LUI : M. Zweifuss ELLE : son épouse AIMÉ : leur fils ANNE-MARIE : leur bonne L'AMI : Monsieur Isidore LE TAILLEUR : Monsieur Knof |
LE PROFESSEUR AUTO : Monsieur Samclo LE PROFESSEUR DE BRIDGE : Monsieur Schlemm LE JOURNALISTE AMERICAIN : Monsieur Elkan S. Trampler DEUX ENFANTS QUETEURS DEUX VOIX TELEVISION |
ELLE : Ecoute, Aimé… On vous a pas montré dans l'école
ce qu'il faut commencer avec la télévision quand elle marche
trop vite ?
FILS : Elle marche trop vite, la télévision ?
LUI : Tu entends donc pas ?... On comprend pas la moitié de quoi ils
racontent !
FILS : Moi je comprends, Papa.
ELLE : On parle pas de toi, chéri. Toi tu comprends encore plus que
tout.
LUI : Qu'est-ce que tu veux, c'est mon fils… Allez, Aimé, on
peut bien faire quelque chose, n'est-ce pas ?
FILS : Y a un truc, Papa. On n'a qu'à prendre le speaker sur le magnétophone.
ELLE : Qu'est-ce que tu veux maintenant commencer avec ce magnet… gedingss
(2)
…
FILS : C'est simple. On enregistre pendant que le poste marche et puis après,
si on n'a pas bien tout compris, on écoute encore tant de fois qu'on
veut sur le magnéto jusqu'à ce qu'on a bien tout compris.
LUI : Aimé, tu n'es pas si bête !
ELLE : Tu vois, Arthur, je te l'ai toujours dit que cet enfant est mon fils.
Il sait tout. Et qui est-ce qui avait raison, hein de lui donner pour son
anniversaire un magnet-gramophone ?... Allez, chéri ! Tzaj im Pappe
was de kannsch ! (3)
LUI : Tu entends, Babette ?... C'est Davos !
ELLE : C'est Davos ! Oh oui !... On va peut-être voir Liliane !... Tais-toi,
Arthur. Chut !
Un brin de reportage, puis la voix d'un speaker :
"Mesdames, Messieurs, nous nous excusons de la mauvaise qualité
de l'image qui passe en ce moment. Nous vous prions de bien vouloir ne pas
modifier le réglage de votre appareil."
LUI : Jetz dess noch, herrschaft noch emol ! (4)
FILS : C'est une panne, Papa.
LUI : Une panne ! Je sais que c'est une panne ! Mais çà ne devrait
tout de même plus arriver dans un quartier aussi chic !
ELLE : Ne t'énerve donc pas, Arthur !... Finis plutôt ton café,
il est presque froid.
LUI : Awer grad jetz ! (5)
Juste où on voyait Davos ! Liliane qui était sûrement
si contente de nous voir !
ELLE : Ne t'énerve pas, Arthur, ne t'énerve pas...
LUI : Cà on peut dire facilement.
FILS : Papa ? Est-ce que je dois toujours enregistrer ?
LUI : Laisse ce truc-là comme c'est, et va travailler… Mensch
isch dess a Lewe ! (6)
Si on avait inventé toutes ces machines modernes autrefois elles marcheraient
sûrement mieux. Allez, Aimé, va !
LUI : Babette, ferme moi ce poste !
ELLE : Attends, Arthur ! Tu vois que çà va revenir...
LUI : çà va revenir, revenir...! En attendant les voisins n'ont
pas besoin d'entendre que notre télévision ne marche pas. Allez,
arrête !
Elle coupe la télé
ELLE : Tu as raison, Arthur. Les gens d'à côté sont tellement
naïfs. Ils croiraient qu'on ne sait pas jouer de la télévision
!
ELLE : Arthur ?
LUI : Oui.
ELLE : Tu sais… Il ne faut pas maintenant te faire du mauvais sang à
cause de Liliane.
LUI : Jo, was witt !... (7)
ELLE : Mais non ! Il y avait peut-être aussi une panne chez les autres
gens qui ont la télévision…
LUI : Et alors… ?
ELLE : Alors, s'ils avaient une passe aussi, ils ne peuvent pas dire qu'on
n'a pas montré Liliane à Davos !
LUI : Après tout, oui...
ELLE : Et puis tu sais, nous…
LUI : Oui...
ELLE : …Nous, quand on a été à Davos, il n'y avait
pas encore la télévision et tout le monde l'a su quand même
!
LUI : Oui, seulement nous, on était déjà mariés
!
ELLE : Mais est-ce qu'on n'a pas envoyé Liliane à Davos pour
qu'elle trouve là-bas quelqu'un pour se marier ?
LUI : Dess isch jetz nix nejs ! (8)
Seulement on a pensé que si elle ne trouverait pas là-bas, elle
trouverait quelque chose ici.
ELLE : Attends, Arthur, attends ! Moi çà m'étonnerait
qu'elle revienne avec rien.
LUI : Cà t'étonnerait ?
ELLE : Pense ! Il y a là-bas que des gens convenables ! Tous avec des
autos américaines, des skis en palissandre et qui vont seulement dans
les cliniques les plus chic quand ils se cassent une jambe.
LUI : Je ne dis donc pas non ! Seulement hit tzetâhs (9),
avec toutes ces starlettes et ces pin-ups…
ELLE : Qu'est-ce que tu veux dire ?
