Le contexte de la lettre
Dans les années 1930, on assiste à une progression de l'antisémitisme en France, due à la crise économique mondiale, la montée des périls internationaux et aux affrontements politiques.
L'arrivée au pouvoir de Léon Blum le 4 juin 1936 déclenche les foudres de l'extrême droite parlementaire et des ligues qui lui sont affiliées, ce qui provoque une recrudescence de l'antisémitisme, notamment à travers la parole du vice-président du groupe parlementaire de la Fédération républicaine, Xavier Vallat. À l'arrivée de Blum, celui-ci déclare à la tribune :
"Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain sera gouverné par un Juif".
Avant même la formation du gouvernement Blum, des immeubles et des magasins strasbourgeois appartenant à des juifs sont souillés de goudron ainsi que l'escalier du Palais de justice, qualifié de "palais des juifs".
A Mulhouse, on pose des "papillons" antisémites sur les murs de la ville. Les journaux antisémites sont soutenus par la Régie Française des Tabacs. Et lorsque la Communauté demande à la Municipalité des subventions pour construire le nouveau bâtiment dans la cour de la synagogue, elles lui sont refusées, sous prétexte :
"que cela pourrait donner lieu à des réclamations tant du point de vue de la municipalité que du côté des catholiques qui pourraient peut-être entreprendre une campagne de presse où on établirait une coïncidence entre le gouvernement actuel et la subvention qui nous serait accordée" (R. Hirschler à Alfred Wallach 12 mars 1937).
Parmi les antisémites (Vallat, Joseph Massé, Louis Biétrix, etc.), beaucoup préfèrent Hitler à Léon Blum comme Salomon-Kœchlin : "mieux vaut mille fois, pour un peuple sain, la férule d’un Hitler que la verge d’un Léon Blum". D’autres antisémites prônent davantage des mesures légales et un statut juridique. Ils veulent dissocier une nationalité juive de la nationalité française, sans faire de différences entre les israélites depuis longtemps intégrés et les nouveaux arrivés. Ils ne ménagent pas non plus les anciens combattants juifs, tout en sachant que la communauté juive a perdu presque une génération dans la Grande Guerre. Ces propositions visent à interdire les organisations juives telles que l’Alliance israélite universelle ou la Ligue Internationale contre l’antisémitisme. Les plus extrémistes veulent interdire le travail aux juifs, ce qui en somme rejoint l’idée de les expulser, puisque ces derniers sans travail seraient obligés de partir. Ils veulent limiter les activités exercées par les juifs dans la presse, la banque, l’industrie, le commerce, les professions libérales, la culture et le spectacle. Des groupes de théoriciens antisémites demandent aussi la confiscation des biens des juifs.
En 1936 éclate une affaire qui a un énorme retentissement en Alsace-Lorraine : on prête au gouvernement du Front populaire l'intention de modifier le régime de la scolarité dans cette province. Il s'agirait de prolonger la fréquentation de l'école et d'imposer des programmes identiques à ceux du reste de la France, tout en poursuivant l'enseignement religieux, qui avait été maintenu après la Grande Guerre. Une flambée de violence antisémite déferle alors. Dans une lettre écrite le 12 mars 1937 à La Tribune juive, le directeur général des œuvres du diocèse de Strasbourg affirme :
"Les catholiques ne sont pas antisémites... mais nous constatons avec indignation qu'à chaque fois que notre statut religieux est attaqué depuis 1918, un Juif athée à la Georges Weil, Grumbach, etc., se trouve dans les coulisses. Aujourd'hui ce sont MM. Blum et Zay, Blumel et Moch. Nous ne nous inclinerons jamais devant la dictature d'une minorité, celle des Juifs athées." La presse catholique se déchaîne contre ce "malodorant marchandage de Juifs. Le peuple croyant s'opposera avec la plus farouche énergie à ce que les mains d'un Juif athée enlèvent les crucifix de nos écoles". Des manifestations antisémites éclatent en 1937 à Mulhouse et à travers toute l'Alsace-Lorraine contre les juifs, qui soumettent la terre de France à la domination du Talmud "dans ses pires applications".
Freddy Raphaël, Les Juifs d'Alsace et de Lorraine de 1870 à nos jours, pp. 114-115
La requête du Député Wallach
Dans le cadre de ses fonctions, René Hirschler échange une correspondance régulière avec le député de Mulhouse, Alfred Wallach, auquel il demande son soutien pour les besoins de la communauté, ainsi que pour l'aide aux réfugiés juifs venus d'Allemagne . A. Wallach est un industriel spécialisé dans le domaine des tissus imprimés qui est élu député de Mulhouse en 1932 et siège à la Chambre comme Indépendant de gauche. A priori tout le sépare du rabbin Hirschler : il est son aîné de plus de vingt ans, il ne fréquente pas la synagogue, mais les deux hommes coopèrent intensément pour servir les Juifs de leur ville.
Réponse du Rabbin Hirschler
Mon cher Député,
Je ne connais pas M. Raymond Postal (1). Par le même courrier je fais une demande de renseignement au Centre de Documentation qui a été institué par les membres du Consistoire Central des Israélites de France que je prie de vous envoyer directement ces renseignements. Je ne sais toutefois si on pourra vous les faire parvenir à temps. J'ai l'impression, peut-être fausse, par la façon dont le questionnaire est rédigé que l'intention de M.P. est suspecte.
Puisque vous voulez bien me demander mon avis concernant ce questionnaire, le voici :
Je vous ai répondu, Monsieur le Député, en toute objectivité. Vous avez mon opinion et vous pouvez disposer de celle-ci comme vous l'entendez.