Eloge prononcé dans la séance du 1er décembre 1992. Les auteurs expriment leur gratitude à M. G. Cahen dont le rapport sur la candidature de M. Robert Weil en 1977 leur a fourni une précieuse documentation.
Un de ses oncles, Ernest Weill, grand rabbin de Colmar, fut une des figures de proue du rabbinat français dans l'entre deux guerres, mais Robert Weil comptait encore bien d'autres membres distingués dans sa famille, pour ne citer que le docteur Joseph Weill, personnalité médicale réputée à Strasbourg et président honoraire du Consistoire israélite du Bas-Rhin, l'avocat Robert Weil, le grand rabbin honoraire du Bas-Rhin Abraham Deutsch. Il était par ailleurs le petit cousin du grand rabbin de la Moselle Nathan Netter.
Elève du lycée Kléber à Strasbourg, où il eut notamment comme condisciples André Neher, professeur de littérature hébraïque à l'université de Strasbourg, puis de Jérusalem et Robert Weyl, historien des juifs d'Alsace, qui a consacré une émouvante notice à son ami dans Echos Unir, Le Journal des communautés israëlites du Bas-Rhin (mars 1992, n° 92). Il fréquenta aussi pendant ses vacances, pour approfondir ses connaissances religieuses, la Yeshivah, l'école talmudique de Montreux en Suisse. Ayant obtenu son baccalauréat en mathématiques élémentaires en 1930, il s'inscrivit aussitôt à la faculté des Sciences de l'Université de Strasbourg. Il y fit de brillantes études sanctionnées en 1933 par la licence ès sciences physiques. Elève du professeur André Chrétien à l'Institut de chimie de Strasbourg, il obtint en mai 1935 le diplôme d'études supérieures de sciences physiques. La même année paraissait dans le Bulletin de la Société chimique de France une communication faite en commun avec son maître.
Ses études profanes achevées, Robert Weil décida de développer son savoir religieux acquis sous la direction de son cousin le grand rabbin Deutsch. Aussi à la rentrée de 1935 se rendit-il à Paris, où tout en enseignant à l'Ecole Maïmonide, il suivit les cours du R. P. Edouard Dhorme, traducteur de la Bible, au Collège de France, de Maurice Liber et de Marcus Cohn à l'Ecole pratique des hautes études et à l'Ecole rabbinique. Il s'y perfectionna ainsi en matière de sciences bibliques et de philologie hébraïque et araméenne.
L'année suivante il mit un terme à sa vie d'étudiant. Il avait renoncé à préparer l'agrégation en raison du strict respect du Shabath. Il postula donc son premier poste dans l'enseignement secondaire. Nommé professeur adjoint au lycée de Sarreguemines à la rentrée de 1936, il est affecté deux ans plus tard comme professeur à l'Ecole pratique et de commerce de Sarreguemines. Il n'avait aucune attache avec cette ville et pourtant il y restera pendant près de 45 ans, sauf pendant les années tragiques. Il est vrai qu'il y fait la connaissance de celle qui deviendra en 1938 son épouse, Olga Spingarn, d'une famille de commerçants, originaire de Cracovie, établie à Sarreguemines et descendant par les femmes d'un doctrinaire célèbre du judaïsme, Moïse ben Samuel Schreiber, dit le Hatam Sofer, et de son fils Simon, rabbin de Cracovie. De cette union naîtront deux filles, Ruth à Neuilly-sur-Seine en 1939 et Danielle-Juliette à Vichy en 1942.
En septembre 1939 lors de l'évacuation de Sarreguemines, les familles Spingarn et Weil s'établirent d'abord à Angoulême, puis à Brives dans la Dordogne, tandis que R. Weil était nommé professeur en octobre 1939 à l'Ecole des officiers mécaniciens de marine à Boulogne-sur-Mer. Réformé en 1936, il fut néanmoins reconnu apte au service armé le ler avril 1940 et suivit les cours d'élève-aspirant à Auxerre. Fait prisonnier à Romilly-sur-Seine le 15 juin, il s'évada en août et gagna aussitôt la zone sud. Empêché par le statut des juifs publié par le gouvernement de Vichy en août 1940 de reprendre sa place dans l'enseignement public, il va désormais se consacrer au sauvetage des plus menacées des victimes de la persécution raciale. Sous l'égide de la section française de l'organisation juive internationale de l'OSE, l'Œuvre de secours aux enfants, des maisons d'accueil furent créées en divers points de la zone sud pour prendre en charge les enfants privés de leurs parents par les rafles. Le Dr. Joseph Weill, directeur médical de cette organisation et par ailleurs cousin de Robert Weil, lui confia en 1941 en tant que délégué pédagogique la direction de l'une d'entre elles à Brout-Vernet dans l'Allier. L'année suivante, Robert Weil, à la demande du Consistoire central israélite replié à Lyon, accepta en outre la charge de délégué itinérant pour la région de Pau et les camps d'internement de Gurs et de Rivesaltes. Sa mission qui comportait d'énormes dangers, consistait essentiellement à transmettre aux internés ou aux transfuges des nouvelles de membres de leurs familles, internés ailleurs, à les pourvoir en menues fournitures, argent, faux papiers et fausses cartes d'alimentation, et aussi à diffuser les circulaires secrètes du Consistoire central aux responsables des communautés et les informations sur les autorités et les personnes susceptibles d'apporter un soutien.
