Le "drame du capitaine Dreyfus" constitue le point de départ de l'analyse d'Elias. Rappelons que c'est aussi cet événement qui fait prendre conscience à Théodore Herzl de la nécessité de créer un Etat juif. La condamnation du capitaine, mulhousien d'origine, provoque une cassure dans l'histoire qui fait naître l'affirmation du sionisme comme avenir messianique, comme seule rédemption face à un destin redevenu hostile. Il déclenche une prise de conscience qui renoue avec l'idée de la "nation juive", nom dont on désignait le judaïsme avant 1791 :
Elias est un membre actif du Mouvement sioniste allemand, et participera longtemps à son comité d'action. Il participe aux congrès sionistes en tant que délégué et il siège à la Commission pour la colonisation. Il invite des dirigeants sionistes à Mulhouse : le 25 décembre 1901, Max Nordau y fait une conférence sur Le sionisme et les congrès sionistes, tandis qu'Alexandre Marmorek parle de L'influence du sionisme sur l'éducation populaire.
Elias entreprend même des démarches pour s'installer en Palestine. Il cherche à acheter un terrain prés de Haïfa à la Société immobilière Palestine. Mais l'argent qu'il investit dans ce but sera perdu par la suite.
Le fleuron de l'engagement sioniste du Docteur Elias est certainement la rédaction de son ouvrage magistral, Histoire du sionisme, resté inédit jusqu'à ce jour, dans lequel il fait l'analyse de cette tendance du judaïsme depuis la nuit des temps jusqu'à son époque. Voici l'introduction qu'il a rédigée pour son livre :
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Elias analyse La situation des juifs alsaciens-lorrains du point de vue d'un socialisme sioniste dans trois articles publiés dans le journal de Herzl Die Welt (Le Monde) : Tentatives d'assimilation en Alsace (1900) ; La situation économique des juifs d'Alsace-Lorraine (1901) ; La lutte pour l'émancipation des communautés juives d'Alsace-Lorraine (1903)
Le premier article d'Elias est un résumé historique des événements de la Révolutions française à l'époque contemporaine. Les juifs français se sont vus attribuer l'égalité des droits, ce qui a créé chez eux un profond attachement pour la France, et les a incités à s'assimiler à leurs concitoyens jusqu'à n'être plus que des français de confession israélite. Ils abandonnent leur langue, "le jargon judéo-allemand" ainsi que l'étude de l'hébreu, et perdent peu à peu leur identité. Toutefois ils restent marginalisés du fait de l'hostilité de la population environnante à leur égard.
Cet attachement des juifs français à leur appartenance nationale les pousse à dénigrer leurs coreligionnaires des autres pays, qu'ils se mettent à détester ou à considérer comme inférieurs. Ils considèrent que le modèle sur le judaïsme français est le meilleur, et que l'émancipation des juifs étranger ne peut se faire qu'en suivant ce modèle. C'est cette idéologie qui préside à la fondation de l'Alliance Israélite Universelle en 1840. C'est elle aussi qui suscite leur désintérêt pour d'autres mouvements qui se font jour, comme le sionisme.
Lorsque l'Alsace-Lorraine devient allemande après la défaite de 1870, un grand nombre de juifs émigre en France. Quant à ceux qui restent sur place, ils conservent juridiquement l'égalité des droits, mais ils perdent la possibilité d'accéder aux carrières d'Etat. Au début ils rêvent de la France comme d'un "paradis", jusqu'à l'Affaire Dreyfus (1895) qui les ébranle profondément :
L'occupation allemande a des conséquences économiques dont les juifs sont les victimes. Après l'émancipation en France, on avait pu assister à l'émergence d'artisans juifs, de fonctionnaires juifs, d'officiers, d'avocats, etc. ; mais le régime allemand promulgue des lois qui lèsent particulièrement la population juive. Il procède à la création de caisses et de coopératives Raiffeisen à la campagne, œuvre du clergé catholique, qui cause un énorme préjudice au commerce intermédiaire. De plus, l'agriculture et le petit artisanat réclament et obtiennent, par voie de droit, la restriction maximale du colportage et du commerce des bestiaux dont vivaient la majorité des juifs de la campagne. On triple, voire quadruple les impôts des marchands de bestiaux et des colporteurs; on décrète la suppression du bétail et on appelle au boycott des commerces juifs.
