Poèmes
d'André Spire

Au Peuple
Oh ! N'inventons plus de système !
J'écrivais
Le Messie
Ma barbe n'était pas encore blanche
Écoute, Israël
Exode
Poussières
Rides
Matin
Il y a
Personne
Des Ordres
Retour
Novembre
Possession
Henriette
Anémones
Mots
Dans le lambris
Tu diras plus tard
Miettes
Non !
Tu ne me parles plus, Loire

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poussières

POUSSIÈRES, poussières d'étoiles
Qui flottez dans les intermondes!
Et les forces qui se veulent et s'appellent.
Et l'ordre et le désordre qui se mêlent.
J'ai voulu la justice!

Les nuages vont, se défont, galopent, s'écoulent, s'écroulent
Sur les oiseaux et les hommes qui volent,
Sur les sèves qui montent, sur les germes qui tombent,
Et sur nos corps insatiables
Où nos âmes montent et retombent...

Et j'ai voulu la paix !

(Et j'ai voulu la paix ! 1916.)

rides

CHÈRE tête, te souviens-tu de nos jeunes soirées?
Nous rêvions, la fenêtre ouverte.
Sur la route, grinçaient les brouettes
Des paysannes qui rentraient.
La chaîne du puits sonnait.
Et, du vieux mur, fleuri de valérianes roses,
Montaient, dans la lumière orange,
Le chant du merle et le cri des mésanges.

Nous la tenions dans nos paumes,
L 'heure immobile, le sublime Présent,
Dans nos paumes moites de printemps tiède,
Et dans nos doigts entrelacés.

Mais je pensais :
Pauvre amie, ses cheveux vieillissent;
Toi, regardant un fil blanc sur ma joue,
Tu te disais : un jour, sa barbe sera blanche;
Moi, dans ta fossette pleine d'ombre,
Je voyais le pli invisible
Qui devait se creuser en ride.

Chère tête, Par la fenêtre ouverte,
Monte le bruit des pas des paysans qui rentrent;
La chaîne du puits sonne comme tous les soirs;
Et, du vieux mur, fleuri de valérianes roses,
Montent dans la lumière orange,
Le chant du merle et le cri des mésanges.

Chère tête blanche,
Que je tiens ce soir dans mes mains plus lentes,
Je songe à tes cheveux dorés...
Tu songes à mon jeune visage...
Tes rides, je ne les vois plus.

(Le secret, 1919)

matin

LE gars balance la pompe.
La fille balaye le seuil.
Le vent remue le rosier.

Le bon chien jappe, la porte s'ouvre.
Sur les branches du tamaris
La mésange craque son cri sec.

Les pots de la laitière sonnent.
Le boulanger pose son pain.
Un bras nu pousse le volet.

Dans le ciel déchiqueté d'arbres
Un nuage mauve s'effiloche...
Des gouttes tombent sur le jardin.

(Le secret, 1919)

il y a

PAUVRES, Qu'est-ce que j'ai à vous dire?
Je vous aimais.
Mes livres, mon Dieu, m'avaient parlé de vous.
Je suis parti vers vous pour vous porter ma force.
Mais j'ai vu vos dos ronds, vos genoux arqués,
Vos yeux de chien battu qui guettaient ma main.
Qu'est-ce que j'ai à vous dire?
Il y a votre paume creuse entre nous.

Riches, Qu'est-ce que j'ai à vous dire?
Je vous aimais.
Mes poètes, mes peintres m'avaient parlé de vous.
Je suis parti pour vous porter mes chants.
J'ai vu vos cols glacés sur vos cous raides,
Et vos yeux qui guettaient ma main,
Ma main trop peu obéissante.
Qu'est-ce que j'ai à vous dire ?
Il y a vos yeux vides entre nous.

Femmes, Qu'est-ce que j'ai à vous dire?
Je vous aimais.
Je suis parti pour vous porter mon front.
Vous discutiez avec votre lingère.
Vous avez promené un tube sur vos lèvres,
Et vos yeux n'ont pas vu ma main,
Ma main tremblante.
Femmes, Qu'est-ce que j'ai à vous dire?
Il y a trop de rouge gras entre nous.