En juillet 1942 quelques dirigeants de l'O.S.E. prirent conscience que l'occupant préparait la déportation des enfants dont ils avaient la responsabilité. Ils jugèrent qu'il était prudent de fermer un certain nombre de foyers et de disperser leurs pensionnaires en des lieux plus sûrs. C'est la tâche à laquelle s'attela Robert Weil à Brout-Vernet, mais recherché par la Gestapo, il dut quitter la région. En septembre 1943 faisant encore une fois la preuve de son dévouement à une noble cause il reprit la direction d'une autre maison d'enfants à Saint-Paul en Chablais en Haute-Savoie, mais en mars 1944 les S.S., qui poursuivaient les maquis de cette région, incendièrent en guise de représailles le village de Bernex proche de Saint-Paul en Chablais et se présentèrent au foyer de l'O.S.E. Son directeur avait heureusement pu évacuer la centaine de pensionnaires et les mettre à l'abri à Grenoble, Limoges, en Suisse ou les confier à des résistants, des prêtres et des pasteurs. Robert Weil essaya à son tour de traverser la frontière pour gagner la Suisse avec sa famille. Il eut par contre moins de chance. Le 29 avril 1944 ils furent arrêtés près d'Annemasse et conduits à la prison de la Gestapo de cette ville.
Mais Robert Weil connut encore des épreuves bien cruelles lorsque devant l'avance des troupes soviétiques les nazis évacuèrent le 18 janvier 1945 les détenus d'Auschwitz vers le camp de Grossrosen près de Breslau, puis du 7 au 10 février vers le camp de Buchenwald, à chaque fois par marches forcées et par une température glaciale. Au cours de cette marche dramatique Robert Weil sauva plusieurs de ses camarades. A Buchenwald les rescapés furent parqués dans le petit camp, où régnait un chaos total, mais là encore grâce à l'intervention d'universitaires strasbourgeois arrêtés à Clermont-Ferrand en novembre 1943, dont son ancien professeur de chimie organique Albert Kirrmann et Hermann Hering, ancien chef des travaux pratiques, il put être admis au Grand camp, où existait une organisation concentrationnaire normale. Néanmoins quand le 11 avril 1945 à 11 heures du matin les troupes américaines du général Patton entrèrent à Buchenwald, il était dans un état de grande faiblesse. Il fut enfin rapatrié en France le 8 mai, jour de l'Armistice.
Robert Weil a eu le courage de relater dès 1957 dans la revue de la Fédération mosellane de l'U.N.A.D.I.F. (Union nationale des déportés, internés et familles de disparus) ce que fut son calvaire de déporté (Auschwitz, cauchemar d'un déporté, p. 31-37). Peu après son admission au sein de notre Compagnie il présenta une communication sur sa déportation et l'organisation concentrationnaire à Auschwitz, qui fut écoutée avec beaucoup d'émotion ("Mon séjour dans les camps de concentration allemands d'avril 1944 à avril 1945", dans Mémoires de l'Académie nationale de Metz, 1979, p. 111-130). Là encore il fit preuve d'un étonnant souci d'objectivité. Dans sa conclusion il soulignait que l'histoire des camps de concentration illustrait la dualité de l'être humain, l'horreur et la déchéance dans lesquelles il pouvait s'anéantir, mais aussi l'héroïsme dont il pouvait faire preuve dans les pires conditions d'esclavage pour maintenir sa dignité et son attachement aux valeurs de la civilisation. Le texte de cette communication fut repris dans une brochure à tirage limitée publiée en 1990 (Témoignages, Metz, 1990, p. 9-35). Robert Weil y ajouta une Approche d'une Théologie après la Shoah (p. 37-51), qui rassemble les opinions d'écrivains, philosophes et théologiens sur les raisons du génocide des Juifs pendant la seconde guerre mondiale.
