SARREGUEMINES
WELFERDING
par Claude ROSENFELD et Jean-Bernard LANG
Extrait de HISTOIRE DES JUIFS EN MOSELLE, ed. Serpenoise 2001
(les sous-titres sont de la Rédaction du site)

La synagogue de Sarreguemines sur une carte postale ancienne - coll. © M. et A. Rothé
Très ancien lieu de résidence pour les Juifs puisqu'on en cite un (un certain Karpelou) autorisé à y séjourner moyennant cent sous en 1336. D'autres apparaissent çà et là, au cours des 14 et 15e siècles, dans des actes des ducs de Lorraine ou des comptes de Nassau-Sarrebruck. Ils sont cependant frappés par l'édit d'expulsion du duc René de 1477 et nombre d'entre eux se réfugient tout près, dans des seigneuries relevant du comté de Sarrebruck-Nassau comme Welferding. C'est dans cette localité qu'est installé à une date inconnue, probablement vers le milieu du 17ème siècle, l'unique lieu de culte autorisé. Cependant le morcellement féodal favorise le maintien de quelques rares familles à proximité de la ville, puisqu'en 1442, l'évêque de Metz Conrad Bayer de Boppard autorise certains d'entre eux à habiter les villages de Hambach et de Roth.

Retour des Juifs à la fin du 17e siècle

Ils commencent à revenir à Sarreguemines à la fin du 17e siècle, profitant de l'expansion de la ville qui est devenue le chef-lieu du bailliage d'Allemagne après l'annexion et la démolition de Vaudrevange (Wallerfangen) remplacée en 1670 par la nouvelle forteresse de Sarrelouis. Le mouvement s'accélère avec la destruction par Louvois du Palatinat en 1689 et touche toute la région, un moment unifiée au sein de l'Intendance de la Sarre. La preuve en est donnée par l'identité d'un des premiers Juifs signalés dans la ville : il est originaire de Dalsheim, près de Worms.

Mais le retour à la Lorraine, en 1697, va déclencher les haines de tous ceux qui voient en eux, non seulement des ennemis de la religions chrétienne, mais aussi des affidés du roi de France. En 1702 est arrêté sous l'inculpation de vol un certain Lyon Cahen, originaire de Rahling. Il est accusé d'avoir cambriolé pendant la messe la caisse du bureau des papiers timbrés, des tabacs et des sels. Un premier jugement est (relativement) modéré puisque les juges, sans prendre vraiment position sur sa culpabilité, le condamnent à être fouetté, mais récusent le bannissement et la marque d'infâmie, ce qui était l'usage pour un tel délit. Il y a cependant appel et six jours plus tard, la Cour Souveraine de Lorraine transforme la condamnation en peine capitale. Lyon Cahen est exécuté le jour même, le 7 décembre 1702. Il est certain que la sévérité du verdict a pour objet non seulement de dissuader les voleurs, mais aussi de faire comprendre aux Juifs installés depuis peu dans la région qu'ils ne sont plus les bienvenus. La situation ne commence à changer qu'après l'arrivée de Stanislas.

Deux familles y vivent en 1753, mais leur nombre atteint vingt-six dans les dernières années de l'Ancien Régime. Parmi les premiers installés, figure la famille Gentzbourger qui pratique le prêt sur une assez grande échelle puisqu'elle finance en 1765 la ville de Sarreguemines pour la construction de son église paroissiale. Welferding est peu à peu délaissé par ses habitants juifs et sa synagogue abandonnée. Celle de Sarreguemines est tout d'abord aménagée en 1765 dans la maison de Salomon Gentzbourger puis transférée dans celle de Marchand Berr, frère de Cerf Berr, en 1769. Celle-ci étant adossée au mur d'enceinte, la municipalité l'autorise à percer deux fenêtres pour mieux éclairer les offices.

L'époque de la Révolution française

Au début de la Révolution, la communauté est, semble-t-il, dirigée par des hommes très au fait de l'actualité et qui se situent avec hardiesse dans le sillage de ceux, rares dans nos régions, qui demandent l'abolition du statut particulier, non seulement en ce qui concerne les restrictions apportées au logement et au commerce, mais aussi concernant l'administration des syndics et la justice rabbinique. Il faut peut-être y voir la marque de Marchand Berr, principale personnalité de cette communauté, et probablement au fait de la situation politique de la France de l'époque. Mais par la suite, cette effervescence se dissipera très vite, au fur et à mesure qu'affluent dans la ville des coreligionnaires venant des villages, beaucoup plus traditionalistes, voire conservateurs (Grossbliederstroff, Rouhling, Frauenberg etc..).

