Émile Schwarz est né le 26 août 1877 à Ribeauvillé (Haut-Rhin), enfant d'une famille nombreuse, connue par sa piété. Dès sa tendre enfance, il avait devant lui l'exemple d'une vie foncièrement juive. Jeune encore, il vint avec ses parents à Strasbourg. Un de ses frères (Alfred, plus aîné que lui), fut instituteur, une sœur (Ernestine), institutrice, deux autres sœurs (Ida et Claire), pendant longtemps, assistantes sociales (sans avoir eu ce titre), au Bureau de Bienfaisance de Strasbourg.
Trois de ses sœurs moururent avant la dernière guerre, un frère (Albert) en Amérique. Alfred et Ernestine sont devenus victimes de la déportation.
E. S. s'est marié tard avec Elvyre Senett (de Soultz-Sous-Forêts) ; après quelques années d'union heureuse, elle lui a été enlevée par une mort subite pendant son exil à La Châtre, en 1944. Il n'a jamais surmonté entièrement ce coup dur, et il fallait tout le dévouement de ses deux belles-sœurs (Mme Ohnstein et Mlle Rosa Senett) pour le lui faire quelque peu oublier.
Quant à ses études, il fréquenta d'abord l'école primaire et ensuite la Realschule de Strasbourg et suivit en même temps les cours de «Reb» Lippmann (grand-père du rabbin Émile-Nathan Lévy, décédé à Tel-Aviv). A 14 ans, il entre à l'École Rabbinique et au Lycée de Colmar. L'enseignement qu'il reçut chez le directeur Dr. Zacharie Wolff est devenu décisif pour sa carrière et ses vues rabbiniques. Le souvenir des études faites à Colmar lui est resté toute sa vie, et il nommait avec tendresse le nom de ce maître par excellence.
Muni de l'Abitur qu'il passa brillamment en 1897, il se fit inscrire au Séminaire Hildesheimer et à l'université de Berlin. Il fut diplômé rabbin en 1903 et fit son doctorat (en 1908 seulement) chez le professeur Windelband à Heidelberg, dont il avait déjà suivi les cours à Strasbourg quand sa santé délicate ne lui permettait pas de quitter sa maison paternelle.
Bon mathématicien, il s'intéressa surtout à l'étude de la philosophie. Sa thèse traita de La morale de J.-M. Guyau, philosophe français du dernier siècle. Aujourd'hui encore on lit avec plaisir ce petit ouvrage qui se distingue déjà par un style clair et populaire et où la matière est présentée avec beaucoup d'aisance.
Comme premier poste rabbinique, il eut celui de Lauterbourg (en 1903) comme successeur d'Isaac Lévy, nommé à Brumath.
L'année 1910 amena une nouvelle répartition des circonscriptions rabbiniques en Alsace et en Lorraine. Celle de Lauterbourg fut dissoute, et Schwarz devint rabbin de Soultz-sous-Forêts à la place de Camille Bloch, nommé à Dornach. A la mort du rabbin Léonard Koch (en 1930), Émile Schwarz passe à Wissembourg, en gardant en même temps les communautés de son ancien rabbinat de Soultz.
Pendant la seconde guerre mondiale, nous le trouvons rabbin des réfugiés alsaciens à La Châtre. Revenu après la guerre brisé et désespéré par la perte de tous les siens, il voulait renoncer à l'activité rabbinique. Nous l'avons encouragé de rester des nôtres, alors tant de jeunes rabbins avaient disparu. Il accepta le rabbinat d'Obernai (devenu vacant par la mort de Jérôme Lévy). Les lignes qui précèdent, témoignent de son activité bénie pendant les dix dernières années de sa vie.
Émile Schwarz écrivait aisément l'allemand et le français, et mit ce talent au service de nombreuses revues : Das Jüdische Blatte, l'Annuaire des A.T.J., l'Univers Israélite, le Bulletin de nos Communautés, et d'autres encore ont eu recours à sa collaboration. Il a écrit une introduction à notre Hagadah de Pâque, et a fourni la traduction de quelques Sidroth d'un Commentaire de Rachi qui se trouve actuellement sous presse. Dans nos Assemblées amicales (assiphoth) auxquelles il attribuait une grande importance, il avait une voix toujours écoutée de fin talmudiste et de prudent "décisionnaire". Sa place reste vide, il nous manquera beaucoup.
"Ah ! que je suis en peine à cause de toi, mon frère, tu m'étais si cher, ton affection m'était si précieuse." (II Samuel 1:26.)
C'est la douleur dans l'âme que je viens adresser un suprême adieu à mon ami Émile Schwarz צ"ל , et je ne saurais mieux exprimer la poignante émotion qui m'étreint devant ce cercueil, que par ces paroles de David affligé, lui aussi, de la disparition d'un ami de cœur.
En effet, c'est à titre d'une amitié inaltérable de plus de soixante ans que la douloureuse mission m'est échue de donner expression aux sentiments de regret qui animent toute cette assistance.
C'est un soulagement pour moi de savoir que d'autres voix que la mienne se feront entendre ici pour dire tout ce que nous avons perdu en Émile Schwarz. Moi, je n'ai pas le courage de faire violence à ma douleur en recueillant mes idées pour apprécier à sa juste valeur l'activité si riche de mon ami. Il me semble que quelque chose de mon cœur descend avec lui dans la tombe.
Depuis l'âge de 15 ans, nous avons vécu, je dirais presque, côte â côte, dans l'intimité la plus étroite, venaphchi gechour /h benaphchô (Genèse 44:30) comme dit la sidrâh du Shabath prochain, échangeant nos idées, partageant nos soucis, nos espérances et trouvant l'un auprès de l'autre conseil et appui. Ne le sachant pas malade, je lui ai envoyé, il y a à peine quinze jours, un petit travail à réviser. Il l'a revu lorsque la main froide de la mort l'avait déjà touché.
En toute circonstance j'avais recours à ses lumières, à sa science, à son expérience consommée, à son esprit si lucide, à son jugement si avisé et toujours si humain.
Une nature délicate lui avait imposé certaines réserves, mais son âme compréhensive, son talent littéraire et philosophique aidant, tout ce qui sortait de sa plume enchantait par la bonté, par la clarté et la logique. Un rabbin bon et indulgent, l'ami de tous ceux qui l'approchaient. Je crois le voir devant moi comme élève brillant du Lycée et de l'École Rabbinique de Colmar, je crois le voir comme étudiant joyeux et zélé chez Hildesheimer et aux universités de Berlin et de Strasbourg, le voir comme rabbin vénéré de Lauterbourg, Soultz, Wissembourg, La Châtre et Obernai, comme talmudiste ferré dans nos assemblées amicales de chaque mois qu'il a rarement manquées.
Pourtant "Je cherche celui que mon âme aimait, je le cherche et, ne le retrouve plus" (Cant. 3:1).
Merci, mon ami, pour tout ce que tu nous as donné, pour ton amitié, ton dévouement, ta confiance, ta fidélité. Nous ne sommes plus nombreux, ceux qui étaient assis avec toi sur le même banc d'école, mais aussi longtemps que Dieu nous donnera encore vie et santé, nous ne t'oublierons pas. Ton exemple sera un enseignement, ton souvenir, une leçon et une sauvegarde. Et tu souriras à nos efforts au sein de l'éternité bien heureuse.