Ainsi, écrit Elias, "même sans persécutions et sans racisme antisémites, on atteint des résultats dépassant de loin les plus folles espérances antisémites". Même s'ils ne souffrent pas de la faim, Les juifs des campagnes connaissent une paupérisation et leur population décroît régulièrement. Le nombre des juifs en Alsace diminue de 15 % entre 1880 et 1895, alors que la population totale du pays augmente. L'accroissement de la présence juive dans des villes comme Strasbourg et Mulhouse montre simplement que la situation n'y est pas aussi mauvaise qu'à la campagne. Pourtant cette population elle-même connaît un fort taux d'émigration, masqué par l'immigration de Juifs allemands. Cette émigration conduit moins souvent dans les pays voisins, mais plus souvent "outre océan".
Dans son article sur la situation économique des juifs, Elias fait la distinction entre la petite bourgeoisie et la bourgeoisie aisée : "Seule la bourgeoisie aisée possède des sièges et des voix au consistoire, l'instance représentative des communautés juives ; les juifs élus dans les instances politiques ou communales, où on discute de la situation des juifs, sont en général toujours des juifs aisés ; et eux seuls exercent pour ainsi dire une influence sur la presse politique". Ceux-ci ne se soucient pas de la situation de leurs frères qui sont lesés par les nouvelles mesures économiques.
Après 1870, le gouvernement allemand refuse la création d'un consistoire central et la gestion des affaires juives est confiée aux consistoires de district qui sont pratiquement indépendants. Leurs membres sont élus au suffrage universel ce qui conserve au système une apparence démocratique, mais après les élections, les communautés se retrouvent impuissantes, sans voix au chapitre, sans participation d'aucune sorte. De telles conditions entraînent un désintérêt et une apathie généralisés.
Après l'annexion par l'Allemagne, les juifs alsaciens et lorrains, prenant connaissance de la situation dans les communautés allemandes, commencent à exiger plus de démocratie dans l'administration culte. A Strasbourg, un mouvement d'opposition se forme pour exiger que le consistoire consulte la communauté lors de la nomination des membres de l'administration communautaire de la ville. Le consistoire bas-rhinois se plie en fin de compte à cette revendication et le système est étendu à toutes les communautés du Bas- Rhin et à la Lorraine.
Dans le Haut-Rhin par contre, "tout resta en l'état". La proposition de nommer une nouvelle commission est rejetée, et le désir de créer un consistoire supérieur ne connaît aucun succès. En 1902, quelques membres de la Communauté de Mulhouse décident de convoquer une réunion, pour appeler à l'entrée en vigueur de l'émancipation des communautés. Le président du Consistoire du Haut-Rhin accepte un compromis pour empêcher cette réunion : au cours de l'année 1903, les consistoires proposeront un projet de réforme au gouvernement, et les membres de l'administration communautaire seront "élus dans leur grande majorité parmi la population".
Dans son article, Elias appelle à une démocratisation de la constitution cultuelle, pour plusieurs raisons : il s'oppose au centralisme, il exige le droit de parole pour tous les Juifs, il veut élargir l'auditoire des sionistes ; cet élargissement est freiné ou empêché par la puissance des consistoires qui selon toute vraisemblance, sont hostiles au sionisme : "il n'est aucunement besoin de démontrer a quel point une communauté libre est capitale pour la propagation de nos idées".
L'analyse du judaïsme en Alsace-Lorraine effectuée par Elias reflète donc son point de vue sioniste : l'émancipation octroyée aux juifs par la Révolution française, puis leur assimilation faisant d'eux des citoyens français de "confession mosaïque" a été un leurre démasqué par l'Affaire Dreyfus : " On ne vit jamais de processus de fusion entre juifs et chrétiens ". Par conséquent, la seule réponse possible à l'antisémitisme persistant est le retour en Palestine et le recouvrement de l'identité juive perdue. Celle-ci doit se faire d'ores et déjà, par une éducation sioniste et un éveil de la conscience juive.
En 1891, le baron Maurice de Hirsch crée à Londres la Jewish Colonization Association (ICA), destinée favoriser l'émigration des Juifs est-européens, qui se trouvaient en péril, vers tout pays ou ils pourraient jouir de l'égalité des droits économiques, politiques et sociaux. L'ICA est fondée comme une structure de droit anglais, avec un capital de 2 millions de livres sterling, auquel le baron ajoutera une somme de 7 millions de livres en 1892. Au départ, l'association se concentre fortement sur la création de colonies agricoles en Argentine. En 1896, à la mort de Hirsch, elle possède 1000 km² de terres en Argentine, sur lesquels vivent quelque mille familles.