LUI : Yoh tu sais comment c'est avec la concurrence ! Y'a là
tant de jolies filles tellement… tellement… tu vois ce que je
dis…
ELLE : Ah non ! Je n'admets pas que tu crois que notre Liliane n'a pas tout
ce qu'elles ont ces pinebbs…
LUI : Pin-ups, Babette. So sât men's ! (10)
ELLE : Comme çà ou comme çà, Liliane c'est ma
fille ! Dis Arthur…
LUI : Quoi ?
ELLE : Stiller… (11)
Que Aimé il n'entende pas !... Dis, est-ce que moi je n'avais pas tout
ce qu'il fallait quand j'avais vingt ans ?
LUI : Sûrement, Babette. Tu avais peut-être même plus…
ELLE : Ah ! tu le dis toi-même !
LUI : Mais est-ce que je t'ai pas seulement épousée quand tu
avais trente-quatre ?
ELLE : Un denno ? (12)
Çà prouve que même un peu après vingt j'avais encoure
tout ce qu'il fallait !
LUI : Tu sais, un peu plus n'aurait pas fait de mal…
ELLE : Quoi, un peu plus ?
LUI : Tu sais donc ! Si ton père m'avait écouté pour
cette histoire de tissus, j'aurais aussi pu devenir Monsieur Boussac…
ELLE : Je t'en prie, Arthur, je parle maintenant de Liliane.
LUI : Moi aussi. Et je dis qu'il est temps qu'elle trouve quelqu'un pour la
marier avec !
ELLE : Naturellement… Musch awer jetz nit vegesse (13),
elle a seulement vingt ans !
LUI : Elle oui… mais pas moi.
ELLE : Cà je sais, Arthur !
LUI : Also ! (14)
Est-ce qu'on peut dire si avec la façon dont les affaires marcheront
dans dix ans si Liliane plaira encore autant.
ELLE : Eh oui… Une fille, c'est un capital.
LUI : Un capital qui, avec le temps, porte de moins en moins d'intérêts.
ELLE : Parle pas maintenant si bête, Arthur ! Où est-ce que tu
veux en venir ?
LUI : J'ai un peu peur pour Liliane.
ELLE : Ne m'effraie pas… Tu as peur pour Liliane ?
LUI : Elle fréquente un peu trop des gens…
ELLE : Quels gens ?
LUI : Des gens qui ne savent même pas d'où ils viennent.
ELLE : tu dis çà pour Freddy Kolowitz ?
LUI : Oh non !
ELLE : Ah bon !
LUI : Qu'est-ce que tu veux, Freddy Kolowitz il n'est plus tellement un pollack.
Tu as vu sa dernière voiture ?
ELLE : Non…
LUI : Une Cadillac ! Une vraie Cadillac, et payée pas à crédit
! De celui-là donc j'ai pas peur, mais les autres…
ELLE : Quels autres ?
LUI : Est-ce que je sais ? On ne peut pas tout de suite les reconnaître,
ces jeunes d'aujourd'hui : ils parlent parfaitement le français !
ELLE : Non ?
LUI : Si !... Comme toi et moi ! Oui ! Seulement, pour les affaires, zéro
! Et quand ils te disent leur nom… alors tu vois qu'ils ne sont pas
de chez nous et qu'ils ne veulent même pas le devenir !
ELLE : Was witt galt mache ? (15)
C'est triste !... Awer's Liliane, nânn ?...(16)
Tu crois que Liliane ?...
LUI : Avec Liliane on ne sait jamais… J'aurais pas aimé de te
le dire, mais on m'a raconté qu'un jour…
ELLE : Pense à mon cœur, Arthur ! Qu'est-ce qu'il y a eu un jour
avec Liliane ?
LUI : Il paraît qu'un jour, à un bal, elle a dansé la
hora.
ELLE : Seulement çà ?... Et puis après ? Tout le monde
danse aujourd'hui ces danses américaines. Rumba, mambô oder
hora (17),
moi, tu sais…
LUI : Ecoute, Babette, sois une fois raisonnable ! La hora, c'est pas une
danse de la Sud-Amérique !
ELLE : Also !... (14)
C'est donc pas plus grave wenns es e Nejertanz isch ! (18)
LUI : Pourquoi tu me viens maintenant avec les nègres. Yoh ! si la
hora c'était une danse des nègres çà me serait
bien égal. Seulement c'est pire !... Devine où çà
se danse, la hora…
ELLE : A Saint-Armand-des-Prés… ?
LUI : Non, à Tel-Aviv !... Et encore si çà était
à Tel-Aviv dans la ville, mais non : dans la banlieue. Et quand je
dis la banlieue, je crois que je dirais mieux à la campagne.
ELLE : Was ?... (19)
Arthur, arrête ! Tu ne vas pas me faire croire que notre fille fréquente
des bals de paysans !
LUI : Ja do !... (19)
Enfin note que la chose on me l'a racontée. On m'a dit qu'elle avait
été à un bal juif, peut-être qu'elle avait un tout
petit peu bu…
ELLE : Bisch meschugge (20),
Arthur ! Tu as déjà vu boire à un bal juif ?
LUI : Tu sais, on n'y a pas encore été… Mais enfin comment
est-que que tu t'expliques que Liliane elle s'est mise à sauter avec
les sionistes ?
ELLE : Qu'est-ce que çà vient encore faire là-dedans,
les sionistes ?
LUI : Comprends donc, Babette ! Quand quelqu'un danse la hora, et là
je suis bien renseigné, il a déjà un pied en Palestine.
ELLE : Mon Dieu !
LUI : Tu vois, tu vois… Je ne te disais pas autre chose.
