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Juifs et Chrétiens d'aujourd'hui Qu'as-tu fait de ton frère ? |
Les représentants des trois religions concordataires en Alsace-Moselle se sont associés à ce travail par de très beaux messages de fraternité. Ils contribuent ainsi à détruire les stéréotypes et les préjugés qui enferment les Juifs dans un ghetto mental, et montrent que les Églises catholique et protestante d'Alsace, après la Shoah, ont remis en cause l'enseignement du mépris. Ils offrent à tous une source d'espérance.
Parmi les arts, ce sont les arts plastiques, en tant qu'arts de l'espace, qui ont pour ainsi dire imité la Création. Mais les œuvres sont enfermées dans des galeries, des musées, des cabinets, chacune est séparée des autres par son cadre artistique, elle est sur un socle propre, dans des cartons… "chambres mortuaires de l'art" disait le philosophe Franz Rosensweig. Alors apparaît l'architecture et elle libère les œuvres prisonnières pour les conduire dans l'espace sacré des églises. Désormais, le peintre décore plafond et murs, ainsi que le riche reliquaire de l'autel ; le sculpteur décore les colonnes et frontons, piliers et corniches, le graveur décore le livre saint. Parmi les arts, ce sont les arts plastiques, en tant qu'arts de l'espace, qui ont pour ainsi dire imité la Création. L'œuvre d'art qui semblait condamnéeà l'isolement,
renaît à la vraie vie. Elle sort de son espace propre pour entrer
dans un espace réel où elle prend elle-même pleine réalité,
et où elle cesse d'être purement de l'art. Tel est
l'art médiéval en Alsace quand il illustre la Synagogue,
ou qu'il suggère le juif. Telle est la raison la plus profonde
de ce mélange à la fois de haine et de fascination à l'égard
des juifs, haine qui a recueilli l'héritage de la haine païenne
hostile – rappelons-le – aux juifs comme aux premiers chrétiens. |
À travers les siècles, les relations entre Chrétiens et Juifs s'inscrivent dans une ambivalence fondamentale : n'ont-ils pas été des frères ennemis ! Tantôt c'est la proximité et la solidarité qui ont prévalu, tantôt – et plus souvent – ce furent le rejet et la haine. Au Moyen Âge, au moins jusqu'à la fin du 11e siècle,
la cohabitation fut plutôt pacifique. Puis, en lien avec les deux premières
croisades (1096 et 1146), la violence collective s'est déchaînée
contre les Juifs. Des textes théologiques, mais aussi juridiques, prônent
jusque vers 1140 à la fois la protection et l'ostracisme des communautés
juives. |
Chaque fois que nous regardons tant d'images, gravées, peintes ou sculptées, que les chrétiens du Moyen Âge ont voulu donner des juifs, de ceux du passé comme de ceux qui leur étaient contemporains, nous, chrétiens, sommes assaillis de sentiments divers. L'étonnement d'abord : comment des disciples de Jésus ont-ils pu être aveuglés au point de ne plus voir dans lesjuifs les frères de sang de celui qu'ils confessent non seulement comme Fils du Très-Haut, mais également comme fils d'Israël, profondément ancré dans la religion de ses Pères ? La honte ensuite : comment des croyants qui ont entendu cet enseignement ultime : "Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés", en sont-ils venus à se montrer aussi infidèles à ce commandement de l'amour du prochain, lorsque ce prochain était un juif ? L'indignation enfin : non ! nous, chrétiens d'aujourd'hui, nous ne nous reconnaissons pas dans cette façon de voir nos frères juifs, elle nous scandalise, elle nous blesse ; et nous ne voulons plus regarder ces images, témoins d'une époque révolue et qui ne nous concerne pas. Mais alors nous viennent à l'esprit les paroles si fortes que n'eut de cesse de proclamer le pape Jean-Paul II durant notre grand Jubilé de l'An 2000, nous appelant à la "purification de la mémoire", nous invitant à "panser les blessures du passé afin que plus jamais elles ne s'ouvrent" (discours d'arrivée à Tel Aviv). Pour pouvoir être pansées, des blessures doivent être regardées avec attention, quel que soit le rejet qu'elles peuvent appeler. C'est pourquoi une exposition comme celle-ci ne peut être que salutaire. Elle nous aide à regarder courageusement notre passé et à reconnaître ces erreurs dont nous ne sommes pourtant pas personnellement responsables. Un nombre important de ces représentations traduisent le message qui fut pendant des siècles celui de chrétiens face au peuple juif et au judaïsme, et que le grand historien Jules Isaac a magistralement résumé par l'expression "enseignement du mépris" : "Peuple infidèle, qui n'a pas reconnu la visite de son Messie, sourd à ses paroles, aveugle à ses signes, devenu incapable de lire sa propre Écriture Sainte et les promesses de salut qu'elle contient, le peuple juif se trouve rejeté par Dieu, maudit, pour avoir failli à sa mission. C'est bien ce qu'illustrent toutes ces images négatives montrant les Juifs, soit humiliés à cause de leur aveuglement, soit – comme dans le Moyen Âge finissant – défigurés par les multiples tares que révéla leur impardonnable péché de déicide. Quoi qu'il en soit de cette représentation, que le Juif soit encore digne dans son malheur (comme le montre la magnifique Synagogue de la cathédrale de Strasbourg) ou qu'il soit caricaturé, le message théologique reste le même : "c'est maintenant au peuple chrétien qu'est passée l'élection ; et l'Église, verus Israël, triomphe, elle qui confesse la vérité du salut apporté par le Christ." Au Concile Vatican II, l'Église catholique a enfin révisé cet enseignement et compris combien il contredisait la Bible elle-même, et d'abord la parole de saint Paul affirmant que "les dons et l'appel de Dieu sont sans repentance". Le décret conciliaire Nostra Aetate (1965), point de départ du "nouveau regard" porté par l'Église catholique sur les Juifs, rappelait le "patrimoine spirituel" qui l'unit au peuple de la descendance d'Abraham, et condamnait l'accusation de déicide (§4). L'épiscopat français, en particulier sous l'impulsion de Mgr Elchinger, évêque de Strasbourg, publiait en 1973 un document sur les relations judéo-chrétiennes d'une force encore inégalée, tandis que Jean-Paul II rappelait à maintes occasions la pérennité de la Première Alliance, "qui ne fut jamais révoquée" par Dieu (Mayence, 1980, etc.). Aujourd'hui, c'est à la réconciliation et au dialogue fraternel que nous voulons œuvrer avec nos frères aînés. Mais nous devons avoir l'humilité de reconnaître que l'enseignement du mépris et la "théologie de la substitution" faisant de l'Église le Nouvel et unique Israël de Dieu imprègnent encore bien des esprits. Seul un long travail d'éducation parviendra à en extirper tout germe d'antijudaïsme. Seule une continuelle purification de la mémoire, les rendant conscients des tentations qui les habitent, ouvrira les chrétiens à la vigilance et à la responsabilité. À eux aussi est adressée cette parole par laquelle Dieu interpella Caïn : "Qu'as-tu fait de ton frère ?". L'Église appelle aujourd'hui les chrétiens à s'engager sur ce chemin de conversion, les invitant à construire avec leurs frères juifs un avenir où, ensemble, ils pourront être "une bénédiction les uns pour les autres" (Jean-Paul II, 1993). |