Dans la conclusion de son premier récit de déportation Robert Weil avait écrit :
"si tout était perdu, une seule chose restait : l'esprit, le goût de la connaissance que personne ne pouvait ravir, l'amour du beau, du bon et du vrai, une infinie pitié pour l'homme, un grand espoir, la certitude absolue où nous étions que même si notre forme périssable retournait à la poussière avant son heure, un jour viendrait où à nouveau l'esprit soufflerait et renverserait ces idoles monstrueuses".
C'est certainement ce formidable idéal qui avait permis à Robert Weil de reprendre une existence normale, malgré le délabrement de sa santé - il subira en 1991 une importante intervention chirurgicale - et la ruine de son foyer.
Dès la rentrée d'octobre 1945 il reprit avec beaucoup de courage son enseignement au lycée Jean de Pange de Sarreguemines. Il y gagna rapidement l'amitié de ses collègues, qui l'élirent constamment à partir de 1948 au conseil d'administration et de discipline, où il défendit avec fermeté l'intérêt des élèves et des professeurs, parfois contre l'avis de l'administration. Pendant vingt ans de 1947 à 1967 il fut aussi président de l'Amicale des professeurs de l'établissement. Convaincu de l'importance des matières qu'il enseignait, la physique et la chimie, il exigeait beaucoup de ses élèves. Très autoritaire, il était néanmoins respecté d'eux, en raison de son passé de déporté et de ses connaissances pluridisciplinaires, qu'il n'hésitait pas à leur faire partager. Ses élèves appréciaient ses discussions philosophiques ou littéraires, qu'il entamait, même parfois pendant ses cours. Robert Weil ne manquait pas de soutenir des élèves en difficulté, mais par contre son intégrité l'amenait à être d'une extrême sévérité envers ceux qui commettaient une indélicatesse ou une fraude. A son départ en retraite en 1974, il reçut la distinction de l'honorariat.
En épousant en 1947 sa belle-sœur Fanny Spingarn, Robert Weil reconstitua un foyer. Sa seconde épouse, une femme d'une grande douceur et d'une grande générosité, lui apporta l'appui dont il avait besoin après les épreuves de la déportation. Elle lui donna en 1948 un fils Alain, que son père eut la joie de voir accéder au rabbinat, d'abord à Clermont-Ferrand, puis à Strasbourg. En 1986, Robert Weil quitta Sarreguemines pour Strasbourg, afin de se rapprocher de son fils et de ses petits-enfants, mais la brutale disparition trois ans plus tard, de son épouse, l'affecta énormément. Il ne s'en remit pas en dépit de l'affection de sa famille proche et de ses amis. Ayant subi une grave opération à la fin de 1991, il décéda à Strasbourg le 30 janvier 1992, après plusieurs semaines de souffrance. L'inhumation eut lieu au cimetière israélite de Sarreguemines. Au cours de la cérémonie le rabbin de Sarreguemines Claude Fhima rappela avec beaucoup d'émotion la vie mouvementée du défunt en insistant particulièrement sur l'intensité de sa foi et au nom de l'Académie nationale de Metz M. Henri Hiegel lui rendit un dernier hommage.
Aussi n'est-il pas étonnant qu'il fit à notre compagnie plusieurs communications pour évoquer les figures et les œuvres du philosophe autrichien Martin Buber, qui enseigna à Francfort jusqu'en 1933, puis à Jérusalem à partir de 1938 "(Martin Buber (1878 à 1945)", dans Mémoires de l'Académie nationale de Metz, 1979, p. 89-93), de l'écrivain genevois Edmong Fleg, établi à Paris, dont l'influence sur les milieux intellectuels et spirituels avant et après la seconde guerre mondiale fut considérable ("Edmond Fleg, écrivain juif de langue française", dans Mémoires, 1983, p. 125-133) et du poète de langue hébraïque, d'origine russe Hayim Nahman Bialik, fixé à Berlin après 1921, puis à Tel-Aviv ("Hayim Nahman Bialik, poète de la renaissance de la langue hébraïque", dans Mémoires, 1986, p. 109-127). Le centenaire de la naissance d'Albert Einstein en 1980 lui donna l'occasion de faire une communication sur la vie et la pensée de ce grand savant ("Albert Einstein, sa vie, sa pensée", dans Mémoires, 1980-1981, p. 166172). Il avait également préparé une communication sur le rabbin Moché ben Maïmon dit Maïmonide, né à Cordoue au 12ème siècle, fixé au Maroc, puis en Israël et en Egypte, et son œuvre théologique, philosophique et médicale, mais il n'eut malheureusement plus le temps de la présenter.