ELLE : Dis… Arthur…
LUI : Oui ?
ELLE : Tu crois qu'il y en a à Davos ?
LUI : Qu'il y a quoi à Davos ?
ELLE : Des sionistes.
LUI : C'est difficile à dire… Mais tu les connais, les pollacks.
Ils ne se gênent pas, ils se fourrent partout.
ELLE : Jeh ! oh Jeh !... (21)
Et moi qui avais si peur que Liliane elle épouse un goy sans argent
!
LUI : Ah ! C'est pas facile d'avoir une fille !
ELLE : Arthur…
LUI : Oui ?
ELLE : Quand on était à Davos…
LUI : Oui…
ELLE : On a vu là-bas aussi quelques Suisses…
LUI : Des Suisses ? A Davos ?
ELLE : Oui… Enfin, des Suisses Yid…
LUI : Bien sûr…
ELLE : eh bien tu ne crois pas que Liliane, avec un peu de chance…
On sonne.
ELLE : Quelle heure il est ?
LUI : Une heure et demie.
ELLE : Ah bon ! Il n'y a plus d'émissions. Cà çà
manquerait encore que si quelqu'un vient il voit que notre télévision
de marche pas.
BONNE : C'est Monsieur Isidore… Il a beaucoup l'air pressé.
LUI : Il peut venir.
ISIDORE : Madame Zweifuss, mes hommages… Bonjour, Monsieur Zweifuss.
Bonjour Aimé.
LUI : Aimé, dis bonjour à Monsieur Isidore :
AIMÉ (s'exécute de loin) : Bonjour Monsieur Isidore.
ISIDORE : Je ne vous dérange pas, au moins ?
ELLE : Pas du tout, Monsieur Isidore, pas du tout !
ISIDORE : Parce que vous savez, aujourd'hui, j'ai toujours peur de gêner
les gens. Ils sont donc tellement en train de voir la télévision
!
ELLE : Allez donc, Monsieur Isidore… C'est peut-être bon pour
les autres, un amusement quoi, ebbs zem spiele… (22)
ISIDORE : Mais…
LUI : Nix mais ! (23)
Quand un ami comme vous nous êtes un ami, çà ne compte
plus la télévision ! Plus du tout !
ISIDORE : Ils ont pourtant des programmes si bons !
LUI : Oh, comme-ci comme-çà… Çà dépend,
n'est-ce pas…
ELLE : Ne sois donc pas si difficile, Arthur !... Est-ce qu'on n'a pas peut-être
vu Liliane tout à l'heure ? A Davos ?
ISIDORE : Vous avez vu Mademoiselle Liliane tout à l'heure ? A la télévision
?
LUI : Euh… tout à l'heure, oui.
ELLE : Et à Davos !
ISIDORE : A Davos ?
ELLE : Comment, Monsieur Isidore, un ami comme vous, vous ne savez donc pas
que Liliane est à Davos ?
ISIDORE : Oh !
LUI : N'est-ce pas ?
ISIDORE : Comme c'est dommage, je voulais dire…
ELLE : Allez, allez !
ISIDORE : C'est que… Enfin, si Mademoiselle Liliane elle avait été
ici ce soir, il y aurait peut-être eu une occasion…
LUI : Une occasion ?...
ELLE : Quelle occasion ?...
ISIDORE : Vous ne savez donc pas … Mister Elkan S. Trampler est à
Strasbourg.
LUI : Qui çà est à Strasbourg ?
ISIDORE : Mister Elkan S. Trampler.
ELLE : On ne nous en a pas parlé, non. Vous savez, on a si peu de temps
pour s'occuper de tout !
ISIDORE : Voyons Madame ! Vous connaissez… vous aussi, Monsieur Zweifuss…
vous connaissez sûrement le "Brooklyn News Inquirer and Statesman".
LUI : Qu'est-ce que vous voulez, on est obligé de connaître aujourd'hui
tellement de la culture !
ISIDORE : Vous savez donc, chers amis, que le "Brooklyn News Inquirer
and Statesman" est un grand journal, un grand journal américain…
ELLE : Tu entends Arthur ? Américain !
LUI : Oh oh !
ISIDORE : Et Monsieur Trampler…
ELLE : Mister Trampler !
ISIDORE : C'est çà Madame. Mister Trampler est un grand reporter
de ce grand journal !
LUI : Le plus grand ?
ISIDORE : Je ne sais pas… mais il est payé en dollars !
ELLE : Alors il doit sûrement être marié !
ISIDORE : Vous voulez plaisanter, chère Madame ! Si Mister Trampler
était marié, je ne me permettrais pas d'être là
! Mister Trampler est célibataire !
LUI : Çà n'empêche pas qu'il est seulement journaliste.
ISIDORE : Oui, mais quel journaliste !… Payé en dollars !
ELLE : Est-ce qu'il a des relations ici ?
ISIDORE : Sûrement !... Enfin il doit en avoir… Plus ou moins…
ELLE : Il n'a pas par hasard des relations avec les Dernières Nouvelles…
ISIDORE : Oh ! Voyons ! Un journaliste comme çà ne s'intéresse
qu'aux journaux de Paris !
ELLE : C'est dommage, n'est-ce pas, Arthur ? Avec toute la publicité
qu'on est obligé de payer… Ils ne savent pas ici, que c'est pas
tellement drôle d'être commerçant !