Certains de ces éléments semblent n'avoir pas eu très bonne réputation. Ainsi dans son rapport au ministre de l'Intérieur en date du 11 septembre 1823, le préfet de la Moselle, commentant les personnalités des notables juifs de son département, signale qu'un certain Aaron Block, de Sarreguemines, est réputé s'adonner à l'usure, et, d'après le préfet, aurait même été la cause principale de l'application au département du fameux décret "infâme" du 17 mars 1808, abrogé depuis 1818. Cet homme est le gendre de Marchand Berr et avait obtenu en 1787 de l'intendant de Lorraine la permission de s'installer dans la maison de son beau-père. Il était à l'époque inspecteur particulier des haras de Sarralbe.

Ces derniers avaient d'ailleurs une histoire étroitement liée à celle des Juifs de la contrée. Ils furent créés par le duc de Lorraine Léopold qui se passionnait pour les attelages et les chevaux de selle. Les dépenses que cela entraînait, au milieu de beaucoup d'autres d'ailleurs, expliquent l'étendue des dettes qu'il contractait auprès des Juifs, qu'ils soient de Metz ou de Lorraine, comme le fameux Samuel Lévy. Après sa mort, sa veuve puis Stanislas continueront à prodiguer toute leur attention aux haras qui sont le plus souvent confiés à la surveillance d'employés juifs qui passaient pour être des experts en chevaux. Le rattachement à la France ne changea rien à cette situation dont une des conséquences était que le directeur des haras, juif ou non, avait le droit d'ordonner des corvées domaniales pour le fauchage et le voiturage des foins. Ces corvées étaient de toutes façons mal ressenties par les paysans des villages des environs, mais le fait que leur ordonnateur fût un juif les soulevait d'une indignation dont on retrouve les traces en 1789 dans les cahiers de doléances des communautés villageoises de Nelling, Grening et Insming. Dans cette dernière localité, la corvée est qualifiée "d'esclavage aussi honteux à notre sainte religion qu'injurieuse à la qualité de sujets libres de la France".

Renforcement de la communauté au 19ème siècle

Dans la première moitié du 19ème siècle, Sarreguemines est sans conteste la communauté la plus importante du département après celle de Metz, la seule à disposer d'un "sous-rabbin" dès 1831 (Gabriel Mendel en 1840). Ce poste prestigieux est d'ailleurs en 1850-1853 l'occasion de démêlés homériques entre la population et les autorités consistoriales de Metz et de Paris. En 1850, la commission électorale de Sarreguemines élit à ce poste un ancien élève de l'école rabbinique de Metz, M. Wimphen. Hélas, ce dernier, depuis sa sortie de l'école, avait opté pour le commerce, mais, changeant d'orientation, souhaitait retrouver sa vocation première. Cette démarche n'était pas étrangère à la tradition, Rachi lui-même n'était-il pas vigneron ? Mais ce fut un tollé au consistoire qui entendait bien que les rabbins soient désormais des professionnels de la religion, et rien d'autre. L'élection de Wimphen fut donc cassée mais un deuxième tour, tenu cette fois à Metz, donna le même résultat. Les Sarregueminois voulaient Wimphen ! Le consistoire messin prévint alors le consistoire central, qui demandait une troisième scrutin, que son résultat serait probablement identique, même si on trafiquait un peu la composition de la commission électorale, comme le suggérait Paris, qui menaçait de supprimer le poste si le rebelle était réélu. La crise ne sera dénouée que le 2 septembre 1853 avec l'élection du rabbin Bernheim.

On compte trois cent cinquante membres de la communauté en 1861. Sur onze postes de ministres officiants (Metz non compris), cinq sont affectés la même année à des communautés voisines : Grosbliederstroff, Frauenberg, Hellimer, Forbach et Puttelange. C'est dire la puissance de ce judaïsme de la Moselle-Est à l'époque. En 1851, il y a une école israélite mais l'instituteur, allemand, enseigne aux élèves dans cette langue.

Une des personnalités marquantes au 19ème siècle est Lion Grumbach, banquier de son état, et qui entre au conseil municipal dans les dernières années du Second Empire. En 1871, l'autorité allemande ayant manifesté l'intention de déplacer le tribunal de la ville, le conseil envoie une délégation à Berlin auprès de la chancellerie pour demander son maintien dans les lieux. Lion Grumbach en fait partie et se fait alors remarquer pour ses talents d'orateur, puisque la délégation obtient gain de cause. Six ans plus tard, Jaunez, maire de Sarreguemines ayant déplu pour son attitude francophile, est démis de ses fonctions et Lion Grumbach nommé maire le 31 mai 1877. Il resta en fonction quatre ans, jusqu'en 1881 et mourut en 1890.

