nouvelle distribution de café noir suivie par le départ en camions vers Dole.

Il semble utile de reproduire ici le texte d'une lettre particulièremet émouvante et non moins intéressante par laquelle le directeur de l'hospice de Pfastatt - il signe de ses initiales AW abrégeant ainsi son nom : Achille Weill - rendit compte le 21 juillet 1940 de la situation de l'hospice à son président Emmanuel Schwab, alors replié à Vichy. Il lui écrivait de Lons-le-Saunier :

Mon cher président,

Je vous confirme mon télégramme d'hier ainsi que notre entretien téléphonique du même jour.

Lorsque vers mi-juin l'Alsace a été envahie par l'ennemi, je ne voyais qu'une seule solution : de rester auprès de nos pensionnaires et d'attendre “advienne que pourra.

Pendant tout le temps nous n'avons pas été incommodés par l'autorité allemande, et sachant qu'en Allemagne des établissements similaires aux nôtres continuent à exister, nous avons eu espoir de pouvoir rester ; et avec les 60000 frs que M. Fernand Levy m'avait confiés de pouvoir nous ravitailler jusqu'au moment où des relations régulières avec le Comité administratif pourraient avoir lieu. Bien que nos coreligionnaires à Mulhouse-Ville aient été maltraités ; de mon côoté j'ai pu accomplir mon service sans être dérangé. Le maire de Pfastatt m'a encore consolé en me disant “qu'à des vieux on ne ferait rien et que je pourrais rester à mon poste.” Je me suis présenté au Landeskommissar : Dr. Maier, à Mulhouse, qui m'a répondu dans le même sens.

Tout allait bien et nous étions ravitaillés pour quelque temps à l'exception du combustible.

Voilà le 16-7-1940, à l'après midi vers 16 heures, sans tambour ni trompette, un peloton de 10 hommes, quelques officiers et sous-officiers sont venus entourer la maison, soldats baïonette au canon, et pénétrant dans la maison, avec ordre d'ouvrir le coffre-fort et de leur remettre la caisse. Je leur ai fait comprendre que je n'opposerais pas, connaissant le danger couru, mais leur demandant de me permettre de payer le personnel jusqu'à la fin du mois, ainsi que les fournisseurs aryens ; ils y consentirent et me laissèrent la clé du coffre-fort après avoir pris connaissance de son contenu. Ils m'ont autorisé à emporter 5000 frs ainsi qu'à Mme Weill sur notre avoir, car ils ont fouillé notre appartement, emportant titres, livrets de Caisse d'Epargne ; les pensionnaires ont pu emporter autant, ceux qui disposaient de cette somme. Par contre je n'ai pas eu le droit de leur donner le complément.

J'ai profité d'un moment d'inattention de leur part pour leur soutirer environ 10000 frs que j'ai distribué à des pensionnaires afin que mon contenu ne dépasse pas 5000 frs et le leur non plus.

L'ordre que nous avions eu de nous tenir prêts pour le lendemain matin à 7 heures, heure à laquelle on viendrait nous chercher, mais nous restions gardés constamment par des sentinelles afin que personne ne puisse s'échapper ; dans cette situation nous sommes restés jusqu'au vendredi matin 7 heures; pour tous les pensionnaires on a préparé de grands colis contenant habits, linge, nourriture. Mme Gasser a fait l'impossible pour nous consoler. Elle même étant d'Epinal se verra tôt ou tard subir le même sort.

Donc vendredi matin à 7 heures trois autocars de la Police allemande (Gestapo) ont pénétré dans la cour et toute cette cargaison humaine, sans nous laisser le temps de faire des adieux, a été chargée dans ces voitures en direction de Belfort, Besançon, Dole, Parcey, limites de la zone occupée. Là on nous a débarqués enrase campagne avec ces mots : ”So jetzt sind sie in Frankreich, jetzt könnt ihr verrecken wann ihr wollt”; on nous a photographiés, filmés. A un officier j'ai dit qu'il devrait mettre sous les images “ Deutsche Kultur.