LUI : Allons, Babette, allons ! Monsieur Isidore va croire que nous n'avons
pas les moyens…
ISIDORE : Jamais de la vie, voyons ! Je connais mes amis… Et si çà
ne vous ferait rien de connaître un peu les mines… pour le cas
où mademoiselle Liliane serait de retour avant que Mister Trampler
soit reparti. Un si bon mari !
ELLE : Vous avez dit qu'il était célibataire !
ISIDORE : Justement ! Quel bon mari il pourra faire !... Je dis çà
comme çà bien sûr…
LUI : Isidore, isch kenn Di !... (24)
Il faudra pas que je vous paye avec des dollars, au moins ?
ISIDORE : Qu'est-ce que vous voulez dire là, Monsieur Zweifuss ? Je
ne suis pas un schadchen (25)
moi !
LUI : An non ?
ISIDORE : Seulement, je vous aime bien… j'aime bien votre fille…
ELLE : Et ce jeune homme, Monsieur Isidore, comment est-il ?
ISIDORE : Bien… Qu'est-ce que je dis ? Très bien, formidable,
sensationnel ! Avec çà racé, séduisant, élégant
! Plein de sang-froid, courageux, capable de tous les exploits. Et sentimental,
sentimental !
ELLE : Comme au cinéma ?
ISIDORE : Beaucoup mieux qu'au cinéma. Le cinéma, vous savez,
c'est du kitch. Enfin…
LUI : Enfin… il est seulement journaliste.
ISIDORE : Malheureusement, Monsieur Zweifuss . Mais quel journaliste ! Un
grand journaliste ! Quand on lit ses articles…
LUI : Vous en avez déjà lu ?
ISIDORE : Euh… Ils sont un peu trop intelligents pour moi, surtout en
américain qu'ils sont écrits… Mais faites-moi confiance,
ne suis-je pas votre ami ? Je ne vous demande qu'une chose : de recevoir Mister
Trampler.
ELLE : Tu veux bien, Arthur ?
LUI : Bien sûr. D'accord. Avec plaisir. Nous, on est toujours contents
de pouvoir montrer l'Alsace à des étrangers.
ISIDORE : Dess isch jetz nett ! (26)
J'en étais sûr… Alors, si vous le permettez, il viendra
chez vous, Mister Trampler. Tout à l'heure.
LUI : Regarde Babette, comme çà va vite, avec les Américains
!
ISIDORE : Was heisst vite… Time isch money, nit wohr.
(27)
ELLE : Allez, Monsieur Isidore, il ne faut donc pas parler justement d'argent.
ISIDORE : Qu'est-ce que vous pensez, Madame ! C'était seulement une
façon de parler… Enfin, si vous le permettez bien, Trampler viendra
ici ce soir…
ELLE : Avec vous, j'espère !
ISIDORE : Oh non, Madame, non ! Ne songez donc pas des choses comme çà
de moi ! Je n'ai aucun intérêt dans cette affaire, aucun !...
Je veux dire cette visite. Elle me regarde si peu. Qu'est-ce que vous voulez,
M. Trampler c'est un journaliste, il est si bien informé alors il sait
que vous avez une fille tant charmante, c'est tout. Qu'est-ce que je viendrais
faire là-dedans, hein ?... Alors, à un de ces jours. Cà
ne presse donc pas pour régler les détails… Au revoir
Madame Zweifuss, au revoir Monsieur Zweifuss… Et bien des choses à
cette gentille Mademoiselle Liliane. Et aussi à tous ces beaux enfants
qu'elle aura sûrement…
BONNE : C'est le Knopf.
ELLE : Qui est là ?
BONNE : Monsieur le tailleur, vous savez, pour l'essayage.
LUI : Il peut venir.
KNOPF : Bonjour Madame, bonjour Monsieur !
LUI : Bonjour, bonjour ! awer mache schnell (29).
Madame Zweifuss est pressée.
ELLE : Oui, montrez-moi une fois maintenant vite ce short.
KNOPF : Vous voulez pas voir plutôt quand Monsieur l'aura mis ?
ELLE : C'est que je dois partir. J'ai une réunion très importante.
A la Wizo, vous savez…
KNOPF : La Wizo, oui, je connais. Cà c'est des dames bien. Leurs maris
payent toujours à la livraison… Mais voilà, Madame.
Il finit de déballer le short
Regardez un peu cette qualité, Madame… Comme à Wimbledon.
LUI : Was (19)
à Wimpeltonn ?
KNOPF : Vous savez donc : en Angleterre… Là où ils font
les match de tennis, les championnats du monde un so witersch (30).
Eh bien là-bas, ils portent seulement du tissu comme çà.
LUI : Tu entends, Babette ?
ELLE : Allez, Arthur, essaie-le voir.
LUI : Babette, voyons ! Pas ici devant toi tout de même.
ELLE : Non, mets-le juste dessus pour voir un peu.
Elle lui applique le short sur l'abdomen. Ahah !
LUI : Dis pas encore "Ahah", tu peux donc pas voir comme çà.
Il faut que j'ai du mouvement… Où est donc ma raquette ?... Aimé?
ELLE : Tzaj (31), cherche la raquette de Papa… Vous m'excusez, Monsieur Knopf, je dois m'habiller pour sortir.
LUI : Qu'est-ce que tu dis, Babette ?
ELLE : Mince ! wesch wie du ussisch ?... (32)
Exactement comme le Duc de Windsor.
LUI : Allez, Babette, allez !
ELLE : Je te dis, Arthur… Toutes mes félicitations, Monsieur
Knopf !
KNOPF : Oh vous savez, madame, avec des clients comme votre mari, çà
se coup tout seul.
