Les origines
La décision de l'empereur Charles-Quint d'expulser tous les Juifs de la Prévôté impériale de Kaysersberg en 1521, semble être restée lettre morte à Wintzenheim, malgré le privilège de non tolerandi Judaeis octroyé à la commune. Il est vrai que le Bourg relevait en partie de la seigneurerie de Holandsberg : les Juifs ont peut-être profité de la division du village en deux parties dépendant de seigneurs différents. En 1519, la bailli impérial de Kaysersberg et le comte de Lupfen, seigneur de Hohlandsberg, s'étaient d'ailleurs disputé la juridiction sur les Juifs du bourg et les revenus qui y étaient attachés.
Quoi qu'il en soit, Meyer était toujours domicilié à Wintzenheim en 1522. Il n'était pas riche, puisqu'il n'avait même pas les moyens de se défendre devant le tribunal colmarien dans une affaire qui l'opposait à un de ses créanciers cette année-là. Le document de 1517 qui le mentionne pour la première fois laisse supposer qu'il était prêteur sur gages. D'après le témoignage de sa fille Jedlin en 1555, Meyer avait été le "premier bourgeois juif (Judenburger) de Wintzenheim", les autres que nous avons cités n ‘ayant sans doute fait que passer. Il devait relever de la Prévôté de Kaysersberg puisque sa fille et son mari furent admis par le baron Jacques de Morimont-Belfort, bailli impérial (Landçogt). Selon un témoignage ultérieur, les deux seigneurs du village se mirent d'accord en 1535 et 1554 pour limiter à quatre familles, le nombre de Juifs tolérés à Wintzenheim.
En 1540, Gabel (Gabriel), Mennle et Meyger firent renouveler leurs sauf-conduits (Geleit) par la Régence autrichienne d'Ensisheim. En 1555, les quatre "bourgeois juifs" du bourg s'appelaient Mennel (Mena'hem), Heim (Hayim), Sieskind (équivalent de Mordekhai) et Schmoll (Samuel). La même année, la sœur de Hayim, Bliemlin, fille de Dodorus, sollicita l'autorisation de s'établir à Wintzenheim avec son mari Gottschalk, en promettant "de ne gagner leur vie qu'en s'occupant de l'école juive" (allein von der Schulen uns erhalten). Gottschalk et Goetzel étaient donc maîtres d'école et peut-être même rabbins (Judenschule signifiant à la fois "école juive" et synagogue en allemand). Les autres juifs du bourg vivaient du commerce de l'argent comme le prouvent les nombreux procès contre leurs débiteurs colmariens que le tribunal aulique de Rottweil conclut en dernier recours entre 1556 et 1573, procès qui aboutissaient souvent à la mise au ban de l'Empire des débiteurs en question.
En 1562, Gottlieb, son épouse Breunlé, et son beau-frère Isaac de Wintzenheim assistèrent à une circoncision à Haguenau : ce Gottlieb (alias Götzel ?) était-il mohel (circonciseur) ? L'historien Scherlen mentionne à la même époque (1569) un Juif du village qui était célèbre pour ses talents de guérisseur.
Un embryon de communauté au 17e siècle
Au 17e siècle, les Juifs de Wintzenheim exerçaient le métier de maquignon ou marchand de chevaux. La guerre de Trente Ans rendait ce commerce lucratif. Ainsi, en 1625, Götschel fit citer devant un tribunal seigneurial un certain Hans Meer, suite à un troc de chevaux (Rosstausch). En 1627, le même avait un différent avec le gouverneur du château du Hohlandsbourg, Jean-Guillaume Escher von Binnigen, au sujet de la vente de deux chevaux. En 1624, son coreligionnaire Schay fut condamné à une amende pour avoir fait citer trois fois, contrairement à l'usage, des Colmariens à qui il avait vendu du fumier. Une requête adressée à la ville de Colmar par les Juifs de Wintzenheim, Wettolsheim et autres lieux à la même époque, nous apprend que les Juifs avaient le droit de se livrer au commerce des chevaux devant la Porte de Theinheim à Colmar, là où se trouvait jusqu'en 1444 le cimetière juif de la communauté israélite de Colmar, dissoute au 15e siècle. Ils y achetaient aussi aux Colmariens les agneaux et autres "bêtes à fourrure" nécessaires à leur consommation.
