Mes rencontres avec Jean Kahn
par Michel ROTHÉ


Allocution de Jean Kahn, à la Synagogue de la Paix, à Strasbourg
Au chœur des éloges qui sont adressés à Jean Kahn, au lendemain de sa disparition, je souhaiterais ajouter un écho personnel de mes relations avec celui que j'ai toujours admiré, et qui m'a toujours encouragé.

En 1972, Jean Kahn est devenu le président de la Communauté Israélite de Strasbourg. Pour ma part, je venais de m'installer dans la ville pour y suivre des études dentaires. Au début, nous nous sommes côtoyés sans vraiment nous connaître. On m'avait raconté qu'après sa nomination, il avait remplacé toute sa vaisselle personnelle à son domicile pour la rendre strictement cachère, car un dirigeant communautaire se devait de pouvoir recevoir son grand rabbin à sa table. Cela m'avait impressionné.

Jean Kahn est devenu président deux ans après que Max Warschawski en doit devenu le grand rabbin. Tous deux anvaient vécu leur adolescence pendant la deuxième guerre mondiale, et ils en étaient sortis avec une volonté farouche de s'engager comme meneurs de cette communauté-phare, et de préserver sa stabilité tout en assurant son évolution. La coopération n'était pas évidente a priori entre ces deux personnalités issues d'horizons si différents. Mais ils ont su rapidement nouer des liens amicaux. Et je pouvaius m'identifier aux objectifs de cette équipe dirigeante.

Tout en poursuivant mes études, je me suis engagé dans la lutte pour la liberté des Juifs d'URSS et la cause des droits de l'homme. C'est là, je pense, qu'il m'a remarqué. Cela s'est manifesté par le fait qu'à cette époque, même s'il cherchait à limiter les frais téléphoniques de la communauté, il avait donné comme consigne au secrétaire général Raymond Franck de laisser Michel Rothé utiliser le téléphone du bureau pour tout ce qui était relatif aux juifs d'URSS, sans contrôle et sans limite. Cette marque de confiance m'a beaucoup touché.

Apprenant que j'allais partir au service militaire en août 1978, Jean Kahn, m'a convoqué dans son bureau pour me dire : "Michel, il faut que tu fasses ton service à Strasbourg, nous avons besoin de toi à la ici". Quelques jours plus tard, je me retrouvais avec lui dans le bureau d'André Bord (1) auquel il demanda de faire le nécessaire afin que je puisse rester dans la ville. Mon affectation en Allemagne ayant déjà été établie, le secrétaire d’État s'engagea à essayer de me rapprocher au-delà de la frontière, du côté de Kehl. Effectivement, trois mois après le début de mon service militaire à Trèves, j'étais muté sur une base faisant face à Strasbourg, de l'autre côté du Rhin. Cela me permit de continuer mes activités.

Vers la fin des années 70, nous un orchestre symphonique nous a proposé d'organiser un concert à Strasbourg en faveur des Juifs d'URSS et des droits de l'homme, au Palais des Congrès. A titre personnel, il m'était difficile de m'engager dans une opération d'une telle envergure. Après avoir consulté Jean Kahn, l'affaire était réglée : "Michel, tu fonces, moi je te couvre…"

En 1982, j'ai été élu parmi les administrateurs de la CIS (2), le plus jeune jamais nommé (j'avais 29 ans !). En décembre 1982, devait se dérouler la Convention internationale pour les juifs d'URSS à Jérusalem. Je suis convoqué au bureau de Jean Kahn : " Michel, je veux que tu représentes la communauté de Strasbourg à Jérusalem". Il perçoit mon hésitation, en tant qu'étudiant il m'est difficile d'envisager les frais de ce voyage, et lui de se lever et de me tendre une enveloppe en me disant : "tiens, ici tu as l'argent pour acheter le billet".

En juin 1983, Jean m'interpelle au Centre communautaire : " Michel, j'ai quelque chose à te dire : à Sim'hath Torah prochain, tu seras 'hatan Bereshith (3) à la grande synagogue. René Weil (alors président du consistoire) sera 'hatan Torah" (3).

Je me suis toujours senti soutenu par la confiance que Jean m'accordait. Il ne s'agissait pas de favoritisme à mon égard, mais de son désir sincère d'aider tous ceux qui jouaient un rôle actif dans la communauté et qui s'étaient investis dans leur tâche.

Michel Rothé (à g.) présente le site internet à M. Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication (à d.), en compagnie de Jean Kahn, alors président du Constoire israélite de France (au centre) - mai 2005
Après mon installation en Israël les contacts avec Jean Kahn se sont maintenus. Dès qu'il a eu connaissance de la création du site internet du judaïsme d'Alsace et de Lorraine, il en a été aussitôt un fervent soutien. Il a pris à deux reprises l'initiative de me faire rencontrer à Paris les ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon et Renaud Donnedieu de Vabre, auxquels j'ai pu présenter l'importance de notre site pour la conservation du patrimoine.

Il y a quelques années encore, apprenant que je prenais le même vol que lui pour Paris, il m'a dit de demander à l'enregistrement de me placer à côté de lui. Lorsque nous avons été installés dans dans l'avion, l'hôtesse lui a dit : "Monsieur Kahn, je vais demander à ce Monsieur de s'asseoir ailleurs, afin que vous soyez plus à l'aise". "Non, je veux justement qu'il soit assis à côté de moi" a-t-il rétorqué. Durant tout le trajet, nous avons parlé de sa lutte en faveur des Juifs éthiopiens et de l'émotion qu'il ressentait dans tous les combats qu'il avait menés pour les Juifs du monde entier et les droits de l'homme. Jean était un homme d'une extrême sensibilité, et à plus d'une reprise durant ce vol, les larmes lui montaient aux yeux en évoquant ces souvenirs.

Même s'il avait atteint désormais une notoriété nationale et même internationale, sa fidélité aux valeurs de sa communauté d'origine ne se démentait pas Vers 1980, lors d'un repas shabatique au centre communautaire avec des députés israéliens, l'un d'entre eux, qui lui avait posé une question s'apprêtait à transcrire la réponse ; le président de lui signifia que "dans notre synagogue nous n'avons pas l'habitude d'écrire le Shabath".

Avec Jean Kahn j'ai appris que rien n'est impossible, et que lorsqu'une idée est lancée il suffit de foncer et d'aller de l'avant.

"Tel Yossel de Rosheim, tel Cerf-Beer, Jean Kahn laissera l’image d’un grand shtadlan, a déclaré le grand rabbin René Gutman. Je partage tout-à-fait cette opinion, et je suis fier d'avoir pu agir aux côtés de cet homme exceptionnel.

Notes :

1. Secrétaire d’État auprès du Premier ministre (relations avec le Parlement) du gouvernement Raymond Barredu 26 septembre 1977 au 6 avril 1978.
2. CIS : Communauté Israélite de Strasbourg
3.'hatan Bereshith :celui qui a l'honneur de recommencer la lecture annuelle de la Torah à la synagogue, le jour de la fête de Sim'hath Torah (au début de l'année juive).
'hatan Torah :celui qui a l'honneur de lire la dernière section annuelle de la Torah au cours de la même cérémonie.


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