ELLE : Mais maintenant il faut que je me sauve. Au revoir Monsieur Knopf !
Bye bye, darling !
LUI : Bye bye ?... Un darling noch de zu !... (33)
Qu'est-ce que vous croyez, vous ? J'ai vraiment l'air du Duc de Windsor ?
KNOPF : Bien sûr, Monsieur, bien sûr… Mais en beaucoup plus
sportif, naturellement ! Personne il n'osera gagner un match contre vous…
BONNE : C'est Monsieur S… Mais apercevant le tableau, elle éclate
de rire
LUI : Qu'est-ce que vous avez là à rire ?
Elle rit de plus belle
LUI : Anne-Marie, si vous avez à rire, allez rire dehors.
BONNE : Vous savez pas pourquoi je ris, Monsieur… Parce qu'à
côté de Monsieur, Monsieur Knopf a l'air tellement drôle
avec son gros ventre !
Le tailleur se tâte, très intrigué, le ventre qu'il
n'a pas du tout excessif.
LUI : Çà va comme çà, Anne-Marie. Qu'est-ce que
c'est ?
BONNE : Monsieur Samclo il est là. Il dit que c'est pour une auto à
prendre.
LUI : Pas à prendre, Anne-Marie. A apprendre.
BONNE : Çà Monsieur peut faire comme il voudra. Je le laisse
enter, Monsieur Samclo ?
LUI : Il peut venir.
KNOPF : Also (14),
pour le blouson, Monsieur Zweifuss, je reviendrai. Au revoir.
LUI : Au revoir.
KNOPF : Pardon Monsieur.
SAMCLO : Tenez plutôt votre droite, Monsieur. Rien d'étonnant
à ce qu'il y ait tellement d'accidents…
avisant l'équipement de tennis de Zweifuss
Bonjour, Monsieur Zweifuss. Vous êtes peut-être occupé
?
LUI : Oh non… J'avais juste fini une petite partie avec M. Knopf. Moi
j'ai un principe, il faut toujours être à la page ! Vous faites
aussi du tennis, Monsieur Samclo ?
SAMCLO : C'est excellent. Surtout pour la… circulation.
LUI : Ah oui, la circulation…
SAMCLO : La circulation, moi çà me connaît !
LUI : Oh oui, çà vous connaît !... Aimé !
FILS : Oui Papa…
LUI : Va vite chercher le guidon.
FILS : C'est le volant que tu veux, Papa ?
LUI : Volant, wenn de witt… (34)
Allez, va !
LUI : Ce petit est tellement intelligent. Je parle exprès un peu pas comme il faut avec lui pour voir s'il comprend. Mais il comprend toujours, toujours !
LUI : Merci Aimé… Reste là. Tu peux écouter un
peu. Comme çà, çà te fera moins à apprendre
plus tard.
FILS : Oh oui, Papa.
On installe le volant à un bout de la table avec Zweifuss derrière.
Samclo place une chaise à sa droite, s'y met à califourchon.
SAMCLO : Vous permettez, Monsieur Zweifuss, qu'on révise ce que nous
avons appris dans la première leçon ?
LUI : Wenn's indispensable isch (35),
pourquoi pas ?
SAMCLO : Bon. Alors attention ! Vous êtes dans votre voiture et moi
dans la mienne. Vous arrivez là et moi je viens d'ici…
LUI : …Pardon, Monsieur Samclo. Est-ce qu'ils demandent des choses tellement
simples à l'examen ? Autrement on aurait peut-être pas besoin
de perdre du temps avec ?...
SAMCLO : Oh si ! On les demande. Je disais donc : vous venez là et
moi ici… Qu'est-ce que vous faites ?
LUI : Je klaxonne pas !
SAMCLO : Entendu. Mais encore ?
LUI : Je… Je continue.
SAMCLO : Vous continuez ?
LUI : Oui… Mais pas trop… Juste un peu, bien sûr…
SAMCLO : Tiens tiens !... Et la priorité ?
LUI : La priorité ?
SAMCLO : Oui, la priorité, qu'est-ce que vous en faites ?
LUI : Yoh ! (36)
Je la laisse aussi passer… Il faut que tout le monde il vit, n'est-ce
pas ?
SAMCLO : Excusez-moi. Vous n'avez pas totalement assimilé ce que je
vous ai expliqué la dernière fois et si nous avions été
en train de rouler pour de bon, savez-vous ce qui serait arrivé ?...
Nous nous serions rentrés dedans !
LUI : Cà alors !... C'était quelque chose de terrible pour les
meubles. Vous pensez ! des meubles en palissandre véritable !... Aimé!
Vezähl dese numne nit dinne Mamme ! (37)
FILS : Oui Papa.
SAMCLO : Bon ! Je reprends donc… Lorsque deux voitures arrivent au même
moment à un carrefour, la priorité appartient à celle
qui vient de droite. Regardez d'où je viens (il s'agite sur sa
chaise).
LUI : De droite.
SAMCLO : Par conséquent ?...
LUI : Par conséquent ...
FILS : Tu dois le laisser passer, Papa.
LUI : C'est vrai çà, Monsieur Samclo ?
SAMCLO : Absolument !
LUI : Oui, mais écoutez… Il faut toujours que je laisse passer
ceux-là qui viennent à la droite ?
SAMCLO : Bien sûr, toujours !
LUI : Même quand ils sont seulement dans des petites gadjevaux ?
SAMCLO : Mais oui, même quand ils sont dans des quat'chevaux.