Dès la première moitié du 17e siècle, les Juifs de Wintzenheim étaient propriétaires de leurs maisons. En 1627, Getschel porta plainte contre son voisin chrétien qui avait renversé la clôture qu'il avait érigée avec des planches. Une requête de la communauté juive de Wintzenheim de 1730 rappelle ce droit de propriété :
Dans son article : Juifs errants à l'époque de la guerre de Trente Ans le Dr Moïse Ginsburger cite plusieurs Juifs de Wintzenheim qui acquittèrent des droits de péage à Bergheim entre 1621 et 1623 : Samuel, Getzel, Schay, Marx, Zodig, Moschel, Gerst et Mathis, "à cheval", Rehle (Rachel) Hitzig et Blimlin "à pied". Le 1.6.1623, Moschy de Wintzenheim déclara au péager : 2 quintaux de "plumes (de matelas)", 1 qu. d'étain, 6 livres d'argenterie et 3 qu., d'ustensiles de cuisine. Mathis, Moschel, Sanvil, Meyer et Bliemlin la Juive sont qualifiés de "Juifs mendiants" dans les comptes de péage. Contrairement à ces derniers, Goetschel et Schay étaient relativement aisés : le premier employait un précepteur (Schulmeister) qui enseignait la Tora à son fils ; le second avait un valet. En 1625, le "maître d'école du garçon" et le valet furent condamnés à une amende pour s'être tirés par les cheveux (gerupft). En 1623, Abraham et Anschel (?), fils de Mardochée (Marx?) de Wintzenheim, possédaient une magnifique hagada enluminée (actuellement conservée à la Bibliothèque nationale), ouvrage rédigé par un copiste du nom d'Abraham fils de Moïse Landau Schalit.
Pendant la période la plus sombre de la "guerre suédoise", il semble que les Juifs de Wintzenheim aient quitté le bourg pour se réfugier dans les villes ou à l'étranger. En 1664-1665, il n'est plus question que "du Juif" du bourg (il était donc seul) à propos d'une taxe qu'il paya "à cause de sa vache". En 1669 et 1679, il n'y avait encore que deux familles juives à Wintzenheim. En 1669, l'un d'eux, Goetschel, fut roué de coups sur le chemin de Niedermorschwihr parce qu'on lui reprochait d'avoir vendu des grains de mauvaise qualité. En 1681, il y avait de nouveau quatre chefs de famille comme au 16e siècle. L'un d'eux, Moyse, voulut s'établir à Turckheim : il acheta pour 500 florins à "Gyssle" (Gostschle) de Wintzenheim, une maison que celui-ci y possédait, mais il n'obtint pas le droit de résidence (Turckheim ne rouvrira ses portes aux Juifs qu'en 1701). Le vendeur ne put revenir sur la vente car il avait commencé à construire une nouvelle maison à Wintzenheim, son ancienne maison étant sans doute en ruine après la guerre.
En 1683, le mohel itinérant Simon Blum, dont le ressort s'étendait d'Allschwil à Wintzenheim, circoncit un fils de "Koschel Segal" alias Moïse Lévy de Wintzenheim, sur les genoux de son propre beau-frère Marem, qui devait habiter dans le même bourg. En 1714, le fils du même rabbin circoncira un petit-fils de Moïse et lui donnera les prénoms du grand-père (alors décédé), "Mosché dit Koschel", comme le voulait la tradition. En 1687, le rabbin Blum circoncit encore Isaac dit Eisik, fils de "Samuel Wintzenheim". Ce dernier avait un beau-frère prénommé Marx (1681). Les noms de famille ne seront employés couramment qu'au 18e siècle.
