Avant-propos
Une généalogie qui reflète l’histoire des communautés juives du Sundgau
En 1866, les juifs obtiennent les droits civiques en Suisse et la possibilité
de s’y établir
sans de nombreuses contraintes. Ce changement sera un des facteurs d’une
immigration vers la confédération. Ainsi, les Bloch, Bollag
ou Bollach, Brunschwig s’installeront souvent dans les communautés
juives dont Moïse
Nordmann était le rabbin, soit à Bâle,
Avenches, Berne et La
Chaux-de-Fonds.
L’entreprise Camille Bloch
Des images d’animaux au chocolat
L’une des passions de Camille enfant, c’est la collection des images d’animaux que l’on trouve dans les plaquettes de chocolat Tobler. La légende affirme qu’il ne lui manquait qu’une image, celle du "Loup blanc". Alors quand à la fin de sa scolarité, le maître annonce à Camille, qu’il a le choix entre deux places d’apprentissage, l’une chez un ferblantier, l’autre chez Théodore Tobler, le chocolatier, le jeune Camille n’hésite pas une seconde. Son chemin est désormais tracé. Les années passent et Camille gravit les échelons. Il est représentant alors que l’Europe sombre dans la première guerre mondiale.
Après la guerre, Camille Bloch, excellent vendeur, rêve de monter sa propre affaire et en février 1929, elle est inscrite au registre du commerce sous le nom de Chocolats et bonbons fins Camille Bloch. Il a pu acheter des machines d’occasion à A. & W.Lindt à Berne qui a cessé son activité. En effet en1928, l’usine Lindt de Berne a dû arrêter la production de chocolat sur arrêt du Tribunal fédéral, parce que les neveux du fondateur avaient continué la fabrication bien que le fondateur ait vendu sa marque aux Sprüngli de Zurich. Le premier site de production est à la Jägerweg, d’après les archives, dans la cave puis en 1933 l’usine s’agrandit avec l’achat d’un immeuble de la Belpstrasse à Berne.
Rolf Bloch raconte les débuts de Camille dans une interview réalisée
par le journal Le Temps (4) :
"C’est par un curieux enchaînement de circonstances qu’est
née cette fabrique. Mon père voulait faire un apprentissage
de commerce. À cette époque, on collectionnait les images –
on appelait ça des timbres – contenues dans les plaques de chocolat.
Or Tobler avait émis une série qui, si elle était complète,
donnait droit à recevoir la somme de cinq francs. C’était
énorme à l’époque. On était en 1905-1906.
Mon père avait plusieurs fois la série, sauf une image, celle
du chien blanc. En apprenant que Tobler offrait une place d’apprentissage,
il a pensé que c’était un moyen de compléter sa
série. Il s’est présenté, a été engagé,
a tout appris sur le chocolat, mais il n’a jamais trouvé le chien
blanc. Le timbre n’existait pas. C’était un attrape-nigaud.
Quelque vingt ans plus tard, à la suite d’un procès qu’ils
avaient perdu devant le Tribunal fédéral, deux membres de la
famille Lindt se voyaient interdire d’utiliser leur nom sur un chocolat
qu’ils fabriquaient après que la maison mère eut été
vendue à la maison Sprüngli. Une petite installation industrielle
était mise en vente. Mon père a vu là l’occasion
de devenir indépendant. Il a emprunté en signant une assurance-vie.
C’est ainsi qu’un an avant ma naissance est née la fabrique
Camille Bloch." À propos de leur maison à Berne : "Nous
n’étions pas riches, mais à l’aise. Il y avait une
jeune servante pour aider ma mère. Notre maison dans la périphérie
de Berne avait un jardin avec des arbres fruitiers, des framboises, des fraises,
des groseilles. La maison était mitoyenne d’une entreprise qui
avait des chevaux. Il me suffisait de passer par une fenêtre pour me
trouver dans l’écurie. C’était un monde où
les enfants avaient encore leur place. Après notre déménagement,
l’actrice Maria
Schell a vécu dans cette maison." La maison familiale était
une annexe de l’usine. Il raconte ses escapades dans la fabrique et
ses dégustations impromptues de chocolat, ce qui n’était
évidemment pas du goût du personnel de l’usine.