LUI : Alors là je me demande vraiment pourquoi c'est la peine de payer
tellement d'impôts !
SAMCLO : Ecoutez, Mamzelle… Ne restez donc pas comme çà
debout au milieu de la circulation.
FILS : Tu sais, Papa… on devrait peut-être mettre un passage clouté.
LUI : On voit que c'est pas toi qui a payé le tapis. Un vrai tapis
de Perse. Véritable !... Qu'est-ce que vous voulez, Anne-Marie ?
BONNE : Je suis venue dire que Monsieur Schlemm il est là, pour le
pritsch.
SAMCLO : Je vois que vous êtes très, très occupé,
Monsieur Zweifuss. Je dois peut-être vous laisser…
LUI : Non, non ! Restez seulement. Je dois prendre ma leçon de bridge
et il faut tout de même qu'on soit quatre. (A la bonne) Dites
à Monsieur Schlemm qu'il peut venir.
LUI : Vous savez jouer au bridge, Monsieur Samclo ?
SAMCLO : Oh un peu, un tout petit peu…
LUI : Je vous montrerai alors. Vous verrez c'est presque aussi bien que le
Schwarzer Peter (38).
LUI : Tiens, Babette ! tu as fait vite aujourd'hui.
ELLE : C'était à cause du bridge… Et puis, aujourd'hui,
à la Wizo, çà n'était pas si chic que çà
!
LUI : Ah ?
ELLE : Oui, figure-toi qu'ils avaient invité quelques unes des Femmes
pionnières !
SCHLEMM : Ah, des Femmes pionnières ?
LUI : Was isch dess jetz wieder ? (39)
ELLE : Yoh ! rien d'intéressant… Des sionistes.
LUI : Quoi ? des sionistes ?... Babette ! tu as bien fait de rentrer !
ELLE : Gell ? (40)
LUI : Et comment ! Si maintenant il y a des sionistes à la Wizo alors
çà n'est vraiment plus possible!
SCHLEMM : si vous le permettez, Madame et Monsieur, nous pourrions commencer…
auriez-vous un quatrième sous la main ?
ELLE : Si Monsieur Samclo… ?
SAMCLO : Je regrette vraiment beaucoup, Madame… Mais vous savez ce que
c'est dans mon métier. Il faut que çà roule !
ELLE : Cà c'est nettement dommage…
SAMCLO : Croyez bien Madame, qu'à la prochaine occasion… Au revoir
Madame Zweifuss. Au revoir Monsieur. Et n'oubliez surtout pas la priorité
! (A Schlemm :) Au revoir, Monsieur.
SCHLEMM : Voilà qui ne résout pas la question du quatrième…
LUI : Attendez… Peut-être que Aimé…
ELLE : Non, laisse-le tranquille Aimé. Il doit travailler ce petit.
Vous ne croyez pas, Monsieur Schlemm, qu'Anne-Marie… ?
Schlemm : Anne-Marie ?
ELLE : Oui, c'est notre bonne…
LUI : La bonne ? Ecoute Babette ! qu'est-ce qu'on va dire dans le quartier
!
ELLE : Justement, ils doivent le dire dans le quartier que nous on est democratisch…
Anne-Marie ! Anne-Marie !
BONNE : Madame m'a appelée ?
ELLE : Assez-vous, Anne-Marie.
BONNE : Je dois m'asseoir ?
LUI : Vous ne comprenez donc pas ? Vous faites le quatrième.
BONNE : Ah ?
ELLE : On dirait que cette fille n'a jamais été à un
bridge… Allez, Monsieur Schlemm, la partie peut commencer.
BONNE : C'est des enfants.
LUI : Des enfants ?
BONNE : Oui… Il paraît qu'ils sont envoyés par un monsieur
avec un nom tout drôle.
ELLE : Nous on ne connaît pas de monsieur avec un nom tout drôle.
Comment s'appelle-t-il ?
BONNE : Attendez… Gaga, je crois… Gagaèlle… oui,
Gagaèlle.
LUI : Comment ils sont ces enfants ? Bien habillés, au moins ?
BONNE : Oh oui Monsieur, habillés ils sont bien.
LUI : Ils peuvent venir.
1er QUETEUR : Bonjour Messieurs-Dames. Nous venons pour le KKL.
LUI : Mais qui c'est donc ce type, à la fin !
2ème QUETEUR : C'est pas un type, Monsieur… C'est une abréviation.
Vous ne connaissez donc pas le Keren Kayemeth Leisraël?
ELLE : Leisraël, vous dites ?
1er QUETEUR : Oui Madame !
ELLE : Arthur, fais attention…
LUI : Ecoutez mes enfants. Vous voyez qu'on n'a pas beaucoup le temps. Qu'est
ce que vous voulez?
2ème QUETEUR : Ben, on ramasse de l'argent…
LUI : Vous ramassez de l'argent ? Comme çà ? chez des gens qui
ne vous connaissent pas ?
2ème QUETEUR : Oui Monsieur.
LUI : Et vos parents, ils savent çà ?
1er QUETEUR : Oui Monsieur.
LUI : Et ils ne vous grondent même pas ?
2ème QUETEUR : Oh non, Monsieur. Mon papa est aussi un sioniste.
ELLE : Tu entends, Arthur ? C'est des sionistes !
LUI : Ah vous êtes des sionistes, et vos parents aussi. Et vous voulez
de l'argent ! Pourquoi vous en voulez de l'argent ?
1er QUETEUR : Pour Israël, Monsieur.