En 1860, une nouvelle synagogue en grès des Vosges s'édifie rue de la Chapelle dans un style oriental byzantin. Elle comprend deux salles attenantes, celle de droite servant d'oratoire les jours de semaine, celle de gauche accueillant les réunions du comité d'administration, mais est aussi utilisée comme vestiaire pour le rabbin qui, avant les offices, y revêt sa soutane. A l'arrière de la synagogue a été construit un bain rituel et à l'entrée, de part et d'autre de la porte, on a aménagé deux bancs réservés aux visiteurs non-Juifs venus écouter les chants des offices, dirigés par le 'hazan Albert Kahn. Celui-ci est souvent accompagné à l'orgue par le directeur de l'école protestante, assisté d'un de ses élèves chargé de pomper l'air dans les tuyaux de l'instrument ! Plus tard, la place d'organiste sera tenue par Mlle Fuhrmann, professeur de musique. Albert Kahn avait fondé une chorale de garçons et de filles qui étaient recrutés à partir de l'âge de treize ans. A cette occasion, la communauté leur offrait des "ma'hzorim" (livres de prière).

L'annexion allemande et le retour à la France

Entrée de la nouvelle synagogue construite en 1958 - © J. Cahn
Agrandie par les apports de l'immigration allemande après 1871, la communauté atteindra quatre cent vingt personnes en 1900, ce qui en fait la deuxième de la présidence, après Metz et bien avant Sarrebourg et Thionville. Malgré l'importance numérique des coreligionnaires allemands, les dons, lors de la lecture de la Torah, se font en francs tout au long de la période de l'annexion, après quoi les règlements s'exécutent bien entendu en marks sur la base de 8 marks pour 10 francs annoncés. Un petit pavillon situé dans la cour, fait office de centre communautaire, il est agrandi en 1925, mais cette construction provoque un conflit, d'ailleurs vite réglé, avec l'architecte de la ville qui n'avait pas donné son accord.
La communauté n'eut pas de cimetière avant 1899 et jusqu'à cette date, les inhumations se faisaient à Frauenberg.

Le départ des immigrés allemands après le retour à la France entraînera un certain déclin en partie compensé par des immigrants polonais qui auront, entre 1920 et 1939, un petit oratoire séparé ruelle Holz dans la maison de M. Goldschmidt. En 1939, le président est Edmond Bloch et le rabbin M. Dreyfuss. Son 'hazan est Eugène Adler, originaire d'Anvers, qui mourra en déportation.

A la Libération, il reste encore soixante-six familles qui se réinstallent dans la ville. La synagogue, détruite par les nazis, est reconstruite en 1958 dans un style contemporain. Après la guerre, Roger Kahn, futur grand rabbin de la Moselle, est élu en 1951 au poste de Sarreguemines dont le président était depuis 1945 Lucien Klein. Succèdent à celui-ci, Jules Lemmel, Adolphe Gougenheim, Claude Samuel-Félix Wolff, Hervé Voss, Robert Gougenheim-Claude Bloch, puis Claude Bloch seul.
Erwin Bloch, puis Sigismund Friedmann furent ministresofficiants. Le premier quitta Sarreguemines pour Forbach en 1951. Il faut également signaler à ce poste Bernard Job qui fut par la suite 'hazan à Bruxelles, Israël Suissa, nommé à Sarreguemines en 1975 et qui officia ensuite à Colmar. Il fut pour un temps remplacé par Samuel Margulies.

Après Roger Kahn, le rabbin de Sarreguemines, nommé en 1967, est Ephraïm Rozen qui fait valoir ses droits à la retraite le 1er juin 1986. II est alors remplacé par le rabbin Claude Fhima. Celui-ci assura à deux reprises l'intérim du grand rabbinat de la Moselle, une première fois lors de la démission de Jacques Ouaknin, puis à nouveau dix ans plus tard, en 1998 à la suite de celle de son successeur, Marc Raphaël Guedj. Également atteinte par le déclin général, la communauté de Sarreguemines ne compte plus aujourd'hui qu'une centaine de personnes.

Aujourd'hui (2010) c'est le Rabbin Ariel Werthenschlag qui a pris les rênes de la communauté.

Intérieur de la nouvelle synagogue construite en 1958 - © J. Cahn

D'après Claude Bloch de Sarreguemines, Didier Hemmert, Gilbert Cahen et Renée Neher-Bernheim dans Documents inédits autour de l'entrée des Juifs dans la société française, 1977.


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