Les débuts de Camille Bloch SA à Berne puis à Courtelary
De 1929 à 1934 malgré la crise économique mondiale, l’entreprise s’est développée normalement grâce à une idée de base de M. Camille Bloch : fabriquer une tablette de chocolat le meilleur marché possible, afin que ce produit de luxe qu’était le chocolat devienne un produit de grande consommation. À ce moment-là, on était arrivé à vendre une tablette de 100 g 20 centimes au détail.
En 1934, la crise fait rage. Le vallon de Saint-Imier est touché de plein fouet par les difficultés de l’industrie horlogère. Mais Henri Strahm, maire de Cormoret et député au Grand Conseil bernois, a une idée. Il a entendu dire qu’un industriel de Berne cherchait à déménager. Or, dans la localité voisine, l’ancienne usine de la Papeterie et cartonnages de Lunéville et Courtelary est vide. Jean Steiner, le maire de Courtelary, est convaincu par la proposition de son collègue. Ensemble, ils partent à Berne.
Pour Camille Bloch, la rencontre avec les deux édiles est une aubaine.
Il doit trouver d’autres locaux pour sa chocolaterie, fondée
quelques années plus tôt : d’abord représentant
pour des marques existantes, il s’est lancé dans la fabrication
de ses propres produits en 1929.
À ceux qui voulaient le décourager, il répondait invariablement
"Ceux qui n’aiment pas mon nom n’achèteront pas
mon chocolat".
Mais son entreprise est rapidement florissante. Il va tout mettre en œuvre
pour qu’elle le reste.
Les trois parties parviennent à un accord. Les communes acceptent de participer
à l’achat de l’usine par un prêt de 5 000 francs et par une
contribution du même montant, les 50 000 francs restants incombant à Camille
Bloch. En échange, celui-ci accepte d’engager du personnel de
la région, à raison d’un tiers à Cormoret et de deux tiers
à Courtelary. Le déménagement a lieu au début de l’année
1935, par chemin de fer. En mars, les machines sont relancées.
Archives Camille Bloch SA, en-tête de lettre, 1936. |
Ragusa, l’idée de génie (6)
Quelques années plus tard, la seconde guerre mondiale pose de nouveaux défis. L’approvisionnement en matières premières se complique. Sur le plan industriel et même si cela peut sembler bien dérisoire dans une Europe vouée à toutes les pénuries et à toutes les privations, aux ersatz de toutes sortes, le secteur du chocolat suisse tente de survivre. Mais comment faire ? Comment s’approvisionner en cacao ? En sucre ? Le cours des matières premières a flambé et du fait des hostilités la devise suisse a subi une forte dévaluation. Enfin, comment faire voyager le cacao sur des milliers de kilomètres alors que le conflit s’étend et que les blocus se renforcent ? En 1941, Camille Bloch a pu négocier, mais au double du prix d’avant-guerre un dernier convoi de cinq wagons de fèves localisés à Moscou. Les fèves originaires du Ghana traverseront la Russie depuis Vladivostok, la Pologne et l’Allemagne.
D’autres produits échappent aux difficultés d’approvisionnement.
C’est le cas des noisettes qui peuvent être importées de
Turquie et qui sont riches en matière grasse. 65 % et donc bien plus
que le cacao. Les noisettes sont torréfiées et transformées
en pâte à laquelle on associe des noisettes entières,
la barre obtenue est recouverte de chocolat. Reste à Camille Bloch
à baptiser la nouvelle confiserie. Ce sera Ragusa, tiré de Raguse,
le nom ancien de la ville de Dubrovnik où Camille Bloch avait séjourné
quelques années auparavant. C’est ainsi que naissent, en 1942,
les branches Ragusa.
Ses atouts consistaient à remplacer le cacao par une pâte à
base de noisettes et à être vendu en branches de 50 grammes et
non en plaques de 100 grammes. Ces deux éléments permettent
au nouveau chocolat de connaître un rapide succès. En plus les
cartes de rationnement donnent droit à 100 g de chocolat et 100 g de
confiserie alors que le Ragusa est classée dans les deux catégories
De l’après-guerre
Après la guerre, l’industrie du chocolat se développe
notamment avec le chocolat fourré en tablettes. Camille Bloch, dès
1948, produit le Torino, qui reste aujourd’hui encore, avec Ragusa,
le produit phare de la marque.