LUI : Aha ! Pour Israël… ecoutez, jeunes gens… Est-ce qu'il
y a aussi des sionistes en Israël ?
2ème QUETEUR : Mais Monsieur, en Israël, tout le monde est sioniste
!
LUI : Alors çà ne m'étonne plus !
ELLE : Qu'est-ce qui ne t'étonne plus, Arthur ?
LUI : Que tout marche si mal là-bas !... Qu'est-ce que tu veux, un
pays où tout le monde ramasse de l'argent, çà ne peut
pas exister.
1er QUETEUR : Alors Monsieur ? Qu'est-ce que vous nous donnez ?
LUI : Babette… Est-ce qu'il reste encore quelques pralines ?
2ème QUETEUR : On ne demande pas des pralines, Monsieur.
1er QUETEUR : Oh non ! On n'est pas des schnorrers (41),
vous savez.
LUI : Ecoute çà, Babette ! C'est pas des schnorrers, et ils
veulent de l'argent. (Il sort un billet) Tenez Voilà cent francs et
laissez-nous en paix.
1er QUETEUR : Merci Monsieur… On marque votre nom ?
LUI : quoi ! Dess tet jetz noch fenle… (42)
Pour que tout le monde il dise que je finance les sionistes… allez,
kinder, allez !
LUI : Vous savez, Monsieur Schlemm, les pauvres gens ont tout de même
plus de chance que nous. Eux au moins, les sionistes ne viennent pas leur
demander de l'argent.
SCHLEMM : En effet, en effet… si nous commencions cette partie, Monsieur
Zweifuss ?
LUI : Cà oui. C'est temps qu'on commence… (Il prend ses cartes,
les regarde)… Nom d'une pipe ! J'ai rien que de çà
!
ELLE : De quoi Arthur, tu n'as que de çà ?
LUI : Du cœur ! Regardez : c'est fou ce que j'ai du cœur !
La bonne sort et revient avec l'Américain.
TRAMPLER : Hello !... Bônnjhoûr ! Mister Zweifuss junior, I suppose
? My name is Trampler, Elkan S. Trampler.
FILS : Good bye, Sir, good bye !
TRAMPLER : Pourquoi good bye ? Je seulement vient de arriver…
FILS : OK, OK…
TRAMPLER : Mister et Misses Zweifuss ne sont pas dedans, I see.
FILS : Yes, yes. Ils rentrent bientôt… Ils vont…
to come. You… you attendez un little…
TRAMPLER : That's allright for me.
TRAMPLER : Oh, swell ! Vous aussi avez le télévijeunn, I see.
FILS : Yes, yes.
TRAMPLER : (aperçoit le magnéto). And what about
that ?... A recorder ?
FILS : Well, well.
TRAMPLER : It is your business ? Hey boy, c'est vous qui jouez cette
chose ?
FILS : Yes. Vous ne connaissez pas encore çà en Amérique
?
TRAMPLER : Oh, un peu, un peu…
FILS : Attendez, je vais vous montrer… (il se lève)
C'est très simple.
Il fait sa démonstration, rembobine, puis démarre la bande
à l'endroit de la visite de M. Isidore où il va être question
de lui ("c'est que… Enfin, si Mademoiselle Liliane elle avait été
ici).
Etonnement de Trampler en entendant parler de lui. D'abord intrigué,
puis flatté (quand Isidore le pare de toutes les grâces) il finit
par trouver l'expérience un peu saumâtre.
TRAMPLER : What the matter ?... Who is talking this way about me ?... Stop çà !... Arrêtez !
TRAMPLER : How do you do ?
LUI : So, so. Merci
TRAMPLER : My name is Trampler.
LUI : Miner name isch Zweifuss (43).
ELLE : Alors comme çà, Monsieur Trampler, vous êtes Américain
?
TRAMPLER : American, that's right !
ELLE : je le disais encore tout-à-l'heure à mon mari, l'Amérique,
c'est un si joli petit pays !
TRAMPLER : Oh, pas si petit… Vous avez été déjà
?
LUI : Pas tout-à-fait… Mais, n'est-ce pas, on sait tout de même
un peu… New York, Chicago… Manchester…
ELLE : On s'intéresse beaucoup, vous savez, à ce qui se passe
dans le monde. Vous pensez, on est bien forcé, avec ces temps modernes.
LUI : Laisse donc parler Monsieur Trampler. Vous êtes alors venu ici
pour écrire des articles ?
TRAMPLER : Yes. Partout je vais pour écrire des articles.
ELLE : Comme c'est intéressant ! Ah ! Si Liliane était là
!
TRAMPLER : Lilian ?
ELLE : C'est notre fille. Oui, Monsieur… Elle lit beaucoup, vous savez.
Surtout des journaux américains !
TRAMPLER : Interesting ! Medmeuzèll Lilian lit des american
journaux ?
ELLE : Oh yes !
LUI : Et comment ! Chaque semaine elle achète le MATCH.
ELLE : Monsieur Trampler écrit peut-être aussi dans MATCH
?
TRAMPLER : No. That's not my business. Moi je travaille pour DAILY
BROOKLIN NEWS INQUIRER AND STATESMAN.
ELLE : Tu entends Arthur ? Un titre comme çà ! Quel grand journal
çà doit être !
LUI : Et à Brooklin, Babette… Gelle (40),
Herr Trampler, Brooklin c'est pas loin de New York ?
TRAMPLER : Pas du tout loin !
ELLE : Alors vous pouvez voir les gratte-ciels ?