Nous avons donc été abandonnés à nous mêmes, en pleine campagne, sans le moindre secours et ne voyant aucune issue : que faire ?

Un automobiliste que j'ai accosté et qui a bien voulu me conduire jusqu'à Lons-le-Saunier m'a rendu un grand service. Ma première occupation a été de me rendre à la Préfecture où M. le Préfet du Jura, M. Golliard, m'a reçu et immédiatement il a requisitionné un autocar, a fait réserver des lits dans l'Hôpital Civil de Lons-le-Saunier et de ce fait tous nos pensionnaires ont pu être hébergés le même soir dans des lits et réconfortés par un petit repas chaud.

Par suite de mon intervention l'autorité a été immédiatement informée ; j'ai dit que d'autres convois allaient suivre, ce qui a en effet eu lieu, et un service a pu être établi pour les pauvres chassés de leur foyer dans des centres d'hébergement où ils ont été accueillis.

Qu'allons nous faire ? Qu'allons nous devenir ? Il reste à prévoir que toute la population d'Alsace-Lorraine subira le même sort de façon qu'il ne reste que des éléments à leur convenance, c'est à dire cent pour cent nazi. Tous Israélites, citoyens nés dans les autres départements, fonctionaires ne se soumettant aux nazis etc. etc. se verront expulsés, de façon qu'ils puissent montrer au monde, s'il y a plébiscite, que notre territoire est cent pour cent allemand. L'accueil à Lons-le-Saunier par M. le Préfet, la municipalité et surtout par les Soeurs de l'Hôpital qui nous ont accueillis était des plus touchants. Nous attendons maintenant des informations de votre part.

A Pfastatt sont restés :
Mlle Clémence Bernheim
Sophie Wallach
Sara Levy
Mme Moise Blum née Rose Spiegel
Meyer née Risser de Colmar
Mlle Marie Sulzer
Régina Maier
M. Isaac Herschenberg
Raphael Bloch
Oscar Weill s'est jeté par la fenêtre du premier étage, il s'est blessé et a il été mmédiatement transporté à l'Hôpital Régional. Maier voulait s'étrangler, elle n'y a pas réussi.
Mme Gasser a été obligée de rester parmi ses pensionnaires attendant qu'ils soient remis dans un autre hôpital; elle ne désire qu'une chose, nous rejoindre au plus tôt.

Avec tous les détails que je vous donne, nous esperons que notre Hospice pourra bientôt de nouveau fonctionner et je reste à votre disposition pour tous les services que vous jugerez utiles.

Je vous prie M. le Président de recevoir mes respectueuses salutations
Le Directeur
AW.

Que devinrent les malheureux qui étaient restés à Pfastatt ? Il n'a pas encore été possible de s'en assurer. Mais il y a quelque de pathétique et de déséspérant dans la description de cet hospice de vieillards abandonné sur la route.

A Dole

Drapeau Il faut à présent revenir à Dole où s’entassaient, s’il faut en croire les estimations des témoins, plusieurs milliers d’expulsés. Dole n’était pas eloignée de la ligne de démarcation qu’aucun moyen civil de transport ne franchissait alors, du moins dans cette région. Les Allemands avaient décidé de déverser ce trop plein de Juifs dans la zone non occupée. Ils n’en voulaient pas dans la zone occupée. Les Juifs furent déchargés sur la route peu après la sortie de Dole en rase campagne. Les expulsés du Bas Rhin avaient été moins favorisés et ils avaient dû faire quelques kilomètres à pied avant de rejoindre les Haut Rhinois. Les vieillards, les aveugles et les malades étaient complétement désorientés.

