La Lorraine fut, avant la Corse, l'avant-dernière province à être réunie à la nation française. Mais elle n'en était pas moins française, de coeur et de langue, depuis fort longtemps. Elle comprenait depuis des siècles une population juive, comme l'atteste pour ne pas remonter plus haut la vie, passée en grande partie à Metz, de Rabbénou Gerchom, surnommé "la lumière de l'exil, qui au dixième siècle, fut considéré comme une des plus grandes autorités spirituelles du judaïsme. A la suite de diverses péripéties, semblables à celles que connurent les Israélites du Royaume de France, les juifs furent autorisés en 1753 à résider dans les Etats de Stanislas, beau-père de Louis XV, ancien roi de Pologne, devenu duc de Lorraine et de Bar. La Communauté était répartie sur tout le territoire du duché, sans compter la ville de Metz, antique citadelle de la foi. Trois syndics se trouvaient à sa tête, Salomon Alcan, Isaac Behr et Michel Godechaux.
Le fils d'Isaac Behr, Beer Isaac Beer, joua un rôle éminent dans l'émancipation des Juifs de France. Il avait été désigné pour prendre la tête d'une délégation des Juifs d'Alsace et de Lorraine et, à ce titre, prit la parole devant l'Assemblée constituante le 14 septembre 1789. La discussion fut âpre et, malgré l'intervention de l'abbé Grégoire, curé d'Emberménil et délégué du clergé lorrain, La Fare, évêque de Nancy, ne put s'empêcher de proclamer, lié par les conclusions du cahier de son ordre : "Pour être juste, je dois dire que les Juifs ont rendu de grands services à la Lorraine et surtout à la ville de Nancy, mais il est des situations impérieuses."
Viennent, dans la suite des temps, les années napoléoniennes, celles où l'Empereur convoque à Paris une assemblée des notables israélites, en 1808. Beer Isaac Beer figure dans la députation du département de la Meurthe et, à l'élection du président, réunit 32 voix sur son nom contre 62 à Furtado, un bordelais, son concurrent plus heureux.
Après la tenue, en 1808, d'un Grand Sanhédrin de l'Empire, un décret du 11 décembre crée l'organisation du culte israélite. Metz et Nancy deviennent chefs-lieux de Consistoires, ces institutions destinées à mettre en place les lieux de culte et leurs chefs spirituels. Le Consistoire Central organise un recensement des Juifs de la France de 1809, élargie jusqu'aux Bouches du Rhin et des Bouches du Pô. On y lit : "la ci-devant Communauté de Lorraine et des Trois Evêchés (Metz, Toul et Verdun) comprend 38 propriétaires, 117 militaires, 406 enfants voués aux travaux utiles, aux arts et aux sciences et fréquentant les écoles publiques, 13 fabricants" sur une population totale de 10.638 âmes, comprenant les Israélites des Ardennes, de la Haute-Marne et du Doubs.
Le nombre et la valeur des élèves, venus d'un peu partout, ne cessèrent de croître et on se demanda si l'Ecole rabbinique pouvait demeurer à Metz, dans une ville certes de vieille tradition juive, mais sans appareil universitaire. Adolphe Franck et Salomon Munk firent rapport au Consistoire Central, en 1840, sur la situation matérielle et pédagogique de l'institution. Allait-on la transférer à Paris, la décentraliser en créant une autre école à Alger ?
Mais Faye, recteur de l'Académie de Nancy, tenait à son idée de posséder, au chef-lieu du département de la Meurthe, ville universitaire, une école rabbinique. "Si l'école rabbinique, écrivait-il au ministre de l'Instruction Publique, était transférée de Metz à Paris, il en résulterait un dommage pour mon Académie et plus particulièrement pour nos facultés, car le Consistoire de Nancy, frappé de l'avantage que la présence de ces facultés procurerait à l'Ecole rabbinique, avait conçu le projet de solliciter la translation de cette Ecole dans notre ville." Le Recteur exposait les motifs qui, primitivement, avaient donné à là Lorraine la préférence pour l'établissement de l'unique école rabbinique en France. A l'importance des communautés juives dans l'Est s'ajoutait à ses yeux l'avantage de mettre les élèves de l'école au contact de l'influence française, à Nancy, où peut se réaliser "le contact si désiré de l'Orient et de l'Europe israélite".
André Spire est né
à Nancy en 1868 et il peut aujourd'hui, à la veille de célébrer
son 98e anniversaire, contempler son œuvre en prose et en vers, une oeuvre
qui enfonce ses racines dans sa province natale. N'est-ce pas lui, le patriarche
des écrivains juifs d'expression française, qui a décrit
les israélites lorrains du milieu du 19e siècle avec le plus
grand bonheur ? "Il y avait alors, écrit-il, dans la plupart des
villages et des bourgs lorrains des communautés juives groupées
autour d'une petite synagogue ou d'un oratoire. A part leur religion qu'ils
exerçaient avec plus de soin, de ferveur et les prescriptions alimentaires
qu'ils n'avaient pas encore pris le parti de négliger, ils ne se distinguaient
guère des autres Lorrains, ni par le costume, ni par les mœurs.
Ils parlaient le patois lorrain et, quand ils parlaient le français,
leur accent n'était ni plus traînant ni plus nasal que celui
de leurs compatriotes."
Le poète de Et vous riez ! voit dans les Juifs lorrains des
citoyens français exerçant une religion de minorité,
unies de coeur et d'âme à leur pays.
Nombre de Juifs de la région de la Moselle annexée quittèrent la terre natale pour s'installer en France. Le grand rabbin Benjamin Lippmann avait donné l'exemple lorsque, quittant Metz pour Lille, il cita les paroles de Jérémie : "Contribuez au bien-être et à la paix de la ville qui vous reçoit... mais n'oubliez jamais votre ancienne patrie." On n'oublia jamais la France à Metz, où les sermons du vendredi soir et des grandes fêtes juives continuaient à se faire en français.
1918 ramena à la mère-patrie les terres provisoirement perdues.
Le grand rabbin Israël
Lévi pouvait écrire : "Si la France ne s'était
jamais consolée de la perte des deux provinces de l'Est qui étaient
son orgueil, que dire du judaïsme français dont l'immense majorité
des fidèles est issue de l'Alsace et de la Lorraine : Béni soit
le Seigneur qui nous a laissé vivre assez longtemps pour vivre ce beau
jour."
Nous l'avons vécu ainsi que les jours suivants jusqu'en 1939. Des Israélites
chassés d'Europe Orientale venaient s'installer en Lorraine. D'autres,
comme Aryé Sternfeld, le premier à avoir mis sur orbite un satellite
artificiel de la terre, vinrent à Nancy faire leurs études.