Reconstruction de la Communauté israaélite de Strasbourg Enregistrement réalisé en 2013 - © Michel Rothé |
Il a donc fallu, l'une après l'autre, prendre de courageuses décisions. Abandonner le quai Kléber et ses souvenirs (j'y ai fait ma bar ,itsva en 1934), et s'installer mentalement, puis pratiquement dans le Contades des footballeurs et des concerts du dimanche, Contades dont certains membres d'un "Comité des espaces verts" aux intentions qui fleuraient bon l'antisémistisme d'avant-guerre, avaient d'ailleurs tenté, en vain, de nous barrer l'accès.
Il a fallu réfléchir, puis mettre au point un programme pour le nouvel ensemble. Quel volume pour les prières des grandes fêtes et les cérémonies, combien pour l'administration, l'éducation, les sports ? Préparer le concours d'architectes, inviter les candidats, comparer les maquettes, les plans, et, finalement, prendre une décision fatidique.
Je suppose (car, à vrai dire, je ne m'en souviens plus avec précision) que j'ai voté en mars 1952 pour le projet de Claude Meyer-Lévy. Mais je me souviens aussi des différentes autres maquettes soumises à l'appréciation du jury ainsi que les interminables discussions quant aux mérite de tel ou tel projet. Le choix une fois entériné par toutes les instances communautaires, le vrai travail de construction a commencé. Le nombre de séances de travail, de réunions, de discussions, de procès-verbaux qui se sont succédé au cours des six années suivantes est proprement incroyable.
J'écris ces quelques lignes de Jérusalem où l'on ne conçoit pas de réunion, quelle qu'elle soit, à trois ou à trente, sans qu'apparaissent au moins un petit café ou un jus de fruit pour favoriser l'échange des idées ; or, je ne me souviens pas , au cours de ces six années où les séances de travail se prolongeaient souvent jusqu'aux petites heures du matin, je ne me souviens pas que la moindre bouteille d'eau minérale soit jamais apparue sur les tables.
l'Arche sainte de la synagogue © M. Rothé |
Un détail qui me concerne : l'entrée monumentale de la synagogue est surmontée de part et d'autre (en hébreu à gauche, en français à droite) du célèbre verset du prophète Zacharie (4:6) que la Bible du Rabbinat traduit : "Ni par la puissance ni par la force, mais bien par mon esprit". Hélas, ce texte était bien trop long pour entrer dans l'espace exigu qui lui était réservé, alors qu'il suffisait largement au texte hébreu, bien plus concis. Quelques nuits de réflexion m'ont permis d'arriver au texte qui figure sur la façade : "Plus fort que le glaive est mon esprit". Ma carrière de traducteur a commencé là !
La première pierre a été posée le 5 septembre 1954, et il n'y a plus guère que mon ami Raymond Heymann et moi pour témoigner de la mise en route de cet imposant chantier.
Vers la fin des travaux, le 5 juillet 1957, le chantier de la synagogue eut l'insigne honneur de recevoir le président de la République, Monsieur René Coty. Deux photos dans l'album La synagogue de la Paix, édité en 1959, rappellent cette impressionnante cérémonie toute resplendissante de l'éclat des rubans rouge et des chapeaux haut de forme.
Après quoi, la synagogue de la Paix a été inaugurée officieusement pour les offices de Rosh Hashana 5718 (août 1957) : les travaux n'étaient pas finis, les sols n'étaient pas encore posés. Mais je me souviens de la joie intense de mon père, lorsque je l'ai accompagné jusqu'à sa nouvelle place, assister au premier office de fête. Tout était merveilleux, rutilant; on sentait vibrer l'espoir. Dommage que cela ait été son dernier Rosh Hashana. Lorsque je vais à la "Grande Shul", c'est là que j'aime prier et me souvenir.
Le soir, un grand banquet a réuni dans les sous-sols de la Synagogue les invités de marque. On m'avait chargé d'accueillir les participants pour leur indiquer leur place. Arrive un élégant personnage en costume bleu, finement rayé. Après une telle journée, je n'étais plus au mieux de ma forme et le "scanner" fonctionnait mal. Dans le doute, j'ai donc demandé poliment au nouvel arrivant : "Auriez-vous l'amabilité de me rappeler votre nom ?" Réponse: " Je suis le préfet". Tilt ! J'en rougis encore aujourd'hui.
Bien des choses ont changé depuis que des administrateurs pleins de bonne volonté ont tenté, il y a maintenant plus de soixante-cinq ans, de prévoir quels seraient les besoins de la Communauté dans les décennies qui suivraient. Nul doute qu'ils ont été influencés par la seconde guerre mondiale encore si présente dans les esprits. Il est toutefois juste de reconnaître qu'outre l'imposante grande nef et les locaux administratifs, ils ont déjà songé à prévoir des locaux pour les jeunes, une salle de gymnastique (qui allait servir de premier dortoir aux premiers réfugiés d'Algérie en 1963) et un jardin d'enfants.
Mais le temps a passé, la communauté s'est transformée. C'est à d'autres administrateurs, représentants d'une nouvelle génération, qu'il appartient de rechercher aujourd'hui des solutions innovantes sinon révolutionnaires afin de sortir la synagogue de la Paix de sa torpeur.
Post-scriptum
Quelques jours après avoir écrit la rubrique ci-dessus, je rentre, le 13 mars dernier, d'un voyage en France. Avant de monter dans l'avion j'achète Le Monde, que j'ai rarement l'occasion de lire en Israël. Dans la rubrique nécrologie, un faire-part retient l'attention de ma femme. On y annonce le décès, à l'âge de 100 ans de Claude Meyer-Lévy, l'architecte de la synagogue de la Paix. En réponse à quelques mots de condoléance que je lui ai envoyés, Madame Meyer-Lévy m'a adressé une lettre très émouvante. Elle écrit notamment : "Aux yeux de Claude, la synagogue était son œuvre majeure".
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