Au milieu des années 1950, l’entreprise lance encore une autre
nouveauté, le chocolat au kirsch fabriqué sans croûte
de sucre, une première dans l’industrie du chocolat à
la liqueur. Dans ce secteur, Camille Bloch va réussir à se faire
une place de leader sur le marché même si cela ne représente
que quelques pourcentages de son chiffre d’affaires global.
Dès les années 1940, l’industrie horlogère reprend
dans le vallon de Saint-Imier. Comme les salaires y sont plus élevés
que dans l’industrie du chocolat, Camille Bloch est alors délaissé
par la main-d’œuvre.
L’entreprise va même jusqu’à ouvrir durant quelques
années une fabrique de confiserie à Wabern, en banlieue bernoise.
Quant au personnel de Courtelary, il va être composé de deux
tiers de saisonniers (principalement des ouvrières italiennes). L’entreprise
continue pourtant de se développer.
Développement de la Chocolaterie sous Rolf Bloch
Avec l’arrivée de Rolf Bloch (fils de Camille) au sein de l’entreprise à la tête du département de marketing, en 1955, la fabrication va tenter, pour se distinguer des grands fabricants de chocolat suisse, de se profiler avec la production de chocolat fourré et de spécialités. Il lance par exemple la branche Torino, la première branche de marque sur le marché suisse.
En 1959, Rolf Bloch reprend la direction de l’entreprise.
Dès les années 1960, l’entreprise va aussi fabriquer du
chocolat kasher ce qui nécessite que toute la chaîne de production
soit nettoyée de toute trace lactée, une opération qui
dure trois jours sous le contrôle d’un rabbin.
De 1961 à 1963, un nouveau bâtiment est construit pour permettre d’augmenter la production.
En 1970, un arrêté fédéral limite le nombre d’employé(e)s étranger/ères (régime du contingentement). Pour l’entreprise Camille Bloch, qui compte alors 145 employés étrangers sur un total de 185, cette nouvelle loi nécessite une réaction rapide, d’autant plus que les salaires dans l’horlogerie sont toujours plus élevés et les places de travail nombreuses. Rolf Bloch va donc augmenter ses salaires (très peu à cause de la convention collective de l’industrie chocolatière), introduire une prime au mérite et une prime de pénibilité et mener une vaste campagne de recrutement parmi les femmes de la région (travail à temps partiel, déplacements payés, création d’une garderie d’enfants en novembre 1971). Tous ces efforts n’aboutissent pas aux résultats escomptés et l’entreprise est obligée de diminuer sa gamme de produits pour ne garder principalement que Torino, Ragusa, articles de fêtes et les spécialités à la liqueur. Les Bloch ne licencient jamais. Au pire de la crise pétrolière, entre 1974 et 1977, le personnel astique à répétition dépôts et chaînes de production, vitres et planchers. De l’autre côté, les employés se cramponnent à l’entreprise. Les salaires tombent ponctuels et le patron passe les saluer tous les jours ou parfois les ramène en voiture à la maison.
On va aussi chercher à rationaliser et à automatiser le plus possible la production. Cette dernière ainsi que le chiffre d’affaires augmentent régulièrement malgré la situation économique.
La fin des années 1980 marque celle de l’extension des marchés.
1992 marque l’entrée de Stéphane Bloch dans l’entreprise
comme chef du marketing, alors que deux ans plus tard, c’est au tour
de son frère Daniel Bloch (tous les deux fils de Rolf). Dès
février 1997, Daniel Bloch prend la direction du département
administratif alors que depuis 1998, il assume la présidence de la
direction.
En 2006, l’entreprise inaugure une toute nouvelle ligne de production
pour laquelle elle a investi dix millions de francs, ce qui témoigne
de sa bonne santé.
2008 voit l’apparition du Ragusa Noir, tandis que début 2014,
c’est le Ragusa Blond, au caramel, qui fait son apparition sur le marché.
Daniel Bloch nouveau président en 2005
Le site actuel de Camille Bloch |
Il définit aussi d’une autre façon l’énergie qui permet à Camille Bloch SA d’être toujours à la pointe de l’innovation : "Je décline l’énergie de notre personnel en la rapprochant de la fameuse équation d’Einstein, E = mc2, m pour motivation, c pour compétences. C’est l’énergie qui nous permet de défier des concurrents 10, 100, 1000 fois plus gros que nous. Notre entreprise est par tradition portée par une vision audacieuse qui puisse entretenir la motivation, la responsabilité de nos collaborateurs dans une belle cause. Avec cette énergie-là, les problèmes n’en sont jamais, ils sont une opportunité de progrès." (7)
L’entreprise a investi dans un projet appelé "Authenti-Cité" qui comprend un centre visiteur pouvant accueillir jusqu’à
100 000 visiteurs par an. Son inauguration a eu lieu en 2017.