Essor de la communauté au 18e siècle
La petite communauté qui s'était reconstituée au lendemain des guerres de Trente Ans et de Hollande s'agrandit rapidement au siècle suivant, comme le montrent ces chiffres, fournis par la commune au 18e siècle:
1698 : 9 familles - 1710 : 19 - 1719 : 24 - 1730 : 30 - 1762 : 51 - 1780 : 73
D'après le Dénombrement général des Juifs tolérés dans la province d'Alsace, en 1784, la communauté de Wintzenheim était la plus grande communauté juive d'Alsace. Elle comptait 87 familles composées de 417 individus. Sur ces 87 familles, 79 habitaient dans la partie du village dépendant de la Prévôté impériale de Kaysersberg, la ci-devant Reichsvogtei ; les 8 autres relevaient de la ville de Colmar, qui avait fait l'acquisition de la seigneurie de Hohlandsberg en 1714.
Les chrétiens de Wintzenheim, inquiets de cette évolution numérique de la population juive, avaient tenté de s'opposer à la multiplication des ménages juifs en demandant en 1730 la réduction de leur nombre à quatre ménages "ainsi que d'ancienneté". Dans son Histoire des Juifs d'Alsace, Elie Scheid publié la réponse de la communauté juive à cette initiative.
Elle rappela qu'elle avait payé 210 livres d'impôts en 1728, contre seulement 150 six ans auparavant. Malgré ce plaidoyer, le Conseil Souverain d'Alsace avait partiellement satisfait les chrétiens du bourg en faisant défense aux deux seigneurs de recevoir aucun juif étranger à l'avenir à Wintzenheim et aux Juifs déjà établis d'y faire aucune acquisition nouvelle d'immeubles (Arrêt du 19 décembre 1732). En 1756, lorsque Goetschel Netter de Fort-Louis, originaire de Bouxwiller, sollicita la permission de s'établir à Wintzenheim, après y avoir épousé la belle-fille du préposé Meyer Lévy, il essuya un refus (mais on le retrouve à Wintzenheim en 1766-1788, fermier de divers revenus seigneuriaux à Eguisheim, bourg qui dépendait de l'Évêché de Strasbourg).
En 1762, par souci d'apaisement, les Juifs du bourg demandèrent eux-mêmes le départ de Hirsch Kahn, fils d'un rabbin de Sultzburg (Bade), qui avait épousé la fille d'Alexandre Bloch et à qui la ville de Colmar avait permis de demeurer avec son beau-père (âgé) à condition de n'avoir pas d'économie séparée. Il fut lui aussi expulsé pour ne pas créer de précédent (1764). Toujours en 1762, plusieurs Juifs du bourg furent condamnés à se défaire des maisons qu'ils avaient achetées "au-delà de celles qu'ils étaient autorisés de posséder", en infraction à l'arrêt de 1732. C'est donc essentiellement à un taux de natalité très élevé que les Juifs de Wintzenheim devaient l'accroissement extraordinaire de leur population. C'est ce qui ressort du nombre réduit de noms de famille recensés en 1784 : les familles Lévy (29 familles) et Bloch (28) étaient les plus nombreuses, suivies des familles Wormser (15) et Bickert (6). Les Bloch de Wintzenheim jouissaient d'une grande réputation dans la région comme marchands de chevaux.
Organisation civile et religieuse de la communauté
L'organisation de la communauté était la même qu'ailleurs. A sa tête, il y avait un préposé ou "parness": Alexandre Bloch en 1730 (homme de "grande taille"selon un billet de protection qui lui fut délivré à l'âge de 62 ans), Isaac Lévy en 1753 (en 1750, il fut dévalisé et laissé pour mort dans un fossé par deux gardes suisses de Colmar, dont l'un fut exécuté sur la roue; mais "Isägel" ne mourut que huit ans plus tard, selon le chroniqueur Schmutz qui rapporte l'événement), Meyer Jacob Lévy entre 1754 et 1785 : Ce dernier participa à la rédaction du Cahier de Doléances des Juifs d'Alsace en 1789.