TRAMPLER : Gratte-ciel ? Oh oui, beaucoup gratte-ciel. Tellement qu'il n'y
a pas assez de ciel pour le gratter.
ELLE : Tu entends Arthur ? Ah ! Si notre fille était là !
TRAMPLER : Oh oui, beaucoup de filles ! Nous avons beaucoup de filles. Pin-up
girls, you know…
LUI : Ja, ja, you know… Mais quelque chose d'autre (plus bas)…
dites, Monsieur Trampler, il y a peut-être aussi des Israélites
à New York ?
TRAMPLER : Israelit' ?... Oh ! you mean Jews ?... Of course, we have got
a lot of Jews. Beaucoup ! Deux millions et demi de Juifs.
ELLE : Quoi ? Deux millions et demi de Juifs à New York ?
LUI : Crie pas comme çà fort, Babette. Es Anne-Marie bruscht
ni ze wisse was derte alles los geht… (44)
ELLE : Mais c'est tout de même quelque chose. Deux millions et demi
!
TRAMPLER : Peut-être même un peu plus…
LUI : Plus ?... Keen Wunder dass es derte so viel richess gibt !
(45)
TRAMPLER : Richesses ? Yes, we have got beaucoup, beaucoup de richesses. Dollars,
you know…
ELLE : Dollars… Oh yes… Arthur, pass gut uf !
(46)
LUI : Vous m'excusez un instant…
TRAMPLER : I don't care.
LUI : (après avoir décroché) Allo ?... Oui, le 67 43
52… Quoi Monsieur Allevard ?... Ah comme çà… (à
Elle) On nous demande de Allevard…
Allo qui ?... Liliane – C'est la Liliane – Was machscht denn
du in Allevard, Liliane ? (47)
…
Une bonne nouvelle, tu dis ? – Elle a une bonne nouvelle pour nous –
Fiançailles ?... Was ??? (19)
Qui ? Toi ? – Babette, Liliane s'est fiancée.
ELLE : Avec qui ? Demande, Arthur, Demande !
LUI : Maman demande avec qui tu t'es fiancée, Liliane… Avec un
Schwitzer ?... Non ? Un Chilien ?... Non ?... Tzaj (31),
Babette. Essaie une fois toi. Je ne comprends rien dans ce téléphone.
Elle prend l'appareil.
ELLE : Allo, Liliane, Mazel Tow (48)…
Dis maintenant à ta mère avec qui tu t'est fiancée…
Un Chilien ? Non, c'est pas çà ?... Un quoi ?
LUI : Tu vois, on ne comprend pas.
ELLE : Aimé ! Viens ici. essaie toi, tu as donc tellement d'éducation.
Aimé s'exécute
AIMÉ : Salut Liliane !... Alors, qui c'est ton gars ?... Ah !
un Chalia'h !
LUI : Un Chalia'h ? Qu'est-ce que c'est que çà ?
AIMÉ : S'il te plaît, Papa, attend un peu… Oui, Liliane.
Bon, je leur dirai… Au revoir, Liliane… Au revoir !
Il raccroche
ELLE : Alors ?
AIMÉ : Tu sais Maman… Liliane n'a pas été à
Davos.
LUI : Quoi ?
AIMÉ : Non, elle est à Allevard.
LUI : Çà on a aussi compris… Wo lejt denn dess Allevard
? (49)
AIMÉ : C'est quand même dans les Alpes, Papa.
ELLE : C'est pas moins cher, au mois ?
AIMÉ : C'est que… Elle n'est pas allée à l'hôtel.
LUI : Qu'est-ce que tu dis ?
AIMÉ : Ben non… Elle voulait pas vous le dire… mais elle
est dans un camp.
ELLE : Un camp ?... Ma fille est en prison ??? Arthur…
AIMÉ : Mais non, Maman… C'est seulement un camp de la jeunesse
sioniste.
LUI : Est-ce que j'ai bien écouté ?... Sioniste ?
TRAMPLER (se levant) : Madame Zweifuss, Monsieur… Vous me voulez
excuser ?
ELLE : Excuser ?
TRAMPLER : Oui, I have to leave… Je dois maintenant quitter…
Un rendez-vous, you know…
ELLE : Cà c'est maintenant dommage…
LUI : Laisse-donc, Monsieur Trampler s'il est gepressiert (50).
Au revoir, Monsieur, au revoir.
Il le pousse presque dehors.
TRAMPLER : Au revoir, au revoir Madam. See you later !
LUI (poussant un gros soupir) : Cà vaut mieux qu'il est parti. Qu'est-ce
qu'ils vont penser de nous en Amérique s'il leur raconte !... Aimé
!
AIMÉ : Oui Papa…
LUI : Finis une fois cette histoire… Alors avec qui elle s'est maintenant
fiancée, la Liliane ?
AIMÉ : Avec un chalia'h. Tu sais, un gars comme ils en envoient d'Israël
pour enseigner le sionisme ici.
LUI : C'est donc vrai ?... Un sioniste ?
AIMÉ : Oui Papa…
LUI : Et par-dessus le marché un type de Palestine ?
AIMÉ : Oui Papa… Mais il paraît que c'est un brave type
!
Elle, prostrée depuis quelques instants déjà, sanglote éperdument.
ELLE : Oh… Ma pauvre Liliane, ma pauvre Liliane…
AIMÉ : Pourquoi tu pleures, Maman ?
LUI : Tu es encore trop jeune pour comprendre, Aimé. Tu verras plus
tard quand tu auras élevé une grande fille. Tu verras ce que
tu diras si elle se marie avec un étranger !
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