Quelques hommes se rendirent alors à Rahon qui était le village le plus proche où ils trouvèrent des voitures sur lesquelles ils purent charger les bagages. Les expulsés continuèrent à pied jusqu’à Rahon où ils passèrent la nuit sur des lits de soldat et sur la paille. Certains d’entre eux avaient été reconduits à Dole, ce qui montre bien qu’ils étaient restés sous la garde des Allemands. Ils y passèrent la nuit dans un caserne allemande. Un vieillard de Scherwiller ne supporta pas tous ces boulversements et mourut sur la route. Il fut inhumé au cimetière de Rahon, et le maire ceint del’écharpe tricolore prononça un discours sur sa tombe.

De Rahon les expulsés poursuivirent leur route vers la ligne de démarcation, les jeunes à pied et les plus âgés dans des cars. A la ligne de démarcation tout le monde dut descendre et les Allemands de l’escorte les abandonnèrent à leur sort sur la route nationale. D’après Suzanne il y avait alors deux à trois mille personnes sur la route. Les paysans des villages environnant vinrent leur proposer le couchage. Ils les transportèrent avec leurs bagages jusqu’à trois heures du matin dans les villages. Les jeunes étant tous mobilisés et absents, les vieillards de ces villages appauvris s’étaient dévoués. Ce fut notamment le cas au village de Souvans. Le maire fit l’impossible et voulut même leur remettre le produit de la quête faite pour les prisonniers. Ils ne voulurent pas l’accepter. Le curé fut également très empressé et il proposa même de se rendre à Lyon pour informer ses supérieurs.

A Lons-le-Saunier

Un autre témoin écrivait le 19 juillet de Lons-le-Saunier où il était arrivé avec les expulsés d’Alsace en wagons à bestiaux - on avait probablement organisé un transport spécial à leur intention après qu’ils eurent franchi la ligne de démarcation et les paysans les avaient conduits dans les gares les plus proches - pour faire part du décès d’un vieillard de Leuheville qui n’avait pu supporter tout cela et du cas d’un Juif de Dambach qui était devenu fou. A Lons-le-Saunier ils furent logés et nourris par les soeurs dans les écoles. Le samedi 20 juillet une grande partie des expulsés partit en direction de Lyon. Le bruit courait qu’ils avaient été dispersés dans les villages du Jura. Les autres partirentle dimanche matin et furent hébergés dans le Palais de la Foire.

Tous les Juifs, hommes, femmes et enfants y couchaient dans une grande salle sur des paillasses disposées sur des lits de soldat avec une couverture. Ils avaient beaucoup de voisins chrétiens qui attendaient leur rapatriement en zone occupée ou en Belgique. Ils avaient pu célébrer l’office du samedi grâce au ministre officiant de Thann qui se trouvait parmi eux, mais à mi-voix pour ne pas déranger. Leur grand souci était d’être reconnus comme réfugiés, ce qui leur donnerait droit à une allocation à laquelle les expulsés ne pouvaient prétendre !

Les Juifs de Lixheim et de Phalsbourg

Il semble que les Juifs de Lixheim et de Phalsbourg furent compris dans cette expulsion, ce qui peut surprendre. En effet l’expulsion des Juifs de Lorraine semble avoir eu lieu quelques semaines plus tard, mais il est bien connu que les deux Gauleiter n’étaient pas d’accord sur la frontière de l’Alsace et de la Lorraine, et que celui de Bade-Alsace était bien capable de n’en faire qu’à sa tête. Il reste que la suite des événements n’est pas claire et qu’elle requiert des éclaircissements.

Les dirigeants de l’époque semblent avoir été frappés par les brutalités exercées en Lorraine en comparaison avec la mesure observée en Alsace. Il est difficile de se prononcer en raison du caractère trés déficitaire des renseignements conservés. A Lixheim le ministre officiant s’était tranché la gorge et sa fille avait été contrainte d’éponger le sang et de porter derrière le convoi de son père le torchon plein de ce sang pour le jeter dans sa tombe. Une pauvresse de Phalsbourg fut dépouillée de son maigre pécule et il semble que le rapport incomplet que nous avons eu sous les yeux ait été rempli du récit de nombreuses exactions supplémentaires.


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