Robert Weil n'était pas qu'un scientifique. C'était aussi un érudit hébraïsant de valeur. A ce titre il avait collaboré de 1973 à 1981 à une œuvre collective entreprise par le rabbinat français sous la direction du grand rabbin Ernest Guggenheim, la traduction française du Talmud, compilation de la "loi orale juive", et plus précisément la traduction de la partie doctrinale, la Michna. Il assura donc la traduction commentée de plusieurs traités concernant la jurisprudence civile et pénale et le droit matrimonial. Il fut aussi le traducteur de la Lettre sur le calendrier hébraïque de Maimonide , qui avait été éditée en 1849 à Metz aux éditions J. Mayer et traduite en allemand en 1902, mais jamais en français). Robert Weil était par ailleurs souvent sollicité pour faire des conférences dans le cadre des Amitiés judéo-chrétiennes.
Il avait été élu en 1962 membre du Consistoire israëlite de la Moselle et en 1966 vice-président de cet organisme où il fut plus particulièrement le porte parole des communautés juives de l'Est mosellan. Il représentait fréquemment le président du Consistoire à Paris ou à Strasbourg. L'entretien des cimetières juifs de l'Est mosellan lui tenait à coeur. Il avait accepté de retracer l'histoire des juifs de la région de Sarreguemines dans l'ouvrage de Joseph Rohr, Sarreguemines et son arrondissement (Sarreguemines, éd. Pierron, lège éd., 1949 p. 158-160 ; 2e éd., 1966, p. 125-127 ; 3e éd., 1978, p. 123-125 ; repris dans Inauguration de la nouvelle synagogue de Sarreguemines, ler mars 1989, p. 8-10). Après son départ de Sarreguemines il fut nommé vice-président honoraire du Consistoire de la Moselle. Robert Weil était particulièrement scrupuleux dans l'accomplissement de ses devoirs religieux. Aussi les grands rabbins Jacob Kaplan et Ernest Guggenheim lui avaient-ils décerné le titre de Haver. Mais il était aussi d'une grande tolérance envers les autres confessions religieuses et au lycée de Sarreguemines il entretenait les meilleures relations avec l'aumônier catholique l'abbé René Stock et l'aumônier protestant le pasteur Edouard Helmlinger. Il fut souvent le représentant de la communauté juive aux cérémonies des paroisses catholiques et protestantes.
Robert Weil avait joué dès son retour de déportation un rôle actif dans les associations de déportés. Il mit sur pied la section de Sarreguemines de l'U.N.A.D.I.F., dont il était président d'honneur. Il avait accueilli à Sarreguemines de nombreux déportés de haut rang, comme en 1948 le R.P. Riquet. Des ecclésiastiques déportés étaient devenus ses amis, tels le chanoine François Goldschmitt, curé de Rech, déporté à Dachau et l'abbé Jean Seelig, archiprêtre de Rohrbach-lès-Bitche, déporté à Sachsenhausen et Dachau. Lorsque ce dernier, décédé en 1973, fut hospitalisé à Sarreguemines, son ami Robert Weil lui rendit régulièrement visite.
Plusieurs distinctions avaient récompensé son passé de résistant et de déporté et son activité d'enseignant. Il avait été fait chevalier de l'ordre du Mérite en 1969, commandeur des Palmes académiques lors de son départ en retraite. En 1985, le professeur Stourzé, président de l'Association indépendante des déportés, vint lui remettre à la synagogue de Sarreguemines la Légion d'honneur au titre du Ministère des Armées. Déjà titulaire de la médaille du déporté résistant et du combattant volontaire de la Résistance, il s'était vu décerner en 1979 la médaille militaire avec croix de guerre pour faits de résistance et le sauvetage d'enfants juifs. Il était fier de ces distinctions, mais il pouvait l'être.
Malgré les épreuves qu'il avait subies et ce jusqu'à la fin de sa vie, Robert Weil était toujours resté extrêmement affable. Son humour, parfois un peu mordant, cachait en fait un tempérament chaleureux et un coeur généreux. La noblesse de ses sentiments, car il détestait les compromissions et il ne se gênait pas d'exprimer ses opinions, ne pouvait que susciter l'estime de tous ceux qui avaient eu l'honneur de le connaitre. Il savait faire partager ses joies intellectuelles et familiales à ses nombreux amis, qui appréciaient aussi ses conseils toujours avisés. Il était infiniment reconnaissant à ceux qui lui avaient rendu des services, particulièrement à ceux qui l'avait aidé à rétablir sa santé et à retrouver un équilibre moral, et à ceux, qui comme lui, combattaient l'antisémitisme, dont la résurgence le chagrinait beaucoup.
Robert Weil, qui restera une noble figure du judaïsme en Alsace et en Moselle, était heureux et fier d'appartenir à notre Compagnie, comme en témoigne le titre "membre de l'Académie nationale de Metz", qu'il fit figurer sur la brochure Témoignages. Que son souvenir demeure vivace au sein de notre Compagnie.