En 1784, le "commis rabbin" du bourg s'appelait Auscher Moyses Bloch : il était subordonné au rabbin provincial Sussel Mosche Enosch, élu par une assemblée de préposés à Wintzenheim le 13 juin 1753 et qui siégeait à Ribeauvillé (Wintzenheim ne sera le siège d'un grand-rabbin qu'au 19e siècle, jusqu'au transfert du Consistoire du Haut-Rhin à Colmar en 1824). Le prédécesseur d'Auscher Moyses Bloch semble avoir été son frère Meïr Mosche Bloch, cité comme rabbin de Wintzenheim en 1758. Leur père, le ‘Haver Moyse fils d'Alexandre, est cité comme rabbin dès 1734. Le contrat de mariage de Moyse Bloch, fils du "lettré Jacob dit Koppel", mentionne le grand-père du fiancé, "feu Moyse le Saint" (1776).
Le commis rabbin, élu par une assemblée de pères de famille, était assisté par un chantre ou ‘hazan. En 1719, Jacques Hirtzel, Vorsinger (chantre) de Wintzenheim, mais également colporteur et brocanteur, fut molesté à Turckheim. En 1784, Coschel Hirschel était chantre à Wintzenheim. Il exerçait ces fonctions depuis plus de vingt ans. D'après le contrat qu'il passa avec la communauté en 1768, il était également Schachter et touchait une certaine somme pour chaque animal abattu rituellement. En 1748, le "sacrificateur" de Wintzenheim était un certain Samson, fils du rabbin Abraham Tausk de Prague. Le Dr Ginsburger mentionne aussi un "ministre du culte" exorciste qui vivait à Wintzenheim au 18e siècle, et dont il avait retrouvé les formules magiques ; il s'appelait Meyer Hirsch. Le dénombrement de 1748 ne recense pas moins de huit "maîtres d'école" juifs à Wintzenheim : 6 Bloch et 2 Wormser. Nombreux étaient les Juifs de Wintzenheim qualifiés de "‘Haver" dans les contrats de mariage : ce titre honorifique n'était attribué qu'à des érudits versés dans la Torah, selon A.A. Fraenkel qui a analysé ces contrats.
Avec l'accroissement de la population juive du village au 18e siècle, il avait fallu construire une synagogue plus grande vers 1725. Le nouveau bâtiment attira malheureusement l'attention des autorités : le 1 février, le Conseil Souverain d'Alsace de Colmar rendit un arrêté ordonnant sa démolition, de même que celles de Hagenthal et Biesheim, "construites par les Juifs sans y avoir été autorisés". Théoriquement, les Juifs n'avaient le droit de se réunir pour leur culte que dans une pièce d'une maison particulière. Une nouvelle synagogue, sans doute plus discrète que celle de 1725, fut apparemment construite en 1752, peut-être déjà sur l'emplacement de la synagogue actuelle. Un contrat de mariage de 1768 fait allusion à un asile de nuit (Schlofstätt), où les Juifs de Wintzenheim logeaient leurs coreligionnaires de passage : le père du fiancé Auscher Bloch, s'engagea à donner à son fils Moyse une participation aux revenus de cet établissement.
En 1795, pendant la Terreur, les Juifs de Wintzenheim ouvrirent leur propre cimetière en bordure de la route de Turckheim. Avant cette date, ils enterraient leurs morts au cimetière régional de Jungholtz. En 1738, Isaac Lévy et Goetschel Bloch de Wintzenheim faisaient partie du comité qui signa une nouvelle concession accordée par le propriétaire du cimetière, le baron de Schauenbourg. En 1799, c'est à Isaac Lévy de Wintzenheim que fut adjugé le château de Jungholtz dans les fossés duquel s'étendait la nécropole. La communauté de Wintzenheim participa au rachat du cimetière où reposaient ses ancêtres depuis le 17ème siècle (la plus ancienne stèle date de 1624).
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