Le fondateur du sionisme, Théodore Herzl, s'oppose à l'émigration des Juifs vers l'Argentine, qu'il juge dispendieuse et irréaliste. Une entrevue entre Hirsch et Herzl, en 1895, tourne court, sans permettre de concilier les points de vue des deux hommes ; à l'époque, Herzl est encore peu connu.
Après la mort de Maurice de Hirsch en 1896, on décide de diversifier les objectifs. Des colonies seront successivement fondées en Amérique du Nord, dans l'île de Chypre, en Asie mineure, en Palestine, en Russie, en Roumanie, et en Galicie.
L'Association financera également l'Alliance israélite universelle qui avait été créée en France dès 1840. Les Juifs de France, émancipés les premiers, se sentaient un devoir impérieux de servir de protecteurs des populations juives déshéritées, ainsi que de leur permettre, par l'éducation et la culture, de s'élever dans l'échelle sociale.
Par un accord en 1899, la Jewish Colonization Association récupère la gestion des colonies agricoles fondées par le baron Edmond de Rothschild en Palestine (1ère Alyah sioniste). La propriété des localités, leurs exploitations agricoles et 25 000 hectares de terre sont donc transférées à l'ICA.
Dans le chapitre qu'il consacre à Théodore Herzl dans son Histoire du sionisme, Elias écrit :
Dans les articles qu'il publie dans le journal Die Welt, organe du Mouvement sioniste, Elias, qui est lui-même membre de l'Alliance Israélite Universelle, reproche à cette organisation de n'être pas démocratique et de ne pas soutenir le sionisme. Il reproche à sa direction de poursuivre "une politique d'assimilation et une propagande française unilatérale dans les écoles". Son programme d'éducation est un désastre total et ne correspond même pas au niveau de l'école élémentaire. "Dans une seule et unique matière, autrement dit l'enseignement de la langue française, le succès semble tout à fait extraordinaire. Pourtant la connaissance de la langue française n'a pratiquement aucune valeur en Orient pour de futurs artisans, cultivateurs ou petits commerçants, et en outre, elle n'est pas le nec plus ultra des gens cultivés qui ne sont pas français". Par exemple, l'école agricole juive de Jaffa "est incapable et de former des cultivateurs juifs et de leur assurer une existence viable".
Elias reproche surtout à l'Alliance un manque d'efficacité dans sa réaction aux persécutions dont les Juifs sont les victimes dans le monde : "au lieu d'entrer ouvertement dans la lutte, elle se contente de protester vainement en cas de persécution, ou bien elle tente d'améliorer la situation des juifs par la voie diplomatique, ce qui n'entraîne aucun résultat.
Dans un autre article, Elias cite des exemples concrets : Jusqu'ici le but de l'Alliance, c'est-à-dire "l'amélioration du sort des juifs", n'a pas été atteint. En effet, qu'elle envoie des élèves formés "tantôt dans un pays, tantôt dans l'autre", au lieu de les installer en Palestine. La notion d'une "nation juive" "lui est étrangère, elle ne veut pas aider les juifs comme ressortissants d'un peuple juif. Voilà la raison essentielle pour laquelle l'œuvre de l'Alliance est vouée à l'échec. Le sionisme au contraire qui "peut aider les juifs à recouvrer leurs droits en tant qu'hommes, qui "considère les juifs comme une nation", peut réussir là où 1'Alliance a échoué".
Au cours de l'année 1902, il propose à Herzl d'exiger la tenue de nouvelles élections au comité central de l'Alliance, dans le but d'y faire entrer des personnalités proches du sionisme :
Elias exige alors des élections pour les comités de groupes locaux ". Celles-ci devaient avoir lieu tous les ans, mais depuis trois ans, Mulhouse n'en avait plus organisées. Le comité, sommé par Elias d'organiser un nouveau scrutin, avait reçu la consigne du secrétariat général de l'Alliance à Paris "de n'organiser de nouvelles élections qu'au cas où un nombre conséquent de membres de l'association les réclameraient". Elias menace alors de convoquer une assemblée générale "des membres mulhousiens" si elles n'avaient pas lieu. Le comite doit céder et organise des élections pour le 5 juin 1902. Néanmoins Elias ne réussit pas à "introduire au sein du comité les personnes qu'il souhaitait".
Sept ans plus tard, le 22 février1909, Elias propose de nouveau à David Wolffsohn, le successeur de Herzl, d'exiger de nouvelles élections à l'Alliance :
Il faut noter que le combat d'Elias contre l'Alliance n'est pas le fait d'un homme seul, mais qu'il s'inscrit dans un mouvement de contestation de cette organisation qui a cours à cette époque.