Enfants, Qu'est-ce que j'ai à vous dire?
Je ne suis pas parti vers vous.
Aucun de vous n'a fatigué mes bras ni mes genoux.
Aucun de vous n'a détourné ma main qui écrivait
Et n'a jeté de l'encre sur ma page.
Enfants, petits enfants, Qu'est-ce que j'ai à vous dire?
Il y a trop de baisers, pas donnés, entre nous.

(Le secret, 1919 )

personne

AH ! je n'ai pas d'enfants.
Des gens, à trogne rouge, aux ongles sales,
Mangeront et boiront près de ma bière ouverte.
Personne ne veillera, tentant de retenir
Le timbre de ma voix et l'accent de mes gestes.

Personne ne repassera, l'une après l'autre,
Les dates de ma vie mélangées à la sienne,
Et ne dira : il avait tant d'années quand je suis né,
Il était jeune encore quand j'ai fait ce voyage.

Personne ne fera la balance
Du mal et du bien que je lui aurai faits,
Puis, effaçant toutes mes injustices et mes colères,
Ne dira simplement :
Je l'aimais, il m'aimait.

Personne n'ouvrira ma porte toute grande,
Ne sentira sa main prise dans cent mains molles,
Et ne verra des faces qui souriaient se composer.

Personne ne descendra, une à une, les marches,
Ne passera au milieu d'une foule bavarde,
Ne butera dans l'herbe et, quand ses pieds
Enfonceront dans de la glaise grasse,
Ne serrera les dents,
Ne crispera les lèvres.
Personne ne s'assoira devant ma table,
N'ouvrira mes cahiers,
Et, feuilletant mes livres,
Ne trouvera tout à coup une marque
Que j'aurai faite pour lui.

Personne ne dira au jardinier:
Vous planterez ce frêne,
Vous taillerez ce buis,
Vous irez arroser une fois par semaine,
Et ne viendra de plus en plus pressé
M'apporter des bouquets de plus en plus petits.

Et toi, ma pierre,
Ma chère pierre de calcaire gélif,
Personne ne viendra te remettre debout,
Lorsque les églantiers
Te pencheront vers les fraisiers sauvages,
Quand le lierre des bois t'étreindra dans ses tiges,
Et, quand ses griffes
Te tireront, poussière, vers ma poussière.

(Le secret, 1919)

des ordres

J 'AI tant aimé de choses :
Chemins creux et villages,
Scarabées confiants, qui trottiez sur ma main,
Rayés de rouge et vert, comme un jouet d'enfant,
Et vous ruisseaux chantants;
Et vous, herbes si hautes,
Qu'étendu parmi vous, vous me cachiez le ciel ;

Le tilleul parfumé, avec le banc au pied,
Et la fontaine, et l'auge toujours pleine,
Et, sur le roc, au bord du lac, les chèvres;

Et le pâtre qui corne dans la rue principale,
Et les vaches, avec leurs cloches mélancoliques
Comme les bruits brouillés qui imitent la pluie

Dans une ouverture d'opéra romantique;
Les montagnes de pierre plaquées de prés et de sapins,
Et tachetées de chalets et de granges,
Avec, au meilleur point, exposé au midi,
L'hôtel de premier ordre;

Et toi, lac aux flancs bleus, Aux eaux si solennelles
Que, lorsque je regarde tes herbes qui s'enfoncent,
Je crois à tous les dieux!

Et toi, lune inlassable,
Et l'étoile du soir, " messagère lointaine ",
Et le vent qui s'apaise,
Et les parfums qui montent
Vers le clinquant des astres qui s'allume là-haut,
Et Chateaubriand, et Rousseau !...

Si vous saviez combien plus multiple que vous
Est celle qui, dans les villes,
Ne soulève jamais vers vous ses yeux mobiles,
Et qui ne sait ni voir, ni juger, ni penser,
Mais qui agite incessamment ses lèvres peintes,
Celle qui pleure, et sourit et rit et vernit ses ongles et met au monde,
Et qui, malgré nos vœux, nos remords, nos dégoûts,
Serrés dans les métros,
Empilés dans les salles,
Ballottés par les foules,
Avec ses jupes droites, ou bouffantes, ou collantes,
Avec son teint, la chaleur de son corps, et ses hanches,
Nous apporte des ordres venus on ne sait d'où.

(Le secret, 1919)

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