Depuis 2020, l’entreprise vend également des noisettes et des
amandes enrobées sous la marque "So Nuts".
La famille Bloch vu par Rolf (8-9)
Les PDG de Camille Bloch SA, courtes biographies
Marqué dans son enfance par les terribles échos de la Nuit de Cristal et les récits des juifs réfugiés en Suisse durant la seconde guerre mondiale, Rolf Bloch prend conscience de sa chance "imméritée", de son devoir de mémoire et d’action devant les injustices et discriminations. Raison pour laquelle il étudie le droit à l’Université de Berne et obtient un doctorat en 1954. En 1959, il prend la direction de la fabrique de son père, parvient à diversifier la production, à consolider l’entreprise et à assurer sa compétitivité durant les crises. Proche de ses ouvriers, il maintient tout au long de sa carrière une éthique rigoureuse et cultive un esprit d’ouverture et de respect de l’autre.
Président de la Fédération suisse des communautés israélites de 1992 à 2000, il s’implique dans les négociations autour de l’épineux problème des fonds juifs en déshérence. En 1997, en tant que président du Fonds spécial en faveur des victimes de la Shoah dans le besoin, il se charge personnellement de la distribution des montants qui en sont issus dans tous les pays concernés.
Rolf Bloch a le sentiment de culpabilité du survivant, et évoque le sens de ses engagements comme une responsabilité et une obligation. Il rappelle que c’est en raison du privilège de sa trajectoire qu’il ressent le besoin de donner en retour. Il explique cela par une volonté de justifier le fait qu’il ait été épargné par le sort contrairement à certains de ses camarades jeunes qui ont été chassés de l’école et persécutés. L’industriel ressent leur malheur comme vécu en quelque sorte par procuration. Il réalise que ces victimes auraient pu être ses collègues ou voisins et souligne combien il est émouvant pour lui de se retrouver devant ces gens-là.
Il est également très engagé dans la communauté
juive en Suisse, mais aussi plus largement lors de la signature d’un
appel après la votation sur l’interdiction des minarets, ou encore
dans les conseils de soutien pour les sans-papiers à Berne, et en faveur
du droit d’asile.
En 2006, le conseiller fédéral Joseph Deiss, fera appel à
lui afin de mener une médiation lors du conflit social à Swissmetal.
Daniel Bloch (10)
Études de droit à Berne. Stages pratiques dans une étude
d’avocats bernoise ainsi qu’au tribunal administratif cantonal.
Examens d’État d’avocat à Berne en 1990. Il travaille
ensuite durant deux ans et demi comme assistant du directeur et responsable
du service juridique de la fabrique de papier d’Utzenstorf (SO) puis
fait un stage d’une année dans l’étude d’avocats
Thomas Re & Partners à New York. À son retour en Suisse,
en 1994, il intègre l’entreprise familiale dont il est nommé
directeur du département administratif en 1997 après avoir obtenu
un Master en Business Administration à l’INSEAD de Fontainebleau
près de Paris.
Dès 1998, il assume la présidence de la direction. Il est actuellement
CEO et président du conseil d’administration.
Daniel Bloch dans le bureau dans son grand-père reconstruit comme tel au sein de l'espace musée de la chocolaterie à Courtelary - © BNJ |
Daniel Bloch a publié en 2017 un ouvrage : Creating Passion. Du saut de la grenouille. Dans ce livre il nous dévoile quels sont les facteurs cruciaux qui amènent une entreprise à la réussite et, souvent, ce n’est pas par l’application des dogmes de la gestion. Au contraire, Daniel Bloch montre que la différence fondamentale, c’est la créativité et la passion qui permettent aux petites entreprises de trouver la force nécessaire pour se situer à l’avant-garde sur le marché. Dans un style décontracté, il raconte certains épisodes vécus dans son travail, qui ont débouché sur un grand projet d’avenir. Par cette approche, et en portant son regard au-delà des simples questions économiques, il propose un nouveau concept pour l’esprit d’entreprise, proche de l’humain et facteur de succès.
Sources :