S’il est vrai que le Shabath constitue l’un des moments les plus importants dans la vie juive, il n’est peut être pas inutile d’en rappeler le déroulement dans le cadre de la famille.
A l’heure prévue, la maîtresse de maison allumait les lumières de schawess dans le bougeoir à deux branches prévue à cet effet ; elle récitait les bénédictions traditionnelles en hébreu et ajoutait souvent une prière personnelle :
On s’est bien préparé pour cette journée de schawess: on s’est habillé pour la circonstance : on a mis le "schawess-klad".
A la fin de l’office, tout le monde allait dire "Geut Schawess" au rabbin qui, dans un geste affectueux, donnait une bénédiction aux enfants. A la maison, les parents ne manquaient pas, après avoir chanté "scholom aléikhem", de "Benschen" à leur tour leurs enfants, de les bénir en récitant la formule biblique utilisée par Jacob pour bénir ses petits-enfants (Genèse 48:20 ; Nombres 6:24).
Après quoi, on allait se laver les mains (avant le repas) et l’on se gardait bien de s’interrompre en parlant entre le lavage rituel des mains et la consommation d’un petit morceau du pain du kidoush (le texte liturgique de sanctification du Shabath) : toute la famille attendait silencieusement la récitation du kidoush - le silence était bien souvent interrompu par des "hein ?" sonores qui demandaient au vis-à-vis d’aller chercher le vin (ou le sel ou le couteau : il manque toujours quelque chose !) : on pensait qu’en s’exprimant par des sons inarticulés, on ne transgressait pas l’interdiction de s’interrompre comme, par exemple, par la parole. Quand tout le monde avait pris place autour de la table, le maître de la maison récitait le kidoush, en tenant dans sa main la "coupe du kidoush" remplie de "Brokho Wein", "vin béni" (E.W., p. 11), vin destiné à être accompagné par la récitation d’une bénédiction particulière, ou de "Keddisch Wein", vin qui doit servir au moment du kidoush. (E.W., p. 53).
De quelqu’un
qu’on estime riche, on dira "ER HOTT SEIN KIDDUSCH
WEIN IM KELLER" : "Il a son vin de kidoush dans sa
cave". (ib.)
(La seule existence de cette expression - "Keddisch Wein"
- semble indiquer que des juifs d’Alsace (et d’ailleurs) consommaient
du vin "ordinaire" tout au long de la semaine et conservaient, pour
les circonstances rituelles, du vin spécial que l’on pourrait qualifier
de "casher".
L’auteur de ce texte imagine les réactions que peut susciter, aujourd’hui,
la lecture de ces lignes. Cependant, avant de porter un jugement sur la piété
des juifs d’Alsace, il conviendrait de se livrer à une étude
sur les différents degrés de qualité rituelle du vin, et
sur l’histoire de la commercialisation du "vin casher" avant
l’institution de royalties versées à des institutions ou
à des hommes qui garantissent, sur les étiquettes des bouteilles
de vin, qu’il s’agit de vin "cashèr". Qu’il
suffise, pour justifier cette remarque, de citer le Choul’hâne
aroukh abrégé du Grand
Rabbin Ernest Weill zatza"l, qui écrit (page 237) :
"A défaut de vin ou de vin cachère, le vendredi soir, vous
direz Quiddouche, sur deux miches de pain …".
Après la récitation du kidoush, le maître de maison
prenait puis distribuait à chacun des convives un morceau de pain : pendant
la première partie du kidoush au cours de laquelle, les pains
étaient couverts d’un beau "Keddisch Deckelle",
pièce de velours joliment brodée.
(L’origine de cet usage qui veut que le pain soit couvert
pendant que l’on récite des bénédictions concernant
le vin peut être expliquée par le fait que la cérémonie
du kidoush comporte une partie qui implique l’usage de vin et
une autre partie qui comporte l’usage de pain. Un problème de préséance
de pose donc : s’il est vrai que la décision veut que l’on
commence par le vin, on veut éviter que le pain "soit jaloux"
de voir qu’on accorde la priorité au vin : ce serait la raison
pour laquelle on le couvre - on le cache - pour qu’il soit comme "absent"
pendant qu’on s’occupe de l’autre élément qui
intervient dans la cérémonie du kidoush.
Si l’on est attentif à vouloir éviter de heurter la susceptibilité
d’un élément inanimé, à combien plus forte
raison doit-on apprendre à être vigilant pour ne pas heurter la
susceptibilité - fut-elle exacerbée - des êtres vivants
que l’on est amené à côtoyer !)
Sans que cette rubrique ait des prétentions d’ordre
rituel, il semble aujourd’hui utile de justifier un usage de moins en
moins répandu : celui de se laver les mains avant le début du
kidoush (et non, comme on le voit de plus en plus souvent, avant le
motsi, la récitation de la bénédiction qui précède
la consommation du pain).
S’il est vrai (cf supra) qu’il ne faut pas s’interrompre entre
le lavage des mains et la consommation du pain, il est important de savoir qu’une
parole qui concerne de façon précise la consommation du pain n’est
pas considérée comme une interruption interdite (par exemple,
quand bien même on évite de le faire, on peut demander explicitement
de mettre du sel sur la table, s’il n’y en a pas, pour pouvoir y
tremper le pain du motsi). Ainsi, la récitation du kidoush
constituant, le Shabath, un préliminaire nécessaire à la
consommation du pain n’est pas considérée comme une interruption
problématique, et le repas du Shabath commence par la prise du pain du
motsi. D’autres usages peuvent aussi être expliqués
et justifiés ; mais l’objet de cette rubrique est de décrire
les éléments de la vie dans le judaïsme alsacien ; en l’occurrence,
il s’agit de la coutume prescrite dans les gloses sur le Choulkhan
Aroukh à l’usage des communautés de rite achkénaze
(Ch. A., O.H., 271, 12) où il est stipulé qu’en ce cas particulier
plus encore que dans d’autres situations, il ne faut pas changer les habitudes
ancestrales).
La composition des menus traditionnels des repas du Shabath ainsi que les recettes des différents plats figure dans la partie "gastronomique" du site, et nous y renvoyons le lecteur.
Les repas de Shabath étaient agrémentés, essentiellement dans la saison d’hiver, quand les soirées sont longues, par le chant de "Zmiress" (hébr. : zemiroth), cantiques traditionnels.
Tous les usages domestiques contribuaient à communiquer à tous
les membres de la famille le calme, la sérénité et l’harmonie
qui caractérisent la célébration de la journée du
Shabath.
N.B. Certaines expressions citées dans ce texte sont
peut-être tombées en désuétude ou l’auteur
de ces lignes n’avait-il pas eu l’occasion de les entendre ; elles
figurent dans les ouvrages de référence les plus classiques :
- Honel MEISS : Traditions populaires alsaciennes [H.M.]
- Emmanuel WEILL : Le Yidisch alsacien-lorrain [E.W.]
- Louis UHRY : Un parler qui s’éteind : le judéo-alsacien
[L.U.]
- Arthur ZIVY : Jüdisch-deutsche Sprichwörter und Redensarten
[A.Z.]
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